Aller au contenu

Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Mérimée
    2011, n° 3
    . varia
  • Auteurs : Bercé (Françoise), Kerlouégan (François), Dufief (Pierre-Jean)
  • Pages : 157 à 164
  • Revue : Cahiers Mérimée
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812439254
  • ISBN : 978-2-8124-3925-4
  • ISSN : 2262-2098
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3925-4.p.0157
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/08/2011
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
157

Pierre Pellissier, Prosper Mérimée, Taillandier, 2009, 585 p. Index.

Il serait presque difficile aujourd’hui de dresser une liste exhaustive des biographies qui ont été consacrées à Mérimée. Après une période de silence et de rejet des personnalités « compromises » sous l’Empire, pendant les quarante premières années de la Troisième République, les études se multiplièrent rapidement entre les deux guerres, fondées sur la publication progressive de sa Correspondance générale. Outre, dès 1879, Maurice Tourneux, puis Augustin Filon, Pierre Trahard, Ferdinand Bac, André Billy, et plus récemment le marquis de Luppé, Jean Freustié, Jean Autin, André Fermigier (Lieux de mémoire) et Xavier Darcos, membres de l’Institut ou candidats éventuels, ont donné leur interprétation de l’écrivain.

C’est évidemment à l’œuvre de Parturier qu’il faut rendre hommage, à sa publication des dix-sept volumes de la Correspondance générale, celle de Mérimée avec Vitet étant particulièrement précieuse pour les premières années de la Commission des Monuments historiques. Pierre Pellissier ne manque pas de rendre un hommage marqué à cette source, du reste incontournée. Bien que la manne concernant Mérimée soit donc déjà très abondante, cette nouvelle biographie ne déçoit pas. Pellissier, familier de l’histoire contemporaine, est aussi l’auteur d’une étude sur Émile Girardin et la presse. Dans un récit très vivant et très précisément documenté, l’auteur reprend chronologiquement les origines familiales, la formation, la carrière, les rencontres, les publications et l’action administrative de l’écrivain : ce qu’il nous en dit, ce dont il s’est vanté, ses silences, maintes fois interprétés et qui le seront encore, enfin les échos littéraires et politiques. Une place particulière est réservée aux rapports avec Stendhal. C’est une biographie « totale » et un essai de mise en perspective de son rôle dans le monde politique du Second Empire. L’auteur a fait suivre son récit de pièces annexes, notamment d’une liste des principales personnalités « mériméennes » et d’une chronologie de ses voyages, cette dernière ayant été déjà minutieusement établie par Maurice Parturier en tête de chaque volume de la Correspondance : il faut rappeler que la table de la Correspondance, indispensable à tous les

158

chercheurs, constitue un véritable « dictionnaire » de l’histoire littéraire et archéologique du xixe siècle.

