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Classiques Garnier

Je ne vis que d’espérance…”– an unpublished high school found

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers Tristan Corbière
    2021, n° 4
    . Repolitiqué
  • Author: Houzé (Benoît)
  • Pages: 375 to 377
  • Journal: Tristan Corbière Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406132523
  • ISBN: 978-2-406-13252-3
  • ISSN: 2608-5895
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-13252-3.p.0375
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 06-22-2022
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
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« Je ne vis que despérance… » –
une lettre de collège retrouvée

Je dois à Pierre E. Richard de mavoir signalé la conservation dune lettre largement inédite du Corbière collégien dans une bibliothèque new-yorkaise, la Pierpont Morgan Library1. Je remercie cette institution pour la reproduction photographique transmise.

Cette lettre date de la deuxième année de pensionnat à Saint-Brieuc, la première complète puisquEdouard-Joachim nétait rentré dans cette institution, lannée précédente, quau dernier trimestre. Il va désormais sur ses quinze ans. Cette missive ressemble, dans son ton comme dans ses thèmes, à de multiples autres que ladolescent envoie depuis Saint-Brieuc à son père, sa mère et parfois sa sœur. Edouard-Joachim dit sa hâte de revoir Morlaix, et en particulier la demeure du Launay synonyme de vacances, avec un alliage de candeur et dironie typique de sa correspondance à cette époque. Jai gardé lorthographe et la ponctuation originales.

Benoît Houzé

Université Rennées 2 (CELLAM)

376

Le jeudi 4 mai 1860

Chère maman

Nous voilà rendus à la sortie et maintenant je suis bien content quelle ait été remise. Jespère au moins que jai de chouettes lettres de vous qui mattendent chez les Bazin car sans ça la sortie ne serait pas complète. Je me suis dépéché bien vite comme à lordinaire de finir mes devoirs de sorte que je vais avoir le temps de remplir les deux pages dordonnance. Je crois quil va faire assez beau aujourdhui quoiquil ne fasse pas de soleil, mais tous ces jours derniers nous avons eu un temps magnifique. Ça sannonce bien pour les vacances. Nous avons composé cette semaine en thème latin, mais jaurai une mauvaise place. Je ne sais pas pourquoi mais je ne suis pas en train de travailler et jaime généralement mieux perdre à mon temps à penser aux vacances quà faire un thème ou une version. Mais sois tranquille je vous ai promis dêtre au moins une fois premier et je le serai. Comme vous êtes heureux, vous voilà au Launay2 depuis hier, je vais recommencer ma chanson du Launay car je bisque trop de ne pas y être. Comme la caille3 est heureuse aussi de coucher dans ma chambre. Mais bientôt je vais la déménager, ainsi elle peut sen donner en attendant. Mais tu devrais faire tapisser ma chambre, elle serait encore plus chique. Si tu pouvais trouver une tapisserie pareille à lancienne car elle était jolie mais elle est toute déchirée. Je compte toujours sur papa pour protéger mon jardin contre Gouronnec4 et quand il sera en ville toi Lucie et ma bonnic vous pourrez bien le défendre toutes les trois. Je suis bien pressé de voir linstallation de la nouvelle allée pour la voiture et de la nouvelle écurie. Et les Puyo5 quand délogeront-ils ? Que tout le monde se dépêche car je vais arriver bientôt. Dimanche soir les Bazin sont venus me voir et comme javais demandé du papier à lettres à Mme Bazin elle a envoyé ma sa bonne men chercher ma ce lui ci nest pas bon, il est beaucoup trop vernis. Tu avais raison je nen avais pas apporté assez en partant à Pâques. Demande à papa 377sil a apporté mon fusil à la campagne car lannée dernière le pauvre diable était resté en ville et il était rouillé. Mon pion est toujours aussi méchant pour moi, mais je men fiche puisquil ne me persécutera plus que pendant trois petits mois. On dit que peut-être la distribution sera le premier Août6. Ce serait joliment chique en attendant préparez-vous de bonne heure à venir me prendre. Je travaille un peu moins mal lhistoire et voilà deux classes que jai passées sans pensum. Je crois que cest la première fois que ça marrive. Comment, tu me dis de ne pas penser au bon temps que je passais à Morlaix, mais alors ce ne serait pas vivre, je ne pourrais pas vivre deux jours ici si je navais pour consolation que le travail les succès et la satisfaction intérieure. Je ne vis que despérance et je ne passerai pas trois mois sil métait défendu de penser aux vacances. Cresti7, Guillaume et Jannie ont peur de sennuyer à la campagne ils sont joliment difficiles. Que feraient-ils donc sils étaient à ma place. Moi je ne trouve aucun endroit dans le monde ou on puisse samuser autant que les habitants du Launay, et je ne le changerais pas pour le paradis terrestre. Et mon pauvre Gouronnec me pleure encore mais puisque ce nest quaux leçons je ne crains pas quil meure de chagrin. Dis-lui que je vais arriver bientôt et que je lui achèterai tout ce quil voudra. Que nous aurons joliment de plaisir ! il verra un peu nous nous en donnerons. Dis-moi combien de temps nous irons au bord de la mer. Je nai pas le temps décrire à ma Cagaille aujourdhui mais la prochaine fois elle peut être sure sure dune longue lettre. Embrasse bien pour moi Papa ma bonnic Lucie mon gros Gouronnec et tous les puyo.

Toi aussi ma bonne maman je tembrasse bien tendrement.

Ton Édouard qui taime de tout son cœur.

Vous allez encore aller à la messe des ursulines8. Je me rappelle comme cétait chique le matin avant le déjeuner. mais bientôt je serai aussi de la partie –

1 Morgan Library & Museum, New York, cote MA 13855.

2 Lune des demeures de la famille, sur les hauteurs de Morlaix, non loin du manoir de Coat Congar où est né Edouard-Joachim.

3 Edouard-Joachim évoque ici sa sœur, quil surnomme dhabitude « Cagaille » : il utilise apparemment une variante de ce surnom. Ma leçon est incertaine pour larticle.

4 Surnom dEdmond, petit frère dEdouard-Joachim, qui na pas encore cinq ans au moment où ce dernier écrit cette lettre.

5 La famille dAspasie Puyo, mère dEdouard-Joachim.

6 Lannée précédente, Edouard-Joachim navait pu rentrer au Launay que le 8 août (voir lettre à sa mère du 22 juillet 1860, dans Œuvres Complètes, éd. P.-O. Walzer et F.-F. Burch, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1970, p. 956).

7 Cest bien la graphie que lon semble devoir lire ici : il sagirait alors dune variante de linterjection « Cristi », courante sous la plume dEdouard-Joachim.

8 Le couvent des Ursulines est situé à moins dun kilomètre du manoir de Coat-Congar, où réside la famille Corbière, en direction du centre-ville de Morlaix.