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Classiques Garnier

Quelques observations sur l’Ovidius moralizatus de Pierre Bersuire

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2021 – 1, n° 41
    . varia
  • Auteur : Kretschmer (Marek Thue)
  • Résumé : Le présent article offre une introduction générale à l’œuvre de Pierre Bersuire suivie par une discussion plus approfondie de son Ovidius moralizatus. À travers une série d’exemples tirés de manuscrits contenant la version parisienne de cet ouvrage, l’auteur aborde quelques questions liées à sa transmission.
  • Pages : 83 à 101
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406119968
  • ISBN : 978-2-406-11996-8
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11996-8.p.0083
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 07/07/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Pierre Bersuire, Ovidius moralizatus, Ovide moralisé, manuscrit, Moyen Âge, transmission
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Quelques observations sur lOvidius moralizatus de Pierre Bersuire

Le texte connu sous le nom dOvidius moralizatus, traité en prose latine sur les Métamorphoses dOvide, constitue le 15e livre du Reductorium morale de Pierre Bersuire1. Le Reductorium morale peut être défini comme une sorte dencyclopédie moralisée où tout lunivers est réduit à son aspect moral. En sappuyant, pour lessentiel, sur le Liber de proprietatibus rerum de Barthélemy lAnglais et sur le Liber de moralitatibus de Marc dOrvieto2, Bersuire fournit, dans les 13 premiers livres, des moralisations sur lhomme, le ciel, les planètes, le temps, la terre, la mer et les fleuves, les montagnes, les plantes et les arbres, les animaux, etc. ; le livre 14 a pour titre de mirabilibus (sur les merveilles), mais il sagit plutôt dune géographie moralisée3 ; enfin, le 16e et dernier 84livre, super tota biblia, est une moralisation de la Bible. Le projet de moralisation de Bersuire ne se limite pas au Reductorium morale. Sy ajoute le Repertorium morale, une sorte de dictionnaire moralisé de la Bible ou étude des différents « sens des mots disposés dans lordre des Concordances4 ».

Le Breviarium morale, ouvrage qui devait servir dintroduction générale à lœuvre de Bersuire, sans doute de bons outils de travail destinés aux prédicateurs, est aujourdhui perdu. Perdue également est sa mappemonde, mentionnée dans la Collatio pro fine operis5, une sorte dépilogue concluant le Reductorium, attestée par 10 manuscrits, où il la décrit ainsi : « etiam quamdam orbis terrarum cosmographiam seu mundi mappam, multa superaddendo aliis dudum factis, composui et depinxi » (« jai également dressé une carte du globe ou mappemonde en ajoutant beaucoup à celles qui avaient déjà été dressées »). Le seul ouvrage conservé de Bersuire 85qui nappartient pas au domaine des moralisations est sa traduction de Tite-Live dédiée au roi Jean le Bon6.

Pour ce qui est de la tradition manuscrite de lOvidius moralizatus, notons dabord que les manuscrits conservés sont assez nombreux : 87 selon lIncipitarium Ovidianum rédigé par Frank Coulson et Bruno Roy7. Cependant, cette liste ne tient pas compte des différentes versions. Pour le classement des manuscrits, il faut encore consulter les travaux préliminaires réalisés par Joseph Engels et son équipe à lUniversité dUtrecht dans les années 1960 et 19708. Circulant indépendamment des autres livres du Reductorium morale9, lOvidius moralizatus existe en deux versions principales : la première, rédigée en Avignon autour de lan 1340, version que Bersuire élabore quelque peu, toujours en Avignon, au cours des années 40 (ce sont A1 et A2), et la deuxième, la version parisienne achevée autour de lan 1360 (ou version P). Visiblement, Bersuire avait lhabitude de retravailler continuellement ses textes.

Le défi majeur auquel sont confrontés les chercheurs est celui de ne pas disposer dune édition critique. Pourtant, les travaux dEngels 86constituent un début. En 1960 et 1962 paraît la transcription10 de la version avignonnaise daprès lédition de Josse Badius (Bade), donnée en 1509 et rééditée en 1511, 1515 et 1521, et attribuée chaque fois faussement à Thomas Walleys, un dominicain anglais11. Ce nest quen 1883 que le véritable auteur fut connu, lorsque lAcadémie des inscriptions et belles lettres publia le Mémoire sur un commentaire des Métamorphoses dOvide de linfatigable Jean-Barthélemy Hauréau12. Le problème est que la transcription dEngels ne correspond à aucun manuscrit conservé et na donc aucune valeur pour la constitution du texte de la version avignonnaise13. Par contre, Engels publie en 1966 une nouvelle édition du De formis figurisque deorum, cette fois-ci daprès un manuscrit contenant la version parisienne14. Nous ouvrons ici une petite parenthèse pour dire que, à bien des égards, ce petit traité mythographique est aussi intéressant que le commentaire aux Métamorphoses. Par un heureux coup du sort, Pierre Bersuire fréquente la cour du pape pendant les années mêmes où Pétrarque conçoit à la fontaine de Vaucluse son poème Afrique sur la deuxième guerre Punique et les exploits de Scipion. On sait bien que les deux lettrés sont devenus amis (preuve en est la mention de Bersuire dans la lettre 16, 7 des Seniles de Pétrarque : « religione et litteris uir insignis ») et il nest pas difficile dimaginer des échanges de lecture dans ce cadre idyllique, peut-être aussi des discussions sur Tite Live, 87la source principale de Pétrarque et lhistorien que Bersuire traduira quelques années plus tard. En tout état de cause, Pierre Bersuire dit lui-même dans le prologue de la version avignonnaise quil a consulté son ami Pétrarque sur la description des dieux païens :

Verumptamen quia deorum ipsorum ymagines scriptas uel pictas alicubi non potui reperire, habui consulere uenerabilem uirum magistrum fs. de petrarco poetam utique profundum in scientia et facundum in eloquentia et expertum in omni poetica et hystorica disciplina, qui prefatas ymagines in quodam opere suo eleganti metro describit15.

Il sagit précisément dun passage du 3e livre (v. 140-262), où le romain Lélius entre le palais du roi Syphax, épisode décrivant les statues des dieux païens qui décorent les salles du palais du roi numidien16.

Le De formis figurisque deorum a su charmer Jean Seznec qui y consacre quelques pages dans La Survivance des dieux antiques17. Quant à limportance du traité dans lhistoire de lart, il convient de citer Erwin Panofsky qui, précisément dans la préface de la nouvelle édition dEngels, écrit ceci :

No art historian needs to be told that Petrus Berchorius De formis figurisque deorum is the richest and, in a sense, the final representative of that characteristically medieval effort (…) to demonstrate the essential identity between classical mythology, especially Ovids Metamorphoses, and Christian doctrine.

