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Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
    2000, n° 22
    . varia
  • Auteurs : Chauveau (Jean-Pierre), Carriat (Amédée), Donné (Boris)
  • Pages : 85 à 89
  • Réimpression de l’édition de : 2000
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812440076
  • ISBN : 978-2-8124-4007-6
  • ISSN : 2262-2004
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4007-6.p.0085
  • Éditeur : Rougerie
  • Mise en ligne : 29/12/2012
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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COMPTES RENDUS

Mylène BÉNARD, La libre écriture dans Le Page disgracié de Tristan L'Hermite et La Première journée de Théophile de Crau, Mémoire de D.E.A. rédigé sous la direction de Monsieur le Professeur Jean- Michel Racault, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l'Université de la Réunion, juin 1999, 30x21, 185 p.
Deux ans à peine après un prometteur premier essai consacré au Page disgracié (voir CTLH, XX, 1998 ), Mylène Bénard élargit sa réflexion en associant au Page disgracié, la prototype du récit à la pre- mière personne au xvtt` siècle, La Première journée de Théophile de Viau, figure marquante d'un courant libertin dans lequel notre auteur, après beaucoup d'autres, et notamment Jean Serroy et Jacques Prévo[, récents éditeurs du Page, n'hésite pas à situer Tristan. Reprenant à J. Serroy la formule de la « libre écriture », Mylène Bénard prétend démontrer que nos deux auteurs, avec, certes, des personnalités diffé- rentes, et à des époques également différentes (quelque vingt années séparent La Première journée, écrite et publiée avant même que n'éclate l'affaire du Parnasse satyrique, e[ Le Page qui voit le jour au moment où s'achève le règne autoritaire de Richelieu), s'affirment comme « liber- tins » (mot dont l'auteur s'efforce, avec minutie et bonheur, d'éclairer la, ou plutôt les multiples significations possibles) en exploitant les res- sources encore peu visitées à cette date (sauf sans doute paz Montaigne, qui irrigue toute la littérature du xvt>e siècle, du moins celle qui prétend s'affranchir des modèles et des codes) de l'écriture à la première per- sonne. En effet cette écriture, à l'encontre de tous ]es préceptes dominant à l'époque tant dans la sphère religieuse que dans les usages sociaux et mondains, permet au je de s'affirmer dans sa singularité, dans son alté- rité, de revendiquer et de se défendre contre les attaques venues d'une orthodoxie intolérante. La peinture d'un moi tantôt provoquant (ce qui est évidemment plus le cas de Théophile que de Tristan), tantôt masqué sous des dehors comiques ou ironiquement respectueux des convenances, se fait par le biais du récit de voyage, ou plus exactement de la représen- tation d'une errance qui s'accommode le plus souvent d'une structure éclatée et de la marque de l'inachèvement. Ainsi le discontinu et les nombreuses ruptures qui marquent La Première journée, pas plus que l'émiettement en courts chapitres qui caractérise Le Page, surtout dans sa deuxième partie (elle-même présentée comme appelant une suite qui ne viendra jamais) ne sont les signes d'un travail inachevé, mais plutôt le fruit d'une démarche concertée, qui rejette le fini des formes convention- nelles, et permet au moi, par le biais d'une sorte d'effet de brouillage, de s'exposer et de se dérober tour à tour. L'errance que figure le récit de voyage à teneur autobiographique représente, dans les deux cas étudiés ici, une sorte de démonstration en creux de l'absence de cette providence dont l'orthodoxie religieuse et philosophique a fait un article de foi, et dénonce le caractère artificiel et asphyxiant des structures sociales et des conventions morales du moment. Protestation souvent véhémente, inso- lente, chez Théophile, peinture plus souvent nostalgique et désenchantée chez Tristan : nos deux écrivains, avec leur musique propre, affichent dans La Première journée et dans Le Page disgracié une parenté évidente que Mylène Bénard éclaire avec talent. — Jean-Pierre Chauveau.

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86 Poètes français de l'âge baroque. Anthologie (1571-1677). Choix, présentation et notes Jean Serroy. Paris, Imprimerie nationale Éditions, 1999, 20,5 x 15, 541 p.
