Préface
- Prix solennel de thèse de la Chancellerie des universités de Paris 2019
Prix de la meilleure thèse de doctorat de l’Association des professeures et des professeurs de droit du Québec 2019-2020 - Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Constitutionnalisme et common law dans la pensée juridique anglo-américaine
- Pages : 9 à 10
- Collection : Bibliothèque de la pensée juridique, n° 15
- Thème CLIL : 3126 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie
- EAN : 9782406109884
- ISBN : 978-2-406-10988-4
- ISSN : 2261-0731
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-10988-4.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/07/2021
- Langue : Français
Préface
L’ouvrage de Kevin Bouchard, issu d’une thèse que j’ai eu le plaisir et l’honneur de co-diriger avec le Professeur Bjarne Melkevik, ne donne pas seulement une très bonne monographie sur l’œuvre du philosophe du droit canadien Wilfrid Waluchow, mais il présente aussi une réflexion originale et de portée très large sur des problèmes tout à fait centraux, voire fondamentaux, de la théorie du droit contemporaine.
Dans ses premiers travaux, M. Bouchard était parti d’une interrogation générale mais rigoureuse sur les relations entre le positivisme juridique et la théorie démocratique, avant de décider finalement de centrer son propos sur la pensée de Wilfrid Waluchow, qui fut l’élève de H. L. A. Hart à Oxford, et dont l’œuvre propose une théorie originale du constitutionnalisme, envisagé à partir de la tradition de la Common Law. Ce choix s’est avéré particulièrement judicieux car l’œuvre de Waluchow se trouve au croisement de deux controverses majeures de la philosophie du droit contemporaine. Comme le rappelle M. Bouchard, on peut considérer que tout au long de l’histoire de la pensée juridique anglaise (ou de langue anglaise) on peut suivre le débat récurrent qui commence au xviie siècle, avec la critique radicale que fait Hobbes de la tradition de la Common Law, dont les échos s’entendent encore aujourd’hui dans les discussions entre des auteurs comme Hart, Fuller et Dworkin. Dans ce contexte, l’intérêt de l’œuvre de Waluchow vient d’abord de ce que celui-ci propose une vision originale (et juste) du positivisme juridique qui montre que le modèle de la Common Law est jusqu’à un certain point compatible avec la théorie positiviste du droit, ou du moins avec la version qu’en a donnée Hart, qui ne réduit pas le droit au « commandement » législatif et qui peut faire une certaine place à la « moralité » dans la formation du droit.
Mais le déplacement opéré par Waluchow a aussi le grand intérêt de mettre en lumière un point qui reste la plupart du temps implicite chez les juristes : la dépendance d’une partie de la tradition « constitutionnaliste » 10à l’égard des techniques et même de la philosophie de la Common Law. Ce déplacement est de grande portée, puisqu’il implique que le constitutionnalisme moderne (qui, depuis l’arrêt Marbury v. Madison prétend s’appuyer sur les exigences immanentes des constructions écrites) repose en partie sur un modèle de production du droit de type coutumier, dans lequel le Law est à la fois une « loi » qui s’impose à des juges qui ne peuvent que « découvrir » le droit et non pas vraiment le créer et un « droit » qui préexiste à l’action du législateur, fût-il constituant.
Au-delà même de l’étude minutieuse d’un auteur important, le livre de M. Bouchard apparaît donc bien comme une remarquable contribution à l’histoire de la philosophie du droit de langue anglaise, qui s’appuie à la fois sur la longue durée de la Common Law, et sur une analyse fine des œuvres des principaux protagonistes des débats contemporains. La première partie, portant sur « La conception classique de la common law et sa critique hobbesienne », donne une synthèse originale du débat fondateur d’où sont sorties les deux grandes traditions de la philosophie du droit de langue anglaise. Les chapitres consacrés aux principaux auteurs (Fuller, Hart, Dworkin, Waldron) avec lesquels dialogue Waluchow examinent avec rigueur les principaux enjeux des controverses philosophiques contemporaines sans méconnaître leur dimension politique. Mais ce travail est tout aussi fécond du point de vue du droit public et de la science politique, notamment parce qu’il ouvre des perspectives stimulantes sur le rôle que peut jouer l’héritage de la Common Law dans le droit constitutionnel contemporain.
Philippe Raynaud
Professeur de Science Politique,
Université Panthéon-Assas/Paris 2.
Membre Honoraire
de l’Institut Universitaire de France
Paris, le 28 juin 2020.