Sur l’inspecteur général, les ouvrages de Paul Léon, fondés sur les archives et la documentation réunie par Paul Verdier, demeurent la référence la plus complète à ce jour. L’exposition consacrée à l’écrivain en 1953 par Pierre Josserand, Maurice Parturier et Pierre-Marie Auzas, précéda la réimpression des Notes de Voyage ; plusieurs expositions ont été plus spécialement consacrées à l’inspecteur général à l’Hôtel Sully et plus récemment à la Conciergerie, pour célébrer le bicentenaire de l’écrivain. Pelissier s’attache à quelques grands édifices dont on lui attribue, à juste titre, le sauvetage, Charroux, Vézelay, Saint-Savin, notamment, non sans un court chapitre consacré à l’intérêt porté aux monuments celtiques. En ce domaine, beaucoup d’éléments nouveaux ont été mis au jour, et nous ne désespérons pas d’en montrer encore d’autres à partir des rapports manuscrits, connus ou moins connus, de Mérimée. Le souvenir d’Alexandre de Laborde, le rôle de Vitet, les rapports de Mérimée avec Caumont, ont été réétudiés depuis Parturier et mériteraient, à mon sens, plus de place que les aventures de jeunesse du « vaurien » ou les incartades de Napoléon III. La thèse sur l’administration des Monuments historiques d’Arlette Auduc (et non sur le patrimoine, notion totalement anachronique à cette époque) a mis en évidence l’évolution de la tutelle du ministère d’État sous le Second Empire, bien loin des improvisations de la Monarchie de Juillet, ainsi que l’importance de personnalités restées dans l’ombre comme celle d’Henri Courmont. De la carrière de Mérimée et des difficultés rencontrées entre 1848 et 1852, au moment du changement de régime politique, alors qu’il n’est pas encore assuré de conserver ses attributions, il est peu question. De même son rôle pour l’exposition universelle de Londres en 1862, son engagement auprès de Viollet-le-Duc dans la réforme de l’enseignement de l’architecture à l’École des Beaux-Arts, à mettre en rapport étroit avec l’expérience de Kensington, sont sous-estimés. Au contraire, il est exagéré de le créditer de la campagne héliographique, l’utilisation de la photographie lui doit moins qu’à Durrieu ou Delessert, notamment. Certaines assertions concernant la préférence qu’aurait eue Mérimée pour Boeswilwald par rapport à Viollet-le-Duc, demeurent incertaines, l’auteur ne donnant pas exactement ses sources. Auraient mérités d’être cités : la mise au point sur la « dictée » faite par Françoise Maison, le catalogue consacré par la

159

Société archéologique de Compiègne et la Conservation régionale aux fouilles dans la forêt et l’article du Dr Robert Leclercq sur le manuscrit de Guinclan, etc.

À ceux qui n’ont pas encore le privilège de posséder la Correspondance générale de Mérimée, cet ouvrage permettra de faire le point de manière commode et agréable sur les connaissances accumulées depuis une centaine d’années sur notre héros. On regrette cependant que cette ample moisson ne puisse pas être plus exactement référencée, ce qu’il faut sans doute imputer aux éditions Taillandier.

Françoise Bercé
Inspection générale du Patrimoine

160

HB. Revue internationale d’études stendhaliennes, no 11-12, 2007-2008. Dossier Stendhal, Mérimée et les écrivains romantiques : le sang, la violence et la mort, textes réunis par Michel Arrous, Paris, Eurédit, 342 p.

Ce dossier Stendhal, Mérimée et les écrivains romantiques : le sang, la violence et la mort rassemble les communications données au colloque du même titre, tenu à Paris, à l’INHA et à la Sorbonne, les 5 et 6 octobre 2007. Des dix-sept contributions sept traitent de Mérimée ; nous ne rendons compte que de celles-ci. Tout d’abord, dans un texte bref mais dense et fort bien théorisé, Christine Marcandier interroge l’association du rire et de la violence chez Mérimée et Stendhal. La dédramatisation de l’horreur par le rire donne naissance à l’ironie, espace critique de la réflexion, forme pensive d’un gai savoir. « Le comique, dans son lien avec la violence, écrit Christine Marcandier, est en ce sens autant une libération de soi, de la gangue du monde ou de l’Histoire, qu’un éveil » (p. 109). Mais la force subversive de l’humour noir est autant politique qu’esthétique. Elle s’applique ainsi, et de manière particulièrement sensible, à l’œuvre elle-même : en faisant du texte un lieu paradoxal, l’humour noir en exhibe la littérarité.

Dans la seconde étude consacrée – cette fois en totalité – à Mérimée, François Géal s’intéresse à une scène d’exécution capitale dans la deuxième des Lettres d’Espagne (1831). Après avoir retracé avec précision l’histoire de la pendaison au xixe siècle, il montre que, entre autres raisons, c’est la dimension archaïque de ce châtiment qui l’a fait choisir à Mérimée plutôt que le supplice du garrot, plus prévisible au vu du contexte espagnol. F. Géal met aussi en lumière une esthétique de l’ellipse et de l’inachèvement : l’acte violent lui-même n’est pas donné à voir, c’est le lecteur qui doit l’imaginer.

