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Classiques Garnier

Gloses et glanes

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Lautréamont
    2021, n° 3
    . varia
  • Pages : 355 à 371
  • Revue : Cahiers Lautréamont
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406121213
  • ISBN : 978-2-406-12121-3
  • ISSN : 2607-754X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12121-3.p.0355
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/08/2021
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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Gloses et glanes

Une épigraphe de Lautréamont dans un roman policier des années 1950 – Il est surprenant quun roman policier des années cinquante, paru dans une collection populaire, arbore en épigraphe à lun de ses chapitres cette citation : « Rien nest si bon que son sang, extrait comme je viens de le dire, et tout chaud encore, si ce ne sont ses larmes, amères comme le sel. / (Comte de Lautreamont) ». On peut la trouver à la page 108 du roman de Jypé Carraud, Le Squelette cuit, paru dans la collection « La Cagoule », à Paris, aux Éditions La Bruyère, en 1950. La couverture du livre montre le squelette dun poisson dans une assiette, près dune tranche de citron, ayant pour tête une tête de mort humaine : un vrai collage surréaliste. Le slogan publicitaire inscrit en dessous assure au lecteur : « Vous le dévorerez ». Le thème en est une secte gastronomique, le « Club des Anthropophages », dont quelques membres passent à lacte. Le style de ce roman de détection est remarquable par sa fantaisie galopante, par les noms étranges des protagonistes, par la variété des niveaux de styles, dont largot, et par les dispositions typographiques des discours rapportés. Lauteur accroche une épigraphe en haut de chaque chapitre : un quatrain de lui-même en premier, des vers de Maurice Rollinat sur « Mademoiselle Squelette », un passage de lEnfer de Dante, de nouveau du Rollinat, un extrait dHérodote dHalicarnasse sur des mœurs cannibales, deux quatrains dAndré Salmon, un fragment dune recette de W.-B. Seabrook, « Recette du Rôti dHomme en Brochette », des lignes de la « Science de Gueule » de François Peyrey, une opinion de Grimod de la Reynière (« On mangerai son père à cette sauce-là », la citation du Chant I, 6, puis un proverbe anglais, lAmiral Dumont dUrville, Shakespeare (la livre de chair de Shylock), les Gaietés et curiosités gastronomiques de Curnonsky et Gaston Derys, un verset du prophète Jérémie, Cesare Lombroso (deux fois), et la locution populaire « Manger de baisers ». Le livre lui-même est placé sous la protection de citations de Baudelaire, sur le squelette, de Montaigne, sur les cannibales, et dAlfred 356Jarry (« Il y a, comme on sait, deux façons de faire de lanthropophagie : manger des êtres humains ou être mangé par eux »). Le chapitre où les membres du club dissertent sur lanthropophagie évoque des textes variés : la chanson de Saint Nicolas daprès Nerval, un peuple imaginaire de Cyrano de Bergerac, logre de Perrault, le Swift de la Modeste Proposition, le Voltaire de Candide, et des poètes contemporains comme Yvan Goll, André Salmon et Max Jacob, enfin Hugo et Georges Fourest. Lauteur, Jean-Pierre Carraud (1921-1999), qui avait passé une licence de lettres, a exercé comme avocat et a fini président du tribunal de Bourges. Il avait commencé sa carrière parallèle décrivain par un recueil de poèmes : La Ronde des criminologues, poèmes hargneux (Librairie Mercure, mais pas de France, 1945). Ses romans policiers Le Juge du cabinet 50 (1948) et LÉcuyère de Daumier (1948) ont paru chez Albin Michel. Les cinq plages de Stanislas Perceneige (1949) et Une grenouille dans le pudding (1950) ont été publiés dans la même collection « La Cagoule », et Les Barbus de Saint-Luc (1950) chez Baudinière. Son héros Stanislas Perceneige est un juge dinstruction devenu détective privé. Un roman écrit dans les années 50, Tim-Tim-Bois-sec, ne sera publié quen 1996 par Payot-Rivages, ainsi que Les poulets du « Cristobal » (1998). Les éditions Rivages republieront aussi Le Squelette cuit en 1997. On comprend mieux ainsi le contexte cannibalique de la citation vampirique de Lautréamont, et son emploi par un représentant lettré du monde judiciaire de lépoque. (Alain Chevrier)

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« Parvenu à la fin de mes études secondaires, jignorais superbement Corneille et Racine, mais je me récitais en secret Lautréamont et Rimbaud. » Michel Tournier, Le Roi des Aulnes.

