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Classiques Garnier

Introduction L'invitation au voyage : Tristan autour du monde

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
    2015, XXXVII
    . Tristan autour du monde
  • Auteur : Grove (Laurence)
  • Pages : 7 à 10
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406056782
  • ISBN : 978-2-406-05678-2
  • ISSN : 2262-2004
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05678-2.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/04/2016
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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INTRODUCTION

L'invitation au voyage Tristan autour du monde
Le Page disgracié est comme une invitation au voyage, où notre narrateur traverse la France — le Limousin, puis Paris, Fontainebleau, Poitiers, Bordeaux, Niort et Clérac —mais trans- gresse aussi les frontières, tentant ses chances en Angleterre, en Ecosse et en Norvège, et essaie sans succès d'aller en Espagne. Comme pour Charles Baudelaire, le page va à la recherche « du nouveau  », peut-être parfois pour des raisons plus pratiques que celles du Parnassien, mais néanmoins il cherche des ciels qui donnent à réfléchir sur le sens de la vie, avec ses beautés et ses déceptions, ses défis et ses mystères. Dans les deux cas ce sont des voyages qui présentent les riches tableaux de notre condition, même si Tristan évite, en général, la conclusion qui tend vers la futilité de l'existence humaine. Ou, face à cette possibilité, la ré- ponse finale de Tristan — le poète et non pas le personnage dont le page serait le reflet —est de trouver l'au-delà dans une foi chré- tienne chantée par ses derniers vers, Les Stances à la Vierge.
Charles Baudelaire et son « Invitation au Voyage  », ou même « Le Voyage  », est ici le pont qui lie nous les voyageurs-lecteurs du xx~ siècle avec les pérégrinations de Tristan et de son page. C'était à l'ombre de l'époque de Baudelaire, vingt-sept ans après l'édition définitive des Fleurs du Mal, que Napoléon-Marie Ber- nardin, dans un tout autre style, a fait revivre Tristan en publiant son Précurseur de Racine. Mais si ce voyage de découverte de Bernardin est marqué par les détails et les faits d'une impres- sionnante érudition issue d'une époque positiviste, le voyage de Baudelaire est bien sûr moins tangible, il s'agit de celui de l'âme. Et c'est ce genre de voyage qui nous intéresse pour ce volume actuel, même si nos bases de départ sont les voyages géographiques qui nous mènent autour de notre monde, dans les régions et les pays visités par Tristan, mais aussi au delà, vers d'autres rivages.
Le but de ce volume est donc de réunir les témoignages de savants amateurs de Tristan, et plus généralement de la culture de l'époque Louis XIII. Pour ce faire nous avons fait appel à des contributions venant de différentes régions de France — la Bourgogne, la Lorraine, la Corse —mais aussi de pays d'Europe —l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande, la Norvège, l'Allemagne (deux contributions), la Roumanie et l'Italie — et du monde plus lointain l'Amérique du Nord représentée par l'Iowa, le Kansas, l'Alberta et le Québec, ainsi que le Brésil et le Japon.
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8 Mais surtout notre voyage est métaphorique, exprimant les sentiments, les souvenirs et les voyages personnels de nos auteurs, qui forment un échantillon de jeunes chercheurs, d'universitaires établis et ancrés dans les systèmes actuels du savoir, et d'érudits parfois à la retraite qui proposent une vue globale de l'évolution de ce savoir à travers plusieurs décennies. Le voyage est géographique mais aussi conceptuel, prenant compte de multiples approches et de disciplines  : la littérature et les lettres bien sûr, mais aussi l'histoire de l'art, les études culturelles, la pédagogie et l'enseignement, et les théories de la réception. Mais à chaque fois la question posée n'a pas été de faire l'éloge de Tristan ou de l'étude de l'époque Louis XIII, mais d'en faire une évaluation honnête et personnelle. La ré- ponse « on ne connaît point Tristan, ici on s'arrête à Baudelaire » aurait été tout à fait acceptable. Nous avons essayé non pas de promouvoir un page et son auteur dont la disgrâce serait une injustice, mais d'évaluer la présence ou l'oubli, et donc le statut actuel, de ces personnages —disgraciés ou pas — et la culture dont ils sont le produit.
Ce qui nous mène à un autre voyage, celui de ce volume même au sein des Cahiers Tristan L'Hermite. Car il s'agit d'un numéro qui nous incite à poser des questions sur la nature même de la littérature, de l'étude des lettres, et de l'évolution de nos ap- proches diverses envers la culture. Il serait à considérer combien les choses ont changé depuis 1988, quand le volume X de nos Cahiers présentait « Tristan et l'Europe  ». Là, comme ici, il s'agissait de « l'évocation des voyages de l'écrivain »', également en passant par de nombreux pays, y compris l'Angleterre, l'Italie et la Suède. Les articles de 1988 exploraient la vie et l'oeuvre de Tristan, en dévoilant des aspects de son cursus —ses voyages en Angleterre (réels ou fictifs), ses rapports avec Christine de Suède — ou bien les influences éventuelles étrangères — Gôngora en Espagne, Marino et puis Della Porta en Italie — sur sa produc- tion. Pour le mieux ou pour le pire, aujourd'hui ne serait-on pas tenté d'écarter la centralité du « grand homme littéraire » pour explorer plutôt les conditions de vie à son époque, la culture du quotidien, ou la réception d'une oeuvre créative ?
Ou peut-être qu'il faudrait prendre la voie du milieu, notion évoquée par certains emblèmes de Gomberville dans un volume où Tristan donne un poème préliminaire2. Ceci me permet de conclure sur une note personnelle, car c'étaient les emblèmes qui m'ont emmené à Tristan. En 1997 Maggs Bros de Londres a proposé à Glasgow University Library l'achat d'un exemplaire des Amorum emblemata (1608) d'Otto Van Veen portant de nombreuses additions manuscrites. On n'aurait pas pu imaginer que ces griffures s'avéreraient être principalement des poèmes

