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Classiques Garnier

Préface

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Depuis que l'étude du vieux français a été introduit dans les programmes de l'enseignement secondaire, il a paru plusieurs recueils de Morceaux choisit du moyen âge On les doit à MM. Merlet, Aubertin, Constans dont je tenais à mettre les noms en téte de cette préface; car j'ai profité de l'expérience qu'ils ont acquise à leurs suc¬ cesseurs. Il me semble superflu d'expliquer le plan très simple que j'ai suivi. Je me bornerai à dire que, dans les notices littéraires et historiques qui précèdent chaque groupe d'extraits, je me suis attaché d'une part à donner une idée générale de la littérature française du moyen âge, d'autre part à fournir aux élèves les renseignements qui leur étaient utiles pour l'intelligence des Morceaux choisis *. Ces notices m'ont en outre permis de réparer certaines omissions, inévitables dans un α choix  ». Il était impossible de faire figurer dans les extraits tous les ouvrages et tous les auteurs importants d'une période de sept siècles; la plupart de ceux que j'ai dû négliger 1. Quant aux recueils de MM. Bartsch, P. Meyer, Β. Rttter, il· « 'adressent à feuseignement supérieur. — M. Petit de Jolleville a aussi fait w* place à née vieux auteurs dans son volume récent de Morceaux choisi*. 1. Daus les analyses qne contiennent les notices, j'ai suivi de très prés le testes qne je résumais. Il ne faudra donc pas s'étonner d*j rencontrer certain· particularités de Γ ancienne langue, comme le mélange dn tutoiement et de l'es piei dn «  tous »  »
8 *ΠΤ PRÉFACE. seront au moins signalés k leur rang dans les notices. 11 va sans dire que je ne pouvais entreprendre de faire ainsi, accessoirement, une histoire développée de la lit¬ térature du moyen âge. Je renvoie donc, pour de plus amples détails, aux principaux ouvrages dont je me suis moi-même servi, à l'Histoire littéraire de la France, à l'Histoire de la littérature française au moyen âge, de M* Aubertin, aux Préfaces des diverses éditions citées, aux Épopées françaises, de M. Léon Gautier, aux études de M. Petit de Jullevi'le sur notre ancien théâtre, enfin aux nombreux travaux publiés par la Romania, et dont les plus importants sont signés du nom autorisé de If. Gaston Paris. J'indique toujours les éditions auxquelles j'emprunte mes extraits ; mais j'ai souvent corrigé les textes, avec la discrétion qui m'était imposée par l'impossibilité de discuter en note, dans un ouvrage de ce genre, les leçons nouvelles que j'admettais. Mes corrections sont d'ailleurs analogues à celles qui ont été faites par MM. Bartsch et Gonstans dans leurs chrestomathies. Les unes s'appuient sur le sens du contexte ou sur les règles assurées de l'ancienne grammaire. D'autres consistent dans l'option entre plusieurs formes orthographiques ou dialectales employées concurremment par les manuscrits ; j'aurais voulu aller plus loin dans cette voie, mais il n'était pas inutile d'habituer les élèves à la variété de formes qu'ils pourront trouver dans les éditions ou dans les manus¬ crits. On sait en effet que nos ancêtres n'avaient pas une orthographe officielle, et que, dans une même page, ils écrivaient parfois le même mot de deux ou trois manières différentes » Sans doute beaucoup de ces différences doi¬ vent être attribuées à la négligence des copistes, qui ont ■eurent mélangé des formes dialectales contradictoire·;
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II
sans doute aussi, entre deux graphies équivalentes, il vaudrait mieux adopter toujours la même pour un même texte. Mais ce système n'a été suivi que dans un très petit nombre d'éditions récentes, et, pour donner à cha¬ cun de nos extraits l'uniformité orthographique et dia¬ lectale, il eût fallu refaire entièrement toutes les autres. J'ai cependant introduit plus d'harmonie dans les formes, et, pour les monuments les plus anciens, qui ne nous sont conservés en général que par des manuscrits bien postérieurs, j'ai donné la préférence aux graphies les plus archaïques. Les notes sont consacrées aux explications historiques, littéraires ou grammaticales qui pouvaient difficilement trouver place dans le glossaire, ou qu'on n'aurait peut· être pas eu l'idée d'y chercher. Quant aux éclaircisse¬ ments nécessaires