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Classiques Garnier

Souvenir traumatique et mémoire salutaire La bataille d’Azincourt chez les auteurs français du XVe siècle

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2020 – 1, n° 39
    . varia
  • Auteur : Bouchet (Florence)
  • Résumé : Le désastre d’Azincourt donne à réfléchir sur la manière dont le matériau historique, réélaboré par la littérature, entre dans un jeu de (re)construction mémorielle loin d’être neutre. La description plus ou moins circonstanciée de la bataille dégage (et parfois relativise) les faiblesses stratégiques des Français. L’analyse morale sublime l’échec militaire en un exemplum à méditer pour se réformer. Quant au retentissement émotionnel de la bataille, il se cristallise dans le deuil des femmes.
  • Pages : 391 à 416
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406107422
  • ISBN : 978-2-406-10742-2
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10742-2.p.0391
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 14/07/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Guerre de Cent Ans, stratégie militaire, mémoire, émotions
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Souvenir traumatique
et mÉmoire salutaire

La bataille ­dAzincourt
chez les auteurs français du xve siècle

Si ­lidée de « guerre de Cent Ans » est un ­concept rétrospectif (forgé au milieu du xixe siècle), les acteurs et témoins de ladite guerre perçurent, au bout de plusieurs décennies, le caractère exceptionnel du ­conflit franco-anglais. Du côté français, plusieurs défaites retentissantes marquèrent ­lopinion : Crécy (26 août 1346) démontrait la supériorité technique des archers et des ­combattants à pied anglais sur une chevalerie féodale française pourtant plus nombreuse ; Poitiers (19 septembre 1356)1 se soldait par la capture du roi Jean ii le Bon en personne et le forçait à signer le désastreux traité de Brétigny (8 mai 1360). Ces violents coups de semonce ­nempêchèrent toutefois pas un nouveau drame militaire : le 25 octobre 1415, ­contre toute attente, le roi ­dAngleterre Henri v triomphait aisément des Français qui lui coupaient la retraite vers Calais après la prise ­dHarfleur. Maints auteurs allaient relater la « dure journee2 », la « maudicte journee / douloureuse3 », « la do(u)loureuse journee4 », la « piteuse et tres doloreuse journee5 », « la 392maleureuse bataille6 ». Un tel épisode ­noffrait pas seulement une riche et problématique matière à relation historiographique ; très vite, Azincourt devint une référence exemplaire, une source ­denseignement et de réflexion morale sur le ­comportement de la chevalerie française. On dressera ici le bilan du côté français7, à partir ­dun corpus de textes qui ne se limitera pas aux chroniques ; ­lévénement a servi de référence dans ­dautres genres littéraires (traités, romans, poésies, journaux, débats8).

La mÉmoire des hauts faits

Avant ­den venir à Azincourt, il ­convient de rappeler brièvement la fonction éthique et mémorielle traditionnellement assignée à la ­consignation des exploits guerriers et des aventures chevaleresques. Le discours de la gloire, associée à la mémoire, nourrit tout une topique exordiale. Selon le chroniqueur Jean le Bel, « ­listoire est si noble, ce ­mest advis, et de si gentile proesse, ­quelle est bien digne et merite ­destre mise en escript pour le en memoire retenir au plus prez de la verité9 ». Jean Froissart, qui poursuivit la relation historiographique de la guerre de Cent Ans entamée par Le Bel, écrit :

Afin que les grans mervelles et li biau fait ­darmes, liquel sont advenu par les gerres de France et ­dEngleterre et des roiaulmes voisins, ­conjoins et ahers avoecques euls, dont li roi sont cause, soient notablement registré, et ou temps present et a venir, veu et ­congneu10.

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Le chroniqueur

suppose que, depuis la creation dou monde et que premierement on se ­commença a armer, on ne trouveroit en nulle histore tant de mervelles ne de grans fais ­darmes ­conme il sont avenu ens ou temps et termes des guerres dessus dittes, tant par terre que par mer11.

Froissart semble estimer avoir de la chance ­dêtre le ­contemporain ­dune guerre aussi exceptionnelle, qui lui fournit de quoi raconter à son public princier. À la fin de son prologue, le topos de la translatio imperii résume une histoire de la prouesse, illustrée de nation en nation au fil du temps ; cette translatio virtutis doit servir ­dexemple aux jeunes gens désireux de bien faire : « je ai un petit tenu le degré de Proesce a la fin que tout baceler qui ainment les armes ­si puissent exempliier12 ».

Cette fonction exemplaire ­nest pas réservée aux chroniques. ­Lautorité didactique des récits chevaleresques de la fin du Moyen Âge ­sappuie volontiers sur les « faits des anciens » entérinés par les siècles13. Les biographies chevaleresques ­consacrées à des héros plus récents, tels le Gilles de Chin en prose ou le Livre des faits de Jacques de Lalaing, sont données en « exemple aux nobles et vertueux hommes du temps present14 ». Le Livre des faits de Boucicaut (ca. 1406-1409) met en avant que

­cest chose couvenable que en memoire authentique soient mis les bons et leur nom auctorisé, affin que ceulx qui tendent a honneur puissent prendre exemple de bien faire, pour attaindre au loyer de bonne renommee qui est deue a ceulx qui le desservent15.

La fonction mémorielle de tous ces textes est essentielle : dans ­léthique médiévale (chez des penseurs ­comme Albert le Grand, saint Thomas ­dAquin en particulier), la mémoire est ­conçue ­comme partie de ­lune des vertus cardinales, la Prudence ; elle permet ­létablissement ­dun 394jugement moral, critère de ­lagir16. ­Lécriture, en tant que mise en ordre des faits (Froissart affectionne le terme ordonnance17), donne sens et indique une direction à suivre.

