Skip to content

Classiques Garnier

The Blason de la mort and its Prose “Double” New Perspectives on Jean de Vauzelles, the Blasons and Holbein’s “Dance of Death” (1536-1538)

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2020 – 2, n° 40
    . varia
  • Author: Kammerer (Elsa)
  • Abstract: Comparing the Blason de la mort by J. de Vauzelles (1536) with its little-known prose “double” which accompanies Holbein’s “Dance of Death” in its 1538 edition, the paper focuses on the possibility of representing abstractions (death and beauty) in figurative form, harking back to Lucian and O. de la Marche. The Blason points out a sensitivity to the theological beauty of resuscitated and glorious bodies, and at the same time to the sensuous beauty of the female body.
  • Pages: 269 to 291
  • Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406112631
  • ISBN: 978-2-406-11263-1
  • ISSN: 2273-0893
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11263-1.p.0269
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 01-04-2021
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: Vauzelles, Holbein, Olivier de La Marche, Dance of Death, blazons
269

Le Blason de la mort
et son double en prose

Du nouveau sur Jean de Vauzelles, les Blasons
et la « Danse de la mort » de Holbein (1536-1538)

Aborder le champ poétique lyonnais par le biais de personnages que lon a jusqualors considérés comme faisant partie des minores oblige parfois, dans le paysage littéraire dune période donnée, même courte, à repenser réseaux et hiérarchies. Ainsi par exemple de Jean de Vauzelles1, prieur de Montrottier et chevalier de la primatiale Saint-Jean, que lon retrouve souvent sur les mêmes terrains que Geoffroy Tory ou Gilles Corrozet, et dont on perçoit mieux désormais le rôle important quil a joué parmi les poètes consacrés par lhistoire littéraire. Le Blason des cheveux et le Blason de la mort2, qui encadrent les Blasons anatomiques du 270corps féminin que publie LAngelier en 1543, témoignent ainsi de lautorité et de la visibilité dont jouit Vauzelles dans les années 1536-1543, à Lyon comme à Paris. Avant que paraisse Délie en 1544, il semble même quil soit plus important à Lyon que Maurice Scève3. Barthélemy Aneau, dans son Quintil de 1551, le cite en tout cas au même titre que Jean Lemaire de Belges, Octovien de Saint-Gelais, « Philistine » et Clément Marot4. François de Billon, dans son Fort inexpugnable (avant 1555), mentionne le « bon père Vauzelles » comme précurseur de Salel, Magny, Héroët, Mellin de Saint-Gelais, Marot, Belleau et la Pléiade5. La réévaluation du rôle joué par Vauzelles parmi les notables lyonnais et les antiquaires, aux côtés dAntoine Duprat, de Jacques de Vintimille, et surtout de Sante Pagnini, avec qui il fonde lAumône générale de Lyon, ancre par ailleurs ce personnage dans les réseaux religieux, politiques et poétiques de la cité rhodanienne, tandis que ses activités de traducteur et sa présence dans lentourage proche de la famille royale font de lui, à Lyon, lhomme de Marguerite, et lun des intermédiaires pour François ier de sa politique italienne. Le biais vauzellien oblige en outre à étendre le champ littéraire lyonnais aux terres dEmpire, et confirme limportance non négligeable dun style rhénan qui vient à lencontre de la conception de Lyon qui serait exclusivement « italianisante » : Vauzelles traduit en 1526, pour Marguerite, lHystoire evangélique dOttmar Nachtgall6, et 271il assure en 1538 lédition princeps à Lyon de la fameuse « Danse de la mort » de Holbein7.

Le biais des minores, qui suit en quelque sorte les creux de la recherche, peut également conduire à quelques trouvailles. Ainsi de la découverte en 2005 du premier traducteur jusque-là méconnu – Jean de Vauzelles, donc, avec son frère Georges – du Songe de Poliphile de Francesco Colonna, dont les motifs inspirent aussi bien les entrées lyonnaises de 1533, conduites par Vauzelles, que le Blason des cheveux, qui christianise plusieurs motifs du Poliphile8.

Ainsi également dune autre découverte, qui fait lobjet de cet article : celle dun « double » en prose, non encore repéré, du Blason de la mort. Il sagit des « Diverses tables de la mort, non painctes, mais extraictes de lescripture saincte, colorées par Docteurs Ecclesiastiques, et umbragées par Philosophies », un texte en prose qui accompagne en 1538 lédition princeps des gravures de la mort de Holbein chez les frères Trechsel sous le titre de Simulachres et historiées faces de la mort (fig. 1 et 2)9. La mise en regard des deux textes (voir annexe) ne laisse aucun doute sur leur gémellité : reprenant les mêmes motifs et les mêmes images, dans le même ordre, tous deux amplifient lanalogie reprise à Sénèque entre vie terrestre et préparation à une seconde naissance10.

272

La chronologie est ici importante : le texte en prose, malgré sa date de parution postérieure, a-t-il été rédigé avant que Marot lance la mode des Blasons (les bois de Holbein se trouvent chez Trechsel depuis plusieurs années et le double projet vauzellien dédition des Icones et des Simulachres est ancien11) ? Ou bien le Blason de la mort, comme le suggère a priori la date de publication, est-il antérieur aux « Diverses Tables », qui en constitueraient un dérimage augmenté ? Ou bien encore – cest lhypothèse que nous tendons à privilégier – les deux textes ont-ils été rédigés dun même mouvement, lun en vers, aimanté par le motif de la beauté qui sous-tend le recueil des Blasons, lautre en prose, davantage orienté par le memento mori que représentent les gravures de Holbein, mais tous deux fondamentalement nourris par une même réflexion sur la figuration ? Il nous semble en effet que, dans le cas du Blason comme dans celui des Tables, lenjeu principal est bien celui de la figuration, cest-à-dire de la possibilité même de figurer deux entités abstraites : la mort comme la beauté. Or si un même geste préside aux deux textes, il faut reprendre à nouveaux frais linterprétation du Blason de la mort, ainsi que lanalyse des « Tables ». Cest ce que nous aimerions esquisser ici.