Dans lintroduction qui suit la préface de Panofsky, Engels présente la première vraie discussion sur lhistoire du texte. Ce qui est particulièrement intéressant pour notre propos, cest limportance conférée aux manuscrits Paris (BnF, lat. 16787), Milan (Bibl. Ambr., D 66), Leyde (Bibliothèque de lUniversité, Voss. Ch. F. 32) et Bruxelles (Bibliothèque royale de Belgique 2916 (863-869))18. Comme la montré par la suite Evencio Beltrán19, le BnF, lat. 16787 (désormais P) fut également utilisé par Jacques Legrand, prédicateur du roi Charles VI, à la fois pour son 88Abbreviatio dictionarii moralis biblici (un abrégé du Reductorium morale de Pierre Bersuire dédié à Bernard Punialis, prieur général des Augustins de lObédience dAvignon) et pour son Archiloge Sophie dédié à Louis premier duc dOrléans (1372-1407), une adaptation française de son Sophilogium (dédié à lévêque dAuxerre Michel de Creney, également précepteur, puis confesseur et ensuite aumônier du roi Charles VI), ouvrage que Beltrán qualifie d« encyclopédie sommaire de la sagesse inspirée par les auteurs anciens, principalement les poètes20 ». P est également le manuscrit choisi comme manuscrit de base par Maria van der Bijl pour son édition du deuxième chapitre de la version parisienne de lOvidius moralizatus21. Ce fut un moment décisif pour les études sur lOvidius moralizatus, car au même moment, léquipe dEngels présente un premier classement des manuscrits. Dans un article qui précède celui de van der Bijl, Joseph Engels, sur la base de 52 manuscrits, en identifie 29 contenant la version A1, 7 contenant la version A2 et 16 contenant la version P22. Lintérêt principal de la version parisienne réside dans le fait quelle contient de nombreux ajouts tirés de lOvide moralisé, dont la nature et létendue restent inconnues tant quon ne possède pas dédition intégrale. Toutefois, nous tenterons au moins dapporter quelques éléments déclaircissement à partir de nos lectures préliminaires des manuscrits. Commençons par un extrait du prologue23 :

89

Non moueat tamen aliquem quod fabule poetarum alias fuerant moralizate et ad instanciam illustrissime domine Iohanne quondam regine Francie dudum in rithmis Gallicis sunt translate, quia reuera opus illud non uideram quousque tractatum istum penitus perfecissem. Quia tamen, postquam ab Auinione rediuissem Parisius, contigit quod magister Philippus de Vitriaco, uir utique excellentis ingenii, moralis philosophie historiarumque et antiquitatum zelator precipuus et in cunctis scienciis mathematicis eruditus, dictum Gallicum uolumen mihi tradidit, in quo procul dubio multas bonas expositiones tam allegoricas quam morales inueni ; ideo ipsas reuisitatis omnibus, si eas antea non proposueram, suis locis assignare curaui.

La question se pose donc de savoir en quoi consiste le travail de « ipsas (…) suis locis assignare », cest-à-dire, en quoi consiste lutilisation de lOvide moralisé.

Il nest pas toujours évident de repérer les passages qui dépendent du poème français, premièrement parce que Bersuire indique très rarement ses sources. Après le prologue, il nest fait mention que deux fois de lOvide moralisé24. Cest le cas de la toute première explication du mythe de Deucalion (P, fol. 12v a28-31 : « uel dic moraliter iuxta expositionem, quam inueni in rithmiis Gallicis, quod diluuium significat habundantiam et submergium uitiorum… » [« ou bien dis, selon lexplication morale que jai trouvée dans les vers français, que le déluge signifie labondance et la submersion des vices… »]) et ensuite, au début du 6e chapitre à propos du bouclier de Persée (P, fol. 31v b19-22 : « hic in libro gallice lingue fit mencio de scuto Persei Xristi et supponit quod istud scutum est fides iuxta apostolum » [« À cet endroit du livre français on fait mention du bouclier de Persée le Christ, et on explique que ce bouclier est la foi selon lapôtre »]). Deuxièmement, lOvide moralisé peut très bien se cacher derrière le nom dautres sources. Enfin, pour bon nombre de passages, lOvide moralisé nest quun point de départ. En outre, la version parisienne contient également de nombreux ajouts qui ne sont pas empruntés à lOvide moralisé25. Nous illustrerons ces points par quelques exemples tirés du 4e chapitre sur le troisième livre des Métamorphoses.

Le traitement du mythe de Tirésias (Mét. III, v. 316-338) nous montre quil est prudent de se méfier des sources citées. Bersuire divise le mythe 90en deux parties, chacune accompagnée de leurs explications respectives. La première partie correspond au récit des rencontres de Tirésias avec les deux serpents accouplés (Mét. III, v. 324-331)26 :

Tiresias fuit quidam, qui a casu inuenit duos serpentes insimul coeuntes. Quos cum percussisset, statim mutatus fuit in feminam et uirilem amisit imaginem et naturam. Cumque in statu femineo septem annis mansisset, factum est, quod eosdem serpentes iterum concumbentes inuenit. Quos cum iterum percussisset, in uirum fuit mutatus et a statu femineo transformatus.

Il faut dire que, à cet endroit précis, le texte est assez mal ordonné, dans la mesure où les explications parisiennes de la première partie (en loccurrence, deux explications sont ajoutées à la version parisienne) supposent une préconnaissance de la seconde partie du mythe qui raconte le thème principal de la querelle amoureuse entre Junon et Jupiter27 (Mét. III, v. 316-323, 332-336). Il nous faut donc dabord citer la seconde partie du mythe28 :

91

Cum Iupiter et Iuno quadam die iocosius agentes inuicem de carnis uoluptatibus disputarent ad iudicandum, quis maiorem delectationem in carnis operibus inueniret, uir seu mulier, Tiresiam, qui uir et mulier fuerat, arbitrum elegerunt. Qui cum pro opinione Iouis iudicasset et feminam plus uiro delectari dixisset, Iuno indignata lumen ei ademit et eum cecitate dampnauit. Iupiter uero ei compatiens in recompensationem perditi uisus scientiam futurorum sibi dedit, ita quod ex tunc responsa uerissima de omnibus prebuit, quod ualde famam ipsius augmentauit, sicut ponit Ouidius libro tertio.

La version avignonnaise donne deux explications de la première partie du mythe : 1. Tirésias changé en femme après avoir frappé les serpents représente les juifs devenus un peuple instable après avoir nié la divinité du Christ, tandis que Tirésias redevenu homme symbolise la conversion future des juifs29. 2. Les deux changements de sexe provoqués par les coups de bâton de Tirésias sont associés aux deux transformations du bâton de Moïse (voir Ex. 4, 1-4), de verge en serpent et de serpent en verge : autre symbole de lincrédulité et de la conversion des juifs30.

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Les explications qui nous intéressent particulièrement sont celles que Bersuire ajoute à la version parisienne. Pour les deux nouvelles explications, Bersuire prétend suivre, dune part, ce que « aliqui exponunt », et dautre part, Fulgence. Selon la source anonyme de la première explication31, le changement de sexe de Tirésias représente la conversion de Paul – changer dhomme en femme = changer dinfidèle en fidèle – qui, tout comme Tirésias dans le mythe, perdit la vue (Ac. 9, 8), etc. Pourtant, malgré limprécision de lindication de la source donnée par Bersuire, une comparaison avec un passage de lOvide moralisé (Ov. mor. III, v. 1247-1272) ne laisse aucun doute sur lidentification de la source :

Ce pot len savoir par saint Pol,

Qui prime ot le cuer lasche et mol

Et recreant de tout bien faire,

Orgueilleus et de putafaire,

Et plain de toute felonie,

Puis lessa sa mauvese vie,

Et mua son parvers corage,

Si devint homs plains de barnage,

De fort cuer et de bone orine,

Cest cil qui, par vertu devine,

Perdi la corporel veüe,

Qui au tiers jour li fu rendue,

Mes, tant dis come il ne vit goute,

Lenlumina Dieus si, sans doute,

Quil vit touz les devins secrez,

Si fu tant sages et discrez,

Quil sot de diverses doutences

Respondre aus gens voires sentences,

Si sot lune et lautre nature,

Quil ot premierement sa cure

Au monde et aus mondains delis,

Mes, puis quil fu de Dieu eslis,

Si mist le monde en non chaloir,

93

Et tout aplica son voloir

A lamour Dieu, qui lot espris

Plus que sil neüst onc mespris.