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Corti réédite Nœuds de vie de Julien Gracq et on peut lire p. 116-117 :

Il y a dans Lautréamont un génie de grand rhétoriqueur, et aussi, – pourquoi le nier ? – un génie délève de rhétorique, qui traîne encore collés à lui pêle-mêle des périodes du Conciones, des tirades de Hugo, et des souvenirs de romans noirs à faire très peur, prêtés en cachette par les externes. Lâge de lécriture de Maldoror représente sans doute à peu près lâge où Rimbaud abandonne les poèmes hugoliens pour passer au Bateau Ivre.

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Gracq se livre à une comparaison des deux poètes pour leur force poétique qui « ruisselle comme les eaux sauvages ». Il conclut :

Je reste sceptique devant le « Lautréamont, de beaucoup le plus pur » de Breton : il y a infiniment plus de littérature dans Maldoror – là encore, pourquoi nier ce qui crève les yeux ? – que dans les Vers nouveaux et chansons ou la Saison en Enfer. Mais quoi ! le génie ici débutait vraiment : comment lui comparer le Rimbaud de la Saison, qui clôt déjà derrière lui tout un bref et fulgurant cycle littéraire ?

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Passé en vente chez Christies le 2 mars 2021, la collection Lucien & Edmonde Treillard. Dans le catalogue intitulé Man ray et les surréalistes, lot 159 : « Man Ray, Beau comme la rencontre fortuite sur une table dissection dune machine à coudre et dun parapluie, 1933, tirage argentique par contact image/feuille, 8,1 x 11,7 cm. Prix estimé : 6000-8000€ ».

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Les Détectives sauvages est un roman de Roberto Bolaño publié en 1998. Il recrée, en les mythifiant, la résistance et linvention de nouvelles conduites dans le Mexique des années 1970 et 1980. La bande des réalviscéralistes largement mise en scène fait référence aux infraréalistes des années 1970, groupe en partie fondé par le jeune Roberto Bolaño, et la fiction lui permet de faire revivre un temps ces jeunes gens dont il ne reste rien, et de rendre un hommage à ses amis morts ou dispersés aux quatre coins de lAmérique du Sud. « Toute lAmérique latine, écrit lauteur, est parsemée des ossements de ces jeunes gens oubliés. » Le roman devient ainsi une lettre damour et dadieu, un chant élégiaque pour les défunts des luttes et des guérillas que Bolaño aime à nommer « les guerres fleuries dAmérique latine ». Les Détectives sauvages sont ainsi une autobiographie mythique et collective, écrite de biais, de la génération des jeunes écrivains vagabonds et rebelles qui tentèrent de vivre une aventure semblable à celle des Beatniks sur leur continent dorigine. Isidore Ducasse, ou plutôt Lautréamont, apparaît en toute lettres dans le texte, il est lune des influences poétiques de ces jeunes poètes bohèmes, qui rejettent avec véhémence Neruda, le héros de la génération précédente. Dans un bar, le narrateur rapporte en effet :

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Ils ont parlé de Cesárea Tinajero, ou Tinaja, je ne men souviens pas. Je crois quà ce moment-là, jétais en train dessayer de commander à pleins poumons quelques bouteilles de bière au serveur, tandis quils parlaient entre eux des Poésies du Comte de Lautréamont, de quelque chose dans les Poésies en rapport avec cette Tinajero, et ensuite Lima a fait une assertion mystérieuse. Daprès lui, les réalviscéralistes actuels se déplaçaient à reculons. Comment ça, à reculons ? ai-je demandé. – En reculant, en fixant un point mais en nous en éloignant, en ligne droite vers linconnu.

Lemploi du nom de Lautréamont plutôt que celui dIsidore Ducasse semble indiquer que Bolaño connaît surtout le poète à travers la réception quen ont fait les surréalistes, ce qui nest guère étonnant puisque son groupe entend se situer parmi les avant-gardes. Il serait intéressant de se pencher sur la réception de Lautréamont chez ces avant-gardes sud-américaines des années 1970, et plus spécifiquement sur linfluence quelle put avoir sur la production du jeune Roberto Bolaño. (Signalé par Clémence Gillet. Merci à Yann Henry pour sa contribution)

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Broadway, roman humoristique de Fabrice Caro, évoque de manière parodique lauteur des Chants de Maldoror :

Notre groupe sappelait Nevrotic, et rien à lépoque ne laissait présager que ce nom, en ce qui me concerne du moins, serait prémonitoire. Nous évoluions dans un univers mêlé de romantisme noir, de poésie décorchés vifs et dostensible mal-être, Rimbaud, Lautréamont, Artaud étaient notre oxygène, la souffrance notre nourriture, nous étions fous, nous étions libres, le vent des infinis possibles soufflait sur nos cheveux épais, et tout de nous criait : Lavenir ? Ah ah ah. Peu après, le vent ne tarderait pas à tomber en même temps que nos cheveux épais.

