Éditorial
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Constellation Cendrars
2023, n° 7. varia - Auteurs : Le Quellec Cottier (Christine), Berranger (Marie-Paule)
- Résumé : L’œuvre du poète est associée à des artistes graphiques, grâce à la réalisation de l’exposition virtuelle Blaise Cendrars et Adolf Wölfli - De folles rencontres. Ainsi, le « Dossier » présente le processus de réalisation de ce projet numérique et ses effets, avec les dessins de Nathalie Perrin. La section « Documents » présente 11 planches d’une série de 33 inspirées par Cendrars, créées par l’artiste plasticien Marcel Miracle. Les rubriques habituelles de la revue mettent l’accent sur les réseaux constants de la création cendrarsienne avec des initiatives transmédiales.
- Pages : 11 à 14
- Revue : Constellation Cendrars
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406157830
- ISBN : 978-2-406-15783-0
- ISSN : 2557-7360
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15783-0.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 18/10/2023
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : transmédialité, Blaise Cendrars, Adolf Wölfli, Marcel Miracle, Nathalie Perrin
éditorial
Il ne fallait pas moins que le génie de Maïakovski pour animer cette foule. Et c’est là que j’envie Maïakovski. Ses poèmes n’étaient pas parlés, ses poèmes n’étaient pas écrits, ses poèmes étaient dessinés. Le dessin est compréhensible même aux analphabètes. […] je suis convaincu qu’aujourd’hui Maïakovski gueulerait ses poèmes sur la place Rouge par haut-parleurs et qu’il en improviserait toutes les nuits sur les ondes pour les faire entendre jusqu’aux confins du monde.
Quand Cendrars évoque le fameux journal lumineux du poète Maïakovski, en 1924, puis encore lors de ses entretiens avec Michel Manoll, en 19501, le désir d’une synesthésie des arts est clamé haut et fort. Ainsi, ce que nous nommons volontiers aujourd’hui une transmédialité semble décupler la puissance de réception d’une création, mais aussi transformer ses récepteurs en offrant une palette infinie de formes et de figures. Ces variations s’apprécient déjà grâce aux récentes éditions de l’œuvre de Cendrars, mais elles sont amplifiées et actualisées par des artistes contemporains qui trouvent dans les mots le relais sonore, visuel, plastique à leurs propres initiatives ; l’œuvre de Cendrars leur est un réservoir brut et fondateur, toujours inspirant. En 2021, Constellation Cendrars suivait la piste musicale des adaptations et interprétations de l’œuvre, en proposant des dédicaces originales d’artistes et un répertoire des interprétations, tant contemporaines que plus anciennes, avec par exemple les rappeurs Joey Star et Ekoué, la chanteuse et poète Patti Smith ou encore le compositeur Arthur Honegger2. Aujourd’hui, alors que le séminaire de l’AIBC « Cendrars multimédial3 » se déploie depuis 2022, nous faisons le 12choix des arts graphiques grâce à l’exposition virtuelle « Blaise Cendrars et Adolf Wölfli, de folles rencontres ».
Ce projet à l’initiative du CEBC a été réalisé par les commissaires Jehanne Denogent et Natacha Isoz, en collaboration avec les media designers de Int Studio, en Suisse. Les potentielles relations de ces deux figures helvétiques – l’écrivain inspiré par la clinique psychiatrique de la Waldau, à Berne, lorsqu’il écrit Moravagine, et l’interné agresseur de petites filles, dans ce même asile au début du xxe siècle, devenu artiste d’art brut célèbre – a déjà aiguisé la curiosité des chercheurs4, mais pour la première fois une exploration des liens artistiques et biographiques est conduite dans toute sa diversité et sa profondeur. L’exposition est accessible librement et gratuitement sur la plateforme www.cendrars-woelfli.ch depuis ce printemps 2023, grâce au soutien essentiel de nos partenaires5. Afin d’aborder ce projet novateur sous d’autres angles, le dossier préparé par Jehanne Denogent et Natacha Isoz interroge le processus de création d’une telle exposition virtuelle, et met en évidence la nécessité d’une réflexion transmédiale, ses modalités, ses écueils et ses surprises, puisqu’à un travail de recherche scientifique s’est greffé le traitement de multiples données techniques. La démarche est encore nouvelle pour des œuvres littéraires et il nous a semblé pertinent de prolonger l’expérience en rendant compte – à l’image du making-off que Cendrars tournait en parallèle à sa collaboration avec Abel Gance ! – d’un cheminement qui va peut-être s’imposer parmi de nouvelles façons de transmettre la littérature. Ces données concrètes et réflexives sont abordées par les deux commissaires de l’exposition ainsi que par les spécialistes du mediadesign qui ont tous œuvré durant une année. Mais d’autres approches ont aussi été imaginées pour ce numéro de Constellation ! Nous avons invité Jean-Carlo Flückiger, en chercheur averti, à renouer avec la paire d’artistes qu’il connaît depuis longtemps. Avec panache, et la complicité 13de Moussorgski6, il a imaginé les nouveaux tableaux d’une exposition conduisant le lecteur au sous-sol du Musée des Beaux-Arts de Berne pour une expérience sensitive. Un autre type de déambulation a été demandé à David Martens, fondateur en ligne de « Littératures modes d’emploi7 », car nous souhaitions un observateur éclairé de ce domaine nouveau, afin de situer la démarche proposée vis-à-vis d’autres expositions numériques en littérature. Sa traversée de la carte d’exposition corrobore les intentions initiales du projet, car bien que le support digital transmédial – textuel, visuel et sonore – se soit imposé durant la période Covid pour pallier l’effacement de la réalité tangible, la plateforme a acquis sa propre autonomie, une plasticité et une intelligence singulières en offrant une autre réalité, celle d’un monde possible qui aurait sans doute séduit Maïakovski et Cendrars. Enfin, pour associer la sensibilité d’une artiste contemporaine à la rencontre de ces deux monstres sacrés que sont Cendrars et Wölfli, nous avons proposé à la plasticienne Nathalie Perrin une immersion au cœur de l’exposition ; elle a créé des dessins et deux gravures, croisant les mots et formules de Cendrars avec des dessins inspirés du monde wölflien, en noir et blanc, en faisant aussi le choix d’un trait de la main gauche ; cette contrainte fonde une relation qui, à sa façon, participe au monde violent du roman Moravagine. Les dessins – compréhensibles même aux analphabètes selon Cendrars – forment d’autres pistes pour découvrir les « folles rencontres » saisies par une artiste qui met toujours en réseau textes et images.