De manière cruciale, la guerre de Cent Ans, en infligeant plusieurs terribles échecs à la noblesse chevaleresque française, remettait en question son prestige et ses prérogatives. Dans ce ­contexte, tout un pan de la littérature (romans chevaleresques, dérimages de chansons de geste), ­dabord adressé à un public aristocratique, visait à en restaurer ­limage et à provoquer en ses rangs un sursaut ­dhéroïsme. Non sans ambivalence toutefois : ­lemprise du sentiment romanesque sur les ­comportements a souvent été dénoncée ­comme ­lun des facteurs explicatifs des défaites militaires18. Le désir ­dhéroïsme ­sest soldé en audaces inconsidérées, payées au prix fort sur le champ de bataille. Quant au pragmatisme efficace ­dun Bertrand du Guesclin, qui préféra les sièges méthodiques, les actions ciblées voire les ruses aux lourdes batailles rangées, il ne fit pas vraiment école, quand bien même le ­connétable de Charles v fut célébré ­comme le dixième Preux.

Alors ­comment réagir quand une déroute militaire ­contrevient à la belle ordonnance ? Jean le Bel estime que ­lissue funeste de la bataille ne doit pas occulter les ­comportements individuels :

on doibt bien tenir tous ceulx a proeuz, lesquelx en celles batailles si crueuses et perilleuses, dont il y en a eu plusieurs, ont osé demourer jusques a la desconfiture, souffisaument faisans leur debvoir. [] la fortune est tantost tournee ­dun costé ou ­daultre ; mais tousjours a de mielx faisans les ungs que les autres, si les doibt on bien recorder en nommant qui les scet19.

La prouesse existe donc même dans la défaite. ­Noublions pas non plus que plus ­dune chanson de geste relate une terrible défaite ; ­quon songe aux morts sublimes de Roland dans la Chanson de Roland ou de Vivien 395dans la Chanson de Guillaume. Les exploits les plus désespérés (pour paraphraser le poète) seraient-ils les plus beaux ?

Pourtant la longueur du ­conflit franco-anglais pèse sur les cœurs ; à la fin du xive siècle, le poète Eustache Deschamps, qui a vu se succéder quatre rois de France, adopte fréquemment une posture de témoin désabusé :

Las ! Que ­jay veü de tribulacïon,

De tempestes et de mortalitez,

De haïnes, de peuples mocïon,

De grans orgueilz et de grans vanitez,

De traïsons et de crudelitez,

Puis l ans, et vengence soudaine,

Conflis de roys en France et en Espaigne

Pour nos pechiez, et universel guerre

Pour le debat de France et ­dAngleterre,

Païs ardoir, tout detruire a la ronde

Pour ­convoitier et seignourie acquerre !

­Cest tout neant des choses de ce monde20.

­Laccumulation de substantifs dysphoriques puis ­dinfinitifs crée un effet ­daccablement. La guerre ­na que cinquante ans (v. 6) mais on perçoit déjà son caractère exceptionnel, exprimé par ­lhyperbole « universel guerre ». Le refrain, inspiré de ­lEcclésiaste, rappelle la vanité de toutes choses. Nulle place pour ­lhéroïsme, la gloire ; la guerre est la résultante haïssable de causes politiques (­conflits de rois) et morales (péchés). Le moraliste dénonce « les temps desordonnez » dans ­lenvoi du poème (v. 61).

­Cest à ­laune de la tension entre ­lidéalisme chevaleresque et le pessimisme moral que ­lon peut analyser les différentes évocations de ce désastre français que ­constitua la bataille ­dAzincourt.

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DÉcrire la bataille

Azincourt marqua ­demblée les esprits : le « Bourgeois » de Paris ne tarda pas à ­consigner dans son Journal21 le bilan de la terrible bataille. Bien ­quil fût ­dobédience bourguignonne et que précisément le duc de Bourgogne ­neût pas participé à la bataille, il discerne un événement capital : « Oncques, puis que Dieu fut né, ne fut faite telle prise en France par Sarrasins ni par autres ». La mention des Sarrasins22 ­convoque ­lhorizon épique des croisades et des chansons de geste, ce qui, avec ­lhyperbole temporelle renvoyant à la naissance du Christ, magnifie ­lévénement.

Beaucoup ayant déjà été écrit sur les circonstances et le déroulement de la bataille23, on ne rappellera ici que les paramètres essentiels permettant de ­comprendre ­comment une bataille donnée pour gagnée ­davance vira au fiasco. Écrites plus ou moins longtemps après ­lévénement par des auteurs plus ou moins bien informés et diversement intentionnés, les descriptions de la bataille ­concordent sur la trame générale de la journée mais varient quant au détail.

Tous ­saccordent, quoique dans des proportions variables, sur la supériorité numérique des Français. Ils étaient deux fois plus nombreux que les Anglais24 selon le Bourgeois de Paris25, quatre fois plus 397selon le Religieux de Saint-Denis26 et Thomas Basin27, six fois plus selon Enguerrand de Monstrelet28, dix fois plus selon la Chronique de Ruisseauville29 et Le Pastoralet30. Michel Pintoin fait dire à Henri v ­quil dispose de 12000 archers31 ; Monstrelet avance 13000 archers32. Gilles le Bouvier, héraut de Berry, estime les troupes anglaises à 1500 chevaliers et écuyers et 16 à 18000 archers33 ; ­lHistoire de Charles vi affirme que le roi ­dAngleterre était accompagné « de quelque quatre mille hommes ­darmes, et bien de seize à dix-huict mille archers, à pied, et autres ­combatans34 ». ­Lhistorien Jean Favier avance ­aujourdhui des ­chiffres moindres : les Anglais auraient débarqué sur ­lembouchure de la Seine en août 1415 avec « deux mille hommes ­darmes, six mille archers, peut-être douze mille hommes en tout », ce qui suffisait à en faire « une armée de ­conquête35 » – de quoi il faut déduire les pertes subies lors du siège ­dHarfleur.

