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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Charles Nodier. Biographie
  • Pages : 7 à 16
  • Collection : Biographies, n° 1
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406107477
  • ISBN : 978-2-406-10747-7
  • ISSN : 2781-274X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10747-7.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 12/05/2021
  • Langue : Français
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Préface

La biographie serait « aussi impossible à définir quà pratiquer1 » ; Daniel Madelénat conclut ainsi un long essai consacré à ce type dentreprise littéraire. Constat pessimiste, voire défaitiste qui tient, pour lessentiel, au fait quelle ne soit pas reconnue comme genre littéraire par les doctes et quelle soit écartelée entre science et art.

Le biographe est, en tout premier lieu, historien. Il cherche à restituer une vérité quil fonde sur des témoignages pluriels dont il a pris soin de vérifier la véracité, forcé parfois de se contenter de la crédibilité. Face à ces témoignages, pléthoriques quelquefois, il a le devoir de faire un choix, un double choix même. Tout dabord, il lui revient de retenir ou pas lépisode sur lequel portent ces témoignages et de lui accorder une importance quantitative et qualitative ; puis, il lui appartient de choisir quelle couleur il donnera à lévénement en question et, pour ce faire, il privilégiera tel témoin à tel autre. Ces choix se font, tous deux, en fonction dune ligne de conduite générale : le biographe connaît la fin de lhistoire quil entreprend de raconter. En cela, il fabrique du destin. Doit-on penser que cest là quil abandonne la science pour faire œuvre dart ? Cela nest pas bien certain, tant il est vrai que lhistorien lui aussi est soumis à cette loi. Comment faire le récit des conquêtes napoléoniennes, des victoires fulgurantes puis des échecs meurtriers, sans en rendre compte par rapport au mot de la fin, cest-à-dire Saint-Hélène et la mort en exil ?

Mais le respect scrupuleux du fait vrai, laccumulation des dates, lobservation rigoureuse de lordre des événements qui incombent à lhistorien, risquent de conduire à la rédaction dune chronologie, non dune biographie. Ce nest que dans la chronologie que leffacement du biographe est effectif. Dès que lon passe à la biographie, qui est peu ou prou un récit, lidentité du biographe se fait sentir. On pourrait 8croire également, que cest ici que lhistorien se fait romancier. Cela reste encore à prouver ; la lecture successive de deux ouvrages de deux historiens, reconnus comme tels, Pierre Gaxotte et Albert Soboul2, sur une même période de lhistoire, la Révolution française en loccurrence, renseigne parfaitement cette question. Tous deux ont pour but la vérité de lévénement et cependant quelles différences entre leurs ouvrages, différences qui trouvent leur origine dans les appartenances politiques diamétralement opposées de ces deux hommes de science.

Où commence donc la tentation du romancier ? Elle se manifeste, croyons-nous, dans le désir légitime danimer, de donner une âme à ce qui nest quun amas de données objectives, semblables à des signes de vie, mais non à la vie elle-même. Il sagit, dit encore Daniel Madelénat, de « métamorphoser labsence en présence3 ». La tentation est grande alors de brosser des scènes, de décrire des paysages, de rédiger des dialogues, mieux encore et plus dangereux, danalyser les sensations et émotions du personnage qui devient héros. Il y a bien là une question de mesure, de frontière à ne pas franchir. Le biographe doit faire montre de « la richesse humaine dun vibrant résonateur, et [de] leffacement dune chambre déchos4 ». De lempathie lucide donc qui sinterdit la sympathie aveugle.

