Note
sur les caricatures retrouvÉes
à l’UniversitÉ de Bologne1

La bibliothèque du Département d’Histoire et de Cultures de l’Université de Bologne2, créée officiellement en 2012, est cependant de plus ancienne ascendance. Elle est née, en fait, de la fusion des collections bibliographiques et archivistiques de dix Instituts universitaires, dont les fonds ont été rassemblés en un seul Département dans une volonté de rationalisation organisationnelle de l’Université. Parmi ces instituts – dont certains étaient nés à la fin du xixe siècle – figurait l’Institut d’Histoire Économique et Sociale, fondé au début des années 1950 au sein de la Faculté d’Économie et de Commerce, par Luigi Dal Pane (1903-1979)3, maître d’une brillante génération d’universitaires.

Et c’est précisément à Luigi Dal Pane, premier Directeur de cet Institut, que nous devons la création de sa bibliothèque et son enrichissement constant, non seulement par des publications modernes, mais aussi par des documents rares et anciens. De fait, ses étudiants se souviennent encore de l’énergie qu’il déployait pour acquérir au nom de l’Institut, par le biais de marchands d’ouvrages anciens, « des livres relevant de l’économie, des plaquettes commerciales, des traités agronomiques, des manuels techniques, et toutes sortes de documents répondant à sa conception de l’Histoire comme totalité, et comme 18produit du travail humain4. » C’est donc à son intérêt pour l’étude et à son inlassable « chasse aux sources » que l’on doit non seulement l’acquisition de monographies et de périodiques publiés au cours des siècles de l’imprimerie manuelle, mais aussi l’admirable collection de brochures, d’atlas, de cartes, de plans, de cadastres manuscrits et de dessins conservés encore aujourd’hui dans les deux armoires blindées d’origine, provenant, comme le « trésor » qu’elles contiennent, de l’Institut Dal Pane.

Dans les dernières décennies, ces collections ont été l’objet de plusieurs inventaires ; on a cherché à les mettre en valeur : elles ont été présentées au public par deux actions d’importance. En 2006 a eu lieu l’exposition « Il mondo in scala. Le rappresentazioni del territorio nelle carte Dal Pane ». L’année suivante fut publié un catalogue des livres anciens et des publications périodiques de la bibliothèque du Département de Disciplines historiques de l’Université de Bologne5.

Dans le droit fil de ces initiatives, nous portons aujourd’hui à l’attention des chercheurs et du public une acquisition de Luigi Dal Pane aussi importante que singulière : les dessins exécutés par Tristan Corbière à l’occasion de la Commune de Paris. Ce sont 24 planches, assemblées dans un grand album, qui contiennent des illustrations et des légendes manuscrites. Ces œuvres furent exécutées vers 1871 et Corbière avait manifestement l’intention de les vendre à des journaux – mais elles ne furent manifestement jamais publiées.

Nous n’avons que très peu d’informations à propos de cet ensemble, qu’on a appelé « album des communards » – « Le Peuple, Souverain » et « La Commune à la barre » sont en réalité les deux titres qui reviennent le plus souvent dans cet album. Ces caricatures étaient données pour perdues par la critique ; en réalité, après un parcours qui reste obscur, elles avaient fini par apparaître sur le marché italien des antiquités au début des années 1960. Luigi Dal Pane ne tarda pas à les acheter. Nous n’avons malheureusement pas pu identifier le vendeur, dont la seule trace est un papillon de papier coloré, collé dans le coin supérieur droit de la première planche, qui comportait une brève description de l’ensemble, en italien. Ce papier a été largement arraché et est aujourd’hui très difficilement lisible.

On connaît cependant avec certitude certains éléments concernant l’acquisition de cet album, car nous avons trouvé la mention suivante dans le registre d’inventaire de l’Institut : « 23.2.62 – Tristan. 24 disegni caricaturali di personaggi della “Comune” di Parigi – 130.000 lire » On peut la traduire ainsi : « 23.2.62 – Tristan. 24 dessins caricaturaux de personnages de la “Commune” de Paris – 130,000 lires ».

Manifestement, l’album est resté, depuis tout ce temps, jalousement gardé dans l’armoire des « trésors ». Il attendait le meilleur moment pour ressurgir, entouré du charme et de l’aura mystérieuse des œuvres que l’on croyait perdues.

Et l’occasion s’est présentée cette année ! Le nouveau Comité Scientifique de la bibliothèque a identifié comme prioritaires la mise en valeur des fonds et les actions de diffusion du savoir (dites de « troisième mission »). Dans ce cadre, nous avons décidé de nous concentrer sur deux collections de nos fonds : les impressions géographiques du xviie siècle signées Vincenzo Maria Coronelli et l’album de Corbière. Ces deux ensembles inaugureront notre bibliothèque digitale6, afin que toute personne intéressée puisse y avoir accès. Nous prévoyons également d’organiser une exposition physique et virtuelle autour de ces documents, qui seront accompagnés de présentations critiques.

Pour conclure cette brève note, je voudrais exprimer mes remerciements très cordiaux à Benoît Houzé et Samuel Lair, qui m’ont proposé 20d’écrire dans les Cahiers Tristan Corbière et qui ont répondu à nombre de questions que nous avions à propos de cet album.

Federica Rossi

Biblioteca del Dipartimento
di Storia Culture e Civiltà

Alma Mater Studiorum
Università di Bologna