Dans l'éclectique et séduisante collection La Salamandre des Édi- tions de l'Imprimerie nationale, voilà un beau recueil qui va ravir, parmi un lectorat cultivé, les fervents de poésie baroque. Venant après celles, justement appréciées, de Jean-Pierre Chauveau (Anthologie de la poésie française du xvu' siècle, Gallimard Poésie, 1987) et de Gisèle Mathieu- Castellani (Anthologie de la poésie amoureuse. tregt poètes maniéristes et baroques, Livre de poche, 1992 ), cette anthologie de Jean Serroy se démarque de ses deux prédécesseurs en ce qu'elle ne recouvre ni les mêmes durées ni ne se propose les mêmes desseins. Dans une éclairante présentation de trente pages, l'auteur rappelle les questionnements qu'a posés, depuis les travaux pionniers de Jean Roussel, la notion de Baroque. Après qu'il s'est attaché à en cerner les contours, —jouant avec l'homophonie pour en préciser les limites temporelles (l'ère du bazoque), l'espace géographique (l'aire du baroque), l'inspiration et l'esthétique (l'air du baroque) —, et surtout qu'il a insisté sur les apports novateurs et la complexité du foisonnement créatif de la période, Jean Serroy nous propose cinquante-quatre poètes, qui vont chronologique- ment de Du Bartas à Malaval. Ou, pour être plus précis, dont les oeuvres se situent entre les premiers sonnets du Printemps que d'Aubigné écrit dès 1571 pour Diane Salviati, et la publication des Sonnets chrétiens de Drelincourt en 1677. Cinquante-quatre poètes dont les notices indivi- duelles, en une ou deux pages, dégagent les personnalités diverses dans la perspective d'une sensibilité baroque ; à leur suite, de brèves indica- tions bibliographiques (étude(s) essentielles(s), édition de référence ori- ginale ou moderne). Avec Théophile et Saint-Amant, c'est Tristan, comme de juste, qui domine l'âge baroque, Tristan « qui est sans doute celui qui a poussé le plus loin la pratique poétique comme une investiga- tion du monde (...) par les ressources profondes de la sensibilité et de l'imagination, permettant de saisir l'insaisissable et de dire l'indicible ». Ajoutons à l'éloge du contenu celui du contenant : au service d'une orthographe modernisée, une élégante typographie en garamond de 12; une mise en page aérée des poèmes, suivis, quand besoin est, de notes aussi concises qu'il se peut afin de ne pas rompre le charme de la lec- ture... Et l'honnête homme de notre temps se réjouira qu'après avoir, comme on sait, attentivement et savamment exploré les histoires comiques du xv[t° siècle (dont celle, singulière, d'un certain Page dis- gracié  ! ), Jean Serroy le fasse aujourd'hui si agréablement profiter de sa parfaite connaissance des poètes français de l'âge baroque. Tandis que l'honnête homme du temps de Lanson, quoique nanti des louables antho- logies de P. Olivier ou M. Allem, à seulement parcourir la bibliographie des pages 519-521, lui à coup sûr s'étonnerait (s'ébaudirait ?) de tant d'écrits proposant à notre admiration tant d'inconnus, ou tant d'« a[tazdés et égazés ». —Amédée Carriat.
TRISTAN L'HERM~TE, ouvres complètes, t. I : Prose, sous la direc- tion de Jean Serroy, avec la collaboration de Bernard Bray, Amédée Carriat et Marc Fumaroli; t. V : Théâtre (suite), Plaidoyers historiques,

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87 sous la direction de Roger Guichemerce, avec la collaboration de Daniela Dalla Valle et Anne Tournon. Honoré Champion, coll. « Sources clas- siques », n° 19 & 20, 1999, 22,5 x 14,5, 448 & 500 pp.
Il est beau de voir paraître, pour le quatrième centenaire de la nais- sance de notre poète, la première édition de ses æuvres complètes; comme il est émouvant d'en saluer la parution dans ces Cahiers, puisque c'est en partie l'effort de connaissance patient, minutieux mais passionné qui s'y déploie depuis vingt-deux ans qui rend possible une telle publi- cation. Elle vient en son heure, et à son rythme : deux volumes pour l'ins- tant, sur un ensemble qui doit en compter cinq.