La question se pose maintenant de savoir ce quil en est de lautorité de Fulgence. Voici la seconde explication ajoutée dans la version parisienne32 :

Vel dic secundum Fulgentium, quod Tiresias significat tempus, quod de femina mutatur in uirum, id est de hieme in estatem, et hoc quando uidet serpentes concumbere, id est rerum generationem perfici. Femina autem plus quam uir delectatur, quia hiems plus quam estas ad generationem fructuum operatur. Iuno autem eum cecat, quia aer hiemem nubibus obnubilat. Vide Fulgencium, si uis.

En résumé, lexplication se divise en ces trois points : 1. Tirésias est le temps, la femme signifie lhiver, lhomme représente lété, laccouplement des serpents symbolise la reproduction de la nature (« rerum generatio »). 2. La jouissance de la femme qui est plus intense que celle de lhomme signifie que la contribution de lhiver à la production des fruits est plus importante que celle de lété. 3. La privation de la vue symbolise le temps nuageux de lhiver. Que lit-on chez Fulgence ? Par le recours à létymologie, chère à Fulgence, Tirésias est en effet un symbole du temps. « θρος » en grec, cest lété, et « αἰν » le temps ou léternité, ce qui pourrait être traduit par « été perpétuel33 ». Jusquici tout va bien. Mais les correspondances sont moins convaincantes en ce qui concerne lexplication des sexes. Chez Fulgence, on ne dit pas que lhomme représente lété, mais plutôt que le changement dhomme en femme signifie le passage du printemps (la période où les graines sont fermées et dures) à lété34. On ne dit pas non plus que la femme représente lhiver. 94Au contraire, la femme signifie lété (lépoque où toutes les pousses souvrent et émergent de leurs enveloppes)35. Enfin, le changement de femme en homme est expliqué par le passage de lété à lautomne36. Quant à lexplication de la jouissance de la femme, Fulgence parle plutôt des effets de lair et du soleil là où Bersuire parle de lhiver et de lété37. En dernier lieu, la privation de la vue semble correspondre assez bien : cela signifie la saison hivernale assombrie par les nuages ténébreux qui flottent dans lair38.

Ce nest quaprès une comparaison avec lOvide moralisé que tout semble cadrer presque parfaitement avec les explications de Bersuire. Tirésias est le temps (Ov. mor. III, v. 1107-1110) :

95

Li temps, qui a double nature,

Or de chalour, or de froidure,

Et diversement se varie,

Est entendus par Tyresie

Laccouplement des serpents est bien la reproduction de la nature (Ov. mor. III, v. 1111-1114) :

Qui vit les serpens joindre ensamble :

Cest la semence qui sassamble

Dedens la terre, pour germer,

Que li tans voit aus champs semer.

Lhomme représente lété (Ov. mor. III, v. 1115-1125) :

Voit ? Voire. Si com jentens,

Toute semence est fete en tens.

Quant elle a pris en terre germe,

Et li temps desté se raferme,

Et la chalours vait aprochant,

Qui vait la semence atouchant,

Lors a masculine nature

Li temps, qui tout seche et meüre

Les fruis, qui sont issus a plain.

En ce temps sont cil jardin plain

Derbes, de flours, de fruis divers.

La femme symbolise lhiver (Ov. mor. III, v. 1126-1136) :

Emprez esté commence yvers,

Qui a femeline nature.

Lors recommence la froidure,

Qui la terre vait restraignant,

Herbes, arbres, et en praignant

Lumour serre et les fueilles cuit.

En celui temps, si com je cuit,

Naparissent nul fruit sor terre,

Ains sont souz la froidure en serre,

En chascun fust, qui fruit rendra,

Quant li temps malles revendra.

Pour ce qui est de la jouissance, lOvide moralisé concorde assez bien avec Fulgence. Junon et Jupiter représentent lair et le feu, et 96la jouissance signifie que la matière de lair aide deux fois plus que celle du feu au développement des semences39. Enfin, la privation de la vue correspond au brouillard hivernal qui se condense en bruine40. Donc, contrairement à ce que laisse croire lindication donnée par Bersuire, lOvide moralisé semble bel et bien être la source de notre bénédictin.

Le mythe de la naissance de Bacchus41 illustre lun des cas où lOvide moralisé nest quun point de départ42 :

Cum Iupiter fulminasset Semelen, in qua genuerat Bacchum, noluit filium cum matre perire. Et ideo ipsum de uentre matris extraxit et in suo femore inseruit et immisit 97et ibi usque ad complementum nouem mensium custodiuit. Quem postea parturiuit et propter hoc Bacchus bis genitus dictus fuit. Fuit etiam dictus ignigena*, quia ab igne fuerat raptus, et ne Iuno nouerca ipsum inueniret, a nymphis Nyseidibus fuit in hedera inuolutus et in antris suis reconditus et nutritus, propter quod ex tunc sunt edera deo Baccho dedicata.

Aux deux explications de la version avignonnaise Bersuire en ajoute une troisième pour la version parisienne43 :

Si uis sensum litteralem, dic, quod Semele[s] est uinea, Bacchus uinum, quod scilicet dicitur ignigena, quia calor eum maturat. Dicitur bis genitus, quia natura ipsum primo in fructum format et post iterum per eliquationem* in dolio reformat. Mater ergo eius fulminatur, quia uinea a calore siccatur. In hedera inuoluitur, quia sub foliis racemi nutriuntur et cetera. Ista nihil ad propositum.

Lexplication peut se diviser en quatre points : 1. le surnom ignigena est expliqué par la maturation du raisin (« quia calor eum maturat ») ; 2. le surnom « bis genitus » est expliqué par la transformation du raisin en vin (« quia natura ipsum primo fructum format et post iterum per eliquationem in dolio reformat ») ; 3. le foudroiement de Sémélé cest le dessèchement de la vigne (« quia uinea a calore siccatur ») ; et enfin 4. lemmaillotement de Bacchus ce sont les feuilles qui entourent les grappes (« quia sub foliis racemi nutriuntur »).

Pour expliquer le même mythe, lOvide moralisé parle des stades de la maturation que le poème divise en deux phases (« Li vins a double nourreture »). La première nourriture cest la phase hivernale de dormance qui est comparée à la grossesse (« Quar tant com li frois diver dure, / Ce diënt ces naturiën, / Se conçoit li vins au viën, / Aussi come ou ventre la mere »). La seconde nourriture cest la phase qui va du printemps à lautomne, du gonflement des bourgeons – à la sortie des feuilles – et à la formation des grappes, époque comparée à la période postnatale (Ov. mor. III, v. 881-896) :

98

Li vins a double nourreture,

Quar tant com li frois diver dure,

Ce diënt ces naturiën,

Se conçoit li vins au viën,

Aussi come ou ventre la mere,

Et quant li chaulz desté repaire,

Si saillent li bourjon a plain

Fors des viëns, et tout est plain

De fueilles et de fruit ensamble,

Et lors se norrist, ce me samble,

Par le chault jusquas moustoisons,

Et cest, ce samble, la raisons

Pour quoi la fable controuva

Que Baccus, qui les vins trouva,

Fu trais du ventre de sa mere,

Et cousu en la cuisse au pere.