Lucien et les enjeux de la figuration :
Les gravures dHolbein vues par lœil du blasonneur

La référence explicite, dans les Simulachres de la mort, à un dialogue de Lucien qui porte sur la manière de figurer la beauté féminine constitue à nos yeux un argument de poids pour accréditer la thèse dune composition concomitante des « Tables » et des Blasons. Dans le texte en prose placé dans les Simulachres immédiatement après la série des gravures de Holbein, intitulé « Les diverses Mors des bons, et des maulvais du viel, et nouveau Testament », Vauzelles explicite en effet sa démarche : il sagit de donner à voir la mort « par le pinceau de lécriture », cest-à-dire en renvoyant 273au récit biblique de la mort de plusieurs personnages12. De même que la beauté de la femme pourra être décrite en recueillant la description de ses différents membres, en un centon de plusieurs pièces que sont les beautés particulières de chacun deux, de même la mort pourra-t-elle selon Vauzelles être dépeinte par la collection de différentes morts particulières dont la Bible donne le récit. Or cette démarche, aux yeux de Vauzelles, est analogique de celle que préconisait Lucien lorsquil sagissait de « depeindre une parfaicte beaulté de femme ». Lucien rapporte effectivement, dans ses Portraits (que Vauzelles nomme « dialogue des imaiges »), le récit que fait Lykinos à Polystratos dune femme quil ne connaît pas mais dont la beauté la ébloui ; cette beauté est telle quil ne peut la décrire, sauf à composer son portrait à laide de différents éléments quil emprunte, pour les formes, aux chefs dœuvre de la sculpture grecque, et, pour les couleurs, à ceux de la peinture grecque, puis, pour les parachever, à lart du « plus habile des peintres », le poète Homère13. Ainsi, pour Vauzelles, la mort comme la beauté féminine, dans leur perfection même, se laissent figurer par le recueil des beautés particulières de chaque membre pour la seconde, par le recueil des récits de différentes morts pour la première. Les gravures de Holbein, « tant esfrayeuses aux maulvais », fonctionnent assurément comme autant de memento mori édifiants ; le « petit tableau » dans lequel Vauzelles propose de rassembler « toutes les belles, et laides Mortz de la Bible » met, lui, laccent sur le geste même qui consiste à représenter la mort – il sagit bien, pour la mort, dimiter ce que faisait Lucien pour la beauté féminine :

274

Oultre les funebres figures de Mort [de Holbein], tant esfrayeuses aux maulvais, avec le pinceau de lescripture seront icy representées les Mortz des justes, & iniques, à limitation de Lucian, qui en son dialogue des imaiges dict, Que pour depeindre une parfaicte beaulté de femme, ne fault que revocquer devant les yeulx de la mémoire les particulieres beaultez dung chascun membre feminin çà, & là, par les excellentz peinctres antiquement pourtraictes. Semblablement en ce petit tableau seront tracées toutes les belles, & laides Mortz de la Bible, desquelles les lectrez en pourront comprendre histoires dignes destre aux illiterez comm[un]iquées, Le tout à la gloire de celluy, qui permet à la Mort dominer sus tous vivans, ainsi quil luy plaist, & quand il veult14.

Lintertexte lucianique des Simulachres confirme la dimension dars figurandi attachée à lédition princeps de la « Danse de la mort » comme la proximité – voire la concomitance __ de sa conception avec les recueils de blasons. La démarche adoptée par Lucien, quinvoque Vauzelles, est en effet précisément celle quadoptent les recueils de blasons du corps féminin : suggérer le tout par la collation des parties. Pour lui, le texte de Lucien, la figuration de la mort et la démarche du blason sont donc liées. On sait limplication importante de Vauzelles dans les premiers recueils de blasons, et on imagine aisément les échanges possiblement animés entre les blasonneurs : on peut supposer avec quelque vraisemblance que le « dialogue des imaiges » de Lucien a pu être à lhorizon non pas seulement des Simulachres ni du seul Blason de la mort, mais de lactivité des blasonneurs dans leur ensemble ; dans ce cas, les Portraits lucianiques devraient être versés au dossier des Blasons.

Lorsque Corrozet, à la fin de ses Blasons domestiques, recommande en 1539 de suivre lexemple de Vauzelles « qui blasonne/ Leffect de mort qui repos à tous donne », il reprend certes le motif topique du memento mori, mais il souligne tout autant la capacité poétique dont Vauzelles a fait preuve pour figurer la mort15. Car cest bien lenjeu de la figuration, de la « paincture » que Corrozet met en exergue au seuil de ses propre Blasons : au reproche qui pourrait lui être fait selon lequel « ces blasons ne sont si bien painctz de leurs couleurs quil est justement requis », il répond en filant lanalogie entre blason et peinture, et en suggérant même 275la gradation quavait posée Lucien en voyant dans louvrage dHomère, « le plus habile des peintres », laboutissement de ce quavaient réalisé les plus grands sculpteurs et peintres. La « sçavante muse » viendra « enrichir » le premier jet réalisé par le « painctre » Corrozet :

A ceulx là je prie quilz mestiment comme le painctre qui sur le tableau avec le pinceau mect la premiere couleur, et compasse les traictz et lineatures de son ouvrage, faisant le gect pour y asseoyr les aultres riches couleurs. Ainsi sont ces blasons en leurs premiers p[or]traictz, attendantz que quelque sçavante muse les enriche16.

De même que le « brief epilogue » (v. 5) que propose Vauzelles avec son Blason de la mort prend une dimension nouvelle à la lecture des Simulachres, la prise en considération de lactivité contemporaine des blasonneurs est-elle nécessaire pour mieux comprendre les textes en prose des Simulachres, et la démarche générale qui a présidé à lédition princeps de la « Danse de la mort ». Un homme comme Vauzelles lit apparemment les gravures de Holbein non pas tant comme un ars moriendi que comme un ars figurandi ou, pour le dire autrement, comme un vaste centon de la mort. La démarche lintéresse tout autant que le sujet : le prieur sessaie à blasonner aussi bien les beaux cheveux de la dame que la mort, variant les points de vue, tournant autour de son objet et adoptant sur lui plusieurs perspectives successives que portent trois intertextes bien reconnaissables par les contemporains (Sénèque, Paul et les Psaumes, Olivier de La Marche), tous trois résolument infléchis vers la beauté. Dans les « Tables » en prose, Vauzelles « raisonne » de la mort, dabord « chrestiennement » avec Paul (qui parlait de la mort comme dun sommeil), puis selon « naturelle philosophie » avec Sénèque. Dans le Blason, Vauzelles fait en revanche le choix de « blasonner » la mort (v. 135) – un choix résolument poétique, donc, qui inscrit sans discontinuité ce blason dans le sillage des précédents : la mort comme parachèvement de la beauté demeure ici objet de poésie. Le Blason, comme les « Tables », éprouve ce faisant les possibilités de figuration dentités abstraites (la beauté, la mort). Le saut opéré par le Blason de la mort par rapport à ceux qui le précèdent (il sagit de « mettre arrest » aux blasonneurs des membres du corps terrestre, v. 1-4) est de nature théologique17, non 276poétique, ni même morale : la beauté du corps glorieux, que célèbre ce blason récapitulatif, se fonde dans lordre du recueil sur la beauté du corps terrestre. Le prisme théologique quapporte Vauzelles, absent jusquà présent de la pratique poétique du blason, fait certes changer de paradigme sur le plan esthétique, en proposant une autre idée de la beauté. Mais on reste dans un éloge poétique de la beauté, bien éloigné dun simple memento mori – un éloge contrapunctique de la mort embellissante, finalement, qui puise aussi bien à la théologie quà un intérêt très vif pour les questions de figuration.