La plupart de ceux qui ne connaissent Tristan que de loin voient en lui, essentiellement, un poète et un dramaturge auteur de quelques belles tragédies. Ces deux aspects majeurs de l'æuvre sont ici laissés de côté : ces deux volumes ne nous donnent à lire que des unica dans la produc- tion littéraire de Tristan. Non pas, certes, des ouvrages secondaires, puisque l'on trouve au tome I Le Page disgracié (nouvelle édition de Jean Serroy), dont on a le sentiment qu'il s'impose peu à peu comme l'ouvrage de Tristan le mieux capable de toucher un large public, en même temps que comme l'un des fleurons du roman classique. II est assorti de l'unique recueil épistolaire de Tristan, les Lerrres mêlées (édi- tées par Bernard Bray), et du bref discours de réception à l'Académie de notre poète. Le tome V nous propose son unique tragi-comédie, La Folie du Sage (éditée par Daniela Dalla Valle) son unique pastorale, Amarillis, e[ son unique comédie, Le Parasite (éditées toutes deux par Roger Guichemerce); enfin cet ouvrage inclassable qui lui est attribué, entre la collection de harangues et le recueil d'histoires tragiques, les Plaidoyers historiques (édition d'Anne Tournon).
Que dire du travail critique d'établissement, d'éclaircissement et de mise en perspective de ces textes divers ? La plupart des lecteurs de nos Cahiers, qui sans doute feront l'acquisition de ces deux volumes, si ce n'est déjà fait, seront mieux qualifiés que le signataire de ces lignes pour en juger. En deux mots, il apparaît que l'annotation, sans faire étalage d'une érudition indiscrète, précise toujours à bon escient les allusions historiques qui risqueraient d'arrêter le lecteur, en même temps qu'elle met en lumière le rapport de Tristan avec ses sources et ses modèles : voir ainsi les éditions d'Amarillis et du Parasite, qui mènent tout au long la comparaison entre ces deux pièces et leurs modèles respectifs (Célimène de Rotrou, Angelica de Fornaris), et celle des Plaidoyers his- toriques, libre reprise d'un ouvrage de 1581 composé en français par un Flamand, Alexandre van den Buschen (Anne Tournon a accompli un beau travail d'annotation pour cette æuvre dont c'est la première édition critique). Les précisions lexicales sont nombreuses dans ces notes, qui relèvent aussi comme il se doit l'ensemble des variantes textuelles dans les éditions parues du vivant de Tristan.
Les présentations, une fois données les indications factuelles atten- dues (conditions de publication, réception...), s'attachent à situer les æuvres au sein de traditions génériques (voir ainsi la présentation des

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88 Lettres mêlées par Bernard Bray, qui caractérise bien la manière de Tristan par rapport au genre épistolaire au xvtt` siècle); elles en éclairent l'originalité et l'intérêt. Jean Serroy fait justice de la lecture du Page comme une æuvre essentiellement autobiographique, qu'encouragent évidemment les clefs de Jean-Baptiste L'Hermite, pour en souligner la dimension romanesque, l'art de la composition, la subtilité du mélange des tonalités. Daniela Dalla Valle et Roger Guichemerre analysent les ressorts dramatiques des pièces qu'ils éditent, et indiquent aussi la portée de tel ou tel de leurs aspects — la réflexion sur le néo-stoïcisme et sur la folie (La Folie du Sage), le jeu avec l'imaginaire pastoral (Amarillis), la vigueur comique (Le Parasite). Anne Tournon met en relief les liens qui existent entre les Plaidoyers historiques et certaines situations de l'æuvre dramatique de Tristan, motivant la publication de cet ouvrage dans un tome consacré au théâtre plutôt que dans celui des proses.
Une bibliographie referme chaque volume, qui rappelle à chaque fois les ouvrages généraux et mentionne les études particulières consa- crées aux différentes æuvres. Signalons encore, en ouverture du premier tome, trois études liminaires : une tre de Tristan composée par Jean Serroy, qui fait le départ entre les repères chronologiques avérés et les spéculations plus douteuses (celles, notamment, qu'a suscitées une lec- ture du Page méconnaissant par trop son caractère romanesque), tout en proposant une biographie intérieure animée par la tension entre le désir de Tristan de s'établir, de se trouver des protecteurs, une situation, et sa propension toujours vive à la liberté de l'imagination. À cette ~e fait suite un texte de Marc Fumaroli, Tristan en son temps, qui n'est que la reprise de quelques pages de son ouvrage consacré à La Fontaine, Le Poète et le Roi (malgré leur justesse, et le « dialogue d'âme » entre les deux poètes, était-il vraiment justifié de les reproduire ici ?); et enfin une étude d'Amédée Carriat, La Fortune de Tristan, où les vicissitudes de la réception de l'æuvre de la fin du xvtt` siècle à nos jours —négligence, demi-oubli, redécouvertes périodiques et partielles... —sont présentées avec une vive érudition. On relève toutefois, dans ces pages, une lacune inexplicable. Leur auteur s'applique en effet à passer sous silence la ren- contre majeure, au xx` siècle, entre l'æuvre de Tristan et un certain... Amédée Cazriat : lorsque, p. 47, il évoque, comme en passant, trois ouvrages majeurs parus chez Rougerie en 1955 et 1960 —Tristan ou l'éloge d'un poète, une Bibliographie et un Choix de Pages —c'est, appa- remment, sans que personne ait pris la peine de les écrire; même silence sur son rôle au sein de notre Association, et dans la création de ces Cahiers, évoqués p. 49... Voilà une modestie qui n'égale, chez lui, que le dévouement et l'amour pour l'æuvre de Tristan ; c'est donc à nous tous de lui rendre l'hommage qu'il mérite. Sans ses efforts, soutenus depuis un demi-siècle, cette édition des ouvres existerait-elle ?