Enfin, lOvide moralisé explique également la haine de la belle-mère Junon par le gel ou le froid qui détruit les bourgeons et les vignes, explication dont Bersuire ne tient aucun compte (Ov. mor. III, v. 897-904) :

Juno, qui lair bas signifie,

Fu sa marrastre et sanemie,

Quar de lair viennent les broëes,

Les froidures et les gelees,

Qui vont les borjon escuisant,

Ou li mal orage nuisant,

Qui tout tempestent et tout batent

Par les vignes ou il sembatent.

Est-ce quon peut dire que lajout de Bersuire est emprunté à lOvide moralisé ? Oui et non. Oui, puisque lexplication du surnom ignigena est une simplification des vers 881-896. Non, puisque le reste (les trois autres explications citées dans les points 2-4 ci-dessus) ne paraît pas dépendre du poème français.

Prenons, pour finir, le célèbre mythe de Narcisse (Mét. III, v. 339-510)44. Dans la version avignonnaise, la figure de Narcisse sert de mise en 99garde contre le culte de soi et le mépris des autres45 et celle dÉcho contre les flatteurs, les querelleurs et les moqueurs46. À la version parisienne Bersuire ajoute six nouvelles moralisations47, trois concernant limage 100reflétée de la fontaine et trois à propos dÉcho. Être épris de notre propre image symbolise : 1. notre amour excessif et malsain pour nos enfants48, 2. lamour coupable pour une mauvaise femme49, 3. les biens temporels qui nous séduisent et nous amènent à la mort50 ; Écho représente 1. un(e) proxénète51, 2. une personne légère et inconstante52, 3. une femme extravagante, amoureuse et bavarde53. À part la troisième explication de limage reflétée (qui peut être considérée comme une paraphrase simplifiée de lOvide moralisé III, v. 1903-1964), aucune des explications ajoutées au mythe de Narcisse ne semble être empruntée au poème français.

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Par cet article, nous avons voulu illustrer certains des défis auxquels nous sommes confrontés lorsque nous tentons de mesurer les emprunts de Bersuire à lOvide moralisé. Nous nous sommes donc proposé de transcrire et danalyser quelques passages tirés des manuscrits contenant la version parisienne de lOvidius moralizatus. Il nous reste à établir le bilan des ajouts empruntés à lOvide moralisé – visiblement, de nombreux ajouts ne dépendent pas du poème – mais notre analyse préliminaire montre que les explications empruntées se réduisent souvent à des paraphrases simplifiées ; en effet, dans bien des cas, lOvide moralisé ne constitue pour Bersuire quun point de départ.

Marek Thue Kretschmer

NTNU – Université Norvégienne de Sciences et de Technologie

1 Létude de référence sur la vie et lœuvre de Pierre Bersuire est : Ch. Samaran et J. Monfrin, « Pierre Bersuire, prieur de Saint-Éloi de Paris », Histoire littéraire de la France, 39, 1962, p. 259-540. En ce qui concerne plus particulièrement lOvidius moralizatus, létude la plus exhaustive demeure larticle de F. Ghisalberti, « LOvidius moralizatus di Pierre Bersuire », Studi Romanzi, 23, 1933, p. 5-136.

2 Le projet Bartholomaeus Anglicus (dont la direction est actuellement assurée par le Seminar für Lateinische Philologie des Mittelalters und der Neuzeit de lUniversité de Münster) a pour ambition déditer intégralement louvrage de Barthélémy. Jusquà présent ont été publiés les deux volumes Bartholomaeus Anglicus : De proprietatibus rerum. Volume I : Introduction générale, Prohemium, et Libri I-IV, éd. B. van den Abeele, H. Meyer, M. W. Twomey, B. Roling, et R. J. Long, Turnhout, Brepols, 2007 ; et Bartholomaeus Anglicus : De proprietatibus rerum. Volume VI : Liber XVII, éd. I. Ventura, Turnhout, Brepols, 2007. Pour lédition de louvrage de lautre frère franciscain, Marc dOrvieto, voir Marci de Urbi Veteri Liber de Moralitatibus, 3. vols., éd. G. J. Etzkorn, New York, St. Bonaventure, 2005. Pour une discussion plus détaillée sur les sources du Reductorium, voir Samaran et Monfrin, « Pierre Bersuire », p. 315-349.

3 Bersuire sexplique ainsi dans le prologue : « notandum tamen quod non intendo moralizare mirabilia fantastica sed realiter in natura existentia atque uera. ». À titre dexemple, je cite lentrée dIslande suivie par la moralisation : « Islandia est terra perpetua glacie condempnata ; mare enim in eius li[c]toribus est congelatum. Vbi sunt ursi fortissimi, qui cum unguibus glaciem frangunt et deinde sub aqua pisces extrahunt, quos manducant secundum Ysidorum. Glacies est ista uita multum fragilis, aqua inferius est mundi prosperitas. Ursi ergo, id est demones, glaciem uite per mortem frangunt et inde de aqua delitiarum pisces, id est uoluptuosos, extrahunt, quos deuorant in inferno. » Citation daprès BnF, lat. 16786, fol. 278v, a33-36 (prologue) et fol. 299v, b33-44 (Islande).

4 Samaran et Monfrin, « Pierre Bersuire », p. 303. Comme lon peut le voir dans cet extrait de larticle sur les différents sens du mot arbre : « Nota, quod in scriptura arbor potest accipi multipliciter. Unde nota quod in scriptura inuenitur arbor proficiens, deficiens, inficiens, sufficiens, reficiens. Iustus enim est arbor, quae proficit, quia scilicet fructus bonorum operum producit. Unde Levit. 26 : “Terra gignet germen suum et pomis arbores replebuntur. Mundus autem seu homo est arbor, quae deficit, quia secundum Aristotelem homo dicitur arbor eversa, cuius scilicet caput est radix, et membra sunt rami. Iste est arbor valde fragilis, finaliter per mortem eradicanda. Iob 19 : “Quasi evulsae arbori abstulit spem meam”. Mundus vero seu peccator est arbor, quae inficit, similis enim taxo, quae est arbor venenosa. Unde Matt. 7 : “Arbor mala fructus malos facit”. Paradisus est arbor, quae sufficit. Ista est arbor, in quam ascendit Zachaeus, ut uideret Iesum (Luc. 19). Crux Christi est arbor, quae reficit. Iob. 30 : “Manducabant herbas et arborum cortices”, » etc. Citation daprès Petri Berchorii Pictaviensis ordinis S. Benedicti Repertorium, uulgo Dictionarium morale, siue tomus tertius pro maiore commoditate nunc primum in duas partes diuisus, Cologne, Johann Wilhelm Friessem, 1692, p. 229. Dans cet exemple, le mot arbre est interprété en fonction de cinq qualités, chacune expliquée par un verset de la Bible : larbor proficiens (larbre fécond) par Lévitique (26, 4 : terra gignet germen suum et pomis arbores replebuntur), larbor deficiens (larbre qui fait défaut, ou bien, lhomme fragile et mortel, espèce darbre inversé selon une définition aristotélicienne) par un verset de Job (19, 10 : quasi euulsae arbori abstulit spem meam), larbor inficiens (larbre vénéneux, ou bien, lhomme pécheur) par un verset de Matthieu (7, 18 : Arbor mala fructus malos facit), larbor sufficiens (larbre indépendant, ou bien, le jardin du paradis) par Luc 19 (Zaché grimpé sur le sycomore pour voir Jésus), et larbor reficiens (larbre qui nourrit, ou bien, la croix du Christ) par un verset de Job (30,4 : manducabant herbas et arborum cortices).