La mort créatrice de beauté :
Le Parement dOlivier de La Marche détourné

Le Blason de la mort, en effet, célèbre lui aussi très clairement la beauté de la dame – même si cest une beauté encore à venir. Récapitulant lensemble des beautés particulières de chaque membre, il leur confère leur exaltation dernière. Il clôt le volume de la même manière que la mort parachève la beauté des êtres « à ce jour quon verra/ Celle beaulté, qui par mort nous viendra » (v. 105-106). Les vers inspirés de Sénèque (v. 17-59) sont fermement encadrés par le motif récurrent de la beauté, le poète soulignant à deux reprises la puissance dont dispose la mort pour exalter ultimement la beauté corporelle :

Mais celle mort que vous ay blasonnée,

Elle ne fut fors aux humains donnée,

Que pour noz corps plus beaux faire renaistre

Que noz blasons ne les font apparoistre. (v. 135-138)

Le comparatif « plus beaux que » ne marque pas tant ici lexclusion, voire la condamnation de léloge des membres du corps, que lultime gradation qui consiste à rassembler dans la perfection de la beauté ce qui était jusquà présent épars : si ce que donne à voir successivement le recueil des Blasons fait approcher de la beauté féminine en soi, la mort, elle, révèle soudain cette beauté dans son essence même. Une telle révélation nest évidemment possible quà la condition dadopter une perspective 277théologique : le corps est linstrument du salut de lhomme, et le lieu même de la résurrection ; la mort est celle qui donne au corps sa plus grande beauté en le transformant en corps glorieux de la Résurrection. Mais la « beauté » que loue Vauzelles est aussi celle qui a été louée dans tout le recueil des Blasons. Le saut théologique se fonde bien sur le geste poétique lui-même : la dernière pièce résout léparpillement des membres précédents sous le signe de lultime beauté corporelle. La mort est bien annoncée comme un « fard », un « ornement », une « drogue », cest-à-dire des éléments qui viennent rehausser davantage encore la beauté naturelle du corps féminin par les vertus des cosmétiques et des bijoux :

… Monstrer quil nest fard, ornement, ne drogue,

Qui face ung corps tant beau, guay, ou parfaict,

Comme de mort le grand bien peult, & faict. (v. 6-8)

De fait, le Blason de la mort clôture et récapitule le recueil des Blasons comme le « Miroir dentendement par la mort » clôturait et récapitulait le Parement et triumphe des Dames dOlivier de La Marche18, auquel Vauzelles pense de toute évidence. Mais il en détourne complètement le sens, ce qui confirme à nos yeux linfléchissement du memento mori édifiant vers le jeu du blason tourné tout entier vers lidée de beauté. Les vers allégoriques du Parement décrivent une à une les pièces du vêtement féminin avant den faire le symbole dune vertu : on part des pantoufles dhumilité, puis on remonte le long du corps (souliers de soin et bonne diligence, chausses de persévérance, jarretier de ferme propos, chemise dhonnêteté, corset ou cotte de chasteté, cordon ou lacet de loyauté, etc.) jusquau chaperon de bonne espérance, pour finir avec différents accessoires (bague de foi, gants de charité, etc.). Même principe de passage en revue, donc, mais en sens inverse, que celui adopté par les recueils de Blasons. Le Parement se clôt sur une pièce intitulée « Le miroir dentendement par la mort », dans lequel la dame est invitée à se mirer afin de distinguer en 278elle-même le « beau » du « laid ». Dans cette pièce récapitulative, Olivier de La Marche se livre alors au passage en revue de chacun des membres du corps de la dame pour en prédire le pourrissement prochain, et avec lui la disparition de sa beauté – la chute est particulièrement cruelle :

… Par luy [Entendement] verrez à vous bien remirer

Que la beaulté ne peult gueres durer.

[] Ses doulx regars, ses yeulx faiz pour plaisance

Pensez y bien il[s] perdront leur clarté

Nez & sourcilz la bouche deloquence

Se pourriront & sera desplaisance

Mesmes à celluy qui vous ayme en cherté.

Toutes vives perdrez vostre beaulté

Et quant la mort en fait le departir

Qui plus vous ayme plus tost sen veult partir.

Col & forcelle qui est blanche & pollie

Ses mains ses bras qui font les accollées

Mesme la langue quoy que les beaux motz die

Ce noble cueur où chascun estudie

Pour le gaigner en faitz ou en pensées

Ce tresbeau corps dont dames sont louées

Tout pourrira & notez bien ces vers

Et par la mort toutes mangées de vers.

Se vous vivez le droit cours de nature

Dont soixante ans est pour ung bien grant nombre

Vostre beaulté changera en laydure

Vostre santé en maladie obscure

Et ne ferez en ce monde que encombre.

[S]e fille avez vous luy serez ung umbre

Celle sera requise et demandée

Et de chascun la mere habandonnée19.

Les Blasons apparaissent possiblement – aux yeux de Vauzelles, en tout cas – comme un avatar dénudé du Parement des dames (Olivier décrit les vêtements, les blasonneurs vont directement au corps nu) : la beauté y triomphe moins dans la vertu que dans la beauté sensuelle de chacun des membres blasonnés, et la dernière pièce parachève aussi cette beauté-là. Le Blason de la mort prend ainsi le contre-pied du « Miroir dentendement » : la mort y marque non pas la fin des beautés féminines, mais leur parachèvement.

