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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
    2004, n° 26
    . varia
  • Auteurs : Bombart (Mathilde), Rizza (Cecilia), Galli Pellegrini (Rosa)
  • Pages : 99 à 106
  • Réimpression de l’édition de : 2004
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812440113
  • ISBN : 978-2-8124-4011-3
  • ISSN : 2262-2004
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4011-3.p.0099
  • Éditeur : Rougerie
  • Mise en ligne : 29/12/2012
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS


TRISTAN L'HERMITE, ouvres complètes //I, Poésie (II). Volume publié sous la direction de Jean-Pierre Chauveau avec la collaboration de Véronique Adam, Amédée Carriat, Laurence Grove et Marcel Israël, Paris, Honoré Champion, col]. « Sources Classiques », n° 42, 2002. Un vol. 22,5x14,5 cm de 722 p.
Avec ce second volume de poésies s'achève la publication des t~uvres complètes de Tristan aux éditions Honoré Champion Élaboré comme le précédent sous la direction générale de Jean-Pierre Chauveau (voir le compte rendu d'Anne-Elisabeth Spica dans les C.T.L.K, n° XXV ), il rassemble le recueil des Vers héroiques, des ouvrages moins connus de Tristan et jamais réédités dans leur intégralité (L'O,fjrice dela Sainte Vierge, Les Hymnes de toutes les Fêtes solennelles), ainsi que des pièces dispersées, pour certaines totalement inédites car restées manus- crites jusqu'à aujourd'hui (les Uers épars, avec en annexe les treize poèmes manuscrits conservés à Glasgow). C'est un ensemble disparate qui se présente donc à la lecture, certes moins immédiatement séduisant pour un public moderne que le Tristan amoureux et mélancolique des Amours ou de La Lyre, mais où se mesure en revanche avec la plus grande acuité les complexes ambivalences de la condition de poète à l'âge classique. Du divertissement libertin à la paraphrase spirituelle, de la pompe encomiastique des vers adressés aux mécènes espérés, à l'exer- cice inachevé apposé en marge d'un livre d'emblèmes, se laisse ainsi sai- sir toute l'étendue, ouverte jusqu'à la contradiction, du « travail » d'un poète au XVII° siècle.
Édités par Véronique Adam, les Vers hérdiques ouvrent le volume. L'introduction le souligne, le dernier recueil poétique de Tristan témoigne des vicissitudes de la « difficile condition de poète de cour » (p. 10) et constitue un objet idéal pour l'étude de la littérature de cir- constance et la compréhension de ce que pouvait être un service de plume poétique. Célébrations de faits militaires ou de mariages, com- plaintes pour une maladie ou un trépas, voeux de guérison et remercie- ments scandent un ouvrage qui retentit des petits et grands événements de la vie domestique et publique des maisons de ses protecteurs. Au fil de la lecture se dessinent aussi les traits de la posture si particulière de Tris- tan dans l'accomplissement de sa tâche encomiastique : la capacité à une réflexivité envers sa propre position, contemplée avec l'ironie amère qui donne son ton original à la mélancolie tristanienne (voir notamment les fameuses stances de La Servitude, p. 133-137 ). Une étude sur la «  dimen- sion poétique » de ]'oeuvre, accompagnée d'un tableau récapitulatif des différentes formes métriques et strophiques (p. 15-22), montre de manière suggestive que la virtuosité dans la versification est proportion- nelle aux difficultés rencontrées dans la relation avec les patrons et desti- nataires des différentes pièces. À cela s'ajoutent des propositions

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100 interprétatives portant notamment sur la fonction d'« héroïsation poé- tique » (p. 13) remplie par Tristan dans ses vers, pistes que l'on pourrait prolonger par une réflexion sur le travail du code, du lieu commun (bien mis en évidence dans l'annotation, qui insiste sur les sources antiques mais aussi les emprunts à Ronsard et surtout Théophile), comme mode d'inscription du « héros » célébré dans une mémoire collective, où la mythologie se fait instrument du discours politique. On regrettera cepen- dant le manque de précision dans l'histore éditoriale du livre et de celles de ses pièces qui avaient déjà été publiées, parfois sous divers supports, avant leur mise en recueil. Une présentation plus complète des éditions anciennes de ces textes aurait permis de mieux mesurer les opérations de choix et de composition opérées par Tristan dans l'agencement de son livre; de mieux comprendre aussi, par exemple, la place qui y est faite aux illustrations gravées, pour certaines reproduites, mais sans indication sur leur nombre et leur mode d'insertion dans l'ouvrage original.