Quels que soient les ­chiffres exacts, la supériorité numérique écrasante donnait a priori les Français pour vainqueurs. Or la journée se solda par la victoire paradoxalement facile des Anglais. La Chronique de Ruisseauville souligne la rapide pénétration des soldats anglais dans les rangs français : « les englés entrerent ens et passerent ­lavant garde, le bataille et ­larriere garde ; et ne dura pas le bataille demi heure ­quelle ne fut toute deconfite ou tout tuet ou tout pris36 ». Le chroniqueur de 398Berry détaille la disposition des troupes plus que le ­combat lui-même, pour ­conclure que les Anglais, voyant les Français désorganisés, « les vinrent fierement assaillir, et les desconfirent tres aisement37 ». Thomas Basin, au bout ­dà peine un paragraphe, écrit que « ce fut à bon ­compte et presque sans peine que la victoire resta aux Anglais38 ». Martial ­dAuvergne avance que ­leffectif élevé des Français se révéla source de gêne sur le champ de bataille : « Brief les françoys en si grant nombre / A ceste journee arriverent / Que les ungs ­si faisoient encombre / En nuysant plus ­quilz ­naiderent39 ».

Déroute ­dautant plus choquante que la bataille aurait pu être évitée : les Anglais, redoutant la supériorité numérique des Français, firent des offres de trêve le 24 octobre. Basin ­nest pas sûr de la réalité de cette offre40. Le chroniqueur de Berry dit ­quil est impossible de savoir ce que le roi ­dAngleterre proposa exactement, car hormis le duc ­dOrléans, tous les autres seigneurs de ­lambassade française furent tués au ­combat41. La Chronique de Ruisseauville est, elle, explicite : les Anglais demandaient à pouvoir se retirer à Calais, restituaient Harfleur et les forteresses du Calaisis, et offraient cent mille couronnes, « dont li ­connetables [­dAlbret] ne le voult nient accorder42 ». Cette offre bien tentante est plus âprement discutée entre les seigneurs français dans ­lHistoire de Charles vi, mais pour aboutir au mauvais choix : « Finalement fut ­conclud ­quon les ­combatroit43 ». Jean Le Fèvre de Saint-Rémy prétend que Henri v alla ­jusquà offrir « de renoncer au tiltre de la couronne de France44 ». ­Quoiquil soupçonne le roi anglais de quelque ruse, ­lauteur anonyme des Droits de la couronne de France insiste sur le refus déraisonnable des Français45.

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Le ­combat devenait inévitable, mais sur un terrain extrêmement défavorable. Les Anglais, explique la Chronique de Ruisseauville, ­sétaient établis « en dure terre » alors que les Français « entroyent moult parfont de leurs piés » dans un sol détrempé par la pluie46. Michel Pintoin précise ­quil ­sagit ­dun terrain « fraîchement labouré, que des torrents de pluie avaient inondé et ­converti en une espèce de marais fangeux47 ». Les Français furent vraiment de piètres tacticiens en se laissant imposer ce terrain bourbeux, particulièrement pénible pour des hommes lourdement équipés, et en choisissant ­daller eux-mêmes à ­lassaut ­dadversaires campés sur leurs positions. Le terrain étroit empêchait ­lavant-garde française de se déployer correctement48. Ironie du sort météorologique : selon ­lHistoire de Charles vi, une éclaircie fit que les Français avaient « le soleil en ­lœil49 ». Ce texte mentionne aussi deux embuscades anglaises, ­lune ­darchers, ­lautre de cavaliers cachés dans les bois environnants, destinées à surprendre les Français « par derriere50 » ; ce que le chroniqueur bourguignon Jean Le Fèvre de Saint-Rémy dément formellement51.

La redoutable efficacité des longbows anglais, dès le début de la bataille52, est notoire : les rangs serrés des Français offraient une cible facile, et nombre de ­combattants de ­lavant-garde furent fauchés avant ­davoir pu venir au ­contact de ­lennemi. Michel Pintoin évoque « une effroyable grêle de traits53 ». Basin amplifie ­limage :

Poussant donc ­dhorribles clameurs, ils ­commencèrent à tendre leurs arcs de toutes leurs forces et à lancer des flèches sur ­lennemi en quantité telle et en nappes si denses que ­cétait ­comme si un nuage eût obscurci le ciel ; et les 400flèches étaient si nombreuses que ­lon eût dit ­dune moisson épaisse sortie subitement du sol. Puis, ils ­savancèrent en tirant vers ­lennemi et lui blessèrent tant de chevaux et ­dhommes, en tuant même un bon nombre, que, sans attendre ­den venir aux mains, les Français tournèrent le dos, ­sécrasant les uns sur les autres dans leur fuite54.

­Lauteur de ­lHistoire de Charles vi disculpe les Français du mouvement de fuite : les archers visaient les chevaux qui, fous de douleur, devenaient incontrôlables :

Et lors lesdits seigneurs de cheval bien hardiment et vaillamment voulurent venir sur les archers, lesquels ­commencerent à se adresser ­contre ceux de cheval, et leurs chevaux, bien chaudement. Quand lesdits chevaux se sentirent ferus des fleches, il ne fu oncques en la puissance des hommes ­darmes de passer outre. Mais retournerent les chevaux, et sembloit que ceux qui estoient dessus ­senfuissent, et aussi fu ­lopinion et imagination ­daucuns, et leur en donnoit on grande charge55.

Les Français auraient pu disposer aussi ­darmes de trait mais, signale Michel Pintoin, les quatre mille arbalétriers avaient été ­congédiés56 ! Il ajoute que les archers anglais, venus au ­contact de ­lennemi, usaient (ce qui était nouveau) de massues de plomb particulièrement meurtrières57. Dans Le Pastoralet, qui relate sous ­laspect ­dune allégorie pastorale la guerre entre Armagnacs et Bourguignons, les houlettes des bergers se muent en armes acérées58 : la violence est rendue choquante par la métamorphose guerrière de bergers traditionnellement pacifiques.