C’est sur la Chronique du règne de Charles IX que se penche ensuite Thierry Ozwald. Il relie la « névrose individuelle » de Bernard de Mergy à la « psychose collective » que représentent les guerres de religion. Empruntant avec pertinence les analyses proposées par René Girard dans La Violence et le Sacré, il démontre que l’origine de la violence dans le roman de Mérimée réside dans la notion de dualité, dont l’œuvre est tout entière infusée et qui ne peut être évacuée que par le retour à l’unique. La Chronique, conclut-il, ne constitue donc pas la « stylisation

161

fantasmatique d’une période historique à forte potentialité pittoresque », mais la « généalogie et l’anatomie d’une psychose collective » (p. 164).

Autre violence, mais ritualisée : la corrida. C’est l’objet de la contribution de Clarisse Réquéna. Cette étude vaut moins pour ce que l’on y apprend de la poétique mériméenne de la tauromachie que pour la riche et passionnante contextualisation, très informée, que son auteur met en place. Replaçant les scènes de corrida de Mérimée dans l’histoire de la tauromachie, puis les comparant à leurs représentations dans la littérature et les arts de l’époque, elle en évalue la part de vérité et de fantasme, notamment au moyen d’une étude du lexique tauromachique.

Joseph-Marc Bailbé, quant à lui, s’attache aux scènes de sang dans Les Âmes du purgatoire (1834). Elles servent, estime-t-il, à mettre en lumière ce qui distingue le Don Juan de Mérimée des autres déclinaisons du mythe : sa « personnalité fragile » d’individu « passant de l’adhésion spontanée aux propos complaisants de Garcia sur la violence à une inquiétude non avouée » (p. 218).

C’est Carmen (1845) qui retient ensuite Liliane Lascoux. Elle y étudie les liens entre l’Éros et la violence à travers la violence active et passive que l’héroïne déclenche et suscite. Corps, gestes, langage : il y a là toute une scénographie du désir et du désir de mort que l’opéra de Bizet porte ensuite à son comble : « en resserrant le texte », écrit Liliane Lascoux, les librettistes confèrent à la nouvelle de Mérimée « une noblesse tragique » (p. 249).

Outre ces études, on notera deux articles abordant Mérimée indirectement, à travers la question à double sens de la traduction. Merete Gerlach Nielsen analyse d’abord la traduction des textes de Mérimée en danois par Johan Ludvig Heiberg (1791-1860). Elle montre également que la notoriété de Mérimée au Danemark date de son vivant. Elle examine enfin les motifs de la violence et de la mort dans diverses œuvres littéraires danoises du xixe siècle, en particulier dans le drame satirique de Heiberg, Une âme après la mort (1841).

Ce n’est plus Mérimée traduit, mais Mérimée traducteur qui retient l’attention d’Andrey D. Mikhaïlov. Dans son article recueilli sous la rubrique Varia du volume, il analyse la « traduction » de La Dame de pique de Pouchkine (1849) par Mérimée. L’étude de son manuscrit permet de dégager les principes qui ont guidé son travail : la suppression

162

des épigraphes du texte original témoigne notamment du principe d’autonomie de toute traduction.

À ce bel ensemble s’ajoute une note de Clarisse Réquéna sur deux textes qui, à n’en pas douter, intéresseront l’amateur de Mérimée. L’un est la réédition, en 2003, de l’ouvrage de Lorenzo de Bradi, La Vraie Colomba (1921). Le destin de celle qui fut le modèle de l’héroïne corse de Mérimée, Colomba Bartoli, rencontrée par le nouvelliste en 1839, témoigne de la puissance de la légende et du romanesque (ainsi des « proches de Colomba » qui, voulant apporter un témoignage sur elle, « lui prêtent des tirades de la nouvelle » !, p. 317). L’autre publication étudiée est le recueil de nouvelles Variétés de la mort (2001), du jeune romancier et nouvelliste Jérôme Ferrari, qui livre entre autres une réécriture comique de Colomba.

François Kerlouégan
Université Lyon II

163

Thierry Ozwald. Mérimée épistolier, Paris, Eurédit, 2010, 252 p.