L'Office de la Sainte Vierge et Les Hymnes de toutes les Fêtes solen- nelles, respectivement édités par Jean-Pierrre Chauveau et Marcel Israël, présentent un aspect moins connu de Tristan, celui de sa poésie religieuse et dévotionnelle. Essentiellement constitués de traductions ou « para- phrases » de textes sacrés, ces recueils ne pourront guère toucher les lec- teurs qui cherchent dans la poésie les marques d'une inspiration originale. Les introductions respectives de ces deux volumes n'éludent pas la question, mais leurs auteurs montrent en revanche tout le profit historique à tirer de l'étude de ce type d'æuvre. « Manuel de piété pour gens du monde » (J.-P. Chauveau, p. 278) l'Office (signé du reste de manière inhabituelle par Tristan qui utilise son véritable patronyme de François L'Hermite plutôt que son nom de poète) fond l'écriture de Tris- tan dans le texte impersonnel des formulaires traditionnels destinés à accompagner la vie quotidienne du chrétien. C'est aussi un beau livre richement illustré de gravures d'Abraham Bosse réalisées à partir de des- sins de Jacques Stella (reproduit dans l'intégralité), qu'il faut ressaisir en fonction d'un « plan de carrière poétique » (p. 280), où la composition de vers spirituels vient témoigner de l'ensemble des compétences d'un poète toujours en quête de nouveaux protecteurs —Anne d'Autriche, notamment, à qui le livre a été offert. De leur côté, redécouvertes fortui- tement en 1957, après une publication posthume en 1665, les Hymnes présentent une histoire éditoriale quelque peu énigmatique, que M. Israël expose en expliquant clairement les complexes opérations de librairie dont le nom et la réputation de Tristan ont pu être l'objet après sa mort (p. 497-506, avec, en particulier, l'identification convaincante de Fran- çois Colletet comme maître d'æuvre de l'édition du texte). Chacun à sa manière, ces deux ouvrages et les études qui les présentent invitent ainsi à prêter une attention renouvelée aux formes prises par la publication des textes poétiques à l'âge classique, à leurs modalités d'inscription dans les livres et aux problémes de signature et d'attribution qu'ils soulèvent.
En clôture du volume, vient la section des Vers épars, présentée par Amédé Carriat, « vers de circonstance » (p. 587) pour certains restés
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101 manuscrits jusque-là. Les pièces rassemblées ici offrent un riche terrain d'investigation pour suivre toutes les inflexions de la carrière de Tristan : elles permettent de ressaisir ses relations avec ses pairs (pièces liminaires en tête de ]'oeuvre de tel ou tel écrivain) ou ses patrons, mais aussi, constituées de tout ce que Tristan a laissé de côté dans l'élaboration de ses recueils, elles font mesurer le travail de construction de son image d'auteur à ]'oeuvre dans ceux-ci. Présentés par ordre chronologique, les Uers épars sont distribués en quatre sections, depuis les poèmes imprimés par Tristan, mais jamais repris, à ceux qui lui sont attribués de manière incertaine. Stances encomias[iques, vers de ballet (voir notamment le ballet grivois de 1627, écrit pour Gaston d'Orléans, p. 602-615), tom- beaux, chansons..., les pièces sont annotées de manière toujours claire et complète par Amédée Carriat qui, resituant avec la plus grande précision le contexte éditorial et social de chacune, nous donne les clés indispen- sables à sa compréhension. Cette section est complétée par les poèmes manuscrits découverts en 1997 sur un exemplaire des Amorum emble- mala d'Otto Van Veen (Bibliothèque universitaire de Glasgow : SMAdd. 392). Pièces aux circonstances de composition encore quelque peu mys- térieuses, et à la main (aux mains ?) incertaine(s), elles témoignent une fois de plus de la force d'inspiration de l'iconographie emblématique sur Tristan, en même temps qu'elles montrent une poésie en train de se faire, se modifiant, se complétant, « un travail de composition en progrès » nous dit Laurence Grove (p. 695 ).