5 Édition par M. van der Bijl, « Berchoriana : la Collatio pro fine operis de Bersuire, édition critique », Vivarium, 3, 1965, p. 149-170. Pour une discussion des pseudo-berchoriana, voir J. Engels, « Berchoriana : les pseudo-Bersuire », Vivarium, 3, 1965, p. 128-148.

6 M.-H. Tesnière, « À propos de la traduction de Tite-Live par Pierre Bersuire : le manuscrit dOxford, Bibliothèque bodléienne, Rawlinson C 447 », Romania, 118, 2000, p. 449-498 ; « Un manuscrit exceptionnel des Décades de Tite-Live traduites par Pierre Bersuire », La traduction vers le moyen français. Actes du IIe colloque de lAIEMF, Poitiers, 27-29 avril 2006, éd. C. Galderisi et C. Pignatelli, Turnhout, Brepols, 2007, p. 125-147 ; « Les Décades de Tite-Live traduites par Pierre Bersuire et la politique éditoriale de Charles V », Quand la peinture était dans les livres. Mélanges en lhonneur de François Avril à loccasion de la remise du titre de docteur honoris causa de la Freie Universität Berlin, éd. M. Hofmann et C. Zöhl, Turnhout, Brepols, 2007, p. 345-352. Voir aussi J. Rychner, « Observations sur la traduction de Tite-Live par Pierre Bersuire (1354-1356) », Journal des savants, 4, 1963, p. 242-267. Le magnifique exemplaire de la Bibliothèque de lArsenal 3693, fait pour le duc Louis II de Bourbon, est accessible en ligne sur le site Gallica.

7 F. T. Coulson et B. Roy, Incipitarium Ovidianum. A finding guide for texts related to the study of Ovid in the Middle Ages, Turnhout, Brepols 2000, p. 24-27. La liste des manuscrits conservés est étendue à 91 par P. Piqueras Yagüe, auteur de la thèse de doctorat inédite El Ovidius moralizatus de Pierre Bersuire : Texto, traducción y estudio, soutenue à lUniversité de Murcia le 18 septembre 2020. La thèse de Monsieur Piqueras fournit également un classement mis à jour.

8 En premier lieu, Petrus Berchorius, Reductorium morale, Liber XV : Ovidius moralizatus, cap. i : De formis figurisque deorum. Textus e codice Brux., Bibl. Reg. 863-9 critice editus, éd. J. Engels, Utrecht, 1966, p. iii-xxii ; et « Lédition critique de lOvidius moralizatus de Pierre Bersuire », Vivarium, 9, 1971, p. 19-24.

9 À lexception de BnF, lat. 16785-16787. Voir Engels. De formis figurisque deorum. Textus e codice Brux., p. xx.

10 En deux volumes, le premier contenant le De formis figurisque deorum, chapitre introductif sur les dieux païens, et le suivant contenant les 15 chapitres de lOvidius moralizatus : Petrus Berchorius, Reductorium morale, Liber XV : Ovidius moralizatus, cap. i : De formis figurisque deorum, naar de Parisje druk van 1509, éd. J. Engels, Utrecht, 1960 ; et Petrus Berchorius, Reductorium morale, Liber XV : Ovidius moralizatus, cap. ii-xv : Ovidius moralizatus, naar de Parisje druk van 1509, éd. J. Engels, Utrecht, 1962.

11 On trouve déjà cette fausse attribution dans la mise en prose des Métamorphoses de limprimeur brugeois Colard Mansion, qui contient des traductions de lOvidius moralizatus et qui fut publiée en 1484 (et en 1493) par limprimeur parisien Antoine Vérard sous le titre de Bible des poëtes. Voir S. Cerrito, « À propos de la Bible des poëtes », Le Moyen Français, 69, 2011, p. 1-14 ; « Colard Mansion relit les Métamorphoses. Une nouvelle version brugeoise de lOvide moralisé », Pour un nouveau répertoire des mises en prose. Roman, chanson de geste, autres genres, éd. M. Colombo, A. Schoysman et B. Ferrari, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 85-99.

12 J.-B. Hauréau, « Mémoire sur un commentaire des Métamorphoses dOvide », Mémoires de lInstitut national de France, 30, 2ᵉ partie, 1883, p. 45-55.

13 Il suffit de comparer lédition de Bade aux manuscrits conservés de la version avignonnaise pour constater les divergences (concernant même, à certains endroits, lordre ou le nombre des fables).

14 Voir la note 8 ci-dessus.

15 Pour la constitution du texte nous avons consulté les manuscrits suivants : Troyes, Bibliothèque municipale 1627, fol. 2v 4-9 et Londres, British Library, Add. 15821, fol. 6r 20 - 6v 4.

16 Voir Francesco Petrarca, LAfrica, éd. N. Festa, Florence, Sansoni, 1927, p. 57-62.

17 J. Seznec, La survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans lhumanisme et dans lart de la Renaissance, Londres, The Warburg Intitute, 1939, p. 151-154.

18 Engels, De formis figurisque deorum. Textus e codice Brux., p. xx-xxi.

19 E. Beltrán, « Jacques Legrand prédicateur », Analecta Augustiana, 30, 1967, p. 148-209 ; « Une source de lArchiloge Sophie de Jacques Legrand : lOvidius moralizatus de Pierre Bersuire », Romania, 100, 1979, p. 483-501.

20 Beltrán, « Une source », p. 485.

21 M. S. van der Bijl, « Petrus Berchorius, Reductorium morale, Liber XV : Ovidius moralizatus, cap. ii », Vivarium, 9, 1971, p. 25-48.

22 Engels « Lédition critique ». Voir également ci-dessus la note 7.

23 Cité daprès P, fol. 1r b43 - 1v a1. [« Pourtant nul ne doit sinquiéter si les fables des poètes ont déjà été moralisées et même mises en vers français, il y a quelque temps, à linstance de la souveraine Jeanne, autrefois reine de France ; car, en effet, je navais pas vu cet ouvrage avant davoir entièrement achevé mon traité. Cependant, il se trouve quaprès mon retour dAvignon à Paris, Maître Philippe de Vitry, homme dun talent extraordinaire, grand amateur de philosophie morale, dhistoire et dantiquités, versé également dans toutes les sciences mathématiques, ma donné ledit livre français, dans lequel jai sans doute trouvé plusieurs bonnes explications à la fois allégoriques et morales. Par conséquent, jai tout révisé et si je navais pas proposé ces explications auparavant, jai pris soin de les insérer aux bons endroits. »] (Nous traduisons). Il est intéressant de comparer cet extrait à un passage du prologue de la version avignonnaise où Bersuire avoue avoir entendu parler du poème français quil regrette de ne pas avoir pu exploiter : « Non moueat tamen aliquem quod dicunt aliqui fabulas poetarum alias fuisse moralizatas, et ad instantiam dominae Iohannae quodam reginae Franciae dudum in rithmum gallicum fuisse translatas, quia reuera opus illud nequaquam me legisse memini, de quo bene doleo, quia ipsum inuenire nequiui. Illud enim labores meos quam plurimum releuasset, ingenium meum etiam adiuuisset. » Voir Engels, De formis figurisque deorum, naar de Parisje druk van 1509, p. 4.

24 Et une seule fois dans le De figuris formisque deorum, à propos des Bélides (cest-à-dire les Danaïdes) : « Quid autem iste fuerint, inueni sic in illo libro ubi fabule in rigmis gallicis continentur ». Voir Engels, De formis figurisque deorum. Textus e codice Brux., p. 51.