Les Français, lourdement équipés, se retrouvèrent en mauvaise posture face à des Anglais plus mobiles car plus légèrement pourvus. Tous les chefs ­sétant massés dans ­lavant-garde française59, une fois celle-ci 401décimée, le reste de ­larmée se trouva totalement désorganisé. Péripétie du côté anglais : plusieurs chroniques signalent que des Français investirent le campement ­dHenri v et pillèrent son trésor60.

La journée ­sachève en carnage. Le Bourgeois de Paris ne décrit pas la bataille, ce qui donne un tour ­dautant plus abrupt à la liste des tués et prisonniers :

Item, tout premierement, le duc de Brabant, le ­comte de Nevers, freres du duc de Bourgogne, le duc ­dAlençon, le duc de Bar, le ­connétable de France Charles ­dAlbret, le ­comte de Marle, le ­comte de Roucy, le ­comte de Salm, le ­comte de Vaudemont, le ­comte de Dammartin, le marquis du Pont. Ceux-cy nommés furent tous morts en la bataille, et bien trois mille eperons dorés sur les autres ; mais de ceux qui furent pris et menés en Angleterre, le duc ­dOrleans, le duc de Bourbon, le ­comte ­dEu, le ­comte de Richemont, le ­comte de Vendôme, le marechal Boucicaut, le fils du roi ­dArmenie, le sire de Torcy, le sire de Heilly, le sire de Mouy, [monseigneur de Savoysi] et plusieurs autres chevaliers et ecuyers dont on ne sait les noms61.

Selon Pierre de Fenin, « y en mourut sur la place de trois a quatre mille62 ». Le chroniqueur de Berry fait état de quatre mille chevaliers et écuyers français tués, « outre cinq ou six cens autres gens de guerre63 ». Les Vigiles de Charles vii avancent plus de cinq mille tués64. La liste des tués français ­sétend sur six pages chez Monstrelet, qui évoque aussi le détail pathétique des cadavres dépouillés par les paysans, qui « demouroient sur le champ tous nudz65 ». Les corps non récupérés par leurs proches furent enterrés sur place dans trois fosses ­communes. Les prisonniers français, au nombre de 1500 chez Monstrelet66, 2200 402dans la Chronique de Ruisseauville67, passent à 14000 dans ­lHistoire de Charles vi68. Chiffres improbables, car seuls furent emmenés en Angleterre les prisonniers les plus éminents, passibles ­dune lourde rançon ; Henri v, craignant ­dêtre pris à revers par les Français, ne voulut pas ­sencombrer des autres, ­quil fit tous exécuter avant la fin de la bataille69.

Un exemplum en nÉgatif

Les chroniqueurs ont quelque réticence à nommer des fautifs, des responsables. Le ­connétable de France, le seigneur ­dAlbret, est en théorie le premier en cause : ­conseiller militaire du roi et chef de ­larmée en son absence, il a ­commis ­lerreur de rejeter ­loffre de trêve des Anglais et de se placer à ­lavant-garde au lieu de rester en arrière pour ­commander et coordonner les troupes ; mais il ­nest que rarement accusé, peut-être partiellement excusé par sa mort sur le champ de bataille70. La défection du duc de Bretagne, qui avait pourtant reçu du roi cent mille livres et la cité de Saint-Malo, est stigmatisée71. On ­sinterroge sur ­labsence de Jean sans Peur72.

Au-delà de la recherche de coupables individuels, les auteurs sont amenés à une réflexion morale plus essentielle, source ­denseignement pour ­lavenir. ­Cest le ­comportement collectif des Français qui est interrogé : leurs erreurs tactiques ne sont que le symptôme ­dun plus profond aveuglement, ­dordre moral. Françoise Autrand, analysant les relations de la bataille de Poitiers, identifie plusieurs « thèmes moralisateurs dont chaque défaite est un exemplum73 ». On en retrouve facilement quatre dans les textes relatifs à Azincourt.

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Tout ­dabord « ­lorgueil abattu », premier des péchés capitaux, rappelle la formule du Magnificat : « deposuit potentes de sede et exaltavit humiles ». La référence est transparente sous la plume de George Chastellain qui, à propos des défaites de Crécy, Poitiers et Azincourt, avertit :

Dont ­lexemple par trois fois escheu, et qui est trop, doit bien estre perpetuel miroir aux François de fuyr outrecuydance et de ­congnoistre que Dieu, les hommes et fortune espient et aguettent les orgueilleux pour les infeliciter, et les humbles esvigourent et exaulcent74.

Martial ­dAuvergne en ­conclut :

Par oultrage et presumption

Qui les cueurs des orgueilleux ardent

Vient toute malediction

Et plusieurs batailles ­sen pardent75.

Persuadés de leur supériorité, les Français ont fait preuve ­doutrecuidance76 et ont sous-estimé ­ladversaire. Ils sont allés au ­combat ­comme à la fête77, ont négligé les préparatifs, « les uns ­sen alloient chauffer, les autres ­sen alloient se pourmenans, ou faisans repaistre leurs chevaux, ne croyans pas que les Anglois eussent assez ­dhardiesse de les venir ­combattre78 ». ­Lorgueil réclame ­lhonneur : avides de gloriole (ce que les moralistes nomment la « vaine gloire »), tous les princes français voulurent figurer en première ligne79. Pétris ­didéalisme chevaleresque, ils espéraient ­sillustrer par quelque prouesse mais se laissèrent emporter par un élan inconsidéré. Michel Pintoin écrit que « sept ­­[­des­]­ cousins germains [de Charles vi] avaient succombé en faisant des prodiges de valeur80 », mais la ­consolation adressée au roi ­nest pas exempte de réprobation : ainsi, Antoine de Brabant, frère du duc de Bourgogne, fit preuve ­dune « imprudente précipitation » et le duc ­dAlençon (Jean i), « emporté par une folle ardeur et par un désir insensé 404de ­combattre, [] avait quitté le principal corps ­darmée ­quil était chargé, dit-on, de ­conduire, et ­sétait jeté témérairement au milieu de la mêlée81 ».