À ces difficultés inhérentes à lécriture biographique sen ajoute une nouvelle et non des moindres lorsquil sagit, comme cest le cas dans ce volume, dun écrivain. Biographe et biographé ont un mode dexpression commun et la tentation empathique pourrait aller jusquau mimétisme stylistique, car il appartient au biographe de rendre compte autant que faire se peut de lœuvre de lécrivain duquel il se propose de raconter la vie. On a longtemps pratiqué lapproche qui consistait à distinguer la vie de lœuvre en juxtaposant les deux mots5 dans le titre même de louvrage ; lopération est périlleuse, voire contre-productive. La raison en est assez évidente. La production littéraire, même lorsquelle emprunte les filtres poétiques les plus retors et les plus secrets, est liée à un contexte événementiel, personnel, mais aussi historique au sens 9large du terme qui léclaire, la suscite. Et à linverse, on est mieux armé pour comprendre certains comportements lorsquon consulte lœuvre de lintéressé, fût-elle de fiction. La production dune œuvre est donc à considérer comme un événement qui trouve sa place dans la chaîne du temps dont on cherche à scruter la cohérence, aussi relative soit-elle. Len retirer, cest la priver de ses racines, cest faire de lanalyse in vitro.

À cette difficulté concernant lidentité du statut du biographe et de son sujet, sen ajoute une autre, encore une devrait-on dire, à savoir que le biographé ait lui-même rédigé une autobiographie plus ou moins avouée. Cest le cas de lécrivain à qui nous consacrons ces pages, Charles Nodier. En 1799-1800, il a à peine vingt ans, il écrit un texte relativement bref quil titre avec désinvolture et provocation assumée Moi-même. Sagit-il dune autobiographie ? Oui, à condition que ce type décrit soit autorisé à emprunter les habits bariolés de la Fantaisie. En 1834 – il a donc cinquante-quatre ans – il poursuit chez le libraire Renduel, lédition de ce quil appelle, bien faussement, ses « Œuvres complètes », par un dixième volume qui réunit plusieurs récits sous le titre de « Souvenirs de jeunesse ». Dans lAvertissement du volume, il reconnaît entreprendre une « gracieuse récapitulation des années écoulées », mais il ajoute « tout le monde rêve avec enchantement de sa vie passée, moi, je lécris6. » Le lecteur, mais encore plus le futur biographe, est ainsi prévenu : les récits qui vont suivre sont bien inspirés de la vie de lauteur. Et cette inspiration laisse entendre que le réel du passé et le fictif du souvenir vont sentremêler étroitement sans quaucune soudure ne soit visible, grâce au mystérieux travail du rêve, maître mot de lunivers nodiériste, nous aurons à y revenir très souvent. Impossible donc – Nodier prend la peine de nous linterdire – de prendre ces deux types douvrage pour argent comptant. Mais on aurait tort den détourner le regard et de les refuser catégoriquement comme source dinformations. Lautobiographie de fantaisie et les souvenirs plus ou moins rêvés, à défaut de livrer des faits strictement authentifiés, nous révèlent des vérités psychologiques non moins passionnantes à observer.

Enfin, ajoutons encore à cette litanie des « difficultés » une dernière et non des moindres. Nous disions que le biographe était avant tout historien et Nodier lui-même sest exprimé à maintes reprises sur la validité de la démarche historique. Il la met régulièrement en doute. 10Citons, entre autres exemples, lincipit de son œuvre la plus célèbre, La Fée aux Miettes, où le narrateur jette furieusement un volume de Tite-Live, dont le nom à lui seul est une sorte dantonomase de la figure de lhistorien, puis formule cette réflexion ouvertement critique : « Lhistoire positive ! [] lexpression dune aveugle partialité, le roman consacré dun parti vainqueur, une fable classique devenue si indifférente à tout le monde que personne ne prend plus la peine de la contredire7 ! » Voilà qui est dit : Nodier semble récuser par avance lentreprise biographique.

Pourtant les écrits de ce type, concernant Nodier, ne manquent pas. Au lendemain de sa mort, en 1844, lun de ses proches disciples, Francis Wey compose une « Vie de Nodier » qui précèdera la Description raisonnée dune jolie collection de livres, ouvrage posthume. Citons les derniers mots de ce texte, pour en apprécier la tonalité : « Charles Nodier ne laisse à ses enfants que léclat de son nom, lhéritage des amitiés vraies quil avait amassées, lexemple dune vie sans tache, les souvenirs dun esprit adorable et dun cœur parfait ; tout ce quil faut pour y songer sans cesse et ne se consoler jamais8. » Cette vie composée à chaud, si lon ose dire, est trop proche de léloge funèbre pour apporter les garanties nécessaires à la lucidité du biographe. Puis cest au tour de Jules Janin de se livrer au même exercice, la même année, pour introduire Franciscus Columna, autre œuvre posthume. Citons cette fois, les premiers mots de cette notice : « Il ne faut pas le laisser mourir ainsi, cet homme dun si rare bon sens, qui, sans lui rendre les honneurs mérités, a été le plus charmant et le plus fécond des beaux esprits de ce temps-ci9 ». Ici, ce sont les superlatifs qui éveillent, dentrée de texte, une certaine méfiance.

