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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
    2002, n° 24
    . varia
  • Auteurs : Guichemerre (Roger), Donné (Boris)
  • Pages : 98 à 101
  • Réimpression de l’édition de : 2002
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812440090
  • ISBN : 978-2-8124-4009-0
  • ISSN : 2262-2004
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4009-0.p.0098
  • Éditeur : Rougerie
  • Mise en ligne : 29/12/2012
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS

James C. SHEPARD, Mannerism and Baroque in Seventeenth- Century French Poetry. The Example of Tristan L'Hermite. North Carolina Studies, Chapel Hill, 2001, 23x15, 188 p.
Depuis plus de trente ans, théories et controverses abondent sur les notions de Maniérisme et de Baroque : sont-elles applicables à la litté- rature comme aux beaux-arts ? Sont-ce des mouvements récurrents ? Quelle période peut-on leur assigner ? Voilà quelques questions aux- quelles J.C. Shepazd tente de répondre dans cet ouvrage, avant d'expri- mer dans quelle mesure les oeuvres poétiques de Tristan entrent dans l'une ou l'autre de ces catégories.
Après un bref chapitre rappelant les faits marquants de la vie du poète, l'auteur passe en revue les nombreux ouvrages qui, de Marcel Raymond à Gisèle Castellâni, de W&lflin et Jean Roussel à B. Chédozeau, ont proposé des périodisations et des définitions des deux concepts. Selon ses conclusions, les deux styles coexisteraient dans la poésie française entre 1560 et 1660 : la poésie maniériste, destinée à un public aristocratique, serait essentiellement un raffinement ludique, utili- sant avec virtuosité toutes les ressources de la rhétorique, tendance illus- trée par Scève, Desportes, puis Théophile, Saint-Amant et Tristan. Les poètes baroques, eux, comme Sponde, d'Aubigné, Chassignet ou La Ceppède, mettraient la même virtuosité rhétorique dans des oeuvres enga- gées, exprimant souvent une vérité transcendante, cherchant à convaincre et à émouvoir leurs lecteurs.
Partant de ces définitions, J. C. Shepard, utilisant les excellents édi- tions critiques de Catherine Grisé ou de Jean-Pierre Chauveau, analyse, en suivant l'ordre chronologique de leur parution, quelques-uns des poèmes les plus représentatifs des recueils lyriques de Tristan. Il montre, dans les pièces galantes des Plaintes d'Acante, des Amours, ou de La Lyre, la prédominance des motifs pétrazquistes et marinis[es, ainsi que l'ingénieuse utilisation des figures rhétoriques (images, métaphores, anti- thèses, oxymores, pointes... ), cazactères typiquement maniéristes. En revanche, il signale, dès La Lyre, quelques « consolations » d'allure mal- herbienne ou des poèmes d'inspiration morale relevant plutôt du discours baroque, tendance qu'on retrouve dans les Vers Héroiques, où pièces galantes ou épigrammes ludiques voisinent avec des poèmes plus graves. Surtout la gravité, l'émotion personnelle, la conviction, tous éléments baroques, dominent dans les pièces religieuses que Tristan a composées à la fin de sa carrière. Le lecteur est d'autant plus surpris de trouver, dans le même chapitre, à cause de cette présentation chronologique, les treize poèmes emblématiques, récemment trouvés à Glasgow, qui sont, eux, typiquement pétrazquistes et datent d'une époque antérieure.
Une bibliographie abondante complète cet ouvrage de synthèse, qui résume utilement les travaux antérieurs consacrés au Maniérisme et au Baroque, et nous présente agréablement quelques-uns des plus beaux poèmes de Tristan.
Roger Guichemerre.
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99 Tristan L'Hermite, tBuvres complètes, t. IV  :Les Tragédies, sous la direc- tion de Roger Guichemerre, avec la collaboration de Claude Abraham, Jean-Pierre Chauveau, Daniela Dalla Valle, Nicole Mallet et Jacques Morel. Honoré Champion, coll. « Sources classiques », n°31, 2001, 22,5x]4,5 cm, 554 p.