25 Nous nous réservons dexaminer lensemble des ajouts de la version parisienne dans un travail ultérieur.

26 P, fol. 24r, a2-9. [« Il y eut un certain Tirésias, qui trouva par hasard deux serpents en train de saccoupler. Alors quil les avait frappés, il perdit immédiatement son aspect et sa nature dhomme et fut changé en femme. Étant resté femme pendant sept ans, il trouva les mêmes serpents en train de saccoupler encore une fois. Alors quil les avait frappés pour la seconde fois, il cessa dêtre femme et redevint homme »]. Nous traduisons.

27 Notons au passage que le moralisme de notre bénédictin ne le prive pas du sens de lhumour. Comme explication du jugement de Tirésias (Mét. III, v. 333 : « dicta Iouis firmat ») Bersuire ajoute la morale quil nest pas toujours bon de dire la vérité, surtout concernant les affaires des femmes. Il vaut mieux ne pas sen mêler ! P, fol. 24r b21-27 : « Istud potest applicari iocose, quod non est bonum semper dicere ueritatem et potissime ubi agitur de negotiis dominarum. Iste enim faciliter indignantur, quando ipsarum opinionibus contrariatur fitque quandoque, quod homo lumen prosperitatis amittit, quando ueritatem predicat seu dicit ; ideo Gal. 4. :Ego, inquit,inimicus factus sum uera dicens uobis”. » Ce passage constitue une paraphrase de la mise en garde de lOvide moralisé III, v. 1060-1085 : « Bien puet chascuns apercevoir / Et prendre garde a ceste fable / Que perilleuse est et doutable / La haïne de poissant fame, / Et, saucuns ou aucune a dame / Poissant de sa volenté faire, / Chose qui li puisse desplaire / Gart soi bien quil ne die ou face, / Quar maintenant perdroit sa grace, / Et sa malvueillance encovroit, / Dont grant maulz venir li porroit. / Chier comparroit sa malvueillance. / Feme na point de conscience / De nuire cui la contralie, / Soit tors, soit drois, sens ou folie, / Mes quele se puisse vengier. / Gart soi qui est en son dangier / Quil ne die ou face vers lui / Chose qui li tourt a anui, / Ne ja pour aquerre la grace / Dou seignour ne die ou ne face / Chose qui desplaise a la fame, / Quar tous jours veult elle estre dame, / Et sil est nulz qui li desplaise, / Sele en puet avoir leu ne aise, / Elle le punira griement. »

28 P, fol. 24r b8-21 [« Un jour, alors que Jupiter et Junon samusaient à disputer entre eux sur les plaisirs de la chair et sur la question de savoir qui de lhomme ou de la femme éprouvait le plus de plaisir en amour, ils choisirent comme arbitre Tirésias qui avait été et homme et femme. Alors que Tirésias avait confirmé lopinion de Jupiter en déclarant que la femme jouissait plus que lhomme, Junon, indignée, le priva de la vue et le condamna à la cécité. Mais Jupiter, ayant pitié de lui, lui accorda le don de la divination en compensation de la perte de la vue, et dès lors Tirésias donna les réponses les plus véridiques à toute chose, ce qui augmenta beaucoup sa réputation, comme le décrit Ovide dans le troisième livre »]. Nous traduisons.

29 « Iste Tiresias significat populum Iudaicum, qui a principio fuit uir, id est uirtuosus et bonus, sed quia serpentes inuicem coeuntes, id est duplicem Christi naturam diuinam et humanam insimul iunctam per fidem et credulitatem, recipere noluit, immo ipsos contempsit et percussit – percussit, dico, naturam diuinam trinitatem non recipiendo et filium a patre non distinguendo, percussit et humanam naturam ipsam in cruce occidendo et uituperiis affligendo – ideo dico, quod ille Tiresias, id est populus Iudeorum, a uirili conditione, id est a fidei uirtute et condicione seu perfectione, cecidit et in naturam femineam, id est in gentem imperfectam et instabilem, mutatus fuit, ita quod per septennium, id est per uniuersitatem temporum, ipsos in femineo statu, id est imperfecto, persistere oportebit. Verumtamen ille populus predictos serpentes uidebit et duplicem Christi naturam credet, ipsum lacrimis et orationibus penitendo percutiet et mouebit. Et sic fiet, quod ille populus in uirum iterum conuertetur. » Pour la constitution du texte nous avons consulté le ms. Vatican, Pal. lat. 159, fol. 197r, a44 - b15.

30 « De uirga in serpentem mutata, quem primo Moyses exhorruit sed caudam eius postea apprehendit, et sic serpens in uirgam iterum est mutatus, nec ipsum Moyses amplius timuit. Virga uirtutis Dei est Dei filius benedictus, qui cum in serpentem, id est in mortalem hominem, fuisset mutatus, Moyses, id est Iudeorum populus, accipere uel credere noluit sed potius ipsum horruit et contempsit. In cauda tamen, id est in fine, ipsum credendo accipiet et eum esse uirgam, id est Dei filium, recognoscet, quia cum plenitudo gentium introerit, tunc omnis Israel saluus fiet. Ysa. x. » Pour la constitution du texte nous avons consulté les ms. Londres, British Library, Add. 15821, fol. 73r 19 - 73v 6 ; Troyes, Bibliothèque municipale 1627, fol. 46v ; et Vatican, Pal. lat. 159, fol. 197r a44 - b15.

31 « Vel aliqui exponunt de Paulo, qui primo factus fuit mulier, id est infedelis, quia ipsos serpentes, id est Christum, in duplici natura in suis fidelibus percutiebat, tandem, quia eos per fidem uidit et predicando percussit et tetigit, ideo in uirum, id est in fidelem, mutatus fuit et sic utramque naturam melius sciuit, iusti scilicet et peccatoris ; unde ipse dicebat ;.i. Cor. xiii. “Cum autem factus sum uir, euacuaui que erant paruuli.” Iste enim ad litteram fuit cecatus, Actuum ix., et tandem dominus id est perfectus catholicus est effectus. » Pour la constitution du texte nous avons consulté le ms. Bruxelles, Bibliothèque royale 2916 (863-869), fol. 67r a1-12 ; et P, fol. 24r a47-58.

32 P, fol. 24r a58 - b8 [« Ou bien, dis, selon Fulgence, que Tirésias signifie le temps puis quil est changé de femme en homme, cest-à-dire dhiver en été, quand il voit des serpents en train de saccoupler, cest-à-dire laccomplissement de la reproduction de toute chose. La femme jouit plus que lhomme parce que lhiver contribue plus que lété à la reproduction des fruits. Junon le prive de la vue parce que lair couvre lhiver de nuages. Consulte Fulgence si tu veux »]. Nous traduisons.

33 Mitologiae 2, 5 : « Teresiam enim in modum temporis posuerunt quasi teroseon id est aestiua perennitas » [« On a vu en effet en Tirésias un symbole du temps, Tirésias, en quelque sorte “teroseon”, cest-à-dire “été perpétuel”. »] Texte et traduction daprès Fulgence. Mythologies, éd. E. Wolff et Ph. Dain, Villeneuve dAscq, Presses universitaires du Septentrion, 2013, p. 88-89.