Le ­contraste ­nen est que plus saisissant avec la débandade qui ­sensuivit : les fuyards sont presque unanimement dénoncés, même si ­lHistoire de Charles vi fait valoir que cette fuite ­nétait pas volontaire (voir supra). La ­condamnation de la fuite est le second thème moral récurrent. « ­Cétait un pitoyable spectacle que de voir ­comment, les rangs une fois rompus, la ­confusion ­sétait introduite dans ­larmée française et ­comment la plupart demandaient leur salut à la fuite82 », note Thomas Basin. Le ­comportement des Français se résume à un grand écart fatal entre témérité incontrôlée et manque de ­combativité.

Les soldats représentent sur le champ de bataille la nation tout entière. Or la troisième raison de la défaite, « ­cest la colère divine, provoquée par les péchés de la ­communauté83 ». Le retournement de Fortune, relevé par plusieurs auteurs, démontre la puissance de Dieu, qui en est le « souverain arbitre84 ». Comme bien ­dautres, Michel Pintoin ne doute pas que la défaite française ne soit un châtiment divin, attiré par la corruption quasi générale des mœurs : quoi ­quil lui en coûte (étant au service de ­lhistoire officielle du royaume), il développe le sombre tableau des péchés capitaux (et même un peu plus) répandus parmi les trois ordres ­constitutifs de la société française, et ­conclut :

Et ­quon ­nattribue pas ce malheur à la ­conjonction de certains astres ou à ­linfluence de certaines planètes, ­comme ­lont publié quelques charlatans dans leurs assertions mensongères et extravagantes. ­Cest le Tout-Puissant, dis-je, qui, poussé à bout par les péchés des habitants, a inspiré aux uns ­laudace ­denvahir le royaume et aux autres la pensée de fuir85.

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Henri v lui-même, dans ses propos rapportés par plusieurs chroniqueurs, met en cause les péchés des Français, responsables de leur chute :

Et adont respondit li rois englés che ­navoit il nient fait ni les englés mais che avait fait Dieu et notre Dame et Monseigneur Saint George et tot par vos pekiet car, dit il, quand vous alez en bataille en orguel et a grant beubanche, violant pucelles, femmes mariees et aultres et ossi desreubant le plat pays et toutes les eglises, et tant ­comme vous ferez ensi ja Diex ne vous aidera86.

Dans le Débat des hérauts ­darmes de France et ­dAngleterre, ­largument providentialiste est détourné : au héraut ­darmes ­dAngleterre qui cherche à démontrer la supériorité militaire de sa nation en rappelant les victoires anglaises, dont « de neufve memoire la tres grande et honorable bataille de Gincourt », le héraut de France réplique que « Dieu ordonne et dispose des batailles87 », ce qui est une façon ­damoindrir le mérite de ­ladversaire – mais aussi un faux-fuyant, faute ­dargument plus percutant…

Dès lors que ­lennemi est la main armée de Dieu, le discours providentialiste reconnaît la valeur de ­ladversaire (quatrième topos). Les Anglais, à ­commencer par leur roi, ont bel et bien fait montre de pragmatisme tactique, de bravoure, de discipline88. Henri v a su galvaniser ses troupes par de puissantes paroles passées à la postérité89. Même après sa victoire, il fait preuve de modestie et de mansuétude en permettant ­denterrer les morts français90. Quelques critiques subsistent néanmoins : ­lHistoire de Charles vi accuse les Anglais, dans leur route entre Harfleur et Calais, de « maux innumerables », ce qui justifie ­lintervention des 406Français91 ; ­lauteur des Droiz de la couronne de France écrit ­quHenri v « moult estoit cault, subtil et cruel en armes92 ». Mais aucun texte ne fait valoir que tuer à distance à ­laide de flèches est anti-chevaleresque. Même ­lexécution des prisonniers français ordonnée par Henri v, ­contraire au droit chevaleresque, est assez froidement rapportée, dictée par les circonstances (certes mal interprétées par le roi anglais). La formulation de la Chronique de Ruisseauville est ambiguë, car on peut ­comprendre que les Anglais sont désolés de sacrifier des prisonniers dont ils auraient pu tirer rançon : « adont peust on ouïr grans cris et merveilleux tant des englés ­comme des franchois pour les bons prisonniers que il avoient93 ». Jean Le Fèvre de Saint-Rémy est plus explicite sur cette réticence plus pécuniaire que morale ; il rejette la responsabilité sur la « maudite ­compaignie de Franchois » mais ne peut ­sempêcher de déplorer ce spectacle « moult pitoyable » « car, de froid sang, toutte celle noblesse franchoise furent la tués et decoupés, testes et visages, qui estoit une merveilleuse chose a voir94 ».

Outre les quatre topoi moralisateurs retrouvés dans notre corpus, la bataille ­dAzincourt adresse ­dautres leçons et révèle des carences et des tensions peut-être un peu plus spécifiques.

