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Classiques Garnier

Prix Valery Larbaud

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Valery Larbaud
    2015, n° 51
    . Valery Larbaud et le paysage
  • Pages : 135 à 139
  • Revue : Cahiers Valery Larbaud
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812448348
  • ISBN : 978-2-8124-4834-8
  • ISSN : 2429-3237
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4834-8.p.0135
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 25/06/2015
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Prix Valery Larbaud

Les bibliothécaires ont préparé, à loccasion de la remise du Prix Valery Larbaud 2014, une exposition sur le dessinateur et graveur Chas Laborde sous le titre, « Chas Laborde, un homme dans la foule ». Une visite commentée par Emmanuel Pollaud-Dulian, auteur de plusieurs études sur le graveur et illustrateur Chas Laborde, est offerte au public qui se presse en cette après-midi du vendredi 16 mai dans le hall de la Médiathèque.

De nombreux visiteurs entourent le conférencier devant les panneaux qui couvrent les murs de la salle dexposition de la Médiathèque.

Les scènes de la rue parisienne, « Rue Lepic », « Le Dancing », « Restaurant de nuit », « Champs Élysées » attirent dabord lattention des visiteurs. Les personnages, finement dessinés, pressés les uns contre les autres dans des attitudes familières, rappellent combien Larbaud, dans « Rues et visages de Paris », texte destiné à accompagner lalbum du dessinateur a su, comme lui, saisir l« air » de Paris.

Les mêmes « rues et visages » dautres capitales, collectées à des dates différentes par le dessinateur, sont présentées dans cette exposition. « Piccadilly Circus la nuit » rend compte du fourmillement humain qui occupe ce haut lieu de Londres. Violemment souligné par léclairage électrique, ce dessin de foule génère linquiétude. Mais Chas Laborde laisse libre cours à son humour, voire à son esprit satirique, quand il évoque ces spécialités anglaises que sont « LArmée du Salut » ou « Epsom ». La même vivacité de trait caractérise le dessin des rues de New-York, de Berlin, de Moscou, saisies dans leur vie quotidienne et leurs particularités et à ce moment de leur histoire (dans les années 30).

Quelques illustrations de livres dauteurs contemporains et amis de Chas Laborde sont aussi présentées : celles qui sont destinées à Bubu de Montparnasse de Charles-Louis Philippe et à des œuvres de Mac Orlan. Enfin, les gravures consacrées à des éditions de luxe de Fermina Marquez

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et de Barnabooth offrent une heureuse conclusion à cette exposition particulièrement riche qui fait redécouvrir cet artiste au talent original.

Tables et chaises constituant un décor de ville deaux au charme estival permet à chacun de sasseoir, de se restaurer et de boire en attendant la remise du prix. Celui-ci est attribué solennellement par Jean Marie Laclavetine, président du jury, à Frédéric Verger pour son premier roman Arden, paru aux éditions Gallimard en 2013.

Après cette cérémonie officielle, Gérard Pierron, « troubadour moderne », propose, accompagné de ses musiciens, violoniste, clarinettiste, saxophoniste, un concert, « Sillon Sillage » quil dédie à Larbaud. Sa passion est de faire revivre, par le chant et la musique, des textes du trésor poétique français.

Il fit entendre ainsi des poèmes du « riche amateur » Barnabooth, des vers de poètes aimés de Larbaud, Jules Laforgue, Tristan Corbière,

Pierre Moussarie, et dautres quil permet de découvrir.

Allocution de Jean-Marie Laclavetine,
président du jury du Prix Valery Larbaud

Avec Arden, Frédéric Verger a fait une entrée en fanfare dans le monde de la littérature. Fanfare : je nutilise pas le mot par hasard, tant il est question de musique dans ce merveilleux premier roman, et tant cette musique est joyeuse.

Frédéric Verger nous entraîne dans les années quarante en Marsovie, riche principauté coincée entre la Bohême-Moravie et la Hongrie. Arden raconte lamitié qui lie deux personnages peu ordinaires : Alex Rocoules, tenancier du luxueux hôtel dArden, homme fantasque, séducteur, jouisseur, fin lettré, et Salomon Lengyel, tailleur juif peu porté sur les plaisirs terrestres (hormis le salami à la fleur dacacia, péché mignon pourtant proscrit par sa religion). Ils ont une passion commune : lopérette. Alex et Salomon écrivent ensemble des pièces en trois actes, géniales mais toujours inachevées, car ils ne sont jamais daccord sur la scène finale. Pendant quils travaillent sans relâche, la bête nazie gronde à travers

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lEurope et rôde autour de la Marsovie, sur laquelle elle ne va pas tarder à poser la patte. Les persécutions de Juifs commencent. Le danger devient pressant pour Salomon et pour sa fille Esther, dont Alex est amoureux. Cest dans cette atmosphère crépusculaire que les deux amis vont composer leur dernière œuvre…