34 Ibid. : « Ergo ex uerno tempore, quod masculinum est quia eodem tempore clusura soliditasque est germinum, dum coeuntia sibi adfectu animalia uiderit eaque uirga id est feruoris aestu percusserit, in femineum sexum conuertitur, id est in aestatis feruorem » [« Donc, au sortir du printemps – masculin parce que, à cette époque, les graines sont fermées et dures –, quand il voit les animaux sunir sous leffet du désir et quil les frappe de sa baguette, cest-à-dire du feu de lardeur, il est changé en femme, cest-à-dire en lardeur de lété. »]

35 Ibid. : « Ideo uero aestatem in modum posuerunt feminae, quod omnia patefacta eodem tempore suis emergant folliculis » [« Si on a vu en lété un symbole de la femme, cest parce quà cette époque toutes les pousses souvrent et émergent de leurs enveloppes. »]

36 « Et quia duo concipiendi sunt tempora, ueris et autumni, iterum conceptu prohibito ad pristinam redit imaginem. Autumnus enim ita omnia masculino corpore astringit, quo constrictis arborum uenis uitalis suci conmerciales transennas iterum stringens foliorum marculentam detundat caluitiem » [« Et parce quil y a deux saisons pour la conception, le printemps et lautomne, quand la conception lui est à nouveau interdite il retourne à son apparence première. Lautomne, en effet, enserre toutes choses dans son corps masculin pour, après avoir resserré les veines qui circulent dans les arbres, serrer à nouveau le réseau distribuant la sève vitale, causant ainsi la flétrissure des feuilles et leur chute. »] Fulgence, Mythologies, p. 90-91.

37 Ibid. : « Denique duobus diis id est duobus elementis arbiter quaeritur, igni atque aeri, de genuina amoris ratione certantibus. Denique iustum profert iudicium ; in fructificandis enim germinibus dupla aeri quam igni materia suppetit ; aer enim et maritat in glebis et producit in foliis et grauidat in folliculis, sol uero maturare tantum nouit in granis » [« Enfin, il est pris comme arbitre entre les deux divinités, cest-à-dire les deux éléments, le feu et lair, quand elles sont en désaccord sur lévaluation réelle de lamour. Et le jugement quil émet est juste ; en effet la matière de lair aide deux fois plus que celle du feu au développement des semences. Car lair féconde le sol, fait sortir les feuilles et grossir les fruits dans leurs enveloppes, tandis que le soleil ne sait que faire mûrir les graines »].

38 Ibid. : « Nam, ut hoc certum sit, cecatur etiam a Iunone, illa uidelicet causa, quod hiemis tempus aeris nubilo caligante nigrescat, Iuppiter uero occultis uaporibus conceptionalem factum ei futuri germinis subministrat, id est quasi praescientiam ; nam ob hac re etiam Ianuarius bifrons pingitur, quod et praeterita respiciat et futura » [« Et la preuve, cest quil est même privé de la vue par Junon, pour la raison bien sûr que la saison hivernale est assombrie par les nuages ténébreux qui flottent dans lair ; quant à Jupiter, par les vapeurs chaudes quil envoie secrètement, il lui fournit la conception des productions futures, cest-à-dire en quelque sorte la prescience ; car si Janvier est aussi représenté avec une double face, cest parce quil regarde le passé et le futur »].

39 Ov. mor. III, v. 1137-1171 : « Jupiter et Juno plaidoient : / Des qualitez damors voloient / Estre acordé par Tyresie. / Juno nostre air bas signifie, / Qui chaulz est et moistes ensamble, / Et Jupiter, si com moi samble, / Le feu, qui chaulz est sans humor, / Cest sol. Des qualitez damour / Sordoit entre ces elemens / Contreverse et discordemens, / Douquel la terre froide et dure / Reçoit plus grace et nourreture / Et plus puet datemprance avoir. / Ce puet len par le temps savoir, / Quar selonc les muabletez / Cognoissons nous les qualitez / Des elimens et les natures / Par lesqueulz toutes creatures / Sont soustenues et norries. / Droit jugement fist Tyresies, / Com cil qui bien le dut savoir : / Joven dut trois onces avoir, / Et Junain deus tans plus damours, / Quar mieux vault la tempree humours / De lair aus fruis multeplier / Et as plantes actefier / Deus tans plus que li feus. Coment ? / Quar de lair vient latemprement / Par cui les gletes reverdissent, / Et les fueilles des plantes issent, / Si fet les borions engroissier, / Les plantes croistre et espoissier, / Et les fruis nestre et escurer, / Et li solaus fet meürer, / Ou li feus, les fruis et les blez. »

40 Ov. mor. III, v. 1172-1188 : « Tyresyes fu anublez, / Et Juno, dire escommeüe, / Le despoulla de sa veüe, / Quen yver obscurcist et trouble / Li airs, qui tout le tens rent trouble / De broïne, et de geuvre plain, / Si que len ne voit goute a plain, / Mes dessouz livernal froidure, / Qui est geuvrieuse et obscure, / Se norrist des fruis grant plenté, / Que la chalours dou tens desté / Fait puis aparoir et fors traire, / Tout soit lumours au feu contraire, / Bons est des deus latemprement / Pour faire fructefiement / De toute plante, en toute germe, / Si com lescripture laferme. »

41 Pour une analyse du traitement du mythe dans lOvide moralisé, nous nous permettons de renvoyer à notre article « La figure de Bacchus dans lOvide moralisé et dans lOvidius moralizatus », Bacchus entre Moyen Âge et Renaissance, éd. J.-M. Fritz, O. A. Duhl et S. Menegaldo, Dijon, Éditions universitaires de Dijon (à paraître).

42 P, fol. 22v b55 - 23r a8. *Le manuscrit a ignigerens que nous avons corrigé en ignigena daprès BnF lat. 14136, fol. 70v, 10. [« Après le foudroiement de Sémélé, par laquelle Jupiter avait engendré Bacchus, il ne voulut pas que son fils pérît avec la mère. Pour cette raison, il le tira du ventre de la mère et lenferma dans sa cuisse où il le garda jusquau terme des neuf mois. Ensuite, il donna naissance à Bacchus qui fut donc surnommé “le deux fois né.” Il fut également surnommé “né du feu”, car il avait été enlevé du feu. Et afin que la belle-mère Junon ne le trouve pas, les nymphes de Nysa lenveloppèrent dans le lierre et le cachèrent et nourrirent dans leurs grottes. Par conséquent, depuis lors le lierre est consacré au dieu Bacchus »]. Nous traduisons.

43 P, fol. 23r, a46-54. * Nous avons normalisé lorthographe. Le manuscrit a elicationem. [« Si tu veux savoir le sens littéral, dis que Sémélé est la vigne, Bacchus le raisin, surnommé “né du feu”, puis que la chaleur le fait mûrir. Il est surnommé “né deux fois” puis que la nature lui donne dabord la forme du fruit (du raisin) et puis lui donne une nouvelle forme par le passage à létat liquide dans le tonneau. La mère est frappée par la foudre puisque la vigne se dessèche au soleil, Bacchus est enveloppé dans le lierre, puisque les grappes poussent sous les feuilles de la vigne. Mais tout cela nappartient pas à notre propos »]. Nous traduisons.