En 1867, paraît un texte capital pour qui cherche à mieux connaître Charles Nodier : Épisodes et souvenirs de sa vie, de la main de sa fille, auteure elle même, et qui livre au public, vingt-trois ans après la mort de son père, un livre très attachant. Dans lavant-propos dudit livre, elle avoue en avoir eu lidée vingt ans plus tôt, mais y avoir renoncé, trop consciente de son « insuffisance face à une tâche aussi imposante10 ». 11Mais « [a]ujourdhui – ajoute-t-elle – je sais quil a vécu pour moi, et, depuis notre séparation, je me suis mise à vivre pour lui. Grâce à Dieu et aux tendres enseignements paternels, jai une foi assez sûre dans un avenir où nous serons de nouveau réunis, pour me dire quil nest pas trop tard11. » Très prudemment, Marie Nodier ne parle à aucun moment de biographie ; les termes de « souvenirs » et d« épisodes », choisis pour le titre, disent bien que louvrage ne prétend pas délivrer une vérité absolue sur lhomme et lécrivain. Elle raconte, pour lessentiel, daprès ses propres souvenirs ; parfois ceux de ses parents pour la période qui précède sa naissance. Dès lors, le biographe lira ces pages souvent plaisantes, quelquefois émouvantes, avec grand intérêt, mais il se gardera de les prendre trop exclusivement comme source dinformations. Lécriture de Marie Nodier est inspirée, de son propre aveu, par lamour quelle na cessé de porter à son père, et par un désir de défendre sa mémoire quelle voit attaquée sur plusieurs fronts12. Autant dire que lorientation de louvrage, dominée par les sentiments, interdit au biographe de lui accorder une confiance aveugle, à tout le moins sur la réalité des faits ; en revanche, il est une mine dune grande richesse pour appréhender et rendre compte des liens entre père et fille.

Je voudrais également mentionner deux ouvrages consacrés à Nodier, du début du siècle dernier, en ce quils représentent chacun à son tour, deux tendances bien marquées de lapproche biographique nodiériste.

En 1919, paraît La Jeunesse de Charles Nodier, Les Philadelphes, que lauteur Léonce Pingaud qualifie d« essai biographique13 ». Dès la préface, Pingaud cite Louis de Loménie, un quasi-contemporain de Nodier qui « laccusa dun penchant invétéré à travestir, à distance, ses rêves en réalités ; il le qualifia “celui qui sest le moins embarrassé à fabriquer des histoires à propos de lhistoire14”. » Puis, le prétendu biographe ajoute pour son propre compte : « Nodier a toujours vécu, pensé, écrit au jour le jour, sans se souvenir de ce quil avait fait ou dit la veille ; de là de sa part beaucoup de contradictions et de mensonges à demi volontaires15 ». Le propos, à effet totalisant, est rude, on en conviendra, 12et laisse augurer que les pages qui vont suivre sattacheront à vérifier très exactement la réalité de chaque événement et principalement ceux qui ont pour source principale les affirmations de Nodier lui-même. Et en effet, Pingaud consacre un chapitre entier aux « idées de Nodier sur lhistoire16 », puis à « Lhistoire des sociétés secrètes de larmée17 », et un troisième aux « Souvenirs de jeunesse, souvenirs de la Révolution18 ». On ne sera pas surpris quun professeur dHistoire, comme Léonce Pingaud, sattache si exclusivement à souligner les erreurs et inventions de Nodier et il convenait probablement de le faire, sans pour autant affirmer faire œuvre de biographe. Une telle biographie, ne fût-elle quun essai, est bien réductrice. Mais surtout, elle ressasse à lenvi, ce travers relevé chez Nodier et qui était, déjà chez ses contemporains, un lieu commun. On établirait aisément une liste impressionnante de citations qui soulignent le même trait, à commencer par le discours de réception à lAcadémie française de Mérimée19.