Le sort des prisonniers emmenés en Angleterre donne à réfléchir sur la fragilité de la destinée humaine. Le plus célèbre ­dentre eux, toujours nommé en premier dans les listes de prisonniers, Charles ­dOrléans, fut « mené en Angleterre jeusne frés chevalier, et tiré aprés par long decours ­dans, tout gris viellart95 » en 1440. Sa destinée politique est replacée dans la perspective courtoise dans le roman allégorique de son cousin René ­dAnjou, le Livre du Cœur ­damour épris (1457) : ­lépigraphe96 accompagnant la description de ses armes accrochées au porche du cimetière de ­lhôpital ­dAmour le dépeint en amant (on lui a effectivement prêté quelques tendres aventures avec des dames anglaises) mais dans un 407­contexte morbide, et sans mentionner son œuvre poétique97. Charles, dit le vers 1465 de ­lépigraphe, fut « mené en servaige » en Angleterre : allusion au « service » amoureux, mais aussi au thème plus grave de la servitude, qui fait écho à ­dautres textes désignant les prisonniers ­dAzincourt ­comme des « esclaves », terme ­dautant plus choquant ­quil est appliqué aux membres des plus nobles familles de France98. Parmi les autres prisonniers, Chastellain évoque le ­comte ­dEu, totalement ruiné à sa libération99. Si le Livre des faits de Boucicaut ne mentionne pas la captivité du maréchal (Jean ii le Meingre), ­cest parce ­quil fut écrit avant 1415.

Azincourt est le théâtre ­dun ­conflit de générations. ­Lindiscipline et la fougue irréfléchie sont imputables à la jeunesse des princes français engagés dans la bataille, qui ­nécoutèrent pas les ­conseils avisés de leurs aînés. Certes, le vieux duc de Berry, se souvenant du désastre de Poitiers, préserva la Couronne de France en empêchant le roi et le dauphin de ­combattre100 ; mais plusieurs vieux chevaliers avaient en vain désapprouvé cette bataille101. Le topos moral de ­lopposition entre jeunesse inexpérimentée et vieillesse avisée reprend du service. ­Linexpérience militaire des princes français102 sert à charge et à décharge. ­Dun côté elle stigmatise le manque de clairvoyance tactique de ces jeunes vaniteux, ­comme le suggère Martial ­dAuvergne :

Plusieurs enfans de grant maison,

Nourriz souef ­com grain en paille

Si y laisserent la toison

Car jamais ­navoient veu bataille.

Ou fait de guerre estoient nouveaux

Et leur sambloit, pour leurs poulaines,

Leurs harnoys, pompes et joyaulx,

­Quilz abatroient les gens en haines [sic]103.

408

­Dautre part, cette même inexpérience amoindrit le mérite des Anglais : « ­Lorgueilleux courage du roy Henry, ne la vaillance de ses Anglois, ne subjuga pas tant nos peres a la journee ­dAgincourt [] ­comme fist leur inexperience des armes, dont nos peres ­nestoient alors que nouveaux apprentifs104 ».

­Lorgueil de classe des princes français laisse apparaître une autre tension, entre les nobles et le peuple. Plusieurs auteurs déplorent que les ­combattants roturiers, pourtant disponibles, ­naient pas été employés, alors que les Anglais ­navaient pas de telles réticences105 :

Adonc se ­combatirent tous les Anglois ­contre les nobles de France, et ne se ­combatit point le menu peuple de France. Ainsi les François par ce moïen perdirent la journee106.

O povre noblesse françoise gouvernee ­dorgueil, ­conseillere de folle jeunesse, et seduicte par presumpcion ! Tu y mesprisas ­layde de tes gros varlets, et les vilains ­dAngleterre te suffocquerent107.

Michel Pintoin souligne la « double honte », pour la noblesse française, de ­sêtre laissée « battre par des gens sans merite et sans naissance108 ».

­Laristocratie française ­sobstinait à ignorer que ­lordre féodal vacillait, entraînant une redistribution des forces sociales dans le pays. Olivier Renaudeau explique que ­lincapacité de la noblesse à empêcher la capture de Jean ii à Poitiers a « ­contribué au succès du thème de la participation du peuple au ­combat » ; il cite la Complainte sur la bataille de Poitiers, ­composée peu après, qui préconise que le roi, « ­sil est ben ­conseillé, il ­nobliera mie / Mener Jaque Bonhome en grant ­compagnie109 ». Mais ce ­conseil fut oublié. Après Azincourt, une ballade analogue, insérée dans la chronique de Monstrelet110, renvoie « ung chacun » à son « mes409tier » (refrain) : le poète, choqué par la paradoxale victoire ­dun « feble ennemi » (v. 15), dénonce les manquements de la noblesse et du clergé, tandis ­qu« Humble ­commun obeit et endure » (v. 8-10).

­Laristocratie était ­dautant moins clairvoyante ­quelle se déchirait dans la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons depuis 1407. Selon Michel Pintoin, cette division intérieure provoqua ­lire divine en même temps que ­laudace anglaise :

Il est notoire pour tous les Français que ce sont les divisions obstinées des princes qui ont inspiré à nos ennemis ­laudace ­denvahir le royaume. [] Tous ces crimes et ­dautres pires encore [] ont excité à juste titre la colère de Dieu ­contre les grands du royaume ; il leur a ôté la force de vaincre leurs ennemis et même de leur résister111.

­LHistoire de Charles vi rapporte que certains Français, hostiles aux Armagnacs, furent heureux de ­lissue ­dAzincourt :

A Paris mesmes y en eut, qui en parlerent a leur plaisir, en monstrant signe de joye, en disant que les Armagnacs estoient desconfits, et que le duc de Bourgongne a ceste fois viendroit au dessus de ses besongnes112.

La situation du duc de Bourgogne est toutefois ambiguë : le gouvernement armagnac ­navait pas souhaité la présence de Jean sans Peur dans ­larmée réunie pour arrêter les Anglais113, mais plusieurs de ses proches, parents et vassaux, ­combattirent et périrent à Azincourt. ­Lauteur pro-bourguignon du Pastoralet oppose la vaillance des « Lëonois » (Bourguignons) et la défaillance des « Lupalois » (Armagnacs)114. Guillaume Fillastre, chancelier de la Toison ­dOr de Philippe le Bon, explique que son maître fut tenu en sûreté à ­lécart de la bataille par son père, Jean sans Peur, alors ­quil brûlait ­dy participer. Il affirme que le duc Philippe regretta ­jusquà la fin de sa vie « de non avoir esté en ladicte bataille » et estimait ­quil aurait pu infléchir le cours des 410choses : « ­sil y eust esté, il lui semble ­quil eust ralyé les nobles du pays et autres, qui par desroy estoient esgarés, et les eust remys en tel ordre que lez ennemis ­nen eussent pas reporté victoire sans leur perte115 ». Même si ­largument participe du panégyrique du duc, il laisse entrevoir ­combien la division des princes fragilisait le pays tout entier.