279

Le traitement des métaphores vestimentaires dans le Blason comme dans les « Tables » est de ce point de vue particulièrement intéressant. Vauzelles les emprunte explicitement à « David », en loccurrence au Psaume 45, dans lequel David, si lon suit les « Tables » en prose, célèbre la « spirituelle espouse » (v. 102), allusion à linterprétation classique de lépouse de ce psaume comme figure de lÉglise20, puis à la première Épître aux Thessaloniciens dans laquelle Paul déclinait lui-même les parties du vêtement comme autant dallégories des vertus (v. 101-104)21. Dans les « Tables » toujours, les « draps » et « langes » dont il faut « envelopper » lâme durant la vie mondaine pour sassurer la vie éternelle (v. 95-98) sont les « bonnes œuvres » (v. 97, 100, 135) dont Vauzelles réitère la nécessité dans un long développement final, fort édifiant, sur le « linceul ou suaire » du corps et les « robes » de lâme, tous « vestements » dont il faut impérativement se « revestir » si lon veut « entrer en la gloire sans fin pardurable ». Dans le Blason, en revanche, Vauzelles gomme les termes trop explicitement édifiants pour infléchir autant que possible le propos vers la beauté féminine22. Lépouse de David, en effet, est femme : elle est cette « chere espouse, et doulce colombelle » (v. 101-102) qui fait davantage penser au Cantique des cantiques quà lépître paulinienne – sans parler bien sûr de lévocation implicite des dames lyonnaises et parisiennes. Les « drappeaux » et « langes » dont il faut veiller à lacquisition durant la vie mondaine pour ensuite « servir en pays tant estrange » sont la métaphore non des bonnes œuvres, mais des « bienfaictz, et vertus » dont lefficacité ne se réduit pas au domaine religieux, mais sétend à celui des relations courtoises. Quant 280aux pièces de vêtements et aux accessoires qui, dans le Blason comme dans les « Tables », doivent habiller hommes et femmes, ils diffèrent légèrement dans les deux textes : « chemise », « cierge » et « cotte » (tunique) sont communs ; les « Tables » ajoutent « lange », « coiffe », et « corail » ; le Blason préfère « manteau », « chapperon », « bissac » (sac), « baudrier » (bande détoffe portée en écharpe) et « baston ». Dans le Blason, ces métaphores disent assurément quelque chose du geste qui consiste à couvrir pudiquement, à la fin du recueil des Blasons, les membres du corps féminin qui, dans les blasons qui précèdent, ont été décrits dans leur magnifique nudité. Mais elles suggèrent en même temps lusage amoureux possible de ces corps. Tandis que, dans les Tables, la chasteté figure en bonne place aux côtés des trois vertus théologales (charité, espérance, foi), de linnocence et de la sagesse, le Blason, en effet, oriente résolument la source philosophique antique vers la beauté du corps féminin, se gardant bien dencourager à la chasteté. Il nest plus question en effet que de « loyauté », tandis quaux trois vertus théologales et à linnocence sajoute la « simplicité », et que la « sagesse » devient « science », « bon vouloir » et « diligent pouvoir », toutes qualités qui appartiennent davantage au champ de la séduction et des plaisirs amoureux quà celui de lédification de lâme (v. 111-118).

Marguerite de Navarre à lhorizon
du Blason de la mort ?

La porosité étonnante, par le biais de la figuration, entre le recueil des Blasons et celui des Simulachres, suggère enfin, à lhorizon du Blason de la mort comme des « Diverses tables », la possible présence de Marguerite de Navarre. Les « Diverses tables », en effet, ressemblent fort à une lettre sur la mort que Vauzelles aurait pu adresser à la reine, comme le faisait Briçonnet en son temps23. À lappui de cette hypothèse, invoquons le fait que Vauzelles destine les Simulachres aux artistes, aux pédagogues lyonnais et aux humanistes intéressés par les enjeux de la figuration, mais aussi aux 281dévots de la Cour – et en particulier à Marguerite. Parmi les textes qui accompagnent la série des gravures de la mort, le premier en effet concerne directement la politique royale menée pour la réforme des couvents, et en particulier le rôle joué par Marguerite. Il sagit dune épître adressée à Jeanne de Touszele, mère abbesse depuis 1525 du couvent de Saint-Pierre-les-Nonnains, lieu de plusieurs scandales dans le premier quart du siècle. Jeanne arrive comme abbesse réformatrice sur lordre de Marguerite (« par authorité Royalle »). En 1538, elle est mourante, après avoir fait de grands sacrifices pour Marguerite. Elle est qualifiée par Vauzelles, qui par ailleurs mentionne Paul dans le début de lépître, d« exemplaire de religieuse religion, et de reformée reformation24 ». Cette présence en filigrane de Marguerite au seuil des Simulachres nétonne guère lorsque lon sait à quel point Vauzelles, qui fut à son service en tant que maître des requêtes, se tient au plus près de ses préoccupations spirituelles. Le Theatre de françoise desolation, quil compose en 1531 en hommage à Louise de Savoie25, et dans lequel il rapproche ses propres devises de celles de Louise, est ainsi destiné à la reine de Navarre ; cest lui encore qui, auprès de Marguerite puis dÉléonore, prend le relais de François Des Moulins comme créateur dimaginaire royal ; à Lyon, il honore sa dévotion pour la Madeleine en y concevant un tempietto pour la sainte, de même quil tente de réunir pour Marguerite des hommages post mortem. Cest pour elle quil traduit lHystoire evangelique de Nachtgall, sans doute à son usage privé ; il y accompagne en tout cas la « spirituelle bataille » que mène la reine en faveur dune diffusion des Écritures dans une belle prose française. Cest lui enfin que choisit la reine de Navarre pour traduire les paraphrases bibliques de lArétin et promouvoir ainsi en langue française une histoire biblique accessible, qui parle aux sens et séduise les « mondains » comme les « spirituels26 ». Les Simulachres, quoi quil en soit, participent du rôle croissant des images dans le développement dune dévotion sensible que la reine appelle de ses vœux. Lorsque la série 282est rééditée en 1542 par les frères Frellon, ceux-ci remplacent les textes de Vauzelles par dautres textes plus classiques, qui relèvent dun ars moriendi plus traditionnel (Urbanus Rhegius et Caspar Huberinus) : les textes de Vauzelles étaient sans doute trop difficiles, trop précoces ou trop obscurs – à moins quils naient été trop directement liés à Marguerite…

La proximité étonnante – voire la concomitance – des « Tables » et du Blason de la mort suggère que le Blason, à linstar des Tables, a pu être rédigé par Vauzelles en pensant à Marguerite. Ne peut-on penser alors que, lorsquil compose le blason de la mort en 1536, et quil travaille déjà à lédition de Holbein, Vauzelles pense à Marguerite ?

On ne peut plus en tout cas lire cet « épilogue moral » (au sens dune « moralisation » des blasons profanes) qui vient clôturer le recueil des Blasons anatomiques27 indépendamment des « Tables » publiées dans les Simulachres de 1538, et sans poser la question de la présence en filigrane de Marguerite. Vauzelles compose ce blason, comme les textes en prose qui accompagnent les Simulachres, en réfléchissant aux problèmes de figuration, dans un contexte éditorial bien précis qui est celui de la publication princeps des deux séries de Holbein (« Danse de la mort » et série biblique). La présence des Lettres de Sénèque et des Epîtres de Paul mais aussi plus discrètement des Portraits de Lucien et du Parement des dames dOlivier de La Marche témoigne dans ce Blason dune sensibilité manifeste à la beauté théologique des corps ressuscités et glorieux, mais aussi, en un contre-point assumé, à la beauté très sensuelle des corps féminins.

Elsa Kammerer

Université de Lille, EA ALITHILA

Institut Universitaire de France

283

Annexe

J. de Vauzelles, Blason de la Mort,
dans lHecatomphile, Lyon, Denis de Harsy, 153628

J. de Vauzelles, « Diverses Tables de la Mort », Simulachres et historiées faces de la mort, 153829

1

Pour mettre arrest à ces Anatomistes,

Qui par leurs vers, & blasonnemens mistes

Nous ont voulu ung corps canoniser

Et tant lung membre après laultre priser,

… pour dicelle Mort raisonner selon naturelle philosophie.

5

Jay entrepris par ung brief epilogue

Monstrer quil nest fard, ornement, ne drogue,

Qui face ung corps tant beau, guay, ou parfaict,

Comme de mort le grand bien peult, & faict.