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Dans le Télérama du 23 décembre 2020, le roman Hemlock de Gabrielle Wittkop est comparé à une épopée romanesque furieuse digne de Lautréamont, « un de ses auteurs de chevet ».

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Le Magasin du xixe siècle no 10, consacré aux réseaux, contient un intéressant dossier, dans ses dernières pages, sur lomnibus Madeleine-Bastille et son histoire. Il est signé Jean-Didier Wagneur.

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Les deux Livres des masques de Rémy de Gourmont mont fait connaître les poètes symbolistes que je naurais jamais lus sans lui. À douze, treize ans, jachetai chez une vieille libraire de Montpellier, chaque fois surprise et souriante, des volumes de Francis Vielé-Griffin, de Saint-Pol-Roux, de Max Elskamp… Jy ajoutai la fascinante anthologie de Van Bever et Paul Léautaud. Et grâce à la bibliothèque de mon professeur de piano, je lisais, dans lédition originale, Les Chants de Maldoror (jen possède toujours lexemplaire !), Les Serres chaudes de Maeterlinck dont les poèmes me fascinaient comme ils devaient un jour fasciner André Breton qui ne les a jamais reniés. 

(Georges Auric, Quand jétais là…, Paris, Grasset, 1979, p. 15)

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Claude Bonnefoy, entretien avec Georges Perec à propos de La Vie, mode demploi, dans Les Nouvelles littéraires du 6-12 octobre 1978 : « Son écriture réinvente la vie, et son mode demploi est beau comme la rencontre de Balzac et de Ricardou sur la machine de Locus Solus. »

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Le blog du Bibliophile languedocien relève la présence dÉvariste Carrance dans la revue conservatrice et anti-décadentisme de Montpellier, La Rénovation littéraire, pour les numéros de mars et avril 1893. Plus dinformations sur le blog disponible à lURL : https://bibliophilelanguedocien.blogspot.com/2012/04/ [consulté le 2 mars 2021].

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Sur le site de lécrivain brésilien Ruy Camara, auteur dune fiction inspirée par la vie dIsidore Ducasse, on peut trouver encore une nouvelle photographie du poète au milieu de ses condisciples ! Ce document, inconnu de tous mais apparemment indubitable, ne manquera pas dintéresser les ducassiens en tout genre. URL : https://ruycamara.com.360br/wp-content/uploads/2016/03/1-Retrato-Verdadeiro-de-Isidore-Ducasse-1-768x615.jpg [consulté le 2 mars 2021].

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Sappuyant sur une liste que David Bowie lui-même avait rendue publique, John OConnel a publié louvrage Bowie. Les livres qui ont changé sa vie. Le 26e de la liste nest autre que Les Chants de Maldoror. Le chanteur anglais, fin lettré, na pas justifié ses choix dans la liste mais pour OConnel, cest parce que Lautréamont est lancêtre du surréalisme, dont on sait linfluence sur lécriture des textes de Bowie, qui pratiquait également le cut-up à la Burroughs, notamment dans Watch That Man ou The Width of a Circle. OConnel ajoute que Bowie dut être fasciné, terrifié et envoûté par les images « vomitives » et hallucinées des Chants, en particulier dans sa période de psychose sous psychotropes. Le critique synthétise ensuite un portrait de Maldoror en « mi-démon, mi-extraterrestre », rappelant quil vit dans une grotte, est protéiforme, doté un œil unique au milieu de son front vert et velu. Il ajoute enfin que les meurtres ritualisés de Maldoror furent peut-être une inspiration pour le concept album 1. Outside en 1996. On notera quen dandy cultivé et francophile, Bowie avait privilégié dans sa liste Ducasse à Baudelaire.

