“Dieu te voit!”–an unknown biographical anecdote
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers Tristan Corbière
2021, n° 4. Repolitiqué - Author: Houzé (Benoît)
- Pages: 379 to 380
- Journal: Tristan Corbière Studies
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN: 9782406132523
- ISBN: 978-2-406-13252-3
- ISSN: 2608-5895
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-13252-3.p.0379
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-22-2022
- Periodicity: Annual
- Language: French
« Dieu te voit ! » –
une anecdote biographique inconnue
L’anecdote pourrait presque être considérée comme un genre à part entière de l’œuvre de Corbière, comme elle l’est pour celle de Nerval, de Baudelaire ou de Max Jacob. Essentiellement relayés par René Martineau, ces micros-récits, paroles rapportées et saynètes ont pourtant traditionnellement plutôt embarrassé la critique – par peur du biographisme, mais aussi du fait des doutes que soulève forcément leur pure authenticité – avant d’être évoqués dans des travaux récents (Benoît Dufau1, Ahmed Kaboub2), notamment à travers un parallèle avec les « chries », ces petits récits biographiques qui abondent dans la philosophie antique.
On trouve dans les papiers de René Martineau3 l’anecdote inédite suivante, au début d’une courte notice sur la vie de Corbière, tappée à la machine. Martineau a dû destiner ce texte à une publication qui n’a finalement pas vu le jour :
Le Gad que j’ai vu à Roscoff, vers 1903, m’a conté un grand nombre d’anecdotes dont son ami Corbière fut le héros. En voici une dont un des mérites est d’être inédite.
Un matin, Corbière apporta chez Le Gad un hamac. Il entra dans l’arrière-boutique, petite salle encombrée de fûts et de bouteilles, où le soleil ne pénétrait jamais. Corbière muni d’un marteau et de deux clous fixa solidement son hamac malgré les protestations de son ami et pendant des semaines il vint dormir là, jouissant du silence et de l’obscurité. Après son somme, il décrochait consciencieusement son hamac, le roulait et le jetait dans un coin.
380Le père de l’hôtelier, vieux brave homme et marin retraité, avait un faible pour l’eau de vie de cidre et se glissait, à l’insu de son fils, dans le réduit obscur pour s’offrir un petit verre. Un jour, il entra sans apercevoir le hamac où le maigre Tristan disparaissait totalement. Au moment où le bonhomme se versait sa rasade, une voix caverneuse se fit entendre dans le cabinet noir. Elle disait : « Dieu te voit ! ». Le vieillard, de saisissement, laissa rouler la bouteille et le verre qui se brisèrent avec éclat, attirant les gens de la maison tandis que Tristan demandait flegmatiquement : « Que se passe-t-il donc ? ».
[…]
René Martineau
Benoît Houzé
Université Rennées 2 (CELLAM)
1 « Est-il philosophe ou poète ? Corbière “neutre” », [notamment sur la question du cynisme], demi-journée « Tristan Corbière », Séminaire doctoral « Littérature du xixe siècle », dirigé par André Guyaux, Paolo Tortonese et Henri Scepi, organisation Jean-Luc Steinmetz et Benoît Houzé, Universités Paris-Sorbonne et Sorbonne Nouvelle, 12 février 2016.
2 Tristan Corbière : d’une existence entre parenthèses au courage de la philosophie cynique dans Les Amours jaunes, Sarrebruck, Éditions universitaires europénnes, 2020, 52 p.
3 Collection Yves Reulier, propriété famille Reulier.