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Classiques Garnier

Colloque de Grenoble

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
    1989, n° 11
    . varia
  • Auteur : Morel (Jacques)
  • Pages : 55 à 57
  • Réimpression de l’édition de : 1989
  • Revue : Cahiers Tristan L’Hermite
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812439964
  • ISBN : 978-2-8124-3996-4
  • ISSN : 2262-2004
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3996-4.p.0055
  • Éditeur : Rougerie
  • Mise en ligne : 29/12/2012
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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COLLOQUE DE GRENOBLE

Le mardi 21 mars, dans le cadre de l'exposition Laurent de La Hyre, présentée au musée de Grenoble du 14 janvier au 10 avril 1989, l'université Stendhal, à l'initiative de notre ami Jean Serroy, a orga- nisé un colloque Tristan autour du thème de Panthée. La tenue du conseil d'administration de la Société avait précédé la manifesta- tion, qui s'est déroulée en quatre temps  : 1 ° à 16 h, visite de l'expo- sition commentée par Jacques Thuillier, professeur au Collège de France et auteur, avec Pierre Rosenberg d'un monumental ouvrage consacré au peintret~l ; 2° à 17 h 30, conférence de Jean Serroy sur le thème « Poésie et peinture  », à partir du Paris burlesque de Ber- thaud ; 3° à 18 h, conférence de Jacques Morel sur la Panthée de Tristan ; 4° à 19 h, lecture d'extraits de la tragédie par des étudiants comédiens ; 5° à 21 h, concert de musique du XVII° siècle, par un orchestre de chambre vénitien.
La Hyre et Tristan

Après quelques mots sur la carrière de La Hyre (1606-1656), célèbre en son temps, puis éclipsé par d'autres, Jacques Thuillier - de qui on se rappelle la riche étude parue dans nos Cahierstz> _ fait observer tout au long du parcours, comment dans sa diversité (grands et petits formats ;huiles, dessins et gravures ;thèmes reli- gieux et thèmes profanes puisés dans l'époque comme dans l'anti- quité ou la mythologie ;sens de l'architecture et sens du paysage...) cette ceuvre est celle d'un artiste complet qui, d'étape en étape, est parvenu à la parfaite maîtrise de son style. A mi-chemin se rencon- tre l'histoire de Cyrus et de Panthée, prbtexte et objet du colloque d'aujourd'hui. J. Thuillier commente longuement les deux toiles qui s'y rapportent  :celle prêtée par The Art Institute de Chicago (Cyrus confie Panthée à Araspe  ?) t3) et celle venue du musée de Montlu- çon (Panthée est .conduite devant Cyrus) t4>. Ces deux toiles, contrairement à ce qu'on avait d'abord pensé, semblent antérieu- res à la tragédie de Tristan. « C'est, écrit J. Thuillier, dans les années 1631-1634 que doivent se placer les peintures que nous connaissons. Leur couleur émaillée, leurs effets lumineux, le pittoresque orien- talisant des costumes s'apparentent aux tableaux sûrs de cette épo- que  ». Quant aux dessins relatifs au même sujet, ils semblent, eux, remonter aux années vingt et être contemporains de la publication
de la Panthée de Hardy (1625). Cependant, lorsque, en 1639, Daret grave d'après La Hyre le frontispice de la Panthée de Tristan~s>, ce ne serait ni d'après le tableau de Chicago ni d'après celui de Mont- luçon  : si «  Daret a certainement emprunté la composition à la suite de La Hyre, observe encore J. Thuillier, tout donne à croire que nous avons ici le souvenir direct d'un tableau disparu  ». Reste que, s'il est impossible désormais que le peintre ait été influencé par Tris- tan, en revanche - et aussi délicat qu'il soit de tracer des parallèles entre la littérature et les arts plastiques -, l'esthétique des toiles de La Hyre, où s'affirme déjà une volonté visant à l'équilibre des par- ties et à la noblesse des attitudes - ce en quoi nous nous plaisons à reconnaître le meilleur de l'esthétique classique -, cette esthétique

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56 nous semble en assez heureuse harmonie avec celle de la tragédie de Tristan.
Poésie et peinture
le Paris burlesque de Berthaud
Dépeignant la ville de Paris en vers burlesquestb>, Berthaud, entre l'histoire de «  la servante qui ferre la mule  » et un «  inven- taire de la fripperie  », met en scène «  le vendeur d'images  » Gueri- neau, graveur d'ornements en même temps qu'éditeur d'estampes. Celui-ci propose à sa clientèle les productions d'innombrables artis- tes, dont Berthaud se plaît à faire l'énumération. J. Serroy en a déta- ché ce passage
... J'ay, des peintres de France,
Tout ce qu'ils ont fait de nouveau,
Mais c'est quelque chose de beau  ;
Ce sont desseins à /a plume,
En grand et en petit volume
J'en ay de Vouet, de Poussin,
De Ste/la, La Hire, Baugin,
De Perrier, du Brun, de Fouquière...
Ce texte est, à plusieurs égards, remarquable. Il a d'abord le mérite de citer, dans un ordre qui semble bien réfléchi, le degré de faveur dont jouissaient les artistes, peintres, dessinateurs, graveurs, etc., auprès du public de l'époque, amateurs ou connaisseurs. On s'aperçoit qu'aussitôt après Vouet, le peintre sans conteste le plus célèbre à Paris dans les années quarante, Poussin, l'autre gloire de la peinture française, mais qui vit à Rome, et Stella, l'émule le mieux connu de Poussin, La Hyre est cité en bonne place. C'est dire le prestige dont il jouit à Paris au milieu du siècle.
Mais le texte de Berthaud, du même coup, éclaire, si l'on peut dire, les principes de fonctionnement du texte burlesque qui, visant à un effet de réel, au besoin à travers la grossièreté et la dérision, ne peut se comprendre que comme une manière de révérence à des valeurs dont on ne se permet de sourire ou de se moquer que parce qu'elles font partie intégrante d'un patrimoine unanimement res- pecté. C'est ce que soulignait déjà Jean Serroy en tête de sa récente réédition du Virgile travesti  : « Les références burlesques ne sont que l'image inversée, mais respectueuse, des révérences culturelles d'une société qui ne châtie bien que ce qu'elle aime bient~l  ».
Panthée, « Geôlière des Geôliers  »

