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Classiques Garnier

Panopticon Maldoror

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers Lautréamont
    2023, n° 5
    . varia
  • Author: Saliou (Kevin)
  • Abstract: This article looks at a strange work that appeared in Italy, inspired by pataphysics, and conceived as a comic drama or dramatic comedy bringing Maldoror to the stage.
  • Pages: 317 to 320
  • Journal: Lautréamont Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406159957
  • ISBN: 978-2-406-15995-7
  • ISSN: 2607-754X
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15995-7.p.0317
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 11-22-2023
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
  • Keyword: Lautréamont, Duccio Scheggi, Maldoror, theatre, review, pataphysics
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Panopticon Maldoror

Duccio Scheggi, Panopticon Maldoror, Bergame, Edizioni Collage de Pataphysique, 2019, 63 p.

Un panopticon est un type de construction pénitentiaire imaginé par Jeremy Bentham au xviiie siècle, qui repose sur un système de surveillance permettant à un seul garde de surveiller lensemble des prisonniers sans que ceux-ci ne sachent sils sont ou non surveillés. Le terme vient du grec et signifie « celui qui peut tout voir ». Panopticon Maldoror est aussi le titre dun « drame comique » ou dune « comédie dramatique », écrit par Duccio Scheggi et publié en 2019 par Tania Sofia Lorandi, membre du collège de pataphysique dItalie, qui la communiqué à Bertrand Combaldieu.

Lœuvre, nous dit Antonio Castronuovo dans la préface, est un dispositif littéraire né dune lecture de lœuvre dIsidore Ducasse et dune réflexion inspirée par la philosophie de Michel Foucault, en particulier par ses réflexions sur le système carcéral dans Surveiller et punir : le comte rejaillit soudain dans un nouveau contexte, pour produire, selon le vœu de lauteur, « une sorte de Chant VII de Maldoror », celui que naurait pas écrit Lautréamont mais qui en reprend la cruauté morale. Le texte est présenté comme une satire qui met laccent sur le drame œdipien qui se joue dans Maldoror : la rébellion et le meurtre du père, incarné par le Créateur, « afin de retourner dans le ventre maternel ». Panopticon Maldoror vient ainsi sinscrire comme le dernier volet dune trilogie œdipienne. La préface dAntonio Castronuovo contient quelques approximations : il écrit, par exemple, que la tombe dIsidore Ducasse a été détruite par un obus prussien pendant la guerre de 1870.

La pièce est constituée dun acte unique qui met en scène Maldoror, représenté comme un demi-dieu aveugle, à moitié-nu, les lèvres coupées pour former un sourire diabolique sur son visage, sale et enraciné dans 318le sol, une végétation grimpante ayant peu à peu colonisé la partie basse de son corps jusquà faire de lui « un immonde végétal ». Les deux autres personnages sont des spéléologues en tenue, avec lampes frontales, comparés à des amphibiens militaires et portant des brassards gris avec un œil dessiné dessus. La spéléologue sappelle Laura Damian. La scène représente la caverne de Maldoror, qui se trouve au centre. La scénographie fait aussi appel à des supports vidéos qui font apparaître en fond de scène des symboles pataphysiques ou ésotériques.

Lors dune exploration souterraine, deux spéléologues pénètrent dans une caverne au fond de laquelle repose, immobile et silencieux, Maldoror. Quand il prend enfin la parole, Maldoror fait entendre à voix haute ses méditations : « Je me suis toujours demandé quelle était la chose la plus facile à mesurer : la profondeur de locéan, ou la profondeur du cœur humain. » Le personnage, monstrueux et impressionnant, sexprimera sur un ton le plus souvent solennel, par un recours à des citations directement tirées des Chants. On assiste dabord au dialogue entre Maldoror, tiré de sa torpeur, et lun des spéléologues, mandaté, au nom de la loi, pour explorer les fondements de ces lieux et voir si on peut y bâtir un panopticon. Lhomme, dun pragmatisme total, prend dabord Maldoror pour un malade mental et va tenter de le déloger de son antre, avant de réaliser que sa nature pourrait bien être plus quhumaine. Commence alors une discussion métaphysique au cours de laquelle Maldoror fera parler sa mère en prenant possession du corps de Laura Damian, lautre spéléologue, et exposera ses griefs contre le Créateur et contre lhomme. Peu à peu, Laura Damian va voir en Maldoror le parfait gardien pour le complexe carcéral quils sapprêtent à construire.

La parole est centrale dans la pièce. La langue scientifique du spéléologue se heurte à celle, lyrique, de Maldoror. Par le procédé de la possession, lauteur donne à entendre de larges citations du texte de Lautréamont. Dans sa postface, Duccio Scheggi explique avoir cherché à faire, non pas une adaptation, mais bien une transposition de lœuvre dans un contexte interprétatif totalement différent. Il cite, parmi ses inspirations, les illustrations de Dali daprès sa méthode paranoïaque-critique, et lexpression de Louis Aragon, qui avait voulu voir en Maldoror un « cinéma cérébral ». Sur scène, les trois personnages font saffronter la raison et lémotion, la justice et la folie, les Lumières et le Romantisme, et puisque Scheggi se représente Lautréamont en dandy adolescent, il 319fait de Maldoror un adolescent rebelle qui défie la mort et soppose au pouvoir des institutions humaines par lanarchisme existentiel. Dans la seconde partie de cette postface, lauteur explicite les liens de sa trilogie et éclaire quelques concepts à la lumière de la pensée et de lœuvre dAlfred Jarry. Ces considérations sont intéressantes sur le plan pataphysique, mais napportent rien à notre connaissance dIsidore Ducasse : les parallèles esquissés entre Faustroll, Ubu et Maldoror pourront néanmoins plaire aux pataphysiciens transalpins, à condition de suivre Ducchio Scheggi dans ses réflexions où se mêlent herméneutique et alchimie.

Le livre sachève sur un album iconographique, qui présente des xylographies de Samantha Vichi et des photographies du spectacle monté par la compagnie Cadaveri Squisiti en 2015, qui permettent de voir le travail remarquable accompli sur le plan visuel, et en particulier le travail de lumière, de masques et de vidéo. Cet aspect, plus difficile à comprendre à la seule lecture du livre, se devine cependant dans les didascalies et les intermèdes entre chaque scène, qui visent à constituer de véritables tableaux autour de la figure de Maldoror.

Kevin Saliou

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OUVRAGES CITÉS

Scheggi, Duccio, 2019, Panopticon Maldoror, Bergame Edizioni Collage de Pataphysique.