L'intérêt d'ensemble de cette édition rendra dès lors ses défauts d'au- tant plus sensibles : tout d'abord, il est dommage que dans une édition de référence (et de prix, pourrions-nous ajouter), subsistent un certain nombre d'imperfections formelles, coquilles ou négligences (oubli de ponctuation, p. 165, v. 60, p. 282, d'espace, p. 502, 507 ; références incomplètes, p. 56, n. 3 et 163, n. 2, etc.), doublées d'un manque d'har- monisation éditoriale, notamment pour la présentation des éditions anciennes, bibliogrphies critiques, index et glossaires. Dans le même sens, l'autonomie de l'édition de chacun des recueils, malgré son carac- tère assumé, amène des redites ou des incohérences (d'un côté, répétition entre les bibliographies particulières et la bibliographie générale, d'un autre, oubli dans celle-ci de titres mentionnés dans celles-là), et rend dif- ficile le maniement de l'ouvrage, du fait de l'absence d'un index général des noms propres, et de tables générales des incipit et des titres. Enfin, après d'autres, nous ne pouvons à notre tour que nous plaindre de la modernisation de l'orthographe imposée par l'éditeur, principe totale- ment inadapté à la poésie (imposant de plus des annotations supplémen- taires : voir par exemple, p. 85, n. 1, l'explication d'une homophonie qui disparaît ou encore le problème de rime, p. 126, n. 1), et d'une manière générale à l'édition de textes anciens, surtout à une époque où la question de l'orthographe est elle-même objet de débats. L'attention aux formes matérielles d'inscription des textes manifestée par la plupart des éditeurs de ce volume (jusqu'à chercher, comme l'explique J.-P. Chauveau, p. 290, à reproduire la disposition sur la page des vers de l'Office à proxi-
102 mité des images auxquelles ils se rapportent) n'est-elle pas, du reste, contradictoùe avec une modernisation qui, en donnant aux textes anciens l'aspect d'une fausse familiarité, les coupe en fait d'une part de leur his- toire ?
Mathilde Bombait

ACTUALITÉS DE TRISTAN, Actes du Colloque International (22, 23 et 24 novembre 2001) Université de Paris X -Nanterre, Centre des Sciences de la Littérature, « Littérales » n° spécial N° 3 - 2003, 342 p.
À l'occasion du centenaire de la naissance de Tristan a été organisé à Paris un colloque qui a vu la participation de plusieurs éminents spécia- listes et dont les actes, réunis et présentés paz Jacques Prévot, sont enfin publiés. Faut-il rappeler que Lanson, dans sa célèbre Histoire de la litté- rature française, consacrait peu de mots à Tristan qu'il considérait seule- ment comme auteur dramatique, lui reconnaissant « une imagination exubérante et déréglée » qui tombait malheureusement souvent « dans le ridicule et le puéril » et qu'il jugeait sa Marianne viciée par « la boursou- flure d'une rhétorique échevelée » ? Plus d'un siècle d'études, dont S. Berregard trace ici un itinéraire sommaire, a profondément modifié noue approche e[ nos jugements sur la littérature française de la première moitié du XVIIe siècle; de ce changement Tristan a bénéficié de façon [out à fait particulière, grâce aussi à l'action intelligente et tenace de notre regretté ami, Amédée Carriat, et à la création, sur son initiative, de l'Association des Amis de Tristan et de ces « Cahiers ».
