Editorial
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers Tristan Corbière
2021, n° 4. Repolitiqué - Author: Houzé (Benoît)
- Pages: 13 to 14
- Journal: Tristan Corbière Studies
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN: 9782406132523
- ISBN: 978-2-406-13252-3
- ISSN: 2608-5895
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-13252-3.p.0013
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-22-2022
- Periodicity: Annual
- Language: French
Éditorial
« Vous ne m’avez pas vu au vote : c’est un parti pris chez moi. Le 2 décembre m’a physiquement dépolitiqué. » Ainsi écrivait Baudelaire à son avocat et ami Narcisse Ancelle, quelques mois après le coup d’État de celui qui était devenu Napoléon iii. Il forgeait là un mot et une expression à la fois curieux et extrêmement parlants, où le clinique croise le politique, où l’apolitisme s’explique au prisme d’un traumatisme politique.
On pourrait continuer le geste néologique de Baudelaire : un poète, une littérature critique peuvent aussi être « repolitiqués », physiquement, par la force d’un événement social, politique, ou critique. Et, précisément, la fantastique découverte de « l’album des Communards » de Corbière, ou plutôt des trois albums qui se cachaient en réalité derrière cette appellation, va forcément avoir, parmi d’autres effets, celui-ci, le corpus corbiérien et ses lectures.
Nous avons tenu à nous faire écho dès le présent numéro de cette découverte comme de cette inflexion portée à la lecture de l’œuvre. Je me bornerai à la présentation des textes réunis dans la section des « Approches critiques ». Après les deux textes présentant la découverte qui ouvrent l’ensemble, plusieurs articles aident à penser le politique corbiérien. Arnaud Bernadet s’est pleinement saisi de cette question, qui lui permet de revaloriser esthétiquement « Gens de mer », où la critique n’a peut-être trop vu qu’imitation du père et enthousiasme de jeunesse. La « manière » si particulière de Corbière serait le lieu de la relation entre l’artiste et ses modèles populaires. Steve Murphy montre quant à lui comment les tensions et les rires (parfois à connotations politiques) du milieu littéraro-rapin du Second Empire se réfractent dans une strophe d’« Idylle coupée ». Pour Thierry Roger enfin, l’œuvre de Corbière porte en elle une véritable « hétérotopie » : bougeant les notions de « nature » et de « sauvage », elle en appelle à une autre vie, à un autre rapport à soi et à la société.
14Dans les interstices de cette armature « politique » du numéro, des contributions viennent s’intégrer qui s’intéressent à d’autres domaines. Ainsi, au cœur des « approches critiques », la contribution-Janus de Yann Bernal, en deux articles, nouvelle enquête (cette fois géographico-herméneutique) après le maître-article du numéro précédent, met en lumière de nombreux reliefs inaperçus du petit chef d’œuvre de tendre irrévérence envers la Bretagne et son catholicisme qu’est « Saint Tupetu de Tu-pe-tu ». D’un côté ou de l’autre du Tupetu de Bernal, deux articles approchent quant à eux des questions de poétique à l’échelle des Amours jaunes. Laura Roux étudie les ruades énonciatives du recueil et soutient la gageure de renouveler leur interprétation : l’une des visées de Corbière dans son traitement à hue et à dia de l’énonciation serait ainsi de créer « un chant de l’autre pour soi (fût-il un autre en soi) ». Enfin, Fanny Wilson propose une lecture du colorisme corbiérien en s’appuyant sur des comparaisons avec les œuvres de Laforgue et de Cros : elle fait valoir la bigarrure, les contrastes et les nuances dans un recueil trop souvent vu en monochrome (jaune), tout en montrant les motivations profondes, parfois philosophiques, de ces pigmentations du dire poétique.
Benoît Houzé
Université Rennes 2, CELLAM