Le second ouvrage est de Marguerite Henry-Rosier ; il paraît en 1931 chez Gallimard. Lauteure, cette fois, se laisse séduire par laspect éminemment romanesque et aventureux de la vie de Nodier qui la conduit jusquà esquisser des dialogues entre Nodier et son père entre autres. On reconnaîtra volontiers que la tentation est grande et que les événements, même parmi les plus vérifiés de cette vie, portent, de nature, le sceau de lextraordinaire. Ajoutons encore que louvrage paraît dans la collection : « Vie des hommes illustres » qui a la vocation, louable au demeurant, de rendre accessible à un large public, les épisodes dune vie mouvementée à souhait. Citons les mots qui achèvent le bref avant-propos de louvrage : « Et ceci dit, laissons vivre au cours de sa vie aventureuse, notre héros20 … ». Le ton est donné par ces quelques mots. Mais ce faisant, lauteure ouvre la voie à une certain nombre dautres biographies qui saventureront sans vergogne sur cette voie romanesque, séduisante certes, mais sujette à caution.

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Avec le désir vétilleux de vouloir examiner la véracité de chaque fait et de sy tenir et celui de conférer un souffle romanesque aux moments dune vie réellement fort agitée, se dessinent les deux tendances dominantes dune certaine critique nodiériste. La biographie que nous proposons cherche à éviter ces deux attitudes. Dune part, il faut admettre que les mensonges ou les oublis sont susceptibles den dire beaucoup sur la psychologie de celui qui en est responsable et que le point de vue du censeur est ici bien infécond ; dautre part, quel que soit le caractère aventureux des moments de la vie dun créateur, cest probablement dans les arcanes de sa création que se trouve le plus riche enseignement surtout pour celui qui na cessé daffirmer que la vie rêvée était aussi importante en quantité et en qualité que la vie vécue21.

Nous avons souligné deux traditions biographiques concernant Nodier, diamétralement opposées, mais il faut nous empresser dajouter que dautres travaux dérudition, non biographiques cette fois, et particulièrement en ce qui concerne sa correspondance, ont éclairé bien des moments de la vie de Nodier avec une précision qui a permis de fixer beaucoup dévénements et de tordre le cou à nombre de péremptoires allégations. Jacques-Remi Dahan sen félicite dans la préface de son ouvrage : « Bien des légendes seffondrent définitivement : lidée selon laquelle Charles Nodier aurait été un affabulateur de génie est si communément acceptée que la démonstration de la véracité de son témoignage apparaît plus extraordinaire que la mise en évidence des rares libertés quil a prises avec lhistoire ! [] Nous avons même acquis la conviction que le plus rocambolesque des récits de Nodier, celui des événements de 1805 relatés tant dans lHistoire des sociétés secrètes (1815) que dans les Suites dun mandat darrêt (1834), reposait sur des faits pour lessentiel irréfragables22 ».

Si donc la biographie est « impossible à définir » ou peu sen faut, nous venons de le vérifier brièvement, nous voulons croire quelle nest pas « impossible à pratiquer » ; le lecteur des pages qui suivront en jugera.

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Reste cependant à tenter de répondre aux questions : mais pourquoi une biographie ? quest-ce qui justifie que lon entreprenne ce type de récit ? et plus particulièrement dans le cas de Nodier ?

Toute biographie est une opération de séduction. Elle sadresse à un lecteur qui a une vague connaissance de lœuvre : il aura lu La Fée aux Miettes par exemple, ou alors il aura croisé le nom de lauteur dans une histoire du romantisme qui mentionne limportance du rôle joué par le bibliothécaire de lArsenal, dans cette histoire. On imagine mal en revanche un lecteur qui naurait jamais entendu parler de lauteur en question, lire louvrage qui lui est consacré. Lécriture de cette biographie vise donc à approfondir la connaissance que lon commence à avoir de lauteur ; le biographe cherche à convaincre son lecteur que, oui, la vie de Charles Nodier présente un réel intérêt et que bien des moments de cette vie réveillent en lui des émotions quil connaît, quil éprouve ou a éprouvées. La biographie est aussi loccasion dun partage, dune découverte intime qui a valeur introspective ; elle doit faire que le lecteur se sente devenir le contemporain de cet autre, si semblable à lui dans certains moments, quil découvre au fil des pages.