Une première lecture de ces Actes permet de mesurer les consé- quences de cette véritable révolution critique. On remarquera en effet que les communications concernant le théâtre de Tristan y occupent une place limitée et qu'elles visent à dégager, dans ses tragédies aussi bien que dans ses comédies, même là où s'établit un rapport avec d'autres auteurs de son temps, une prise de position philosophique à laquelle toute exi- gence dramaturgique se voit subordonnée. Cette tendance se manifeste par exemple dans l'interprétation du personnage de Marianne chez Tris- tan et chez Calderon selon la comparaison des deux tragédies que pro- pose L. Picciola, ou dans l'analyse du Parasite que V. Sternberg met en rapport avec l'Olimpia de Della Porta, mais aussi dans les articles de P. Dandrey sur La folie du sage, et de F. D'Angelo sur La mort de Senèque dans la mesure où ils cherchent, dans ces pièces, la présence du stoïcisme, de la libre pensée et de l'humanisme chrétien. On est donc bien loin désormais de la thèse de Bernazdin et de toute lecture du théâtre de Tristan orientée selon les principes du classicisme de la seconde moi- tié du siècle.
Si M. Bombait met en question le caractère autobiographique du Page disgracié et E. Desiles, arrêtant son attention sur le chapitre VII, y recon- naît des rapports étroits avec l'expérience de Tristan comme auteur théâ- tral, c'est la position de ce texte au coeur de la naissance du roman

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103 moderne en France dont traite R. Zaiser qui souligne l'apport de Tristan dans ce domaine et son originalité.
La poésie de Tristan sous ses différentes formes d'expression occupe la place principale dans le colloque et stimulera un renouveau d'intérêt chez le lecteur de ces Actes. On appréciera la communication de
A. Génetiot qui définit le lyrisme tristanien comme « un lyrisme d'éclat, de brillance resplendissante et de totalité fragmentée » ou la lecture que pro- pose D. Scholl pour laquelle le grotesque ne caractérise pas seulement la comédie mais se révèle une constante dans la vision du monde du poète.
Bien que liée à une tradition qui remonte à la Pléiade, et aux Pétrar- quistes italiens et français, malgré sa dette envers Marino et les Mari- nistes, l'empreinte personnelle de Tristan se révèle toujours dans son emploi des emblèmes traditionnels dont L. Grove souligne l'originalité, dans sa façon de chanter la femme, l'amour et le paysage que M.-O. Sweetser analyse avec une grande finesse, dans le recours tout à fait particulier à la mythologie dont nous parle G. Mathieu-Castellani, dans les formes de l'imaginaire à travers lesquelles, selon V. Adam, s'exprimerait son univers.
Nous n'avons pas suivi l'ordre dans lequel les communications ont été présentées dans les journées du colloque et dans ce volume; notre intention était en effet de faire ressortir, à travers la variété des approches critiques, les constantes d'une oeuvre et la cohérence d'une personnalité. Cette unité qui apparaît en filigrane, ce dénominateur commun, se résume à notre avis, dans la présence d'instances pressantes d'ordre moral et philosophique. Certes, le point de vue plus typiquement litté- raire n'est pas à négliger : on appréciera donc l'excellente étude de G. Peureux sur les aspects formels et thématiques des stances dans le théâtre de Tristan. Mais comme l'a bien observé Ch. Mc Call Probes, à propos de la poésie, même là où les images se rapportent à des sensations visuelles, elles expriment, au delà de leur fonction descriptive, une exi- gence plus profonde et plus problématique car il existerait chez Tristan, et c'est la thèse de R. Ganim dans les contradictions qui caractérisent son rapport avec la femme la présence d'un malaise existentiel. C'est pour- quoi S. Robic voit dans Le Page disgracié une tentative de Tristan de donner un sens à sa vie, en la réinventant à travers la fiction romanesque. Dans cette perspective, la lecture de La Carte du Royaume d'Amour par
B. Donné et l'étude d'un texte composite comme Les Principes de Cos- mographie, dont l'attribution à Tristan serait recevable selon I. Pantin qui partage l'opinion de F. Graziani, acquièrent une signification précise, car elles mettent en évidence, une fois de plus, la complexe personnalité de Tristan et son attention aux problèmes que la philosophie e[ la science de son temps avaient rendus d'une grande actualité.
