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Classiques Garnier

The Songs of Maldoror

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Lautréamont
    2023, n° 5
    . varia
  • Auteur : Dickow (Alexander)
  • Résumé : Compte rendu de la traduction anglaise par R. J. Dent des Chants de Maldoror.
  • Pages : 307 à 310
  • Revue : Cahiers Lautréamont
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406159957
  • ISBN : 978-2-406-15995-7
  • ISSN : 2607-754X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15995-7.p.0307
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/11/2023
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Lautréamont, Maldoror, traduction, compte rendu, R. J. Dent
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The Songs of Maldoror

Le Comte de Lautréamont, The Songs of Maldoror, traduit par R. J. Dent, Londres, Infinity Land Press, 2022, 286 p.

Le romancier R. J. Dent a traduit des auteurs aussi illustres que Baudelaire, le Marquis de Sade, Georges Bataille et Alfred Jarry : le comte de Lautréamont semble bien chez lui parmi cet assortiment de noms. Cette traduction nest pas, en vérité, tout à fait nouvelle : Dent lavait déjà publiée chez University of Chicago Press en 2011. Cette version est remaniée et revue. Cette fois, au lieu dillustrations de Salvador Dali, cest Karolina Urbaniak qui illustre ces Songs avec bonheur ; on y trouve des viscères, un cadavre de poulpe, et toute sorte dobjets rappelant la violence et latmosphère délétère de Maldoror. Une nouvelle préface par Audrey Szasz, écrivaine basée à Londres, et une postface par Jeremy Reed, qui a déjà collaboré avec lillustratrice Urbaniak sur dautres livres, accompagnent cette nouvelle édition revue. La préface de Szasz est une évocation fugace qui ne présente Lautréamont que comme une vague figure sulfureuse liée aux avant-gardes du vingtième siècle (Szasz ignore les tendances actuelles de la critique sur Lautréamont). De son côté, Reed, dans la postface, se charge de présenter Isidore Ducasse aux lecteurs anglophones, avec un abondant recours aux mythes, comme celui de Lautréamont joueur de piano nocturne (dont il précise la source chez Genonceaux, et le statut plus ou moins mythologique). Reed va jusquà théoriser que Ducasse ait pu être assassiné en raison de son homosexualité : il ne cache pas quil sagit dune spéculation (275 passim). La postface de Reed propose une introduction solide à lœuvre pour un lectorat anglophone, en dépit de telles spéculations.

Le but avéré de Dent dans cette traduction était de « mener [Lautréamont] jusquau xxie siècle1 ». Autrement dit, il sagit de se 308servir, en traduisant, dune langue résolument actuelle. Dans une discussion récente de son processus, Dent évoque la traduction du passage célèbre de la première strophe où Lautréamont prévient le lecteur du danger que représente le texte. Dent critique la traduction de 1943 par Guy Wernham en ces termes : « La phrase “set your feet the other way” était probablement de la syntaxe admissible en 1943, mais elle sonne comme de larchaïsme cliché au vingt-et-unième siècle2 ». Pour « Dirige tes talons en arrière et non en avant », Dent choisit, lui, de traduire de manière très idiomatique : « Listen to what I say : stop, turn around, go no further » (21). Pour Dent, la manière de traduire ce passage peut servir d« aune de la traduction » ; aussi faut-il comprendre quil vise à éviter « larchaïsme » en particulier.

En général, ce parti-pris traductologique, contre un historicisme excessif qui se ferait lémule de la langue de lépoque, est de bon aloi, et la lecture de la traduction de Dent se déroule sans heurt, puisquelle rend le texte contemporain à nos yeux et nous parle avec notre langage daujourdhui. Cependant, la contrepartie de cette approche, son côté obscur pour ainsi dire, est le risque de la normalisation, de laplatissement des étrangetés de la langue. On peut déjà sinquiéter que la lourdeur apparemment volontaire de la tournure « dirige tes talons » disparaisse de la traduction de Dent. Mais attardons-nous à quelques passages plus troublants. Dans la strophe deux, la clausule abrupte des « rouges émanations » disparaît, apparemment en raison dune mauvaise lecture du passage ; les « red emanations » ne sont plus du tout lobjet direct du verbe « renifleras », car Dent découpe le passage en plusieurs phrases distinctes au lieu de garder lintégrité de cette longue phrase biscornue (23). Dans la strophe 2 du quatrième chant, voici comment Dent traduit le « ne… que » du début du deuxième alinéa : « Thus it is that what our minds inclination for farce takes for a miserable witticism is generally, in the authors own mind, an important truth, majestically proclaimed » (151). Le « nothing but an important truth », ou « merely an important truth » est malheureusement supprimé, rendant une phrase dune grande bizarrerie bien plus ordinaire dans la version anglaise.

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Aussi lactualisation de la langue a-t-elle deux effets densemble. Dans des passages où lon sattend à un langage élevé, comme lode au « vieil océan », le style un peu oralisé de Dent accentue le désaccord entre le fond (plutôt élevé) et la forme (un peu familière) ; on remarque davantage les moments de trivialité délibérée dans lexpression de Lautréamont. Là où le style est volontairement guindé ou artificiel, en revanche, comme au quatrième et au sixième chants, le problème de la normalisation intervient davantage ; loutrance stylistique est parfois légèrement émoussée, menant, dans les cas limites, aux travers indiqués plus haut à propos des « rouges émanations », par exemple. Aussi les variations stylistiques de Lautréamont desservent une stratégie densemble de la part du traducteur ; cette stratégie savère particulièrement bien adaptée dans certains endroits, un peu moins dans certains autres.

La traduction dun monument tel que les Chants de Maldoror représente un acte dune ambition certaine, et qui mérite en ce cas léloge ; malgré les modestes défauts que lon peut observer, la traduction de Dent est partout lisible avec profit, et à certains endroits dune grande réussite – jai mentionné lode au vieil océan, par exemple, où les choix de tonalité donnent au texte une belle fraîcheur. Dent a consulté les autres traductions en travaillant, ce qui ajoute une valeur supplémentaire à cette traduction qui se veut distincte des autres. À la lumière des remarques précédentes, on aura compris que cette traduction ne pourra probablement pas passer pour définitive, mais quelle apporte une pièce admirable au dossier des Chants en anglais : on ne doutera pas que lœuvre de Dent, dans son bel écrin éditorial, séduira bien de nouveaux lecteurs anglophones. Quils se méfient du poison dont ces pages sont imprégnées !

Alexander Dickow

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Ouvrages cités

Hart, Gabriel, 2022, « Translator R. J. Dent : “You dont find Maldoror. It finds you.” », Lit Reactor, 25 octobre 2022. URL : https://litreactor.com/interviews/interview-with-songs-of-maldoror-translator-rj-dent [consulté le 3 juillet 2023].

Lautréamont, 2022, The Songs of Maldoror, traduit par R. J. Dent, Londres Infinity Land Press, 286 p.

Rothacker, Jordan A., 2021, The Celestial Bandit : Tribute to Isidore Ducasse, the Comte de Lautréamont, Hamilton New York Kernpunkt Press.

1 Gabriel Hart, « Translator R. J. Dent : “You dont find Maldoror. It finds you.” », Lit Reactor, 25 octobre 2022. URL : https://litreactor.com/interviews/interview-with-songs-of-maldoror-translator-rj-dent [consulté le 3 juillet 2023]. Je traduis.

2 Jordan A. Rothacker, dir., The Celestial Bandit : Tribute to Isidore Ducasse, the Comte de Lautréamont, Hamilton, New York, Kernpunkt Press, 2021, p. 23.