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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Louis Dumur
    2016, n° 3
    . Les Russies de Louis Dumur
  • Auteur : Jacob (François)
  • Pages : 9 à 12
  • Revue : Cahiers Louis Dumur
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406069249
  • ISBN : 978-2-406-06924-9
  • ISSN : 2427-8084
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06924-9.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 15/05/2017
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Avant-propos

Le choix des « Russies de Louis Dumur » comme thème fédérateur de ce troisième des Cahiers Louis Dumur peut surprendre.

Certes, nous sommes sur le point de commémorer le centenaire des deux révolutions russes de 1917. Or si un tel centenaire na plus aujourdhui limportance politique que lui eût assurément attribuée la défunte Union Soviétique, il nen reste pas moins lourd de sens à une époque où lon sinterroge sur certains retours de lhistoire. Mais ne fallait-il pas plutôt réserver toute la place, dans ce numéro, aux trois expositions patrimoniales consacrées à Louis Dumur et présentées successivement à Lausanne dès le 24 janvier 2017 (Archives cantonales vaudoises), à Reims en octobre (Bibliothèque Carnegie) et enfin à Genève en mars 2018 (Archives dÉtat) ?

Quon se rassure : nous navons garde doublier ces trois événements dimportance. Cest ainsi que Gilbert Coutaz, directeur des Archives cantonales vaudoises, présente dans la « chronique » de ce numéro le fil rouge dune exposition dont le titre à lui seul donne le ton : « Paris a enlevé un fils à sa famille. Louis Dumur (1863-1933), homme de lettres dorigine vaudoise et grand témoin de son époque ». Sabine Maffre, conservatrice de la Bibliothèque Carnegie de Reims et Pierre Fluckiger, archiviste dÉtat de la République et Canton de Genève, apporteront dans le numéro suivant les informations nécessaires au suivi des deux expositions rémoise et genevoise.

Or si nos trois expositions sattachent à découvrir des aspects parfois mal connus de la vie et de lœuvre de Louis Dumur (ainsi ses origines et ses relations familiales, aux Archives cantonales vaudoises, son engagement intellectuel et son lien à la ville de Reims, à la bibliothèque Carnegie, ou encore son dialogue avec la presse genevoise, aux Archives dÉtat de Genève), lengagement russe de Louis Dumur mérite également dêtre approfondi. En attendant quune manifestation pétersbourgeoise vienne clore le cycle dexpositions et de conférences ouvert dans le canton de 10Vaud le 24 janvier 2017, il nous a semblé important de faire le point, à lorée dune année riche déchos historiques et mémoriels, sur le lien très particulier de Louis Dumur au monde russe.

Encore faut-il bien sentendre sur le sens de ce terme. Quest-ce au juste que le « monde russe » pour Louis Dumur ? Sagit-il de cette société pétersbourgeoise que Dumur a fréquentée, cinq années durant, lorsquil était précepteur du jeune Martin Warpakhowsky et que dautres que lui ont abondamment décrite1 ? Sagit-il de la société soviétique des premières années daprès la révolution de 1917 telle quelle est par exemple brossée dans deux des romans de la « tétralogie russe » rédigée par Dumur entre 1928 et 19322 ? Sagit-il enfin de cette Russie blanche que Dumur retrouve à Paris, du côté de la rue Daru, et qui apparaît disséminée dans certaines rubriques – trop politisées, selon Alfred Vallette – du Mercure de France ?

Lenjeu est dautant plus important que les questions qui se posent, sagissant dune lecture contemporaine de Louis Dumur, sont encore plus évidentes dès lors quon touche au monde russe. Cest ainsi quAlexandre Sumpf, pourtant excellent connaisseur de lhistoire russe et soviétique, se méprend totalement sur le sens de la tétralogie russe de Dumur, dont il prévient, dentrée de jeu, quelle « réalise lexploit dêtre à la fois antitsariste et antibolchevique, antiasiatique et antisémite » et quelle « épouse très clairement le point de vue de lélite russe francophile en exil3. » Après quelques pages danalyse où la qualité des informations produites tranche singulièrement avec la faiblesse du discours littéraire (ainsi apprend-on que Dumur « ne lésine pas sur les adjectifs et frise avec sa verve la parodie du roman daventures » ou quil se permet, « sous couvert de condamnation morale », une « écriture totalement voyeuriste4 »), la sentence tombe, inexorable : « dans une Suisse tentée par le repli et 11une Europe victime de la crise de 1929, nul doute que [les accusations gratuites auxquelles se livrent Dumur et quelques autres auteurs] plaisent à une partie du public : on écrit pour ceux qui nous lisent5. »

