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Classiques Garnier

[Compte rendu]

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
    2009, n° 31
    . varia
  • Auteur : Tricoche-Rauline (Laurence)
  • Pages : 88 à 90
  • Réimpression de l’édition de : 2009
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812440168
  • ISBN : 978-2-8124-4016-8
  • ISSN : 2262-2004
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4016-8.p.0088
  • Éditeur : Rougerie
  • Mise en ligne : 29/12/2012
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Voir ci-dessus, p. 40, note 31 : Laurence Rauline présente ici son ouvrage (à paraître, cette année, chez Champion, coll. « Lumière classique »)
Identités) libertine(s) :
l'écriture personnelle ou la création de soi.

Il s'agit, dans cet ouvrage réalisé à partir de ma thèse de doctorat, de mettre en évidence les enjeux de l'écriture à la première personne, à partir d'un corpus de textes libertins les oeuvres complètes de Théophile de Viau et de Tristan L'Hermite (à l'exception des pièces de théâtre), la Prose chagrine de La Mothe Le Vayer, la Relation d'un Voyage de Paris en Limousin de La Fontaine, les Aventures de Dassoucy, les Lettres de Cyrano de Bergerac... Nous ne sommes pas partis à la recherche d'une « philosophie » libertine. Nous avons adopté sur les textes un point de vue littéraire en interrogeant leurs modalités d'écriture.
Face à l'opposition des pouvoirs, dont ils dénoncent l'aveuglement et les dérives tyranniques, sans toutefois les critiquer sur le principe, les libertins se construisent une image d'eux-mêmes particulièrement complexe et clivée. Ils reprennent les modèles littéraires, moraux et religieux de l'orthodoxie, pour mieux en suggérer discrètement la subversion, à destination de lecteurs choisis et éclairés, même si la mise à distance de l'obscurantisme des hommes du commun n'exclut pas, pour eux, toute ambi- tion pédagogique. L'écriture personnelle libertine se défi- nit ainsi par rapport au modèle de la confession, qu'elle détourne. Elle met en évidence la sincérité du discours, l'humilité du moi qui y préside, prévenant ainsi l'accusa- tion de céder àl'amour-propre, mais suggère en même temps, « entre les lignes », la vanité de l'aveu, et prive le motif de la conversion de tout sens religieux véritable. Il ne faudrait donc pas être dupe de l'image orthodoxe que les libertins semblent se construire, essentiellement àdes fins apologétiques, ni même de l'image mythologique — le Dom Juan, de Molière, fanfaron, peu respectueux de l'ordre moral et social, incarne sans doute cette mytho- logie libertine —que le Père Garasse, jésuite, construit d'eux-mêmes. Le libertin est en effet conscient de ses res- ponsabilités par rapport à l'ordre politique et social. Il

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89 cherche d'autant moins à provoquer le désordre qu'il n'a absolument pas la certitude que l'ordre nouveau, qui naî- trait d'une contestation de l'ordre ancien, serait meilleur. Il aspire souvent à se retirer de l'agitation du monde, pour vivre en sage, bien loin de tout désir de provocation contre l'orthodoxie. L'image du moi libertin est ainsi à déchiffrer en dépassant les tensions entre différentes formes de dis- cours contradictoires, en s'appuyant sur une attention soutenue aux textes, à leurs stratégies d'écriture et de dis- simulation, au dialogue qu'ils entretiennent avec l'interlo- cuteur orthodoxe, sans chercher véritablement à convoquer un hypothétique référent biographique.
L'écriture personnelle est effectivement, dans ces oeuvres, un choix formel récurrent, qui correspond à une prise de position philosophique, en elle-même subversive, en faveur d'un certain individualisme. Les libertins s'ins- crivent certes dans un mouvement de « découverte de l'individu » qui, sous l'impulsion de Descartes et du carté- sianisme, d'une séparation plus nette entre les sphères publique et privée, caractérise l'âge classique. Mais ils s'y inscrivent de manière originale, en prenant implicitement distance avec la vision d'un sujet juge de la vérité et trans- parent à lui-même, fort de ses certitudes. Négativement, le moi libertin se définit par son refus des Vérités philoso- phiques, morales et religieuses  : il ne peut y avoir de vérité que subjective et relative, pour des auteurs qui posent davantage de questions qu'ils n'avancent de réponses. Il est difficile de saisir de manière plus positive un moi qui échappe à toute tentative ferme de caractérisation. De ce fait, il faudrait s'efforcer de connaître ce moi dans ses dif- férents modes d'expression, à travers ce que traduit un rapport au monde, dont les libertins refusent qu'il soit d'emblée considéré comme coupable. On peut penser que ceux-ci se présentent essentiellement comme des individus incarnés, réhabilitant les passions, y compris dans leurs traductions les plus « suspectes », tels que le rire, la mélan- colie, la sexualité et, plus largement, le désir. Libéré de la crainte de Dieu, le sage peut retrouver la possibilité de rechercher son bonheur terrestre. Il refuse toute forme d'ascèse et aspire aux plaisirs simples d'une vie libre, marquée par la sagesse et la modération. L'épicurisme dont il s'inspire le conduit à rejeter la débauche, qui l'en-
90 traînerait à nouveau sur la voie de la servitude. L'imagina- tion joue, sur cette voie de la sagesse, un rôle essentiel : privé de certitudes rassurantes, revenu de toute illusion métaphysique, l'homme court effectivement le risque du désespoir. Si, sur le plan théorique, elle se révèle bien sou- vent être la « folle du logis  », sur le plan pratique, elle peut devenir une force et permettre au libertin de mettre délibé- rément àdistance sa conscience du désenchantement du monde. L'écriture, qui conduit l'individu à faire l'expé- rience maîtrisée de la fécondité de son imagination et de la liberté des passions, semble être l'instrument essentiel de cette quête d'un bonheur terrestre.























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