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Classiques Garnier

Introduction

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Octave Mirbeau
    2023, n° 30
    . varia
  • Auteur : Staroń (Anita)
  • Pages : 19 à 21
  • Revue : Cahiers Octave Mirbeau
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406171942
  • ISBN : 978-2-406-17194-2
  • ISSN : 2726-0518
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-17194-2.p.0019
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/07/2024
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Introduction

À une époque où les études féministes, pour englober dun seul terme un terrain dinvestigations très vaste, ont acquis pleinement les droits de cité, il était grand temps dy confronter lœuvre et la biographie de notre écrivain. Cela ne signifiait nullement oublier ou négliger tous les travaux quon avait déjà consacrés, dans les numéros antérieurs des Cahiers ou ailleurs, à la question féminine chez Mirbeau. Bien au contraire, cest inspirés de ces nombreuses études que nous avons décidé (Samuel Lair et la soussignée) de creuser le sujet et de réunir de nouvelles contributions sous lenseigne des rapports de Mirbeau avec les femmes.

Il en résulte un riche dossier qui condense plusieurs approches allant des études documentaires à des analyses des ouvrages et aboutissant à des conclusions très diverses. On peut ainsi se rendre compte du caractère pluriel des relations entre Mirbeau, son écriture et le monde féminin, sans doute plus important dans son univers que nous étions habitués à le percevoir. Et pourtant, combien de pistes encore non explorées, et qui attendent de nouveaux chercheurs ! Dautant que langle dapproche proposé laisse de côté un champ de recherche voisin, lui aussi très vaste et en plein développement aujourdhui : les études genrées.

En ce qui concerne lapport de ce numéro 30, la présence de femmes artistes, toujours vive dans la conscience de Mirbeau, trouve son reflet dans les analyses de leurs relations avec notre écrivain – proposées par Samuel Lair et Gérard Poulouin qui se penchent sur le cas passionnant de Camille Claudel – et de leurs ouvrages : Annie Urbanik-Rizk, Frédéric Canovas, Ewa M. Wierzbowska, Tomasz Kaczmarek et Yichao Shi font jouer des affinités et des oppositions entre Octave Mirbeau et Colette, Marguerite Audoux, Louise Michel et Judith Gautier. Une étude de la Correspondance du point de vue de ses destinataires féminines ouvre le dossier, montrant que, en dehors de ses amitiés viriles, Octave Mirbeau savait tisser des liens avec les femmes. La contribution dAnna Kaczmarek-Wiśniewska en fournit une preuve immédiate, présentant les relations 20de longue durée entre les Zola et les Mirbeau, et plus particulièrement entre Octave et Alexandrine. Celle dEwa M. Wierzbowska, tout en se concentrant sur lœuvre même de Marguerite Audoux, rappelle également laffection profonde qui lunissait à notre romancier.

Des mots clés, des idées conductrices transcendent le dossier, augmentant sa cohérence interne. Ainsi, le concept de génie (quil arrive à certains, en ce xixe siècle misogyne, dassocier avec lidée de monstre, particulièrement lorsquil se décline au féminin) revient dans plusieurs textes : ceux de Samuel Lair et de Gérard Poulouin, consacrés à cette « femme de génie » que fut pour Mirbeau Camille Claudel, celui de Frédéric Canovas, convaincu que Mirbeau ne refuserait pas ce qualificatif à Colette – avant de sonner triomphalement dans la conclusion du texte dAnnie Urbanik-Rizk, également à propos de Colette. Cest bien ce même mot quemploie Rachilde pour parler de son confrère au Mercure de France où, loin de le rabaisser, elle se montre, au contraire, toujours pleine de respect (cf. ses comptes rendus reproduits dans la partie Documents & Études). Belle coïncidence, point fortuite, montrant à la fois létendue, sinon une certaine fluidité du concept, et la nécessité de lappliquer à un art grand, mystérieux et novateur.

Mais aussi combien dautres correspondances, bien stimulantes, lorsquune pluralité de voix évoque le même artiste, cerne des problématiques voisines, en somme, indique les rapports quOctave Mirbeau aurait pu avoir ou a bien réellement entretenu avec les femmes de son époque. Il devient alors possible de faire contraster lattitude misogyne voire gynécophobe attribuée, à juste titre, au romancier, avec ce que lon peut décrire comme une facette de son féminisme caché, et pourtant possible à détecter, comme il résulte de létude dAntigone Samiou. Une pareille ambiguïté se donne à lire dans la présentation, signée par Weronika Lesiak, des figures archétypales féminines dans Sébastien Roch. Et cest encore sur des rapports ambigus, sous-tendus par une structure sociale opprimante, que se penche Mathilde Castanié dans son analyse des violences sexuelles contre les domestiques. Enfin, sujet à peine effleuré et qui demandera encore de sy pencher à lavenir : les relations du couple Octave-Alice. Un jeu de lettres de Mirbeau, qui révèlent son attachement, sinon un amour véritable pour sa femme (commenté dans létude de la Correspondance du point de vue des femmes), et de celles dAlice (présentées par Yannick Lemarié dans la partie Documents & 21Études), montrant la belle humanité de cette « ancienne horizontale assoiffée de respectabilité » comme on a trop souvent tendance à la présenter, permet de réévaluer leurs rapports et de les faire sortir – ne serait-ce quun peu – de léternelle noirceur.

Bien des découvertes donc, dans ce dossier, et aussi dans la partie documentaire du numéro, où cette approche féminine/féministe trouve également sa place. Bien de nouveaux éclairages, qui permettent de revenir sur quelques points de la biographie mirbellienne, afin de les nuancer. Mais aussi bien de nouvelles pistes qui, ici à peine suggérées, soffrent à linvestigation dautres chercheurs. Les études mirbelliennes sont loin davoir dit leur dernier mot.

Anita Staroń

Vice-présidente
de la Société Octave Mirbeau