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Dans Impressions et paysages, Federico Garcia Lorca raconte son voyage au Monastère de Silos. La description du couvent, situé au cœur de la Castille, se fait par une nuit de pleine lune. Resté dormir dans une cellule, le poète entend les chiens au dehors commencer à aboyer : « Leurs cris, dans le silence, avaient quelque chose de prophétique. Ils protestaient douloureusement, peut-être contre leur forme et contre leur destin. » Plus dune page est consacrée à lexamen de ce hurlement douloureux, comparé à un sanglot humain chargé de peur, expression dun déchirement intérieur et « qui fait se hérisser les cheveux » de celui qui lentend. Lorca y perçoit les pressentiments dune angoisse dissimulée : « cest la Mort inévitable qui flotte dans lespace à la recherche de ses victimes, cest la Mort, cette pensée qui nous obsède dans le diabolique sortilège du hurlement ». Le poète termine par une mention explicite : « Il y a dans mon âme une peur intense. Je sens sagiter en moi cette affirmation 361sur le hurlement des chiens quécrivit le fol et fantastique comte de Lautréamont. »

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Le sculpteur Ossip Zadkine (Smolensk, 1890 – Paris, 1967) réalisa en 1938 un Projet de monument à Lautréamont, dune hauteur de 69 cm, que lon peut voir aujourdhui au Musée Zadkine de Paris.

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Catalogue de la Librairie Fourcade, Salon International du Livre rare (17-20 septembre 2020) :

ŠTYRSKÝ (Jindrich). LAUTRÉAMONT (Isidore Ducasse, Comte de). Maldoror (Les Chants de Maldoror). Prague, Odeon, 1929, in-8, couverture noire ornée dune étiquette orange, broché. Sous chemise étui assorti de lAtelier Devauchelle. 8000 € Première édition tchèque éditée par Philippe Soupault et traduit par Jindrich Horejsi et Karel Teige (qui a également composé la typographie). La censure tchécoslovaque sanctionna certains passages des Chants de Maldoror ce qui détermina une intervention du Grand Jeu publiée dans le no 8 de la revue Red. 12 lithographies originales à pleine page de ŠTYRSKÝ tirées en bleu, marron et noir. Tirage à 300 exemplaires, celui-ci 1/25 du tirage de tête num. sur Hollande comprenant les 12 lithographies coloriées à la main et signées par Štyrský.

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Passé en vente sur eBay et repéré par Bertrand Combaldieu, un exemplaire du Problème du Mal dErnest Naville, tirage spécial à lusage des souscripteurs daté de 1868. Le volume est dédicacé au comte Amédée Greyfié, magistrat savoyard et homme politique. Ce nétait donc pas le bon comte, ou plutôt, le comte nest pas bon !

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En décembre 2020 est passé en vente sur Interenchères un carnet de notes de Joe Bousquet qui contenait notamment, daprès la description, des réflexions inspirées par la lecture des Chants de Maldoror. Le carnet était situé particulièrement tôt dans la carrière du poète. Aucun 362membre de lAAPPFID na malheureusement pu prendre connaissance du contenu exact de ce cahier.

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Passé en vente chez Drouot, un exemplaire de lédition 1874 qui aurait appartenu à Paul Éluard, portant son ex-libris « Après moi le sommeil » dessiné par Max Ernst.

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La vente Drouot du 9 octobre 2020 consacrée à la Bibliothèque Geneviève et Jean-Paul Kahn comprenait un exemplaire des Chants de Maldoror, édition Skira de 1934 avec eaux-fortes originales de Dali. Le volume est décrit comme un « petit et fort in-folio maroquin noir, dos lisse, plats ornés dun décor à froid et mosaïqué de pièces de maroquin blanc et gris et de daim noir, doublures et gardes de maroquin noir, tranches dorées sur témoins, couverture et dos conservés, chemise et étui ». Le tirage annoncé était de 210 exemplaires, mais il fut réduit de moitié faute de succès et jamais complété. Lexemplaire passé en vente était le no 21 sur 40 exemplaires de tête, signé par le peintre et enrichi de six grands dessins originaux au crayon sur trois feuillets recto-verso montés en tête. La reliure décorée est de Paul Bonnet. Le lot a été estimé à 50000-60000 €…

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Au cours de la même vente, le lot 43 a également retenu lattention des ducassiens. Il sagit de 8 feuillets manuscrits in-8, sans lieu ni date (mais vraisemblablement rédigés à Paris vers 1925), contenant un exemplaire du jeu surréaliste de la notation scolaire. Dans ce jeu, des écrivains, peintres et artistes divers sont notés de -20 à 20 par plusieurs membres du groupe. Dans cette version, 210 personnalités sont jugées par Louis Aragon, André Breton, Robert Desnos, Simone Kahn, Max Morise, Paul Éluard et Benjamin Péret. La notice précise que « le jeu favori des Surréalistes vire au jeu de massacre pour nombre des personnalités proposées, non sans surprise parfois, tel Philippe Soupault qui se voit gratifié dun -20 par Aragon quand Péret lui accorde 18 []. 363Parmi ceux qui sont laminés, on relève sans surprise Jésus-Christ (sauvé par le 18 de Simone Kahn ou le 1 dÉluard), André Salmon (unanimité de -20), Mussolini ou Anatole France. » Plusieurs de ces listes sont de la main dAndré Breton. Les notes dIsidore Ducasse vont de 15 à 20, mais seul Breton lui a octroyé la note maximale, Aragon se contentant dun 15 étonnant. Le lot fut estimé à 2000-3000€.