Grand bien je dis de mort le benefice,

10

Car par la mort fin de malheur, & vice

Tous nous avons, & nest point si amere

Ainsi quaucuns la nous ont voulu faire,

Car vivant nest qui layt veu, ne sentu.

Parquoy je dis, le tout bien debatu

15

Que mort nest mort, mais ung nom à plaisir,

Qui na pouvoir venir humains saisir,

Car dès quon naist jusque au temps quon dict mort

Nature faict comme engroissée port.

Toute la vie que lhomme vit en ce monde, dès sa naissance, jusques à sa mort, est ung engroissement de nature.

 

20

Ainsi chascun ha deux conceptions,

Et double vie, & ny a passions

Daulcunes mortz, chose de grand mystere

Veu quen sortant du ventre de la mere

Une aultre foys se remect dans le ventre,

Quand de rechef vif en ce monde il entre,

En telle sorte que lhomme naissant du ventre de sa mere, il entre au ventre de naturalité.

25

Lequel il trouve infiniment plus large

Que le premier, & encor plus seslarge

Cent mille foys à celle aultre naissance,

Quand il sort hors de la mundaine essence.

Et icelluy mourant est de rechief enfanté par naturalité, sus lesquelz propos

284

est contenue toute humaine philosophie. Parquoy laissant à part les erreurs des Philosophes affermantes lesprit de lhomme estre mortel : suyvrons ceulx qui par meilleure opinion, disent lhomme avoir deux conceptions, & deux vies sans aulcune mort. Or pour declarer ceste non petite Philosophie, digne certes destre mise en mémoire,

30

Nest pas lenfant dès ce quil est conceu,

Nourry au ventre, & là creu, & receu,

fault entendre, que lhomme conceu au ventre maternel, y croist & là se maintient de sa propre Mere, de laquelle il prend sa totalle substance & nourriture, qui est cause que les Meres ayment plus tendrement les enfans que les Peres.

Puis quand est nay, lors le reçoit nature

Au mondain ventre, où elle ha de luy cure,

Le nourrissant tout au mieux quelle peult

De tous ses fruitz,

car maintenir se veult30.

Après en naissant, naturalité le receoit en son ventre, qui est ce monde, qui puis le nourrist & le maintient de ses alimentz & fruictz tout le temps quil le tient en son ventre mondain.

35

Et tout ainsi que par neuf moys durant

La mere va tousjours lenfant meurant,

Pour lenfanter, & en charger nature,

Et comme la Mere, par lespace de neuf moys ne tache que à nourrir & produire son fruict pour lenfanter, & le remettre à la charge de naturalité en ceste vie mondaine : Pareillement naturalité durant le temps quil demeure en

40

Qui en ce monde en prent la nourriture,

Pour puis le faire entrer en plus grant vie

Après son temps,

son ventre mondain ne tache que à le substanter & bien entretenir pour le produire à maturité & le faire renaistre quand il meurt à vie meilleure & plus permanante.

Ainsi je vous affie

Que lenfant nest quau premier despouillié

De celle toille où il naissoit souilhé.

Puys quand au monde il a passé son eage

Doncques au premier naistre, lhomme se desnue de celle toille, en laquelle il nasquit envelopé.

Au second

45

Il ne fait riens à la mort davantaige

Que descharger ung peu lame du corps,

Pour les reduire en plus unys accordz [,]

se despouille du corps : affin que lame sorte de prison,

285

 

50

Lors qui seront tous deux glorifiez

Sans jamais plus estre putrifiez[.]

Dont tout cela que mort nous disons estre,

Nest que pour vivre ung veritable naistre.

Et ce quon dit mourir, est la naissance

De lautre siecle en la divine essence.

en sorte que ce que lon appelle Mort, nest que ung enfantement pour meilleure vie, car toutes ses naissances vont tousjours en meilleurant.

Le premier vivre a par31 neuf moys duré,

La premiere groisse dure neuf moys.

55

Le second est par cent ans mesuré,

Mais quand au tiers, la vie est eternelle,

La seconde communement cent ans.

Et la tierce est eternelle,

Qui est en tout la supernaturelle,

Pource quon sort de ce naturel ventre,

Et au divin heureusement on entre,

Où nous serons divinement nourrys,

pource que du ventre de naturalité passans à la divinité, sommes maintenuz de leternelle fruition qui rend nostre vie eternelle.

60

Nayans plus paour destre mortz, ne pourrys.

En la Mere nous estans humains nostre manger estoit humain. Au monde vivans de mondanité sommes mondains & transitoires : mais en Dieu serons divins, pource que nostre maintenement sera de divine fruition.

Tout ainsi doncq quau ventre nostre mere

Et tout ainsi que la creature au ventre de sa Mere, passe plusieurs dangiers, perilz, & inconveniens, si les meres ne sont bien contregardées & gouvernées

Par le deffault daulcune saige mere

Lenfant peult naistre ou mort ou monstrueux

Ou mal formé, ou bien deffectueux,

par les saiges femmes, par la deffaulte desquelles à lenfanter souvent advient que la creature naist morte, ou abortive, ou meurtrie, ou affollée, ou avec quelques aultres deffaulx naturelz,

qui puis durent toute la vie de la creature, ainsi mal relevée, ainsi non moindres deffaulx & perilz, mais trop plus pernicieux sont en la seconde groisse.

65

Ainsi pour vray en la seconde vie,

Selle nest bien par bon gouvert regie,

Au lieu de naistre, & ung bel homme faire,

Ung monstre en sort, qui mort sen va retraire

Vers les enfers.

Ainsi par ceste faulte

Car si durant le temps que nous vivons en naturalité, ne vivons bien selon Dieu & raison, en lieu denfanter mourons, & en lieu de naistre sommes aneantiz, pour autant que alors lAme par ces deffaulx, ne pouvant entrer ne venir en

286

70

Lhomme mort nay jamais es cieulx ne saulte

Mais reste mort.

la lumiere de la divinité, est engloutie dans lAbisme infernal tresmortifere. Et tout ainsi que par le deffault des saiges personnes qui saigement doibvent relever & adresser les enfantemens plusieurs creatures meurent au sortir du ventre maternel.

Ainsi par faulte de bons enseigneurs & parrains en ce poinct & article que nous appellons Mort, que jappelle icy naissance, plusieurs se perdent.

Doncq si au premier naistre

On est soigneux trouver femme à ce dextre,

Doncques si pour le premier enfantement, on est tant soucieux de trouver les plus dextres & expertes saiges femmes que lon saiche :

75

Pour le second que la mort on mesnomme

Ne doibt on point avoir plus de soing ? Comme

A trouver gens saiges pour diriger

Ce pauvre corps quil ne vive en danger,

Pour puis mourir perpetuellement,

Sil na vescu selon Dieu justement ?

