Éditorial

Au moment où, en ce mois de novembre 2022, le lecteur lira ces lignes, le colloque Lautréamont à la Bibliothèque nationale de France aura, espérons-le, enfin lieu. Initialement prévu en 2020 à l’occasion du cent-cinquantenaire de la mort d’Isidore Ducasse et de la parution des Poésies, il aura successivement été annulé, reprogrammé, et finalement repensé. Il ne s’agit plus d’un événement consacré aux Poésies, puisque la date d’anniversaire ne fait plus sens, mais d’une manifestation plus ouverte destinée, espérons-le, à relancer les mondanités ducassiennes et les temps de réflexion ducassologiques. Si les pandémies veulent bien nous laisser en paix.

Mais à défaut de manifestations publiques, la ducassologie des alcôves se porte bien ! Dans l’ombre, elle officie et fait avancer la Science, à petits pas. Ce numéro le prouvera encore : deux articles lèvent un peu le voile sur l’un des derniers dédicataires inconnus, le fameux Joseph Bleumstein, un autre poursuit les investigations sur les biens légués par Genonceaux à sa mort, d’autres travaux encore creusent le champ biographique afin de mieux connaître ceux que Ducasse a connus. Et comme toujours, l’Amérique du Sud n’échappe pas aux investigations : on trouvera notamment dans ce numéro un compte rendu d’ouvrage qui nous permet de nous représenter un peu plus le monde des libraires-imprimeurs de Montevideo à l’époque où vivaient le Chancelier et son fils.

Du côté de l’herméneutique, nous accueillons dans nos pages une nouvelle doctorante, Gabrielle Veillet, qui nous donne un avant-goût de ses recherches, consacrées au rire de Ducasse. Siméon Lerouge s’intéresse à un vulgarisateur scientifique contemporain d’Isidore Ducasse, Auguste Laugel, qu’il présente non comme une source mais comme un indicateur des discours de l’époque sur des sujets qui passionnaient le poète. Un article est également consacré à l’influence de la philosophie néo-kantienne sur les Poésies. Enfin, Mathilde Ollivier se saisit d’un appareil méthodologique plus linguistique pour étudier la force de la parole 12chez Ducasse. On retiendra enfin la très prometteuse étude d’Alexander Dickow sur l’esthétique camp d’Isidore Ducasse, qui ouvre une piste très intéressante pour comprendre le style outrancier et la posture provocatrice de l’auteur de Maldoror.

Enfin, comme à chaque numéro, quelques articles sont consacrés à la réception de l’œuvre de Ducasse dans l’Italie, dans l’œuvre littéraire du cinéaste surréaliste Luis Buñuel ou, de manière plus étonnante, dans la bouche d’une des figures les plus célèbres du Parti communiste français d’après-guerre. Plusieurs comptes rendus de lecture viennent confirmer la présence encore vive de Lautréamont dans l’esprit des écrivains contemporains. Les « Gloses et glanes » qui viennent refermer ce numéro témoignent de l’intense survivance de Ducasse dans la culture aujourd’hui : il aura fait cette année l’objet de plusieurs adaptations, notamment en bande dessinée, aura inspiré également un roman de littérature jeunesse et même un projet de film controversé qui laisse plus que perplexes les amateurs de l’œuvre. Ou, comme le disait plus succinctement Julien Gracq, « Lautréamont toujours ! »

Kevin Saliou