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En parcourant le Dictionnaire de sexologie de Jean-Jacques Pauvert (Paris, 1962), aux pages 261-262, on trouve une notice assez développée sur Isidore Ducasse, qui ne fait malheureusement pas limpasse sur les éléments du mythe les plus hauts en couleur (le piano, le café ou le maté…). Lauteur de la notice passe presque sous silence les Poésies et affirme que « jusquà sa dernière heure, Lautréamont, lucide et génial, sopposa à “lÉternel à la face de vipère” ». On lit également que Bloy et Verlaine « ne comprirent rien à son œuvre ». Un rapprochement est fait avec les toiles de Bosch, et laccent est mis sur la dimension satanique, mais aussi anale, des provocations de Ducasse. La mort de lauteur est enfin présentée comme mystérieuse, sans que lon ne tranche vraiment entre un suicide ou un assassinat politique.

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« Voilà pourquoi, jaimerais, si vous le voulez bien, que nous nous rencontrions avec les semelles de la prudence comme dirait Lautréamont, et prenions une décision au sujet de la traduction E., qui soit en accord avec le texte et surtout… qui me garde deux amis. » (Henri Michaux, Donc cest non, Paris, Gallimard, p. 56)

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Lannée 2020 nous aura gratifié de deux nouvelles éditions des Chants de Maldoror : en France, chez Prairial, un beau volume dépouillé avec le texte sans appareil critique et seulement accompagné des illustrations de Magritte et dune préface de Mathilde Ollivier ; en Uruguay, chez Hum, la toute première traduction en espagnol du Rio de la Plata, par Alma Bolón et Beatriz Veigh. On lira avec intérêt larticle quAlma 364Bolón a consacré sur le site des Cahiers Lautréamont numériques aux œuvres plastiques uruguayennes inspirées par lœuvre de Ducasse. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2020/08/04/maldoror-ducasse-lautreamont-en-obras-artisticas-en-uruguay/ [consulté le 2 mars 2021].

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Lécrivain et militant animaliste Camille Brunel, auteur de la Vie imaginaire de Lautréamont, a fait paraître chez Alma un nouveau roman, Les Métamorphoses. Le titre ovidien cache en fait un « hommage à Lautréamont », comme lindique la quatrième de couverture et la prédilection de lécrivain pour les métamorphoses sauvages et cruelles. Les Métamorphoses nentretient quun rapport allusif aux Chants de Maldoror, car son propos se situe ailleurs, mais lécrivain continue à déployer un bestiaire foisonnant qui questionne nos rapports à lanimalité. Les ducassiens pourront samuser de voir, en ouverture du livre, un vol de grues dont la trajectoire est minutieusement analysée, et suivre les aventures dIsis Montevideo, dont le prénom rappelle celui dIsidore.

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En 2020, lAAPPFID a été contactée par un mystérieux musicien souhaitant rester anonyme pour nous présenter son projet musical, Maldoror, à suivre sur YouTube. Le premier morceau, « Larmes », fait appel à la voix de Laure Le Prunenec, chanteuse du groupe Igorrr.

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Le site des Cahiers Lautréamont numériques a largement couvert les commémorations du cent-cinquantenaire, tant en France quen Uruguay. Pour plus dinformations, on pourra trouver à lURL suivant différents articles et documents, parmi lesquels le document uruguayen Lautréamont el misterioso poeta montevideano, la nouvelle de Siméon Lerouge La Dernière Volonté dIsidore Ducasse, ou la conférence en ligne de Siméon Lerouge et Kevin Saliou, « Appréhender les Poésies » : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2020/11/ [consulté le 2 mars 2021].

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Le 6 août 2020, lartiste peintre dorigine hongroise Judith Reigl, auteur de la toile « Ils ont soif insatiable de linfini », est décédée. André Breton avait salué son œuvre.