Ainsi les communications publiées dans ce volume ne constituent pas seulement un hommage au poète et une mise à jour des recherches de plusieurs années sur son oeuvre; elles ouvrent aussi la voie à des pers- pectives nouvelles concernant avec Tristan toute la vie culturelle fran- çaise de son temps. Nous rejoignons ici l'opinion de J. Prévot qui voit
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Cecilia Rizza Université de Gênes

Véronique ADAM, Images fanées et matières vives. Cinq études sur la poésie Louis X/II, Grenoble, ELLUG Université Stendhal, 2003, 350 p.
Un autre sous-titre, « clichés réanimés  », pourrait aussi être donné à cette lecture attentive que Véronique Adam entreprend des æuvres de cinq poètes de la première moitié du XVII` siècle. Le choix des auteurs sélectionnés est expliqué dans le chapitre préliminaire en même temps que les références méthodologiques qui régissent l'analyse textuelle. Ayant exclu un choix strictement chronologique qui, en effet, ne porterait pas de lumières sur une éventuelle évolution dans le temps des images repérées, l'auteur préfère présenter ses poètes suivant un autre critère : ainsi, Abraham de Vermeil et Tristan ouvrent et ferment respectivement une saison poétique qui s'identifie par une esthétique commune, dans laquelle s'insèrent, du point de vue de la méthode de lecture odoptée, les æuvres des trois autres poètes, Théophile, Marbeuf et Gabriel du Bois- Hus. Quant aux outils d'analyse, Véréonique Adam se risque dans une entreprise aussi courageuse qu'attrayante par sa complexité : évoquer l'imaginaire poétique de ses auteurs à la lumière de la « critique de l'ima- ginaire » de laquelle ont surtout bénéficé jusqu'à ce jour les poètes des XIXe et XX` siècles. Soutenue dans son itinéraire de recherche par la solide échine portante qui lui vient de ses connaissances (accompagnées de discussions critiques pertinentes) des maîtres de cette critique qui va de Gaston Bachelard à Gilbert Durand, de Michel Collot àJean-Pierre Richard et autres, ainsi que des spécialistes de la rhétorique de l'image, l'auteur nous présente donc la perspective de son analyse dans le second volet du chapitre en question. À ce moment-là s'impose à juste titre au critique la lecture de l'æuvre complète de ses auteurs.
La question que le lecteur de ce volume se pose est de savoir jusqu'à quel point les résultats d'une analyse en profondeur, conduite sous ces suggestions de lecture, feraient avancer les connaissances sur le langage et sur les thèmes poétiques des auteurs choisis, déjà acquises à partir des notions du maniérisme et du baroque qui ont aidé à donner un sens pro- fond àcette poésie Louis XIII, trop longtemps méconnue ou passée sous silence. On ne peut nier qu'un répertoire aussi précis que celui que l'au- teur examine donne une vision quasi exhaustive de l'imagerie de ces poètes : il en découle un panorama de la structure de la vision, qui enri- chit ce que des études moins pointues avaient génériquement identifié

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105 jusqu'à présent, surtout en ce qui concerne les auteurs les plus étudiés. Néanmoins, surtout pour des poètes comme Vermeil, Mazbeuf ou Du Bois-Huis qui ont moins bénéficié de l'attention des chercheurs, ces nou- veaux outils de lecture donnent des résultats très appréciables. Ainsi la peinture agressive d'un monde déchiré par des armes perçantes, divisé par l'opposition des contraires que l'Auteur identifie, sied bien à un poète comme Venneil, trop proche encore d'une époque qui se souvient des atrocités d'une guerre civile. Particulièrement attrayante est l'inter- prétation de la présence de la « rondeur » dans l'imaginaire de Marbeuf : vision d'objets et d'éléments qui se rapportent à la rondeur physique, conçeptualisation de la rondeur dans la réalité cyclique de la