« Quand Mondory jouait la Mariane de Tristan, le peuple n'en sortait jamais que rêveur et pensif, faisant réflexion à ce qu'il venait de voir, et pénétré à même temps d'un grand plaisir », rapporte le père Rapin. Le même plaisir méditatif émane naturellement de ce volume, qui donne à lire toutes les tragédies de Tristan et elles seules. Parmi les Amis de notre poète, peut-être s'en trouve-t-il qui auraient préféré voir ses ouvres com- plètes publiées selon l'ordre chronologique : un tel parti aurait fait res- sortir la diversité de la création tristanienne et la complexité de son déve- loppement. Mais le découpage générique retenu par les éditeurs a d'autres avantages : en particulier la mise en évidence de la cohérence du théâtre tragique de Tristan, que ce tome IV rend bien sensible, et que Daniela Dalla Valle éclaire dans son introduction générale. Àcontre-cou- rant des dernières modes critiques, elle délaisse en effet la perspective purement dramaturgique (s'abstenant même de discuter le jugement sévère des frères Parfaict : « Tristan n'entendait rien à dresser un plan, ni à conduire un poème dramatique ») pour se concentrer sur la dimension philosophique et spirituelle, proprement tragique enfin, de ces æuvres : leur inspiration profonde résulte selon elle d'une tension entre « le sou- venir d'une expérience libertine vécue par Tristan dans sa première jeu- nesse, mais désormais éloignée et étouffée » , et « la présence d'une expé- rience religieuse qui voudrait s'imposer sur la première ». De cette double postulation procèdent les deux traits fondamentaux du tragique tristanien : le sentiment du déterminisme absolu qu'exerce un Destin aveugle sur des hommes aux volontés impuissantes, et l'appel à une Providence qui donnerait sens à leurs souffrances. Domine finalement l'idée de solitude, déclinée sur plusieurs plans : « solitude de l'homme devant un Destin qu'il ne comprend pas, devant un Dieu absent », mais aussi « solitude émotionnelle de quelqu'un qui cherche à sortir de soi, à établir un contact avec ses semblables sans jamais y réussir, parce que chacun est une sorte de microcosme impénétrable, renfermé sur soi- même » — ce qui motive la dimension passionnée de ce théâtre où les per- sonnages aspirent à révéler aux autres protagonistes comme au public le fond de leur âme. Daniela Dalla Valle reprend et prolonge ici certaines des conclusions essentielles de son ouvrage /l Teatro di Tristan L'Hermite (1964), nous aidant à mesurer le rôle déterminant de Tristan dans l'orientation du théâtre classique vers une exploration des replis de l'âme par le biais de l'action dramatique.
Les notices des cinq pièces complètent ces pages introductives en s'attachant plus précisément à telle ou telle question (le lyrisme de l'écri- ture, la réflexion historique et politique...) ;elles présentent les circons- tances de la création et de la publication de chaque tragédie, son accueil, sa fortune critique, proposent une étude synthétique des sources et de la composition dramatique. Des bibliographies, un glossaire et un index des noms propres complètent l'édition ; en tête de chaque pièce figure la reproduction de son frontispice (ou à défaut, pour Osman, celle de la

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100 page de titre originale). Il faut saluer le soin de l'établissement du texte, et la discrétion de l'annotation qui se limite à éclairer les références, les allusions, et les difficultés de la langue de Tristan; il est vrai que sur ces deux points, l'édition du Théâtre complet procurée en 1975 par Claude Abraham, Jérôme Schweitzer et Jacqueline Van Baelen avait bien aplani le chemin. On peut cependant renouveler une réserve formulée à propos des t. I et V : si la modernisation du texte est légitime, elle n'obéit ici, pour ce qui est de la ponctuation et de l'usage des capitales, à aucune règle précise partagée par l'ensemble des éditeurs. Claude Abraham, Jean-Pierre Chauveau et Nicole Mallet se sont montrés moins interven- tionnistes avec La Mariane, La Mort de Sénèque et Osman que Daniela Dalla Valle pour La Mon de Chrispe, et surtout que Roger Guichemerre et Jacques Morel qui ont procédé à une réfection presque complète de la ponctuation de Panthée selon les normes logico-syntaxiques modernes; il en résulte une certaine disparate dans l'allure. (Claude Abraham s'est même singularisé en choisissant de conserver dans La Mariane la liga- ture &  : et certes les esperluettes donnent aux textes anciens leur rythme typographique particulier.) Mais on s'en tiendra là pour les menues réserves ou les regrets, car il faut se souvenir de l'adresse « Au Lecteur critique » que Tristan a placée en tête de Panthée : « Car selon ton mérite, ou ton insuffisance, / Ou je profiterai de tes enseignements, / Ou du moins je rirai de ton impertinence »...
Boris Donné.