Tous ces témoignages, échelonnés à travers le xve siècle, montrent que le souvenir ­dAzincourt resta longtemps cuisant pour les Français, et ce ­dautant plus que ­danciens échecs auraient dû les prémunir ­dun nouveau désastre. Au moins le duc de Berry, « pource ­quil ­sestoit trouvé autrefois en [la bataille] de Poictiers116 », empêcha-t-il le roi de ­sexposer au risque ­dune capture. Pour le reste, on avait échoué à tirer les leçons du passé, et cela faisait enrager plus ­dun auteur117. Il ­sagissait donc de ­conjurer ­loubli fatal et ­délaborer, à partir du souvenir traumatique, une mémoire salutaire pour ­lavenir. Si Pintoin se fait ­constamment violence en ­consignant ce qui fait la honte du royaume, ­cest dans ­lespoir que son récit serve de leçon118. Il écrit en historien mais emprunte, ­comme ­la montré Bernard Guenée, des accents tragiques pour signaler les pires malheurs119 :

cédant au juste sentiment de ­confusion que ­minspire votre ­conduite, ­jaurais enseveli dans un éternel oubli des faits dont le récit ­convient mieux aux accents de la muse tragique ­quà ceux de ­lhistoire, si je ne ­métais fait un devoir de transmettre à la postérité les revers aussi bien que les succès de la France120.

Cette véhémente apostrophe aux nobles vaincus interrompt le récit de la bataille ­dAzincourt pendant un chapitre entier. ­Lémotion tragique renforce les reproches adressés à des seigneurs qui ont dégénéré de leurs ancêtres. ­Lauteur des Droiz de la couronne de France recourt au même procédé : la longue apostrophe à la « povre noblesse françoise » (citée 411supra) gifle ­lorgueil nobiliaire et ajoute au bilan de la bataille la virulence ­dun pathos destiné à marquer les mémoires, ­puisquil ­sagit là encore ­décrire un miroir du prince pour donner « exemple [aux] successeurs et matiere de plus sagement se gouverner es temps avenir121 ». ­Sadressant au roi de France, ­lauteur ­conseille : « sur ce devriez assez clerement vous mirer ou desarroy qui fut en ­larmee de France non experte en armes [] a la journee ­dAgincourt122 ».

­Lenseignement à retirer ­dAzincourt ­nest pas seulement moral mais tactique. La fin de la rubrique du chapitre 17 de la seconde partie du Jouvencel, sorte de manuel narratif sur ­lart de la guerre, annonce « pluseurs batailles sur terre perdues et gaignees sur lesquelles on peut prendre pluseurs beaux exemples123 ». Très pragmatique, Jean de Bueil y montre ­quil faut ménager les troupes et ­sétablir sur une position sûre qui dispense de marcher à découvert124. ­Lauteur des Droiz de la couronne de France125 tire du discours ­dHenri v la leçon ­quil faut laisser une issue à ­lennemi afin de ne pas ­lacculer à ­lhéroïsme. Dans le Quadrilogue invectif, alors ­quil recourt préférentiellement à des exemples tirés de ­lhistoire antique et met plus souvent en accusation le Chevalier, Alain Chartier semble cautionner la prudence du Chevalier taxé de pusillanimité lorsque celui-ci fait appel à la fraîche actualité ­dAzincourt pour justifier la temporisation si les ­conditions propices au ­combat ne sont pas réunies. Le Chevalier en ­conclut que lui et ses ­compatriotes ne pourront se libérer du malheur « si non par diligemment travailler et saigement souffrir et chastier nostre hastiveté perilleuse par la sceurté de bonne attrempance126 ». Pour faire bonne mesure, il ajoute ­lantique exemple de Fabius cunctator (tiré de Valère Maxime et Tite-Live) qui sut attendre le bon moment pour livrer bataille, car il ­nen reste pas moins que Chartier encourage la chevalerie à repousser ­lennemi.

412

Le deuil des femmes

Azincourt plongea dans le deuil nombre de dames françaises : « En plusieurs lieux de ce royaume y avoit dames et damoiselles vefves, et pauvres orphelins127 ». Michel Pintoin accroît la charge pathétique :

Partout les nobles dames et demoiselles changeaient leurs vêtements tissus ­dor et de soie en habits de deuil. ­Cétait un spectacle à arracher des larmes à tous les yeux, que de voir les unes pleurant amèrement la perte de leurs époux, les autres inconsolables de la mort de leurs enfants et de leurs plus proches parents, mais surtout de ceux qui, en succombant sans gloire, avaient emporté avec eux dans la tombe les noms fameux de leurs ancêtres, ces noms si souvent illustrés dans les ­combats128.

Les textes mettent en avant ­lémotion des femmes, quand ­lhistorien peut explorer les ­conséquences sociales et économiques de « la ­concentration du patrimoine familial entre les mains ­dune héritière129 » ou les difficultés matérielles des plus démunies. ­Lémotion des hommes est davantage tue ou sobrement exprimée, surtout ­lorsquil ­sagit des dirigeants (le roi de France, le duc de Bourgogne), tenus au ­contrôle de leurs affects en public.