nature et du temps, autant de domaines où l'imaginaire du poète, nous dit Véronique Adam, correspond à la rondeur de l'oeil regardant. Et encore, la présence d'un répertoire lunaire, chez Gabriel du Bois-Hus, porteur de significa- tions abstraites (en tant qu'une lune déesse de l'accouchement et de la création), mais aussi soigneusement tourné, en l'occurence, vers la louange de la naissance du jeune Louis, le futur « soleil » de la poésie de circonstance. Plus difficile, l'analyse conduite sur les ouvrages de Théo- phile, en même temps qu'elle donne, elle aussi, un ample éventail de données et quelques nouvelles références critiques venant de l'identifica- tion du « creux » protecteur, ne semble pas trop s'éloigner, toutefois, des lectures traditionnelles de la poétique de cet auteur, qui voyaient les images de l'ensevelissement, du gouffre, ou du tombeau, ainsi que les images du renouveau de la nature, comme les signes, tour à tour, de la sépazation ou de l'union des contraires propres à la poétique riche et complexe du poète libertin. On ne peut pas nier que la richesse de la poé- sie de Théophile cache encore des domaines à défricher, de sorte que la découverte de chaque détail ultérieur ou chaque perspective nouvelle ne peut que tourner à l'avantage de la critique théophilienne ; sous ce point de vue le travail de Véronique Adam acquiert une remarquable impor- tance. Pour en venir à Tristan L'Hermite, le critique s'appuie pour une large part de son enquête sur les pièces de théâtre de cet auteur, et elle repère chez lui aussi une composante profonde qui lui fait privilégier les images du refuge dans le « creux », unie à une constante de la « fragmen- tation » e[ à l'emploi du « voile » qui porte à cacher et à entrevoir : cela nous porte à lire, chez Tristan, une tendance à ]'euphémisation.
Véronique Adam passe aux conclusions de sa recherche dans la Post- face de son livre et propose une vision de l'univers poétique de ses cinq auteurs et mettant toutefois en relief la difficulté de donner une cohé- rence unitaire à la poésie « Louis XIII »; elle met ainsi en discussion un propos que les études les plus récentes sur ces poètes, même celles qui ont exploité les données fondamentales des catégories du baroque, avaient déjà établi : à savoir, la variété d'une poésie qui s'exprime dans un monde dont la seule cazactéristique unitaire est celle d'être régi paz l'ébranlement des certitudes, et qui emploie des formes ou des formules poétiques aptes à appréhender un univers déstructuré de cette sorte. Une

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106 fois cela établi, le critique s'arrête sur l'interprétation de certains élé- ments récurrents chez ses auteurs : la présence du cercle, funeste ou ras- surant, selon qu'il représente, paz exemple, le changement de la Fortune ou la renaissance cyclique; et encore, la figure de l'androgyne et les images du double. Une remarque ultérieure concerne la présence d'un univers diurne opposé à un univers nocturne : l'auteur voit, dans l'en- semble, une représentation rassurante dans ce dernier tandis que le pre- mier serait menaçant, même si les poètes ont tendance, dans la plupart des cas, à l'euphémisation de leurs angoisses.
L.es mérites de cette étude sont nombreux parmi lesquels le travail de vérification ponctuelle n'est pas le moindre : d'abord sur l'ensemble des oeuvres de ses auteurs, ce qui porte à dépasser une stricte conception des genres, ensuite par une lecture plus attentive de poètes encore en partie négligés, enfin par un enrichissement des connaissances sur l'imaginaire de poètes, comme Théophile et comme Tristan, qui se prêteront encore pour longtemps, on peut le prévoir, à des relectures attrayantes.
Rosa Galli Pellegrini Université de Gênes



















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