44 Selon la première explication de lOvide moralisé (III, 1464-1524), Écho « denote bone renomee » (Ov. mor. III, v. 1465), tandis que Narcisse représente lhomme qui, à cause de son orgueil, perd sa bonne renommée : « De Narcisus, le biau, le gent, / Fu grans la bone renomee, / Sil la vausist avoir amee, / Mes il fu tant outrecuidiez, / Plains dorgueil et de sens vuidiez, / Quil perdi dou siecle la grace. / Pour la grant biauté de sa face / Voloit tous homes desprisier : / Ce fist son los apetisier, / Sen fu sa bone renomee / Trestoute estainte et estofee. » (Ov. mor. III, v. 1504-1514). Narcisse est également associé à la fleur qui porte son nom (Ov. mor. III, v. 1850-1851 : « La flours, et la vile autresi, / Apele on Narci… »). Étant une image de la caducité des biens terrestres, la fleur donne lieu à une réflexion sur le thème de la fugacité de la beauté mondaine (Ov. mor. III, v. 1854-1902). Enfin, la fontaine est le miroir mensonger du monde. Qui se reflète dans ses eaux ny voit que de fausses ombres (Ov. mor. III, v. 1903-1964). Voir aussi E. Baumgartner, « Narcisse à la fontaine : du “conte” à “lexemple”, Cahiers de recherches médiévales (xiiie-xve siècle), 9, 2002, p. 131-141.

45 « Reuera talis sententia Tiresie [Mét. III, v. 348 : “Si se ne nouerit] cottidie uerificatur in multis, quia multi sunt, qui spiritualiter uiuerent, si se et suam pulchritudinem numquam attenderent uel uiderent. Sed quia plerumque accidit, quod quidam summa pulchritudine uigent, ita quod pulchritudinem corporis quantum ad formam, pulchritudinem anime quantum ad conscientiam, et pulchritudinem fortune quantum ad opulentiam magnam habent, isti in superbiam elati omnes despiciunt et nullius societatem aut copulam uolunt, immo alios indignos societate et familiaritate sua credentes ipsos fatue uilipendunt. Isti ergo in fonte mundane prosperitatis uidentes umbram status sui, quiaomnia transeunt sicut umbra, Sapientie quinto. Ita feruenter ipsam diligunt et se in ea ita glorificant, quod anime uitam perdunt. Bonum est ergo, quod homo se non uideat et quod ad suas naturales temporales et morales gratias per complacentiam non respiciat, ne ex hoc alios uilipendat. Et ideo commendatur ignorantia Canticorum, ubi anime diciturSi ignores te o pulcherrima mulierum egredere et abiet sequiturPulchre sunt gene tue. » Pour la constitution du texte nous avons consulté le ms. Vatican, Pal. lat. 159, fol. 197v b14-38.

46 « Dic, quod Echo significat adulatores, qui et montes, id est prelatos, siluas, scilicet religiosos, flumina, id est seculares et delicatos, frequentant et circa ipsos resonant et clamant. Si enim contingat aliquid ab aliquo dici, statim solent ad uerba ipsius respondere, et uerbum eius tanquam benedictum replicare. Eccl. 3. “Diues locutus est et omnes tacuerunt et uerbum eius usque ad nubes perduxerunt.” Vel dic, quod tales Echo sunt quedam litigiose et brigose mulieres uel etiam quidam seruitores queruli, qui ultimum uerbum uolunt habere, et ad omnia, que dicuntur a maritis atque dominis, respondere. Etsi ab eis reprehenduntur, semper murmurant. Contra illud Leuit. 19. “Non eris criminator aut susurro in populis. Vel dic contra derisores : uerba aliorum deridendo referunt ipsique, si que sibi placentia uel placita non audiunt, sepe multiplicant atque dicunt. » Pour la constitution du texte nous avons consulté le ms. Londres, British Library, Add. 15821, fol. 76r 1-17.

47 Nous signalons que parfois Bersuire allonge également les explications déjà données dans la version avignonnaise. Voici par exemple lexplication de la note 45 daprès P, fol. 28v a22-b5 (les passages ajoutés sont mis en gras) : « Reuera talis sententia Tiresie cottidie uerificatur in multis, quia multi sunt, qui spiritualiter uiuerent, si se uel suam pulchritudinem numquam attenderent aut uiderent. Sed quia plerumque accidit, quod quidam pulchritudine summa uigent, ita quod pulchritudinem corporis quantum ad formam, pulchritudinem anime quantum ad scientiam, pulchritudinem rerum quantum ad opulentiam magnam habent, ideo isti in superbiam elati omnes alios despiciunt nulliusque societatem aut copulam uolunt, immo alios indignos societate et familiaritate credentes ipsos fatue uilipendunt. Quid ergo ? Pro certo isti in fonte mundane prosperitatis uidentes umbram et imaginem et eminentiam status sui, quiaomnia transeunt sicut umbra, Sap. v. Feruenter ipsam diligunt et se in eo ita glorificant, quod anime uitam perdunt. Unde breuiter tales possunt dicere illud Sap. xv. “In errorem induxit nos umbra picture, labor sine fructu, effigies sculpta per uarios colores, cuius aspectus insensato dat concupiscentiam et diligit mortue imaginis effigiem sine anima”. Quod etiam de multis in ecclesia et religione potest dici, quod, dum pulchritudinem moralem et uirtutem, quam habent, considerant, in uanam gloriam elati alios contempnunt et uituperant et se immoderate reputant atque amant, et sic per inanem gloriam et superbiam pereunt et in florem uane hypocrisis transeunt et eorum anime finaliter ad inferos descendunt. Bonum est ergo, quod homo se non uideat modo prefato et quod ad suas pulchritudines naturales temporales et morales per complacentiam non attendat, ne ex hoc alios uilipendat et exinde spiritualiter uitam et existentiam per casum in peccatum uel apostasiam cito perdat. Ideo bene uidetur sui non notitiam sed ignorantiam commendare sponsus Canticorum I, ubi dicit animeSi ignoras te, pulcherrima inter mulieres, egredereet alibi sequiturPulchre sunt gene tue sicut turturiset cetera. »

48 P, fol. 28v, b5-7 : « Vel dic, quod imagines nostre sunt filii nostri, quos pro certo, dum immoderate diligimus, sepe fit, quod diuersis uitiis perimus. »

49 P, fol. 28v, b7-14 : « Vel dic, quod imago est mala mulier, quam cum nobis arridere querimus, sepe ita indecenter amamus, quod mortem culpe incurrimus et sentimus. Allega ut supra. Vide, si uis, hic condiciones umbre uel imaginis in speculo uel in aqua, que hic ab Ouidio pulcherrime describuntur. »

50 P, fol. 28v, b14-24 : « Vel dic, quod ista umbra temporalia mundi bona designat, que reuera in fonte mundane prosperitatis homini solent arridere et quasi osculum et amplexum spondere. Que tamen qui diligit et acquirere cupit, uix pro uoto potest acquirere uel habere, ita quod pre desiderio, ambitione et auaritia terrenorum quandoque sole[n]t perire et sic in florem mutari. Dicitur pro eo, quod tales solent cito deficere et eorum gloria euanescere et dormire ; Ecclesiastici 34 “Qui apprehendit umbramet cetera. »

51 P, fol. 28v b45-50 : « Ista possunt historialiter allegari contra lenones et lenas et contra uetulas rufianas, que scilicet adulteriis fauent et, dum sua opera lubrica faciunt, Iunonem, id est zelotypos et parentes iuuencularum, in uerbis tenent. »

52 P, fol. 29r a5-11 : « Vel dic, quod pulchritudo Narcissi est pulchritudo mundi. Quam qui immoderate appetunt, in uocem, id est in personam sine uirtute et sine soliditate constantie, euanescunt ; Ro. i. “Euanuerunt in cogitationibus suiset quianon probauerunt deum habere in notitia”, “obscuratum est insipiens cor eorum”. »

53 P, fol. 29r a11-16 : « Vel potest dici contra fatuas mulieres, que pre desiderio et amore iuuenum male fiunt, per montes et siluas discurrunt, et quia loquaces et garrule sunt, ideo possumus dicere, quod quasi penitus uoces fiunt. »