Avant-propos Bayonne dans le cercle des capitales Giraudoux
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Jean Giraudoux
2019, n° 47. Giraudoux à la scène hier et aujourd’hui - Auteur : Body (Jacques)
- Résumé : La réception de l’œuvre de Giraudoux a connu des étapes nettement différenciées. Mais ce qui n’a pas changé, c’est l’impact international de cette œuvre, qui s’est notamment manifesté par l’organisation régulière d’un colloque itinérant. Bayonne fait désormais partie de ces capitales de la Giralducie : sont ici réunis les travaux des chercheurs qui se sont retrouvés dans cette ville en juin 2018 pour travailler sur la fortune scénique des pièces de Giraudoux, de leur création à aujourd’hui.
- Pages : 15 à 17
- Revue : Cahiers Jean Giraudoux
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406098188
- ISBN : 978-2-406-09818-8
- ISSN : 2552-1004
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09818-8.p.0015
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 12/11/2019
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Jean Giraudoux, théâtre, littérature du XXe siècle, Louis Jouvet, correspondance
AVANT-PROPOS
Bayonne dans le cercle des capitales Giraudoux
Faire cercle autour du cénotaphe, se rassembler en nombre devant le vide que laisse la disparition de l’incomparable écrivain, de l’irremplaçable causeur : ce fut le premier réflexe des nombreux amis que la personnalité et l’œuvre multiformes de Giraudoux avaient conquis. « Le surlendemain des obsèques », les Polignac (Charles et Pata) ont invité à déjeuner un premier cercle des intimes : Jean-Louis Vaudoyer, administrateur de la Comédie-Française, naguère conservateur du musée Carnavalet, et sa femme, le R. P. Bruckberger, le Dr Albeaux-Fernet, médecin de Jean et Suzanne Giraudoux, et Suzanne elle-même bien évidemment.
Au café, Vaudoyer a proposé de réunir les manuscrits et les correspondances « afin d’éviter le plus d’oublis et de pertes ». Mais Suzanne sort alors de son recueillement « comme un fauve tombe sur sa proie » : « La seule chose nécessaire, urgente, qu’il faut faire immédiatement, c’est publier les lettres d’amour que Jean m’a écrites, quand nous étions fiancés ! ». Consternation générale, et en confidence, par Vaudoyer, l’éloge acerbe des Hindous qui brûlent les veuves avec le défunt. Le tout selon le récit peu charitable du R. P. Bruckberger, comme le rappelle Guy Teissier en introduction aux Lettres à Suzanne éditées par Brett Dawson (CJG 31 et 32).
Ces deux derniers volumes, chefs-d’œuvre d’érudition, comblaient au centuple le vœu de Suzanne, et ils clôturaient une époque que j’avais ouverte en reprenant, sans le savoir, le vœu de Vaudoyer, mort en 1963. Dans les années soixante, vingt après la mort de Giraudoux, alors que nombre de ses contemporains, condisciples, compagnons d’armes et collègues vivaient encore, conseillé par René Marill Albérès, agréé par Jean-Pierre Giraudoux, j’ai fait un premier tour des parents et amis pour ce qui devait être ma thèse secondaire (Jean Giraudoux, Lettres, Klincksieck, 1975) et un premier tour des articles non recueillis (Or dans la nuit, Grasset, 1969).
À Bellac, ville natale de Jean Giraudoux, petite sous-préfecture, jadis ville de garnison, un maire issu de la Résistance, par ailleurs professeur 16d’histoire, André Cluzeau, avait fait le pari de la culture pour combattre la désindustrialisation et la désertification : inauguration d’un « Monument Giraudoux » en présence de Louis Jouvet, création d’un Festival national de théâtre, le second en France après Avignon, et aménagement de la maison natale. À la mort de Suzanne Giraudoux (1969), Jean-Pierre Giraudoux fut heureux d’y loger la bibliothèque de son père. Pour gérer ce « Centre culturel Jean Giraudoux », une association fut créée en 1971. Un nouveau cercle se forma, se déclarant « amis de Jean Giraudoux », en fait pour la plupart, et de plus en plus, des amis de son œuvre, – écrivains, journalistes, universitaires ou simples lecteurs. Mais ce n’est pas le lieu de conter l’histoire franco-française de cette Association des Amis de Jean Giraudoux (AAJG) devenue Académie Giraudoux en 2012, ni la tribulation des Cahiers Jean Giraudoux (CJG) passés des éditions Bernard Grasset (1972-2004) aux Presses de l’université Blaise Pascal (2006-2015), et depuis le no 44 (2016) aux éditions Classiques Garnier.