Mais plus encore que ce rapprochement espéré, la biographie vise à persuader que la lecture de lœuvre réserve des surprises et des enchantements insoupçonnés. Dans le meilleur des cas, la biographie est le premier pas qui mène à sa lecture. Cest tout particulièrement le cas pour Nodier.

En effet, une autre tradition critique tenace voudrait que Nodier nait écrit aucune œuvre majeure. Sainte-Beuve le premier a cherché à suggérer cette improbable image dun auteur qui, certes, a beaucoup écrit, et dont rien ne peut être retenu. Dans des pages brillantes, il le qualifie de littérateur, « riche, aimable et presque insaisissable polygraphe [] Ce qui caractérise précisément son personnage littéraire, cest de navoir eu aucun parti spécial, de sêtre essayé dans tout [] et davoir été vu presquaussitôt ailleurs23. » Après cette présentation bien réductrice, lillustre critique aura loccasion de citer assez longuement des œuvres mineures, ne fera que mentionner Smarra ou La Fée aux Miettes et oubliera LHistoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux. Un autre critique contemporain, Gustave Planche, avait déjà, quatre ans avant Sainte-Beuve, 15dressé un portrait de lauteur Nodier assez proche du littérateur : « Au lieu déparpiller sa puissance, de toucher à tout sans rien manier avec résolution [] si Charles Nodier avait voulu réunir toutes ses forces dans une idée unique et constante, si, avec la chaleur de tête de Diderot et limagination capricieuse et maladive dHoffmann, il avait pris parti entre lencyclopédie et le violon de Crémone, il aurait eu la destinée retentissante quil méritait. Voilà pourquoi ceux qui le connaissent le trouvent supérieur à toutes les œuvres quil a laissées24 ». Sil est permis daccepter que pour des critiques contemporains de Nodier, il nétait peut-être pas aisé de prendre la mesure de loriginalité de son talent, il est plus regrettable que cette attitude face à lœuvre de Nodier ait perduré. En 1890, Alexandre Estignard, dresse le portrait de lauteur et louvre par une reprise de lexpression inaugurée par Sainte-Beuve : « Il restera dans la mémoire de tous comme le littérateur par excellence [] cest là son titre, cest là sa gloire25 », puis il aura cette formule brillante quoiquun peu absconse « Ce qui fait la gloire de Nodier, ce ne sont pas ses créations, cest son talent décrivain26 », avant de conclure « [o]n peut dire de Nodier quil a fait bien des livres, mais quil na pas fait un livre, ou du moins quil aurait pu produire un livre attestant dune manière plus éclatante ses brillantes, ses admirables qualités27. »

Cest cette autre tradition que la biographie qui suit voudrait démentir. Nodier a beaucoup écrit, cest incontestable. Écrire est pour lui un métier dont le produit lui permet de faire vivre sa famille ; mais nest-ce pas le lot de bien des écrivains de lépoque moderne, à partir du moment où le mécénat nexiste plus. En revanche, on veut affirmer avec force que des œuvres comme certains de ses contes et particulièrement La Fée aux Miettes, au titre volontairement bien trompeur, inaugure une veine très novatrice en se fondant sur les phénomènes du sommeil et ceux de la folie ; ou que LHistoire du roi de Bohême, au titre non moins trompeur, est à nen pas douter un essai en action sur des questions de narratologie qui ont agité la critique de la fin du xxe siècle. Ce ne sont là que deux exemples parmi bien dautres que les pages qui vont suivre auront loccasion de développer.

