Introduction
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Jean Giraudoux
2019, n° 47. Giraudoux à la scène hier et aujourd’hui - Auteurs : Laplace-Claverie (Hélène), Landerouin (Yves)
- Résumé : Ce volume s’emploie à dresser un bilan du destin à la scène des pièces de Giraudoux : en quoi ses partis-pris esthétiques peuvent-ils expliquer leur relative désaffection du monde théâtral professionnel ? en quoi l'impact des spectacles de Jouvet tenait-il au contexte politico-culturel ? Sont présentées, enfin, des études d’un échantillon représentatif de mises en scène réalisées jusqu’à nos jours dans le monde (avec leurs enjeux et leurs obstacles respectifs), sans oublier la production télévisuelle.
- Pages : 19 à 21
- Revue : Cahiers Jean Giraudoux
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406098188
- ISBN : 978-2-406-09818-8
- ISSN : 2552-1004
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09818-8.p.0019
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 12/11/2019
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Jean Giraudoux, théâtre, littérature du XXe siècle, Louis Jouvet, esthétique dramaturgique
INTRODUCTION
De la première de Siegfried en mai 1928, sous la houlette de Louis Jouvet, jusqu’au Pour Lucrèce de la Compagnie Renaud-Barrault en 1953, en passant par la représentation de La Folle de Chaillot au « Gala des résistants de 1940 » devant le général de Gaulle le 21 décembre 1945, les créations des pièces de Giraudoux ont constitué en leur temps un phénomène littéraire, artistique et culturel considérable. Passée cette glorieuse époque, l’œuvre dramatique de l’écrivain a encore suscité de remarquables spectacles, illuminé bien des soirées mémorables, mais il est significatif qu’aucun des géants de la mise en scène contemporaine, tels qu’Antoine Vitez, Peter Brook, Ariane Mnouchkine ou le regretté Patrice Chéreau, ne se soit tourné vers elle. Et si Électre ou La guerre de Troie n’aura pas lieu font toujours les délices des classes de lycées et des étudiants de lettres qui les rencontrent dans leur cursus, les textes de Giraudoux peinent à s’imposer, à laisser une empreinte dans le théâtre d’aujourd’hui. Peut-être n’y a-t-il pas de meilleur moment que cette période de désaffection (désaffection certes relative, comme le montre très précisément ici Marc Véron1) pour faire le bilan de leur destin à la scène.
Il est impossible de comprendre le phénomène sans s’interroger de nouveau sur les partis pris esthétiques du dramaturge : la place qu’il donne, bien entendu, à la parole articulée, poétique, tragique, laquelle a été victime d’un changement du goût dans l’histoire du théâtre contemporain (M.-C. Hubert), mais aussi – et par rapport à cette parole – les fonctions qu’assument toutes sortes d’autres sons (chansons, cris, mots traités comme bruits, sonnettes et sonneries de trompette, rumeur de la vie quotidienne, etc.) ou l’absence de son (F. Bombard), enfin et surtout, le rôle du corps, qu’une vision trop superficielle tendrait à faire passer pour le mal aimé de son théâtre (A. Job, V. Brancourt). Impossible, par ailleurs, 20de comprendre le destin scénique de l’œuvre sans essayer de reconsidérer et/ou de préciser les raisons de l’impact que produisirent les spectacles de Jouvet. Elles tiennent au contexte politico-culturel de l’époque, y compris à l’étranger comme le prouve la manière dont la célèbre tournée de la troupe en Amérique latine entre 1941 et 1944 surmonte de nombreuses difficultés (P. Le Bœuf), ainsi qu’à la qualité des représentations conçues par le metteur en scène, en partie – on a tendance à l’oublier – grâce à une collaboration efficace (notamment en termes modernes de « communication ») avec les plus grands créateurs de la haute couture parisienne (C. Nier). On peut en outre mieux appréhender la singularité esthétique de ce théâtre dans les années 30 en le comparant, par exemple, à une production qui s’en éloigne et s’en rapproche à la fois, celle de Marcel Achard, autre auteur fétiche de Jouvet (C. Lajoux).