Pour le second, qui est la Mort, ne se doibt on trop plus travailler, pour le recouvrement des saiges & sainctes personnes, qui bien sçaichent adresser, & conduire à bon port, le fruict de ceste seconde naissance qui va de ceste vie en laultre, affin que la creature y pervienne sans monstruosité, ou laideur difforme de peché, pour autant que lerreur de ce second enfantement est à jamais incorrigible & racoustré en ce monde, auquel les deffaulx naturelz sont quelque foys pour medicines, ou aultre moyen aydez & secourus. Et pourtant à chose de si grande importance, il me semble que cest ung grand aveuglissement, den estre tant negligens comme lon est, & si mal advisez.

Nest32 donc à nous une grande sottise

Quand en cela tant mal chascun advise ?

80

Si de la mer nous voulons passer oultre,

Chascun de nous diligemment saccoustre

A se prouvoir des choses necessaires

Pour eviter ventz, & dangiers contraires.

Si quelcun veult naviguer sus mer, cest chose merveilleuse de veoir les grans appareilz de victuailles & daultres choses necessaires que lon faict.

85

Pareillement lhomme allant en bataille

Pour sesquipper jour, & nuict il travaille,

Cherchant moyens dobvier aux assaulx.

287

Les gensdarmes & soudars, quelle provision font ilz, pour soy bien equipper ?

Avec quelle sollicitude va le marchant es foires & marchez ? Quel travail & continuel labeur obmect le laboureur, pour recueillir fruict de son agriculture ? Quelle peine mettent les ungs à bien servir, & les aultres à imperieusement commander ?

Et pour le corps exempter de tous maulx,

Voire devant quil soit venu sus terre

Est il riens quon ne face pour entretenir nostre santé corporelle ?

90

Nous luy sçavons tant de remedes querre,

Certes tout ce que touche ou appartient au corps, nous le nous procurons avec ung soucieux esmoy :

Drappeaux sont prestz, langes, berceau, nourrice,

Mais nul ne veoys qui soit prompt, ne propice,

A procurer quen terre des vivans

Voise proveu, Mais au monde estrivans33

Nous napprestons ne linge, drap, ne lange

Pour sen servir en pays tant estrange,

Qui sont pour vray noz bienfaictz, & vertus,

Desquelz debvons34 estre tous revestus,

Car telz drappeaux nabandonnent leur maistre,

mais de la chestive Ame navons cure ne soucy. Nous sçavons tresbien que un jour elle doibt naistre, & que au sortir de ce ventre du corps navons pensé à luy apprester draps ne lange, pour lenvelopper, qui sont les bonnes œuvres sans lesquelles on ne nous laisse au geron du Ciel entrer.

95

100

Soit au premier, ou soit au second naistre.

En telz habitz David dict estre belle

Sa chere espouse, & doulce colombelle,

Si faict sainct pol, nous priant doulcement

Que tous soyons vestus honnestement

Les bonnes oeuvres certes sont les riches vestemens & dorez, desquelz David veult estre revestue la spirituelle espouse. Ce sont les robes desquelles sainct Pol desire que soyons revestuz, affin que cheminons honnestement.

105

Pour comparoir à ce jour quon verra

Celle beaulté, qui par mort nous viendra.

Or veillons doncq comme la mere bonne

Qui de bonne heure appreste, & bien

ordonne

Tout ce quil fault pour lenfant advenir.

Veillons donc & faisons comme la bonne Mere, que avant que venir au terme denfanter faict les preparatives & appareilz de son enfanton.

288

110

Ainsi quand vient de mort le souvenir,

Cest appareil est la doctrine de bien mourir, que icy est appellée bien naistre.

Appareillhons celle chemise blanche

Dune innocence, & simplicité franche,

Le manteau bleu, de ferme loyaulté,

Ung cierge ardant de vraye charité,

Ung chapperon dune saincte esperance,

Cotte de foy, ung bissac de science,

Et le baudrier couvert de bon vouloir,

Baston soit pris de diligent pouvoir,

Appareillons nous donc une chemise blanche dinnocence, Ung lange tainct de rouge, dardente charité. Ung cierge de cire, en blanche chasteté. Une coiffe desperance. Une cotte de foy, bandée de vertuz, pour nous emmailloter. Ung corail de saigesse, pour nous resjouyr le cueur.

115

 

120

Pour soubstenir nostre esprit, & nostre ame,

Qui là es cieulx doibt venir royne & dame

Allaictons nous de divines mammelles,

Quaux sainctz escriptz se demonstrent tant belles.

Et pour ce que la divinité doibt alors estre nostre Mere nourrisse, & nous doibt alaicter de ses tresdoulces mammelles de science, & damour,

Et sil advient que par vice, ou peché

Soit nostre corps souilhé ou entaché,

nettoyons nous premierement, des ordres & maulx pris de nature, qui est le peché, le viel Adam, linclination de la chair, la rebellion contre lesperit.

125

De leau tombant des yeulx de penitence

Nous fault laver,

puis en ferme fiance

Despriserons ce tant dangereux vivre,

Et aurons fain laultre vie poursuyvre,

Affin que puis à lenfanter de mort

Chascun de nous renaisse sans remort,

Lavons nous avec lhermes, comme les enfanteletz qui pleurent en naissant. Sanctifions nous avec le Baptesme de penitence, qui est le Baptesme du sainct esprit. Et si durant toute nostre vie en ce monde nous faisons ung tel appareil,

130

Comme les Sainctz quainsi mourans

nasquirent,

Et ceulx quaussi telz appareilz ne feirent

Sont trestous mortz dune mort eternelle,

Quà riens ne vit fors à peine immortelle.

quand ce viendra à lenfantement de la Mort, nous naistrons, comme naisquirent les Sainctz, la Mort desquelz appellons naissance, car alors commencerent ilz à vivre.

Et pour ce que ces appareilz, & provisions ne sont faictes que de bien peu de gens, tant sommes en cela negligens, & na on soucy de pouvoir avoir pour le moins ung linceul ou suaire, pour au jour de la Mort y pouvoir estre envelopé, ne destre revestu daulcunes robes quand lame se despouillera du corps,

289

il me semble que ceste tant sotte nonchaillance doibt estre grandement accusée devant Dieu & devant les hommes : avec le linceul ou suaire où est ensepvely en terre le corps, affin que là tout soit mangé des vers. Et avec les robes de lame, si elles sont de bonnes oeuvres tyssues, on entre en la gloire sans fin pardurable, & de cela, lerreur, on na soing ne cure. A ceste cause pour inciter les vivans à faire provision de telles robes & vestements, nay sceu trouver moyen plus excitatif, que de mettre en lumiere ces faces de Mort…

135

Mais celle mort que vous ay blasonnée,

Elle ne fut fors aux humains donnée,

Que pour noz corps plus beaux faire renaistre

Que noz blasons ne les font apparoistre.

Fin de la mort.

290

Fig. 1 – Hans Holbein / Jean de Vauzelles, Simulachres et historiées faces de la mort, Lyon, M. et G. Trechsel, 1538, page de titre. Source : Bibliothèque nationale de France, Arsenal, Rés. 4-BL-3121(1) (Gallica).