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Dans le catalogue du Cabinet Poulain pour la vente des 21-23 août 2020 :

905. LAUTREAMONT (Isidore Ducasse, comte de). Les Chants de Maldoror. Avec cinq lettres de lauteur et le fac-similé de lune delles. Paris, au Sans Pareil, 1925. In-8 broché, couv. imprimée rempliée. Tirage limité à 1090 ex. ; no 162 des 1000 sur vélin Lafuma de Voiron. (rares petites rousseurs). Bon ex. On y ajoute : JEAN (Marcel) & MEZEI (Arpad), Les Chants de Maldoror. Essai sur Lautréamont et son œuvre. Suivi de notes et de pièces justificatives. Paris, Nizet, 1947. In-12 broché, couv. impr. Très bon ex. non coupé. 60 / 80 €

945. [Tracts]. Ensemble de 7 tracts surréalistes [dont] Lautréamont envers et contre tout. À propos dune réédition. [1927] 3 p. in-4. « Combien ? » – cest-à-dire combien a-t-il touché, ce renégat, ce « tricheur » de Soupault, pour faire paraître aux éditions du Sagittaire une nouvelle édition de Lautréamont ? Louis Aragon, Paul Éluard et André Breton signent en avril 1927 un tract vengeur, dénonçant tout ce qui « souille » le livre, le « cache », le « banalise », « léteint sous les petites passions de ceux qui le lisent ». (Petites déchirures sans manque.) [] 300 / 500 €

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« Godard est un grand poète, Week-end est un film magnifique []. Il y a des demandes auxquelles on ne peut pas résister, ce quil demande cest autre chose que dêtre acteur, cest de se transposer, se figurer dans un personnage qui nexiste pas. Dire du Lautréamont en jouant de la batterie, excusez-moi mais je trouve que ça a de la gueule ! » Entretien disponible sur le site de France Culture, « La Nuit rêvée de Jean-Pierre Kalfon. Entretien 2/3 », diffusé pour la première fois le 10 novembre 2019. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/la-nuit-revee-de-jean-pierre-kalfon-713-jean-pierre-kalfon-dans-week-end-de-godard-dire-du [consulté le 2 mars 2021].

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Passé en vente sur Interenchères, le manuscrit autographe de Défense de savoir de Paul Éluard, un cahier décolier broché avec la mention autographe : « Ce manuscrit appartient exclusivement à Yvonne Zervos avec lamitié et lamitié et ladmiration de », suivie de la signature du poète. Le manuscrit fait 9 pages, dont 6 manuscrits au recto ou verso. Le verso du feuillet 9 contient une liste dune soixantaine de « livres à relier » parmi lesquels figure le nom de Lautréamont.


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« Jean Pellerin était dabord poète et ne vivait que pour la poésie. Que de fois lai-je surpris à relire Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Rimbaud, Lautréamont, Guérin, Apollinaire, Jean-Marc Bernard, Toulet, Allard, Tristan Derème ! » Francis Carco, De Montmartre au Quartier latin, in Mémoires dune autre vie, Genève, Éditions du Milieu du Monde, 1942, p. 256.

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Quatorze crocs. Une enquête de la Brigade nocturne, roman policier fantastique de lauteur mexicain Martin Solares, paru chez Bourgois, se déroule à Paris, en 1927, et fait entrer en scène tout le microcosme surréaliste. Au chapitre 9 (« Le dîner des vampires »), les protagonistes se rendent boulevard Saint-Germain pour une réception chez les de Noailles. Ils y croisent Breton, Tzara, qui se font la guerre, Max Ernst, etc. Il y a là une exposition de peinture et au centre de la pièce, une œuvre « cachée sous une couverture, bien attachée avec de la ficelle, sous laquelle [le protagoniste parvient à] identifier une machine à coudre. Ainsi quun parapluie, sous lun des coins du tissu. Un panneau précisait : “LÉnigme dIsidore Ducasse”. Drôle dendroit pour la rencontre dune machine à coudre et dun parapluie. » (p. 107-108)

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Hebert Benitez Pezzolano rapporte dans le journal montévidéen La Diaria un témoignage recueilli auprès de Mme Renée Pan de Ducasse, veuve dArchimède Ducasse, il y a des années. Ce témoignage est à 367prendre avec beaucoup de prudence, car cette branche des Ducasse descend dEudoxie Ducasse, qui nétait, malgré ses dires, absolument pas liée à la famille du Chancelier. Ce sont ces mêmes doutes qui retinrent Hebert Benitez de publier à lépoque les propos recueillis. URL : https://ladiaria.com.uy/cultura/articulo/2020/11/busquedas-entre-la-vida-y-la-obra-de-isidore-ducasse/ [consulté le 2 mars 2021].