Un tel bilan est l’occasion de se pencher sur le travail des metteurs en scène qui ont succédé à leur prestigieux aîné, et ce jusqu’à aujourd’hui. Plusieurs des articles présentés ici le confirment : la collaboration de Jouvet avec l’auteur d’Intermezzo a illustré au plus haut point l’idée que le succès d’un « art en mouvement » comme le théâtre repose sur une rencontre entre des textes et des entrepreneurs/interprètes inspirés. Par ailleurs, l’étude des mises en scènes connaît un bel essor à l’Université et il serait dommage que les Cahiers Giraudoux ne tirent pas quelque profit de l’intérêt que cette approche présente pour la connaissance du dramaturge et la compréhension de son œuvre. Aussi ce nouveau numéro rassemble-t-il, outre un panorama de la réception de La Folle de Chaillot depuis sa création (J. Guérin), plusieurs travaux consacrés à des spectacles venus d’horizons variés : une Électre marquante donnée en Pologne à l’époque de Jouvet (K. Modrzejewska) et une autre, beaucoup plus récente, dirigée en Savoie par Gérard Desarthe, que J. Body tient pour la meilleure de celles qu’il ait vues ; les mises en scène successives de Supplément au voyage de Cook, et en particulier le très remarquable spectacle de Mahmoud Shahali au Théâtre de l’Épopée en 1993 (M. Païenda) ; plusieurs productions de La guerre de Troie n’aura pas lieu au xxie siècle en Italie (A. Patierno) et même au Japon (Y. Mase), avec des enjeux et des obstacles différents. Soulignons au passage que dans bien des pays, le théâtre de Giraudoux continue d’incarner « une certaine idée de la France », sur un plan philosophique aussi bien qu’esthétique. Certes, ces études livrent seulement un échantillon – tant elles sont nombreuses 21– des entreprises menées à travers le monde pour faire vivre l’œuvre à la scène, mais un échantillon représentatif des tendances actuelles de l’interprétation, comme l’article d’Y. Landerouin s’applique à le montrer à partir du travail de Claudia Morin pour le Théâtre 14. Ayant l’éphémère pour objet, de tels travaux de recherche sont largement subordonnés à l’existence de DVD, de documents conservés par l’INA ou de vidéos disponibles sur Internet. À cet égard, B. Barut propose une typologie précise de la présence des différentes pièces de Giraudoux à l’écran, avec divers coups de projecteur sur les réalisations télévisuelles de Marcel Cravenne, Claude Barma et Raymond Rouleau. Là ne se jouera sans doute pas la fortune d’Amphitryon 38 ou d’Ondine, mais il est incontestable que de telles productions télévisuelles ont contribué à assurer leur diffusion auprès de toute une génération d’amateurs de Giraudoux.
Amateurs. Le mot est important pour qui veut saisir aujourd’hui les résonances encore très vives d’une œuvre régulièrement portée sur les planches, en France comme à l’étranger, par des troupes non professionnelles qui ne semblent pas avoir, à son égard, les préventions d’un milieu théâtral prompt à se méfier de ce qu’on n’appelle en général « théâtre littéraire » que pour mieux le discréditer. Or, comme le suggère W. Ready en osant un rapprochement entre Giraudoux et les comédies musicales de l’âge d’or d’Hollywood, les pièces de « l’enchanteur » sont de véritables poèmes scéniques qui ne sacrifient nullement le spectaculaire au verbal. De là leur charme profond, à la lecture comme sur le plateau, et le défi redoutable que représente leur concrétisation théâtrale. Souhaitons que les études ici rassemblées contribuent à susciter l’intérêt de jeunes chercheurs mais aussi celui de metteurs en scène pour une œuvre à la fois multiple et singulière qu’on ne saurait réduire à quelques « morceaux de bravoure ».
Hélène Laplace-Claverie
Université de Pau et des Pays
de l’Adour – ALTER (EA 7504)
Yves Landerouin
Université de Pau et des Pays
de l’Adour – ALTER (EA 7504)
1 Désormais, les noms mentionnés entre parenthèses renverront à l’une des études réunies dans ce cahier.