Le thème du vainqueur vaincu par les charmes de sa captive est une constante de la littérature dramatique de l'Occident. Parti- culièrement représenté par le mythe d'Andromaque (voir Euripide) et celui d'Hercule et de sa passion pour Iole (voir Sénèque), il a ins- piré beaucoup de poète français du XVII° siècle, d'Alexandre Hardy à Racine. Mais c'est dans la Grisante de Rotrou (réécriture d'un exemplum du. traité de la Vertu des femmes de Plutarque) et dans la Panthée de Tristan~sl qu'il a trouvé son expression la plus com- plète ;ici et là, le récit dramatisé met en scène quatre personnages
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la reine captive, l'époux auquel elle a voué fidélité, l'amoureux pas-

sionné et le supérieur hiérarchique (roi ou général) qui doit le châ- tier. L'efficacité du motif a permis de le transposer dans la comé-
die (des Captifs de Rotrou ou Tartuffe de Molière) et de le défor- mer dans la tragédie, en le compliquant (Pertharite de Corneille) ou en l'inversant (tragédie d'Eriphile dans Iphigénie). L'originalité de Tristan, comparé à ses sources (de Xénophon à Hardy), est
d'avoir présenté, avec le personnage de l'amoureux Araspe la terri- ble et fascinante splendeur de la passion amoureuse  : en quoi son
esprit et sa manière rencontrent ceux de la suite de Panthée peinte
par son contemporain La Hyre. Jacques Morel
Théâtre et musique

Toujours sur l'estrade dressée devant les deux grands tableaux de Chicago et de Montluçon, trois étudiants comédiens, Bernadette Delpieu, Nassera Traïkia et Paul-Emmanuel Andreu, lisent des scè-
nes de Panthée, qu'au préalable J. Semoy resitue dans le déroule- ment de l'intrigue. «  De belles choses commencées, mais qui n'ont
pas de suite  »jugeait d'Aubignac  ; le jugement est à revoir...
Un buffet offert, dans le hall du musée, par l'université Sten- dhal et la municipalité de Grenoble, interrompt un instant la soi-
rée, qui s'achève en musique, sous les auspices de l'Institut culturel italien et de la Société des amis du musée de peinture, avec l'orchestre
de chambre des Madrigaliste di Venezia. Les instrumentistes et chan- teurs sont vivement applaudis dans leurs interprétations de pièces
brèves de Monteverdi, Lully, Couperin, Cavalli, etc. Sur ces airs de flûtes à bec, luth, viole de gambe, violoncelle et clavecin s'achève
cette rencontre des arts, peinture, théâtre et musique, dont la réus- site est une légitime récompense, et pour Serge Lemoine, conserva- teur du musée de Grenoble, qui avait d'emblée souscrit au projet,
et pour Jean Serroy qui en a été, en tous points, le parfait maître d'aeuvre.

NOTES

(1) Voir Bib/iographie. Somptueuse monographie qui ne sera pas remplacée de sitôt  : en 380 pages 29 x 24,5, les auteurs rassemblent tout ce qu'on peut savoir sur La.Hyre, peintre, dessinateur et graveur, sur son atelier (dont fit partie François Chauveau), sur sa fortune critique, sur son oeuvre complet enfin - 330 numéros, toutes les toiles reproduites en pleine page, avec le rappel des tableaux perdus d'attribution certaine et des o=uvres indOment attribuées, sans oublier la bibliographie et les index qui para- chèvent cet ouvrage de référence. — (2) « Poètes et peintrés au XVII° siècle  : l'exem- ple de Tristan N, C.T. L'H., VI, 1984, p. 5-30, ill : — (3) Présentée déjà en 1982 lors de l'exposition au Grand Palais sur La Peinture française du XV//siècle dans les col- lec[ions américaines, elle avait servi à illustrer la couverture du catalogue. Cf. C.T.L'H., V, 1983, p. 74 — (4) Reproduite en couverture de l'ouvrage de P. Rosenberg et J. Thuillier. — (5) Cf. C.T.L'H., IV, 1982, p. 37. — (6) Paris ridicule et burlesque au XV/I°siècle par Claude Le Petit, Berthod, Scarron, François Colletet, Boileau, etc., éd. P. L. Jacob, P., Delahaye, 1859, p. 138. — (7) Scarron, Le Virgile travesti, éd. J. Semoy, P., Garnier, 1988, p. 1. — (8) Voir le rapprochement entre les deux pièces dans C.T.L.'K, IX, 1987, p. 42-45.
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