S’agissant du théâtre de Giraudoux, qui est au cœur de ce numéro des Cahiers et qui fut le sujet du colloque bayonnais dont les actes sont ici réunis, sa carrière étrangère avait été, du vivant de Giraudoux, interrompue en Europe par l’arrivée d’Hitler, en Amérique par la guerre. La mort soudaine de l’auteur fut le terreau d’une extraordinaire efflorescence à l’international. Le théâtre de Giraudoux rebondissait d’un après-guerre à l’autre, secouant les idées reçues et les situations acquises, chantant la paix, la nature, la jeunesse, la femme et la vie nouvelle. Surfant sur cette gloire mondialisée, les rencontres annuelles des « Amis » dans les marges du Festival national de Bellac furent enrichies par la présence renouvelée d’universitaires des cinq continents, certains d’entre eux intégrés à l’équipe chargée de l’édition des Œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade. D’où création en 1990 de la Société internationale des études giralduciennes (SIEG), et l’organisation, tous les deux ou trois ans, d’un colloque international en France (Tours, Clermont, Paris-Sorbonne) ou à l’étranger (Bursa–Istanbul, Montréal, Alep, Fès, Madrid, Thessalonique, Ankara, Cluj-Napoca).
Bayonne prend désormais place parmi ces capitales de la Giralducie, dont la série dérivait depuis dix ans en Méditerranée orientale. La SIEG a disparu par fusion avec l’AAJG au sein de l’Académie Giraudoux, mais la tradition se perpétue. Ce retour vers l’Océan atlantique fut, comme ailleurs, l’occasion de retrouvailles entre amis de trente ans et aussi la découverte de jeunes collègues, avec échange de documents et fécondes 17alliances. Quelle joie, au détour d’une ruelle, de tomber sur notre éminente collègue Arzu Etensel Ildem, qui avait organisé le colloque d’Ankara, puis sur Yukie Mase-Minowa débarquant tout juste de Tokyo !
Le temps n’est plus aux recueils d’inédits. En revanche, la sortie toute récente du grand Dictionnaire Jean Giraudoux (deux volumes, sous la dir. d’André Job et Sylviane Coyault, éd. Honoré Champion) amenait un sang neuf et des questions innovantes. Les réflexions, focalisées sur le théâtre et la mise en scène « hier et aujourd’hui », bénéficièrent de travaux pratiques grâce aux étudiants du Théâtre universitaire, sous le regard de spécialistes et de professionnels, tels Jean-Luc Jeener, directeur du Théâtre du Nord-Ouest parisien, et Marc Véron qui, en sa qualité d’ancien directeur général d’Air France, a su voir le théâtre sous l’angle économique dans une thèse consacrée au Théâtre Louis Jouvet qui a fait date.
Les organisateurs, Hélène Laplace-Claverie, professeur de littérature française, et Yves Landerouin, professeur de littérature comparée, semblent avoir misé sur les ponts bayonnais pour jeter des passerelles internationales. Nous étions logés dans le « Grand Bayonne », au pied du Château-Vieux, et nous tenions séance dans le « Petit-Bayonne », dans l’ombre du Bastion Sainte-Claire, sur le campus de la Nive de l’université de Pau et des pays de l’Adour. Après une première marche guidée, les ponts sur la Nive n’ont plus eu de secrets pour nous. Sans parler des changements d’adresse, de quartier et de style de cuisine à l’occasion de chaque repas, trois jours durant.
Les autorités régionales (Nouvelle Aquitaine) et universitaires, en subventionnant ce colloque, peuvent se féliciter d’avoir réussi une opération de promotion touristique en même temps qu’une entreprise exemplaire de recherche et de formation, les actes que voici publiés garantissant la qualité des travaux et leur diffusion internationale.
Professeur Jacques Body
Président honoraire
de l’Université de Tours
Président fondateur
de la Société internationale
des études giralduciennes (SIEG)