pour l'usage du glossaire, on les trou¬ vera dans l'introduction spéciale qui le précède. Je souhaite vivement que ce livre contribue à faire connaître et à faire aimer notre ancienne littérature. On pourra relever, dans les œuvres que nous citons, plus d'une maladresse de composition, plus d'une gau¬ cherie de style. Mais pourquoi demander à l'enfance et à la jeunesse la sûreté de l'âge mûr, au lieu des qualités qui leur sont propres, et qui ont bien aussi leur charme ? En littérature comme en art, ce qui importe assurément, c'est beaucoup moins la perfection de la forme que le caractère de l'inspiration, et on ne peut dénier le carac¬ tère aux belles œuvres de notre ancienne langue. Pour apprécier toute la valeur des textes littéraires du moyen Age, nous devons apprendre à réagir contre la préven¬ tion inconsciente qui résulte des difficultés de la langue, et surtout contre la tendance qu'on éprouve tout d'abord à sourire des tournures démodées et des vieilles accep-
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lions des mots. Avec un peu de réflexion, on se rendra compte que cette tendance est absolument déraison¬ nable. Le langage de notre temps produira exactement le même effet à nos descendants ; telle locution moderne, qui nous parait toute naturelle aujourd'hui, pourra de¬ venir aussi un sujet de raillerie. A travers les mots, il faut atteindre et juger l'idée. Dans son Jeu de Saint- Nicolas, Jean Bodel a écrit ces vers, dignes de Corneille  : Segneur. se je sui jones, ne m'aiés en despit  : On a veii souvent grant cuer en cors petit. La locution «  avoir en dépit  » paraîtra bizarre parce qu'elle n'est plus usitée  ; le sens du mot «  dépit  » s'est modifié et affaibli, et nous ne mettrions pas aujourd'hui l'adjectif «  petit  » après le substantif. Mais ce langage était aussi naturel pour les contemporains de Bodel que peuvent l'être pour nous les vers fameux de Corneille qui expriment la même idée. L'éloquence est égale des deux parts. N'oublions pas d'ailleurs que, dès le moyen âge, l'étranger a rendu à nos vieux auteurs la justice que nous leur avons si longtemps refusée par ignorance. Nos chan¬ sons de geste ont été traduites et imitées dans toutes les langues de l'Europe. C'est une vive satisfaction pour notre patriotisme que de constater un tel succès ; c'en est une, plus grande encore, de le justifier. Outre l'importance qu'elle a par elle-même, la litté¬ rature du moyen &ge offre encore cet intérêt de nous montrer les origines de bien des œuvres modernes parmi les plus renommées. Shakespeare a pris dans nos vieilles légendes les sujets de plusieurs de ses pièces 1 ; Molière a puisé plus ou moins directement dans nos fabliaux et
λ· Yojet page 48, et page 160, note I·
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dans le roman des Sept Sages 1 ; les plus célèbres des romans populaires que les colporteurs répandent encore dans les campagnes remontent à des chansons de geste1; Rabelais, Bonaventure des Périers et Marot, au xvie siècle, la Fontaine au xvn·, P.-L. Courier ' et Victor Hugo * au XIXe, ont fait de fréquents emprunts aux trouvères et aux conteurs du moyen âge. L'historien n'est pas moins intéressé à l'étude de notre ancienne littérature. Sans parler des matériaux si pré¬ cieux que lui fournissent tous les chroniqueurs français, les chants historiques5 lui transmettront, sous une forme vivante, les impressions des contemporains de chaque fait, et il entendra dans nos épopées primitives le reten¬ tissement prolongé des grands événements qui ont mar¬ qué la formation et les premières manifestations de notre nationalité '. Nous nous sommes efTorcé de représenter, dans une juste mesure, par le choix des morceaux, ces divers éléments d'intérêt. Il était impossible de satisfaire, en un volume d'étendue restreinte, toutes les curiosités qu'é¬ veille une littérature encore si peu connue. Nous espé¬ rons du moins qu'on n'aura & nous reprocher aucune omission importante, et que nos lecteurs ratifieront les choix que nous avons faits. L. CLÉDAT. 4. Vojes page til, note 1, M ptg· 2S8, not· I. 1. Voyei page Ut. 3. Vojei page lie, note 1. 4. Voyet pige 91, note 11 Si ; 96 ; W, note 4; 118, note t ; M. note L & Vojei page· SU, 333, 335, etc. 4. Vojei lee introduction· de toute· le* ehanaon· de gerte que non· elton ».