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La revue américaine Dix-neuf éditée par le Journal of the Society of Dix-Neuviémistes contient, dans son numéro 4, volume 24, un article intéressant de Madeleine Wolf, doctorante à luniversité Harvard, intitulé « Parisian Prowlers : Mapping Maldoror, Mervyn and Lautréamont in Paris ». Elle y cartographie le parcours de Maldoror et Mervyn à travers Paris.

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Passée en vente chez Fauveparis le samedi 13 février 2021, une édition des Chants de Maldoror illustrée par Frans de Geetere parue en 1927 aux éditions Blanchetière. 2 volumes, in-4, chemise rempliée et emboitage déditeur. Édition illustrée de 66 eaux-fortes originales dont une en couleurs en frontispice. Tirage à 133 exemplaires, lun des 70 numérotés sur papier vergé de Montval, celui-ci le no 68. Enrichi dun dessin original (p. 75 du 1er volume), 3 eaux-fortes aquarellées et 1 eau-forte en couleur. Prix estimé 800/1200€. Provenance : collection Marcel Aubreton.

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Le samedi 6 mars 2021, un curieux exemplaire de lédition GLM de 1938 est passé en vente à la Maison de Ventes Richard de Villefranche. Il sagit des Œuvres complètes dIsidore Ducasse avec une introduction dAndré Breton et des illustrations de Victor Brauner, Oscar Dominguez, Max Ernst, Espinoza, René Magritte, André Masson, Matta Echaurren, Joan Miro, Paalen, Man Ray, Seligmann et Tanguy, soit douze compositions pleine page. Le volume est relié « en peau noire façon daim, dos lisse avec le titre doré, deux grandes images surréalistes 368contrecollées sur les plats, tête dorée, couvertures et dos conservés. Une petite trace de colle sur le haut du 1er plat, coins légèrement usés ». Lexemplaire est numéroté sur vélin bibliophile, et enrichi dun dessin original surréaliste à la plume signé (mais peu lisible) et contrecollé à la garde supérieure.

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La Réception de Lautréamont, premier volume de la thèse de Kevin Saliou, est paru chez Classiques Garnier en avril 2021.

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Le site des Cahiers Lautréamont numériques continue à publier régulièrement dimportants articles sur Lautréamont et Isidore Ducasse. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/ [consulté le 2 mars 2021].

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En 1999-2000, le dramaturge libano-québécois Wajdi Mouawad monta une pièce intitulée Rêves, qui fut publiée chez Actes Sud en 2002. La pièce souvre sur une citation de Lautréamont placée en exergue. Dans une chambre dhôtel triste et miteuse, un écrivain, Willem, sinstalle pour la nuit. Il compte écrire un roman, inspiré par un mystérieux Isidore qui le guide. Willem explique quil reçoit tous les soirs la visite régulière du personnage que lui a envoyé Isidore, un individu sans nom, silencieux et qui « marche vers la mer ». Le personnage sinstalle et le fixe en silence de son regard terrifiant. Willem veut commencer par un avertissement au lecteur. Il en lit un extrait, et le texte est une réécriture du Chant premier, dans le style de Mouawad, tissu dallusions entremêlées à lœuvre de Lautréamont. Au cours de la nuit, Willem va peu à peu surmonter ses blocages, symbolisés par larrêt du personnage qui marche sur une falaise face à la mer. Immobile, le personnage attend, allusion manifeste à la strophe 4 du Chant IV. Seulement interrompu par les visites de lhôtelière bavarde qui le détourne de sa création par des retours brutaux au réel, Willem déploie progressivement une écriture cathartique de la colère, qui exorcise la perte et le deuil et ravive le traumatisme de la guerre dans son pays natal, thème récurrent de 369lœuvre de Mouawad. La dernière partie de la pièce déploie des images sanglantes avec une force visuelle impressionnante.

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Les ducassiens savaient-ils que les parents de Frédéric Damé, du temps quil fréquentait peut-être Isidore Ducasse, habitaient au 7 de la place Saint-Michel ? Lors de son trajet au Chant VI, Maldoror fait un détour par cette place et contemple un instant la fontaine et la statue de dragon qui la surplombe.

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Passé en vente à la Librairie Le Pas-Sage, un manuscrit autographe de 37 pages de Georges Ribemont-Dessaignes, Le Réel et son double, texte non-publié mais rédigé pour une émission radiophonique consacrée à linterprétation de la réalité par les écrivains. Lauteur sappuie, pour illustrer son propos, sur des lectures dextraits dAndré Breton, Herman Melville, Raymond Roussel et Isidore Ducasse. Ces notes sont datées de 1966, et estimées à 1500€.