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9 de Tristan, avec treize inédits, dans ce qui est vraisemblable- ment le seul autographe littéraire que nous ayons de notre au- teur. Rien de plus « l'homme et l'oeuvre » que la recherche de la main même — et l'exubérance en la trouvant — du poète, et de la reconstitution des circonstances — la cour de Gaston d'Orléans et les voyages de jeunesse — de sa création. Mais c'est égale- ment ce manuscrit qui m'a permis de considérer le rôle d'un « genre mineur », le livre d'emblèmes, dans la culture littéraire de l'époque, le rôle central de l'image, présente ou virtuelle, dans la compréhension de la poésie, et la nature hybride d'un palimpseste métaphore de ce processus de création artistique. Mais au-delà de ces aventures autour de SMAdd.392 — la cote actuelle du volume — ce qui m'a vraiment marqué était la décou- verte de chercheurs passionnés, prêts à partager leur érudition pour me guider vers de nouveaux savoirs, tout en mélangeant recherches littéraires et amitié. C'est par Tristan que j'ai fait la connaissance d'Amédée Carriat et de Jean-Pierre Chauveau.
On trouvera également ici dans notre volume une création à de multiples mains écrivant tous azimuts. Certains donnent un survol des études critiques réalisées dans leur pays sur Tris- tan et son temps, et d'autres abordent l'état de l'enseignement de l'époque Louis XIII là où ils sont. D'autres nous emmènent sur un voyage personnel décrivant comment ils ont découvert Tristan, ou bien leur vision de l'avenir en ce qui le concerne. Plusieurs contributions partent de recherches personnelles sur Tristan pour explorer de nouvelles pistes  :pour analyser La Marianne et La Mort de Sénèque, ou pour évaluer le succès commercial de ces pièces ;pour comparer la réception de Tris- tan avec celle de Jacques Callot, ou avec celle de Jean Baudoin; ou bien pour considérer la réception des Tupinambas du Brésil en France. Nous espérons que chaque lecteur fera écho avec ses propres expériences, menant à de nouvelles réflexions sur les rivages qui nous attendent. Bon voyage  !
Laurence GROVE Université de Glasgow
1 Jacques Morel, « Anniversaire  », Cahiers Tristan L'Hermite X,1988, [p. 5]. Ce numéro contient les articles suivants (les titres sont les versions courtes de la table des mati8res)  : Marcel Israel, « Tristan L'Hermite à Bruxelles  », p. 6-21 ; Jean Serroy, « Tristan et l'Angleterre  », p. 23-28  ;Nicole Mallet, « Tristan dramaturge face aux Elisabéthains  », p. 29-37 ; Cecilia Rizza, « Tristan face à ses mod8les italiens  », p. 38-50 ; Daniela Dalla Valle, « "Le Parasite" et la comédie italienne  », p. 51-56 ;Andrée Mansau, « Gongora et Tristan L'Hermite  », p. 57-61 ; Jean-Pierre Chauveau, « Tristan et Christine de SuBde  », p. 62-66.

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10 2 Marin Le Roy de Gomberville, La Doctrine des ma'urs, Paris, Pierre Daret et Louis Sylvestre, 1646. Voir par exemple l'embl8me 9, « La Vertu fuit les excez  », ou bien l'embl8me 34, «  La Vie cachée est la meilleure » (suivant « Bene qui latuit bene vixit » ), ou bien l'embl8me 66, « Qui vit bien, voyage heu- reusement ». Le sonnet de Tristan, « Superbe Gallerie, où du grave Stoïque...  », se trouve apr8s le portrait de Gomberville et avant la Préface.





























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