Les réseaux entre des textes, des images et des imaginaires sont aussi au cœur de l’expérience du célèbre artiste plasticien Marcel Miracle, inspiré plusieurs fois par l’œuvre de Cendrars. Ses créations – dessins et collages – forment des « images mentales » qu’il décline souvent selon les mots du poète. Miracle vit avec Cendrars depuis des décennies et régulièrement, mais chaque fois singulièrement, un récit ou un poème surgit pour inspirer une création suggestive, ludique et souvent très colorée. Pour notre rubrique « Documents », motivée elle aussi par le choix pictural de ce numéro, nous présentons une création originale inspirée par Bourlinguer et la géomancie que pratique Miracle, lui qui est né à Madagascar. Le voyage est celui des mots, des dessins et d’une 14mystique déjà présente dans le texte cendrarsien, ce que Ch. Le Quellec Cottier présente en introduction à la découverte de onze planches, parmi l’ensemble des trente-trois formant Hagar, Howdah, dessinées au trait et amorcées par le code d’accès à leur conception, soit la logique singulière qui a présidé à leur réalisation. Nous remercions très vivement Marcel Miracle de ce don inspiré et inspirant.
Les synesthésies plastiques qui peuvent « rejoindre les confins du monde », comme l’affirmait Cendrars, s’apprécient aussi dans les diverses rubriques de ce Constellation 7, car la « Vie des archives » précise qu’une exposition cinématographique, à la Bibliothèque nationale suisse en 2024, va solliciter le Fonds Blaise Cendrars, et, grâce au « Trésor du bibliophile », deux portraits inconnus, ou méconnus, de l’écrivain sont à découvrir. Comme la rubrique « Bibliographie », la palette des « Événements » impressionne par sa densité et son originalité, en Europe et aux États-Unis, puisque durant cet été 2023 s’est tenue à New York une première exposition nord-américaine consacrée à l’œuvre de Cendrars, permettant l’identification de deux nouvelles Prose du Transsibérien.
Le poète a envié Maïakovski, mais la création cendrarsienne se décline aussi, et depuis longtemps, hors du texte, par les sons et les images. Elle est lue et perçue comme un fameux journal lumineux, une source vive qui alimente en continu nos imaginaires. Les pages animées qui suivent vous invitent à l’apprécier en simultané.
Notre « Dossier » a bénéficié du soutien de la Fondation Jan Michalski pour l ’ écriture et la littérature à Montricher, de la Loterie romande et de la ville de La Chaux-de-Fonds. Nous les en remercions très chaleureusement.
Christine Le Quellec Cottier
Directrice du CEBC
Berne et Lausanne
Marie-Paule Berranger
Présidente de l’AIBC
Paris
1 En 1924, Cendrars publie « Les Poètes modernes dans l’ensemble de la vie contemporaine », qu’il intègre avec d’autres « modernités » à Aujourd’hui en 1931, où il évoque le pouvoir de Maïakovski (Denoël, TADA 11, 2005, p. 95). La déclaration à Manoll se trouve dans le sixième entretien de Blaise Cendrars vous parle… publié en 1952 (Denoël, TADA 15, 2006, p. 106).
2 Voir : https://constellation-cendrars.ch/publications/constellation-cendrars/ et https://constellation-cendrars.ch/publications/cendrars-en-musique/ (consultés le 29 mai 2023).
3 « Faire création de tout. Cendrars multimédial », dirigé par Marie-Paule Berranger (Paris Sorbonne Nouvelle) et Myriam Boucharenc (Paris Nanterre), en 2022-2023.
4 On se référera au dossier critique constitué par Jean-Carlo Flückiger pour l’édition du roman Moravagine (1926) dans la collection de la Pléiade chez Gallimard (2017), à l’article de Claude Leroy « Cendrars précurseur de l’art brut ? », Cendrars et les arts (dir. M.T. de Freitas, C. Leroy, E. Nogacki), Valenciennes, PUV, 2002, p. 159-174 ; ou encore au volume Sous le signe de Moravagine (dir. C. Leroy et J.-C. Flückiger), Caen, Minard, 2006.
5 Le CEBC remercie vivement ses donateurs : la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, Montricher ; la Loterie romande et la Ville de La Chaux-de-Fonds, ainsi que ses partenaires : les Archives littéraires suisses – Bibliothèque nationale suisse, Berne ; la Collection de l’Art brut – Lausanne ; la Fondation Adolf Wölfli – Musée des Beaux-Arts, Berne, le LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne et d’art brut ; le Kunstmuseum – Saint-Gall.
6 M. Moussorgski a composé en 1874 Tableaux d’une exposition, titre d’une série de dix pièces pour piano.
7 Voir : www.litteraturesmodesdemploi.org (consulté le 29.05.2023).