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Classiques Garnier

Introduction

  • Publication type: Article from a collective work
  • Collective work: Censure et Tabou
  • Author: Faugère (Clémence)
  • Pages: 69 to 71
  • Collection: Literature and Censorship, n° 9
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406150121
  • ISBN: 978-2-406-15012-1
  • ISSN: 2492-301X
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15012-1.p.0069
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 10-25-2023
  • Language: French
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Introduction

Le terme tabou a connu au siècle dernier une évolution sémantique. Si, originellement, il renvoie à un système dinterdictions relatives au sacré ainsi quà limpur dans une dimension métaphysique, son sens évolue à partir du début du xxe siècle pour désigner aussi ce « sur quoi on fait silence, par crainte et par pudeur1 ». Apparaissent ainsi, à travers cette définition renouvelée et plus extensive, deux traits saillants de la notion de tabou. Tout dabord, par la référence à la pudeur, lon comprend que le concept est fortement lié à la sexualité : honte ou gêne, lévocation dun tel sujet est évitée. Par le renvoi à la crainte, lon saisit également que le tabou donne naissance à un mécanisme dautocensure encouragé soit par la peur dune sanction surnaturelle, soit par la peur dune sanction institutionnelle ou étatisée. Malgré ces angoisses, il est des créateurs, quils soient peintres ou écrivains, qui osent aborder de tels sujets au sein de leurs œuvres et qui brisent le secret. Selon Michel Foucault dans la Volonté de savoir (1976), contrairement aux idées reçues, le discours sur le sexe na dailleurs jamais disparu. Il a seulement été renouvelé à travers deux grandes procédures qui ont pour vocation de créer une vérité du sexe : lars erotica puis la scientia sexualis2. Les différents cas abordés au sein de ce chapitre prennent place durant cette seconde période et plus précisément au cours du xixe siècle. La sexualité y est alors envisagée selon la procédure ancienne de laveu et complétée par une discursivité scientifique3. Lon peut alors se 70demander quel sort est réservé au traitement de la sexualité lorsque celle-ci est envisagée de façon plurielle, transgressant les normes et les conventions sociales du temps.

La première contribution du présent chapitre aborde la question de lhomosexualité à travers La sarbacane de Paul Lacroix. À travers ce récit, Stéphane Fossard sintéresse à la vie intime du roi Henri III aux côtés de ses mignons. Lhomosexualité étant réprimée au xixe siècle, Paul Lacroix utilise des subterfuges dans lécriture visant à pouvoir transcrire, sans crainte, des tableaux immoraux selon les canons de lépoque : dimension historique du récit, condamnation morale des comportements « déviants ».

Quant à la seconde contribution, elle ne met pas en lumière les moyens stylistiques afin déviter le châtiment, mais les stratégies de défense mises en œuvre par des auteurs déjà inquiétés par la justice en raison de leurs écrits qui outragent la morale et les bonnes mœurs. En lespèce, Gustave Flaubert et Guy de Maupassant, à travers le roman Madame Bovary et le poème Une fille ou Au bord de leau, abordent la délicate question de la sexualité et du désir féminin. Ils sattirent en conséquence lire du pouvoir judiciaire en charge de distinguer lusage licite de la liberté dexpression du délit.

Isabelle Malmon revient géographiquement aux origines du tabou en sintéressant à létude du tableau Manao tupapau peint par Paul Gauguin à Tahiti en 1892. Cette toile et les commentaires du peintre à son sujet, donnent un relief particulier aux liens qui peuvent exister dans les croyances et traditions polynésiennes entre sexualité et mort. Une jeune femme représentée nue et étendue sur le ventre est observée par un fantôme à capuche. Cette entité sombre névoque-t-elle pas les débats actuels autour du peintre qui trouve dans les îles du Pacifique un paradis sexuel auprès de jeunes filles soumises aux fantasmes ainsi quà la violence des colonisateurs ? Le tupapau ne constituerait-il pas en ce sens un aveu de Gauguin, conscient de ses mœurs sexuelles condamnables ?

Enfin, dans une ultime contribution, Florence Pellegry aborde à nouveau la question de la sexualité féminine. Cette dernière nest alors plus choisie, voulue, mais subie. Le tabou ne sillustre plus à travers une tentative de censure décrits relatant une émancipation féminine non-désirée au sein dune société patriarcale, mais dans le 71refus dentendre la souffrance de celles qui subissent des violences sexuelles à travers des témoignages écrits à la fin de lère victorienne au Royaume-Uni.

Clémence Faugère

CNRS/CESSP, IRM,
Université de Bordeaux, EA 7434

1 Valérie Munier, « Quelques réflexions autour du tabou et du suicide », Cahiers de psychologie clinique, vol. 22, no 1, 2004, p. 171-184.

2 Michel Foucault, Histoire de la sexualité I : la volonté de savoir, Paris, Gallimard, 2017, p. 76.

3 Ibid., p. 89. « Laveu » regroupe selon Michel Foucault tous les dispositifs créés par la morale chrétienne pour mettre en scène les failles du sujet, dans ce quil a de plus intime, et notamment dans sa dimension érotique. Le discours des Lumières puis la psychiatrie et la psychanalyse reprennent en charge cet impératif de laveu (confession, récit de soi) dans une perspective scientifique, médicale.