Le messe est dite. Il aurait été pourtant plus intéressant de sinterroger, de manière plus précise, sur lévolution de la pensée et de lécriture de Dumur, en relation avec le monde russe bien sûr, mais également dans une perspective avant tout littéraire : nous avons ainsi déjà avancé, dans les colonnes de ces Cahiers, que le voyeurisme de Dumur na guère dorigine idéologique ou « morale », mais est le produit dune évolution de lécriture dumurienne qui trouve ses racines chez Zola – entre autres – et applique au roman un « principe de réalité » tout à fait intéressant, à défaut dêtre novateur, sur le plan stylistique6.

Il faudrait bien entendu plusieurs numéros comme celui-ci pour venir à bout de la problématique « russe » de Louis Dumur. Du moins avons-nous tenté, en produisant notamment une première édition de La Néva, prélude à lédition critique par Philippe Martin-Horie de lensemble des poésies de Louis Dumur dans un prochain hors-série, de tracer quelques pistes, doffrir, autant que faire se pouvait, quelques orientations de lecture. Le programme de médiation offert par les Archives cantonales vaudoises durant lannée 2017 nous offre par ailleurs loccasion dune table ronde, le mercredi 8 novembre, sur ce sujet, en compagnie de Sophie Cœuré et de Marc Élie.

Lactualité est donc à la relecture des œuvres russes de Dumur en même temps quà un premier pélerinage, du côté des Archives cantonales vaudoises dès janvier 2017 puis à la Bibliothèque Carnegie de Reims, en octobre. On ne peut que se féliciter de cette conjonction des plus heureuses qui veut quà une prise de conscience familiale de la richesse dun fonds darchives corresponde ou réponde une implication aussi massive des deux responsables des institutions patrimoniales concernées par le fonds Louis Dumur.

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Il nous faut donc remercier – et nous le faisons de la manière la plus chaleureuse – Sabine Maffre, conservatrice de la Bibliothèque Carnegie de Reims, Gilbert Coutaz, directeur des Archives cantonales vaudoises, et Cédric Dumur qui, fidèle à lesprit impulsé par Maurice et Gustave, respectivement frère et filleul de Louis Dumur, a permis que fussent sauvergardées et offertes au public les traces de la genèse dune œuvre dont il est grand temps – et nous nous y emploierons, comme bien lon pense – de relever limportance.

François Jacob

1 On lira en particulier avec un grand intérêt les Souvenirs de R. Aloys Mooser édités chez Georg il y a une vingtaine dannées et pourvus dune éclairante préface de Jean-Jacques Langendorf (R. Aloys Mooser, Souvenirs. Saint-Pétersbourg 1896-1909, préface de Jean-Jacques Langendorf, Genève, éditions Georg, 1994).

2 On consultera à ce sujet larticle très suggestif de Martina Stemberger, « Des orgies de Raspoutine aux ravages des “loups rouges” : la mise en fiction de lhistoire dans la tétralogie des “romans russes” de Louis Dumur », Cahiers Louis Dumur 1, éditions Classiques Garnier, 2014, p. 59-86.

3 Alexandre Sumpf, Raspoutine, Paris, éditions Perrin, 2016, p. 237. Nous remercions Mme Françoise Dubosson davoir attiré notre attention sur louvrage dAlexandre Sumpf.

4 Ibid., p. 240.

5 Ibid., p. 244.

6 La lecture de la biographie de Raspoutine dAlexandre Sumpf réserve dautres surprises : on y apprend ainsi quHarry Baur a compulsé le Raspoutine et les femmes de Dumur (p. 267) ou, pour rester dans le cinéma, que Georges Combret sintéresse aux « orgies khlyst » de Dumur (p. 282). Mais précisons-le : le livre de M. Sumpf, en dépit de ces quelques imprécisions, est tout à fait passionnant et a le mérite de faire le point, de manière quasi exhaustive, sur la construction du « mythe » Raspoutine. Nous y reviendrons de manière plus détaillée dans les éditions critiques des quatre romans « russes » de Dumur, en cours décriture et destinés à former quatre numéros hors-série des Cahiers Louis Dumur.