291

Fig. 2 – Jean de Vauzelles, « Diverses Tables de mort », Simulachres, 1538, fol. B1r. Source : Bibliothèque nationale de France, Arsenal Rés. 4-BL-3121(1) (Gallica).

1 Nous nous permettons de renvoyer à notre Jean de Vauzelles et le creuset lyonnais. Un humaniste catholique au service de Marguerite de Navarre entre France, Italie et Allemagne (1520-1550), Genève, Droz, 2013.

2 Voir lédition récente des Blasons anatomiques du corps féminin et Contreblasons, éd. J. Goeury, Paris, Flammarion, 2016. Dans les Blasons imprimés à la suite de la traduction française de lHecatomphile dAlberti, à Paris, Denis Janot, 1536, le Blason des cheveux de Vauzelles occupe la première place, ouvrant une série de douze blasons qui sachève avec le Blason du cul (le seul exemplaire conservé est cependant incomplet). Dans lédition des Blasons du Corps Femenin datée de Lyon, Denis de Harsy, 1536, publiée à la suite de lHecatomphile daté de 1537 et conservée à la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg (cote : R.102.895), il occupe la quatrième position après le Blason du corps (attribué à François ier), le Blason de la joue et le Blason du col. Mais la série des Blasons est fermée par le Blason de la mort. Ni A.-M. Schmidt (édition des Poètes du xvie siècle, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1979, p. 347-350) ni Ch. B. Beall (« Jean de Vauzelles and Seneca », Romance Notes, x, 1968, p. 348-352), qui se sont intéressés au Blason de la mort, ne connaissaient lexemplaire de la BNUS, découvert plus tard par A. Saunders (The Sixteenth-Century Blason Poétique, Berne-Francfort-Las Vegas, Peter Lang, 1981 ; A. Saunders, « Jean de Vauzelles Moralist and Blasonneur », Studi Francesi, lxxi, 1980, p. 277-288). Reprenant cette découverte dA. Saunders, nous avions fait en 2005 le rapprochement entre le Blason de la mort (1536) et les Simulachres et historiées faces de la mort (1538), et suggéré un projet vaste et cohérent de réflexion sur les images dans les deux textes ; nous apportons ici de nouveaux éléments qui viennent confirmer cette intuition.

3 Voir par exemple lavance des entrées de 1533 sur celles de 1548 : Vauzelles est à lorigine de la première naumachie connue à Lyon, du motif de lembrassement du Rhône et de la Saône, de lutilisation du Poliphile, des feux dartifice. Cest lui aussi qui met en place lHercule gaulois, avant Tory (Kammerer, Jean de Vauzelles, p. 377-381).

4 B. Aneau, Quintil horatian, 1551 (éd. J.-Ch. Monferran, à la suite de La Deffence, et illustration de la langue françoyse de Joachim Du Bellay, Genève, Droz, 2001, p. 345). Sur lidentification de « Philistine », voir M. Clément, « Louise Labé et les arts poétiques », Méthode ! Revue de littérature comparée, 7, 2004, p. 65-77, n. 24.

5 F. de Billon, Fort inexpugnable de lhonneur du sexe féminin, Paris, Jean dAllyer, 1555, fol. 29v [magnifique exemplaire de lArsenal, Rés. 4-BL-4390 ; éd. fac-similé M. Screech, Wakefield, S.R. publishers - New York, Johnson - Paris, La Haye, Mouton, 1970].

6 J. de Vauzelles, Hystoire evangelique des quatre evangelistes en ung fidelement abregée recitant par ordre sans obmettre ny adjouster les notables faictz de notre seigneur Jesuchrist et tousjours allegant les lieux où plus ample narration est contenue et en ces petitz dixneuf chapitres redigée au soulaigement de la memoire de tous chrestiens, Lyon, G. de Villiers, 1526 [BL C.111.aa.11]. Il sagit dune traduction française des Evangelicae historiae ex quatuor Evangelistis perpetuo tenore continuata narratio, ex Ammonii Alexandrini fragmentis quibusdam… traduites du grec par Ottmar Nachtgall (Augsbourg, S. Ruff pour S. Grimm, 1523). Sur ce texte, voir E. Kammerer, Jean de Vauzelles, p. 109-153 ; B. Conconi, « 1526 – La Bible à Lyon. Notes sur Jean de Vauzelles traducteur de lHistoire évangélique dAmmonius », Esculape et Dionysos. Mélanges en lhonneur de Jean Céard, Genève, Droz, 2008, p. 765-786.

7 La présence active de Vauzelles chez les Trechsel, puis les Frellon et Jean de Tournes, confirme limportance décisive des ateliers dimprimeurs dans linvention littéraire lyonnaise de cette période.

8 E. Kammerer, Jean de Vauzelles, p. 399-403. Sur la reprise des motifs de Colonna dans le Blason des cheveux, ibid., p. 52-56.

9 Il existe plusieurs exemplaires conservés des Simulachres, dont nous travaillons actuellement à lédition critique. Le catalogue de la BnF attribue les textes des Simulachres tantôt à Corrozet [notice de lexemplaire conservé à lArsenal, cote : Rés. 4-BL-3121 (1)], tantôt à Vauzelles et Corrozet [notice de lexemplaire coté : Rés. Z-1990, disponible sur Gallica]. La série de Holbein est encadrée par six textes en prose : 1. A moult reverende Abbesse du religieux convent S. Pierre de Lyon, Madame Jehanne de Touszele, Salut dun vray Zele. 2. Diverses Tables de mort, non painctes, mais extraictes de lescripture saincte, colorées par Docteurs Ecclesiastiques, et umbragées par Philosophes. [Gravures de Holbein avec épigrammes françaises] 3. Figures de la mort moralement descriptes, et depeinctes selon lauthorité de lescripture, et des sainctz Peres. 4. Les diverses Mors des bons, et des maulvais du viel, et nouveau Testament. 5. Memorables authoritez, et sentences des Philosophes, et orateurs Payens pour confermer les vivans à non craindre la Mort. 6. De la necessité de la Mort qui ne laisse riens estre pardurable.

10 Sénèque, Lettres à Lucilius, éd. F. Préchac, trad. H. Noblot, Paris, Les Belles lettres, Collections des Universités de France, t. 4, 1999, lettre 102. La source sénéquienne du Blason de la mort a été repérée par Ch. B. Beall en 1968. Cette découverte inscrit le Blason vauzellien dans le vaste corpus des textes qui, à la Renaissance, sinspirent directement des moralistes latins.

11 Dans latelier des Trechsel, Vauzelles travaille en même temps à lédition des gravures de la mort de Holbein et des gravures de la Bible de ce même artiste (Historiarum Veteris Instrumenti Icones ad vivum expressae…, Lyon, Trechsel et Frellon, 1538 ; puis 1539 avec des quatrains français de Corrozet ; rééd. Frellon, 1543 et 1547 ; voir E. Kammerer, Jean de Vauzelles, p. 177-209).