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Tout travail sur un auteur, quil soit biographique ou non, est nécessairement celui dune équipe. Le biographe est soutenu, encouragé par ceux qui mettent à sa disposition les précieux documents dont il a besoin, dont son écriture se nourrit. Et en ce qui concerne Nodier, le biographe a le plaisir dexprimer sa profonde reconnaissance à la famille Mennessier-Nodier qui a eu la générosité de laccueillir, avec bienveillance tout dabord, puis amitié très vite, pour quil puisse disposer du fonds qui est en sa possession. Reconnaissance aussi à légard de la bibliothèque de Besançon et de ses deux conservateurs dont le dévouement à la cause nodiériste na jamais faibli. Pour que ces manifestations de gratitude soient complètes, je ne saurais oublier mes compagnons en Nodiérie, Virginie Tellier, Caroline Raulet-Marcel, Jacques Geoffroy et Sébastien Vacelet qui ont créé avec moi, les Cahiers détudes nodiéristes, prolongement indispensable de cette biographie, pour aller plus loin dans la connaissance de Charles Nodier et de son œuvre.

1 Daniel Madelénat, La Biographie, Littératures modernes, Paris, Puf, 1984, p. 204.

2 Pierre Gaxotte, La Révolution française, Paris, Fayard, 1928 ; Albert Soboul, Histoire de la Révolution française, Paris, Éditions sociales, 1962.

3 Daniel Madelénat, La Biographie, op. cit., p. 143.

4 Ibidem, p. 94.

5 Ainsi sest tenu un colloque à Lausanne les 8 et 9 novembre 2007 : La vie et lœuvre ? recherches sur le biographique, publié à Lausanne, UNIL, 2008.

6 Charles Nodier, Souvenirs de jeunesse, in Œuvres Complètes, X, Paris, Renduel, 1834, p. vi.

7 Charles Nodier, La Fée aux Miettes, in Trilogie écossaise (éd. S. Vacelet et G. Zaragoza), Paris, Champion classiques, 2013, p. 356.

8 Charles Nodier, Description raisonnée dune jolie collection de livres, Paris, Techener, 1844, p. 36.

9 Charles Nodier, Franciscus Columna, Paris, Techener, 1844, p. 5.

10 Mme Mennessier-Nodier, Charles Nodier, épisodes et souvenirs de sa vie, Paris, Didier, 1867, p. 2.

11 Ibidem, p. 2-3.

12 Voir page 26.

13 Léonce Pingaud, La Jeunesse de Charles Nodier, Les Philadelphes, Paris, Champion, 1919, p. 9.

14 Ibidem, p. 6.

15 Ibidem, p. 10.

16 Notons au passage que Léonce Pingaud cite un passage de La Fée aux Miettes en lattribuant faussement à Trilby, p. 154.

17 Cest le titre dun ouvrage que Nodier publie anonymement en 1815, où il tente de faire la preuve que les Philadelphes (voir p. 188) ont joué un rôle important dans « la destruction du gouvernement de Bonaparte ».

18 Référence aux ouvrages de Nodier : Souvenirs, épisodes et portraits pour servir à lhistoire de la Révolution et de lEmpire, Paris, Levavasseur, 1831 et Souvenirs de jeunesse, Paris Renduel, 1834.

19 Voir p. 24.

20 Marguerite Henry-Rosier, La Vie de Charles Nodier, Paris, Vie des hommes illustres, Gallimard, 1932, p. 7.

21 « La vie dun homme organisé poétiquement se divise en deux séries de sensations à peu près égales, même en valeur, lune qui résulte des illusions de la vie éveillée, lautre qui se forme des illusions du sommeil. » Charles Nodier, Smarra, in Œuvres de Charles Nodier, III, Paris, Renduel, 1832, p. 11.

22 Charles Nodier, Correspondance de jeunesse (éd. Jacques-Remi Dahan), Genève, Droz, 1995, p. 16-17.

23 Article écrit en 1840, Sainte-Beuve, Portraits littéraires, in Œuvres, tome II, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1960, p. 298.

24 Gustave Planche, Portraits littéraires, Paris, Werdet, 1836, p. 147.

25 Alexandre Estignard, Portraits Franc-Comtois, Tome 3e, Paris, Champion, 1890, p. 37.

26 Ibidem, p. 87.

27 Ibidem, p. 141.