Ce n'est pas le lieu de rentrer dans les détails, de relever de razes fautes d'impression, quelques incohérences, ni de dire ce qu'il faut pen- ser de la présentation matérielle —robuste mais inélégante — de ces volumes publiés par Champion. À défaut d'émettre des critiques, on peut au moins s'interroger sur certains des partis propres à la conception d'en- semble de l'édition, d'autant qu'ils ne sont nulle part justifiés explicite-

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89 ment comme on aurait pu l'attendre. Le choix, d'abord, d'un classement par genres : étant donné la diversité générique de l'aeuvre de Tristan, que ces deux volumes font justement ressortir avec force, n'aurait-il pas été préférable de proposer une édition chronologique, qui aurait montré le développement organique de cette oeuvre ? De plus, on se demande par- fois àquel type de lecteurs ces ouvrages sont destinés : étant donné la collection dans laquelle ils s'inscrivent, le projet même de publication exhaustive d'une oeuvre qui ne fait pas partie du canon des couvres majeures de la littérature française, étant donné aussi leur prix élevé, ils s'adressent essentiellement àdes spécialistes, ou à des amateurs très éclairés. Or, curieusement, l'annotation semble parfois conçue pour un public bien moins averti : beaucoup de notes proposent des précisions d'ordre lexical ou syntaxique que l'on s'attend à trouver dans une édition de grande diffusion, mais sans doute superflues ici.
Le choix de moderniser l'orthographe, et surtout la ponctuation, paraît également discutable dans un tel cadre scientifique; d'autant que les procédures de modernisation ne sont nulle part explicitées, et ne sem- blent pas même avoir été concertées dans le détail. Elles peuvent pourtant changer assez sérieusement la physionomie du texte : Jean Serroy (t. I, p. 203), pour son édition du Page, a opté pour l'uniformisation des accords conformément aux règles modernes, et pour la substitution de formes modernes à certaines formes anciennes (cettuy-ci/celui-ci, die/dise : des altérations qu'on ne peut certes pas mettre sur le même plan que avoir/avait ou fust/fût). Bien sûr, l'orthographe des pièces du t. V est aussi modernisée, mais sans indication des principes de modernisation; et il est étrange que les variantes de La Folie du Sage soient données, elles, dans l'orthographe originale ! Le problème est peut-être plus aigu touchant la ponctuation. On commence à reconnaître, aujourd'hui, la cohérence de la ponctuation du xvtt° siècle, en particulier celle des textes dramatiques : plier cette ponctuation, essentiellement rythmique, décla- matoire, aux règles grammaticales actuelles, n'est-ce pas se priver d'in- dications précieuses ? Même en prose, la ponctuation importe pour retrouver le mouvement du texte : Bernard Bray le note à propos des Lettres. Que signifie alors maintenir la ponctuation originale « dans la mesure du possible » ? l'abandonner justement là où elle peut être signifi- cative ?... La suppression de la virgule devant que consécutif, la mise entre virgules de groupes apposés, la substitution de; àdes : transforment profondément l'allure d'un texte. Certains éditeurs semblent avoir été plus interventionnistes que d'autres ; quel que soit le discernement de leurs transformations, on peut regretter d'avoir perdu la ponctuation ori- ginale des couvres.
Mais on s'en voudrait de s'arrêter trop longtemps sur ces questions. Il faut, pour finir, revenir à l'essentiel ; dire notre bonheur de voir paraître enfin ces ouvres complètes de Tristan, et annoncer les plaisirs de lecture variés, attendus et inattendus, que ces deux tomes réservent à leurs lec- teurs. En espérant pouvoir lire très bientôt la poésie et les tragédies.
Boris Donné


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