« Que l’on estime comme Agustin Filon que c’est peut-être ses lettres qui sauveront Mérimée de l’oubli, ou, comme Henri Moulin, que leur publication a nui à sa mémoire, leur intérêt documentaire ou psychologique demeure incontestable et n’est pas nié par ceux-là même qui se montrent les plus durs pour son caractère et pour son œuvre. » Ces propos de P. Josserand (Prosper Mérimée. Esquisse d’une édition critique de sa correspondance, Armand Colin, p. 3), qui servaient de prélude à la monumentale édition critique de la Correspondance générale de Mérimée réalisée par Maurice Parturier, tentaient de transcender les traditionnels clivages entre adversaires et partisans de Mérimée, entre adversaires et partisans aussi des éditions de correspondances d’écrivains.

Les premières lettres qui nous sont parvenues datent de 1822. Mérimée s’adresse aussitôt à d’illustres aînés, il entretient des relations avec des artistes, des savants. Sa nomination en 1834 comme inspecteur général des Monuments historiques va lui permettre d’établir des liens avec les « antiquaires » de la France entière ; la correspondance retrace l’histoire de la restauration de quelques grands monuments français ; elle témoigne d’une singulière communion de pensée esthétique entre Mérimée et Viollet-le-Duc ; tous deux pensent que l’architecture d’un monument, et notamment l’architecture gothique, dépend bien davantage de l’usage que l’on veut en faire que d’un souci finalement secondaire de l’ornementation.

Mérimée, fait la connaissance en Espagne, en 1830, du comte de Teba, futur comte de Montijo, deviendra un intime de sa famille, entretiendra une correspondance régulière avec la comtesse, et, attiré à la cour par leur fille, l’impératrice Eugénie, il laissera dans ses lettres à la mère une précieuse chronique de la vie de cour aux Tuileries, à Saint-Cloud, à Biarritz. La proximité du pouvoir amène parfois un discours convenu ; Mérimée garde pourtant sa liberté de ton ; il est partisan de l’ordre et réservé face à l’évolution de l’empire libéral ; il se passionne pour les questions diplomatiques qui occupent avec l’art et la politique une place centrale dans ses lettres. Nul n’est plus critique que Mérimée à l’égard du principe des nationalités. La correspondance pratique constamment la parataxe, juxtaposant les hautes préoccupations de l’artiste ou du penseur

164

politique avec les petites choses de la vie quotidienne : une livraison de vin de Porto mais aussi la maladie et ses traitements à l’arsenic.

Cette passionnante correspondance méritait une étude d’ensemble, couvrant aussi bien les questions de politique que d’esthétique, sans négliger la place centrale de l’intime dans ces lettres d’un homme du monde qui est aussi un amoureux, un libertin qui ne recule pas devant la paillardise, un malade qui confie volontiers les maux qui l’accablent. Thierry Ozwald a entrepris de rassembler les articles qu’il a consacrés à la correspondance de Mérimée dans un recueil intitulé Mérimée épistolier. Il souligne à juste titre l’héritage du modèle épistolaire du xviiie siècle dans la pratique de la lettre chez Mérimée ; sans doute aurait-il été intéressant d’opérer rapprochements et oppositions avec l’art épistolaire de quelques contemporains comme Sainte-Beuve ou Stendhal. Ironie, humour, jeux de mots sont étudiés et répertoriés selon les grandes catégories de la rhétorique. Ces analyses intéressantes du style épistolaire ne vont pas toujours sans quelques surinterprétations et nombre d’analyses de détails mériteraient peut-être d’être nuancées. Après une première partie consacrée à l’art de la lettre chez Mérimée, Thierry Ozwald aborde les voyages dans l’Ouest de la France avant d’étudier deux relations privilégiées de l’épistolier : Beyle et Tourguéniev. Ce livre offre nombre d’aperçus souvent stimulants sur le style, l’importance de l’amour et de la maladie, sur les positions politiques et la haine de la violence, à travers le prisme d’études ponctuelles qui constituent le prélude d’un travail plus systématique sur l’ensemble de la correspondance.

Pierre Dufief
Université Paris Ouest Nanterre La Défense