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Il y a quelques mois, Jean-Christophe Cadilhac nous avait fait parvenir la fiction biographique quil avait consacré à Isidore Ducasse. Le livre, autoédité, est désormais accessible ici, en format digital ou papier. Le lecteur sera surpris dy découvrir une représentation assez inattendue de notre poète. URL : https://www.librinova.com/librairie/jean-christophe-cadilhac/isidore-prince-des-poetes [consulté le 8 avril 2021]

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On peut lire sur Gallica une petite plaquette de 41 pages datée de 1840 et signée dAuguste Isabelle et N. de Lonréveil, intitulée Daguerrotype de 1840. Louvrage na que peu dintérêt, mais le ducassien amateur de curiosités sétonnera, à la lecture des trois premières pages, de suivre le narrateur dans une promenade parisienne dans le quartier où Isidore Ducasse viendra sinstaller ving-cinq années plus tard. Du Boulevard 370des Italiens à la rue Richelieu en passant par la rue Neuve-Vivienne, pas encore urbanisée, ou par le faubourg Montmartre, le lecteur est amené à emprunter le passage des Panoramas, qui navait quune quarantaine dannées, pour finalement rejoindre la Place de la Bourse où il manquera de heurter une « Hirondelle-omnibus ». Les pensées de notre guide nous invitent même à nous projeter jusquau Panthéon, pourtant à lautre bout de Paris. Il nest pas besoin de lire dans ce texte, qui tourne ensuite à lessai géopolitique sur lAlgérie, une éventuelle source des Chants de Maldoror : pour planter son décor, Isidore Ducasse navait quà faire comme le narrateur et descendre de son logis pour arpenter les rues. (signalé par Bertrand Combaldieu).

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Rico, le fondateur du label de punk et rocknroll Gougnaf Mouvement, influent dans la seconde moitié des années 80, signait ses écrits du pseudonyme de Rico Maldoror. Retiré de la tumultueuse scène de sa jeunesse, Rico, délesté dune partie de son pseudonyme, est aujourdhui journaliste sportif. (signalé par Philippe Roizès)

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Dans un article intitulé « Poesias, de Conde de Lautreamont », Juan Arabia revient sur les Poésies et conclut : « Lautréamont, mort à Paris cette même année [1870], fut possiblement victime de la police durant le Siège de Paris. »
[URL : https://www.perfil.com/noticias/cultura/poesies-de-conde-de-lautreamont.phtml, consulté le 17 avril 2021].

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La Nouvelle Revue française consacrait en 2021 un numéro aux débuts de la revue. On peut y lire une attaque virulente de Roger Vitrac envers Jacques Rivière, à qui il écrivit dans le Paris Journal du 21 décembre 1923, dans un article intitulé « Jacques la faiblesse, directeur de la NRf » : « Vous savez que derrière Dada, il y a un certain nombre de noms. Vous les connaissez. Or, quavez-vous fait à la NRf pour Rimbaud ? Rien. Pour Lautréamont ? Rien. » Jacques Rivière subissait depuis quelques temps les attaques répétées des surréalistes.

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Jean-Paul Goujon nous signale une édition hollandaise des Poésies repérée dans un catalogue de ventes belge (Bubb Kuyper Auctions, vente à Harlem les 18-21 mai 2021, lot no 74/193) : Poëzie, traduction hollandaise par Laurens D. Vancrevel, Amsterdam, Surrealistisch Kabinet, 1968, 2 volumes non-paginés, illustrations de S. Duval and K. Tonny.

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Passée en vente chez Drouot le 18 mai 2021, une édition des Poésies de 1970 avec ses dix lithographies par Hans Bellmer, signées à la mine de plomb et numérotées. Cet lot est assez rare car les planches sont séparées, ce qui réduit considérablement le nombre dexemplaires complets – le tirage initial était de 100, tous sur vélin dArches. Celui-ci est le numéro 16, lestimation était de 500-700 €. Il provenait de la bibliothèque Françoise Dorin.

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Le peintre Augustus John avait réalisé une toile intitulée In Memoriam : Amedeo Modigliani sur laquelle on voit un buste sculpté dans la pierre dun visage ovale comme Modigliani les peignait, des fleurs et un vieux livre relié de cuir. Dans une lettre du 27 décembre 1944 à son ami MacColl, John expliquait le symbolisme de cette nature morte : « Le livre représente sa Bible – Les Chants de Maldoror. » Modigliani était en effet un passionné de Lautréamont. (signalé par Alessandro De Stefani, repéré dans Jeffrey Meyers, Modigliani. A Life, 2006).