Tristan L'Hermite (1601-1655) ou Le Page disgracié. Catalogue de l'ex- position organisée à la Bibliothèque Mazarine du 6 avril au 29 juin 2001. Commissaire de l'exposition : Isabelle de Conihout. Notices rédigées paz Amédée Carriat, Jean-Pierre Chauveau et Isabelle de Conihout; préface de Marc Fumaroli, de l'Académie française. 25 x 20 cm, 64 p. Nombreuses illustrations en noir &blanc et en cou- leurs.
Pour ceux des Amis de Tristan qui n'ont pas eu la chance de visiter l'exposition organisée au printemps dernier dans le cadre idéal de la Bibliothèque Mazazine, ce catalogue sera tout à la fois une consolation et une nouvelle source de regrets; quant à ceux qui ont pu voir les précieux ouvrages alors rassemblés, bénéficiant peut-être même d'une des visites « privées » conduites et commentées par Isabelle de Conihout, Amédée Carriat et Jean-Pierre Chauveau, il y trouveront bien davantage qu'un simple souvenir imprimé de leur visite. L'ouvrage présente en effet un remazquable parcours à vue de pays dans la vie, et surtout l'æuvre de Tristan. Ce pazcours est découpé en trois grandes périodes, qui s'ouvrent chacune sur une présentation synthétique de Jean-Pierre Chauveau; il est scandé par des illustrations nombreuses et d'une exceptionnelle qualité, qui donnent une vision synoptique de l'æuvre. La richesse, la diversité générique, mais aussi la profonde cohérence de celle-ci appazaissaient avec une force concrète nouvelle lorsque l'on voyait tous ces livres et ces quelques manuscrits rassemblés dans les vitrines de la Mazarine; l'évi- dence demeure dans le catalogue. Outre la reproduction des frontispices de tous les grands ouvrages du poète, que de documents émouvants ou
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101 précieux parmi ces illustrations  ! Quelques extraits des sonnets embléma- tiques manuscrits composés par Tristan dans un exemplaire interfolié des Amorum Emblemata de Van Veen, récemment acquis par l'université de Glasgow; trois reproductions en couleurs du manuscrit de présentation calligraphié des Plaintes d'Acante (page de titre, portrait allégorique de la dédicataire, reliure de soie brodée), exceptionnellement de sortie de la collection privée où il est conservé; un large ensemble de gravures d'Abraham Bosse d'après Stella pour l'Office de la trerge, puis pour les Heures dédiées à la Sainte Vierge...
Les notices du catalogue fournissent tous les renseignements que l'on peut souhaiter (descriptions bibliographiques minutieuses, localisation des exemplaires connus des pièces les plus rares), ainsi qu'une brève évaluation de la place de chaque titre au sein de l'æuvre. Elles sont enchâssées entre deux textes plus étendus : la préface de Marc Fumaroli envisage le regain d'intérêt que connaît Tristan depuis quelques décen- nies dans le mouvement général de redécouverte des artistes, peintres, musiciens et écrivains, du « siècle de Louis XIII » ;elle replace le poète dans le camp des vaincus de l'histoire (au côté de son maître Gaston d'Orléans), voùe des vaincus de l'histoire littéraire, mais c'est pour lui dresser un triomphe rétrospectif par-devant la postérité. L'étude d'Isabelle de Conihout qui referme l'ouvrage s'attache à la familiarité de Tristan avec les livres (lui-même l'a évoquée en des vers savoureux dans son Épître à Monsieur Bourdon)  :faute de pouvoir se faire une idée de la bibliothèque personnelle du poète, l'attention se porte ici sur les soins qu'il a accordés à l'édition et à l'illustration de ses ouvrages. Outre une recension de ceux qui subsistent sous forme de manuscrits calligraphiés ou d'exemplaires sous reliures de présentation, l'étude propose une reconstitution chronologique des rapports de Tristan avec les éditeurs de ses æuvres (Billaine et Courbé, Quinet, Michault), ainsi qu'avec les peintres et les graveurs chargés de les illustrer (Bosse, Mellan, Stella, Daret, Chauveau). Au fil d'un commentaire minutieux des documents attestant de relations éditoriales souvent difficiles, on comprend com- ment Tristan a fini par devenir son propre éditeur... Cette dernière étude invite à conclure la recension par deux remarques toutes matérielles, mais nullement négligeables, en soulignant le prix modique de l'ouvrage et la qualité de sa fabrication (papier, impression, typographie et repro- duction des gravures) ;deux qualités aujourd'hui trop rarement réunies, qui placent ce catalogue tout à l'opposé des volumes, aussi onéreux qu'inélégants, des ouvres complètes publiés par les éditions Champion.
Boris Donné.







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