Il est rare de voir aussi harmonieusement mêlées dans un roman lintelligence, lhumour et la sensualité. Tout ravit ici le lecteur, et en premier lieu la formidable inventivité romanesque de Frédéric Verger. Les scènes se déploient dans une profusion dimages surprenantes (car lauteur possède un art éblouissant de la métaphore), de détails comiques ou touchants et de trouvailles scénaristiques, tandis que les rebondissements ne manquent pas dans le livret de lopérette sanglante qui se joue en 1944 en Europe centrale. Le texte est pétillant, voluptueux, plein dun humour où pointe ce quil faut de mélancolie. Les résumés des opérettes extravagantes inventées par les deux amis sont excellents, et tout ce qui touche à la description des rapports amoureux est particulièrement réussi. Valery Larbaud eût sans nul doute apprécié cette œuvre qui, en ces temps de grisaille, contribue à réenchanter lart du roman.

REMERCIEMENTS DU LAURéAT

Je remercie du fond du cœur le jury du prix Valery Larbaud de me donner lillusion, en me décernant leur prix, quil aurait peut-être aimé mon livre. Il nest pas de plus grande satisfaction, de plus grande émotion pour un écrivain que dêtre apprécié par un autre écrivain quil admire. Et puisque la littérature est, pour le meilleur et pour le pire, une histoire de familles, je me plais à croire que tous ici, admirateurs, associés et complices qui cherchons à perpétuer sa mémoire, nous appartenons lorsquune de ses phrases nous touche, ne serait-ce que lespace dun instant, à la même famille. En ce sens, le choix du jury, mieux quun hommage, ressemble à un signe de connivence qui mhonore.

Mon roman évoque la figure dun oncle qui, dans la période de lEntre-Deux-Guerres, dirigea un hôtel qui, même sil se trouvait dans une région reculée dEurope Centrale, la Marsovie, jouissait dune certaine

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renommée discrète, presque secrète. Quil serait drôle et touchant, me disais-je, de trouver un passage dans le Journal de Barnabooth qui lévoquerait…Je me suis mis à le chercher, et comme vous vous en doutez peut-être, je lai trouvé. Je le cite avec fierté, bien que les appréciations ne soient pas toujours à lavantage de mon malheureux oncle.

« … cette marsovie ce pays timbre-poste quen traversant en train on naperçoit même pas si lon est pris dun baillement à la frontière…

et qui pourtant quand on colle la tête à la fenêtre fait lever en cinq minutes la mélancolie des steppes … même les paysans qui rentrent des champs ont lair de figurants qui jugeraient indignes deux de jouer leur rôle avec trop de conviction…

en tant quhôtel arden est déplorable : tout, même les robinets, semble vous traiter avec insolence ; leau ny est jamais tout à fait chaude, le champagne jamais tout à fait frappe et les valets ne répondent jamais tout à fait à la question quon leur pose. on croirait que les clients poussés par un snobisme bizarre paient pour nêtre pas pris tout à fait au sérieux …

mais si on considère arden comme un joujou, une boite à musique géante, qui comme dans un conte dandersen serait devenue vivante son séjour est lun des plus délicieux qui soit…

un jouet blanc tombe au pied de cette grande foret sombre toujours en train de mugir et dou sechappent sans cesse des chants, des valses, des fragments de musique, puisque lamphytryon passe son temps à faire resonner les murs des accents de son piano aigre

homme étrange qui sadresse à vous avec un composé de déférence et de tendresse comme sil retrouvait en vous le figurant de lun de ses rêves

et même les connaisssances quon y croise semblent transformées. elles ont lair de petits sujets mécaniques qui viennent de prendre vie et regardent tout autour deux dun air naïf et vorace… »

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Et par un juste retour des choses, jai aussi découvert dans le fatras de scénarios et didées que mon oncle et son ami Salomon Lengyel ont laissé derrière eux un fragment dont la date (25.10.36) me laissent croire quil leur a sans doute été inspiré par le sort malheureux de Valery Larbaud.

scenario

I un milliardaire propriétaire dun wagon prive traverse leurope. il est devenu impotent et ne peut quitter son wagon. il regarde par la fenêtre les paysages quil a traversés dans sa jeunesse et dont il a parlé dans ses œuvres.

II sans le lui dire pour le tirer de sa mélancolie et de sa torpeur des amis décident dorganiser sur les quais de gare, dans les paysages où passe son train, des mises en scène où il croirait retrouver la suite de scènes quil avait entrevues jadis.

où il croirait voir ce que sont devenues des silhouettes quil a entrevues, sur lesquelles il a rêvé dans son journal…

cela demande une organisation, des figurants, des décorateurs, mais ils éprouvent une émotion profonde lorsque, voyant des larmes couler sur son visage, ils se rendent compte que leur plan marche…

mais leur mise en scène va être bouleversée quand une bande de voleurs ayant appris que le train dun milliardaire infirme traversait le pays, ils vont tenter de sintroduire dans le train…

III ?

Hélas mon oncle et son ami ne savaient pas finir… Plus sage queux, je le fais en vous remerciant une fois encore.