12 Simulachres, 1538, fol. K1r-L3r. Vauzelles donne une série de références qui correspondent chacune au récit biblique de la mort dun personnage, classées en plusieurs catégories : « Figure de la Mort en general », « De lhorrible Mort des maulvais, description depeincte selon la saincte Escripture », « Aultre depeincte description, de la precieuse Mort des Justes », « Description des sepulchres des Justes ».

13 Lucien de Samosate, Les portraits, Œuvres complètes, trad. É. Chambry, A. Billault et É. Marquis, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2015, p. 622-634. Au portrait que dresse Lykinos, Polystratos comprend quil sagit de Panthéia, la maîtresse de Lucius Verus. Comme il la connaît, il ajoute au portrait physique un portrait intellectuel et moral tout aussi flatteur, et conclut à la nécessité dunir les deux portraits en une seule image dans un livre promis à une longue postérité – livre qui est le dialogue lui-même. Sur les éditions de Lucien au xvie siècle, voir Ch. Lauvergnat-Gagnière, Lucien de Samosate et le lucianisme en France au xvie siècle. Athéisme et polémique, Genève, Droz, 1988 (THR 227). Cf. Cicéron, De Inventione, II, 1, 1 : Zeuxis crée une beauté parfaite à partir de cinq modèles réels. Chez Lucien, le poète (Homère) vient parachever lart du peintre  cest peut-être la raison pour laquelle Vauzelles choisit de le citer, plutôt que Cicéron.

14 Simulachres 1538, fol. K1r.

15 G. Corrozet, Les blasons domestiques contenantz la decoration dune maison honneste, et du mesnage estant en icelle, invention joyeuse et moderne, Paris, G. Corrozet, 1539, fol. 41r [Rés. YE-1380] : « … Delaissez donc telz escriptz trop horribles, / Et ensuyvez icelluy qui blasonne/ Leffect de mort qui repos à tous donne, / Car qui de mort la souvenance aura, / Aultres blasons jamais il ne fera ».

16 Ibid., « Gilles Corrozet aux lecteurs », fol. A3r.

17 Ce qui évidemment ne surprend pas, étant données les fonctions de Vauzelles.

18 O. de La Marche, Le Parement et Triumphe des dames dhonneur, composé vers 1493-1494, dont plusieurs manuscrits et éditions sont disponibles sur Gallica (voir également lédition de J. Kalbfleisch-Benas, Rostock, 1901). Le texte est repris dans La Source dhonneur, pour maintenir la corporelle élégance des dames en vigueur fleurissant et pris inextimable, avec une belle Épistre dune noble dame à son seigneur et amy…, Lyon, Denis de Harsy pour Romain Morin, 1532 [BNF, Rés. YE-1408]. Dans cette édition, la Source dhonneur est suivie des épitaphes des « neuf preuses », puis dune « Epistre dune noble dame à son seigneur et amy ». Ce nest assurément pas un hasard si Denis de Harsy est léditeur, quatre ans plus tard, des Blasons.

19 La Source dhonneur, 1532, fol. LXIIv-LXIIIr.

20 Ps 44, 10-15 : « Parmi tes bien-aimées sont des filles de roi ; à ta droite, la préférée, sous les ors dOphir / Écoute, ma fille, regarde et tends loreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père : / le roi sera séduit par ta beauté. Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui. / Alors, fille de Tyr, les plus riches du peuple, chargés de présents, quêteront ton sourire. / Fille de roi, elle est là, dans sa gloire, vêtue détoffes dor ; / on la conduit, toute parée, vers le roi ».

21 J. Goeury (Blasons anatomiques) donne 1 Tm 2, 9-10 : « … De même les femmes : quelles portent une tenue décente, avec pudeur et modestie, plutôt que de se parer de tresses, dor ou de perles, ou de vêtements précieux ; ce qui convient à des femmes qui veulent exprimer leur piété envers Dieu, cest de faire le bien… ». Vauzelles pense cependant aussi bien à 1 Th 5, 8 : « Mettons la cuirasse de la foi et de lamour, et le casque de lespérance du salut » ou à Rm 12-14 : « Revêtons-nous des armes de la lumière. [] Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ ».

22 De la même manière, il convient dans les « Tables » de « vivre bien selon Dieu et raison », et dans le Blason de faire en sorte que la « seconde vie », la vie terrestre, soit « par bon gouvert regie » (v. 66) ; la « doctrine de bien mourir » dans les « Tables » est, dans le Blason, « de mort le souvenir » (v. 110).

23 LHystoire evangelique, destinée à Marguerite, a pu prendre le relais du groupe de Meaux (E. Kammerer, Jean de Vauzelles, p. 147-148).

24 Simulachres, 1538, fol. A2r.

25 J. de Vauzelles, Theatre de françoise desolation sur le Trespas de la tresauguste Loyse : louable admiration de Savoye et de feminine gloire : representé dung vray zele, Lyon, [Claude Nourry, 1531] [Séville, Bibliothèque Colombine, 15-2-7(4)].

26 Certaines moralités que Marguerite fit jouer à la cour se sont dailleurs peut-être appuyées sur les traductions que donne Vauzelles des paraphrases bibliques de lArétin (E. Kammerer, Jean de Vauzelles, p. 162-164 ; voir aussi E. Kammerer, « Marguerite de Navarre et la Bible : bataille pour la langue française », Les Femmes et la Bible de la fin du Moyen Âge à lépoque moderne. Pratiques de lecture et décriture (Italie, France, Angleterre), éd. E. Boillet et M. T. Ricci, Paris, Champion, 2016, p. 77-89.

27 Cest linterprétation la plus généralement partagée. Voir Blasons anatomiques, p. 261 : « Si le premier [le blason des cheveux] a bien été composé dans latmosphère démulation marotique des tout débuts, qui se traduit par une intense circulation manuscrite, le second [le blason de la mort], un peu plus tardif, vient non seulement acter la fin de la compétition amicale, mais aussi fournir un épilogue moral à un recueil dont les contributeurs sont désormais placés sous le feu des critiques ». Voir ibid., p. 137-138, n. 10 : « En choisissant de blasonner la mort, cest [] le modèle marotique que J. de Vauzelles sinon remet en question, du moins tient à distance ».

28 Exemplaire de la BNUS, R.102.895 (disponible sur Gallica).

29 Exemplaire de la BNF, Arsenal, Rés. 4-BL-3121(1) (disponible sur Gallica).

30 Lédition LAngelier de 1543 donne : « car maintenir le veut ».

31 Nous corrigeons daprès lédition de 1543 la leçon fautive « part ».

32 Lédition de 1543 supprime la question : « Cest… »

33 Passant notre vie à (nous) disputer.

34 Lédition de 1543 préfère le conditionnel : « devrions ».