Parmi les éprouvées, Marie de Berry (1375-1434), fille du duc Jean de Berry : elle perd son gendre Philippe de Bourgogne, divers « cousins », Charles 1er sire ­dAlbret, Antoine duc de Brabant ; sont faits prisonniers son mari Jean de Bourbon (il mourra, toujours captif, en 1434), le fils issu de son second mariage, Charles, ­comte ­dEu. En outre, son père meurt (de vieillesse) le 15 juin 1416. Christine de Pizan130 lui adresse, dans la plus pure tradition des ­consolations philosophiques, ­lÉpître de la prison de vie humaine en 1418. ­Cest une sorte de sermon où, à grand renfort ­dexemples tirés des saintes Écritures, Christine incite la princesse (et toutes celles tombées dans le même malheur) à faire ­contre mauvaise 413fortune bon cœur. À vrai dire, ­lessentiel des ­consolations promises à ­linfortunée réside dans la vie après la mort…

Et in Arcadia ego : ­lirruption de la mort dans le doux monde des bergers du Pastoralet prend un relief particulier. Le poète instaure une tension dramatique en évoquant le deuil des femmes avant, pendant et après la bataille :

Mainte bergiere frisque et prousse

Sans ami seules demorront ;

[]

Bergierettes, plorés pour eux

Et lamentés en griés clamours,

Car vous perdés chy vos amours.

Plourés des yex, plourés souvent,

Car chy perist ung beau jouvent.

[]

Et les bergierettes plorans

Sont presque de fin doel morans131.

­Lévocation ­confond dans un même deuil les différents partis impliqués : « Florentinois » (Français), « Lëonois » (Bourguignons), « Panalois » (Anglais), « Lupalois » (Armagnacs).

La bataille ­dAzincourt devient le cadre structurel du Livre des quatre dames ­dAlain Chartier, où le problème courtois est projeté sur ­lhorizon immédiat de la guerre, provoqué par elle et évalué en fonction ­delle132. Le poème, situé (non explicitement) au printemps 1416, ­commence par une méditation du poète-narrateur amoureux sans espoir et mélancolique face à la reverdie printanière au cours ­dune promenade. ­Cest là, dans un 414cadre bucolique tout de paix et ­dharmonie régi par dame Nature, ­quil rencontre (­contraste saisissant !) quatre dames éplorées qui souffrent toutes des ­conséquences de la récente bataille. Azincourt ­nest pas nommé (ce qui donne une portée plus générale au propos) mais ­lallusion est claire ; peut-être pas nommé parce ­quinnommable, point névralgique ­dune douleur dont il va être débattu. En effet, laquelle est la plus à plaindre : celle dont ­lami a été tué au champ ­dhonneur, celle dont ­lami a été fait prisonnier133, celle dont ­lami a disparu sans ­quon sache ce ­quil est advenu de lui, ou bien celle dont ­lami a fui devant ­lennemi ? À travers le débat des quatre dames, ­cest le code moral de la chevalerie qui est discuté134, et avec lui le déclin de ­léthique courtoise, mise à mal par la déloyauté amoureuse, le manque de courage, la perte du sens de ­lhonneur, ­légoïsme… On devine la réponse : ­lamie du fuyard est la plus à plaindre, car au tragique de ­léchec ­sajoute le déshonneur, et ­lamoureuse déçue souffre ­davoir mal placé son amour135. « Et seront ceulx fuitifz trouvez / Qui sont faulx amans esprouvez136 » : armes et amours sont liées, mais pour le pire, ­contrairement à la tradition courtoise. Le procès des amants hypocrites ­sengage, qui sera poursuivi dans La Belle Dame sans merci (1424). Le narrateur refuse toutefois de trancher le débat, quoique la réponse soit fortement suggérée, et désigne sa propre dame pour arbitre, manière ­commode de revenir à ses amours tout en assurant le bouclage formel du poème. Façon aussi de laisser le dernier mot à une femme, mieux à même de ­comprendre la situation de ses ­consœurs137, puisque le débat reflète, selon Barbara Altmann, « a gendered reaction to the war, one possible only for those who cannot fight themselves but suffer the ­consequences138 ». 415À travers ces quatre voix, la « maudicte journee » ­dAzincourt fait sortir le lyrisme des ­conventions rhétoriques, en laissant entendre les émotions éprouvées par celles que le désastre affecte directement. Les quatre malheureuses font assaut de tristesse et poussent ­lexpression du sentiment à son paroxysme, ­jusquà la tentation du suicide139.

Conclusion

Desarroy : ce mot récurrent dans notre corpus140 résume, au propre (désorganisation de ­larmée) ­comme au figuré (détresse morale), ce ­quont vécu les Français à Azincourt. ­Sensuit un cortège ­démotions, diversement modulées ­dun texte à ­lautre : honte, affliction, pitié, colère, mépris. Le souvenir mal digéré de Courtrai et de Poitiers avait dicté aux chevaliers français un désir de revanche inconsidéré à Azincourt141. Consigner une défaite aussi cinglante était une douleur supplémentaire, nécessaire pour manifester rétrospectivement dans ­lécriture une meilleure intelligence des faits que sur le champ de bataille – quand bien même le partage des auteurs, tantôt fidèles au roi de France, tantôt ­dobédience bourguignonne, empêchait ­daboutir à une interprétation totalement ­consensuelle. En outre, peu ­dauteurs étaient informés par des témoins directs, faute de rescapés ; ils ­sentrelisaient et se recopiaient142, à plusieurs décennies de distance. Ce travail de mémoire suffisait-il donc à garantir ­lavenir ? Les années suivantes allaient voir de nouvelles batailles rangées très mal tourner pour les Français (Cravant, 1423 ; Verneuil, 1424), avant ­lintervention aussi cruciale que brève de Jeanne ­dArc (victoire de Patay, 1429). Il reste difficile de savoir si les textes de notre corpus furent ­connus de Charles vii, réputé amateur ­dhistoire ancienne et de chroniques143. Bien ­conseillé 416surtout, il réforma ­larmée (création des ­compagnies ­dordonnance en 1445, des francs-archers en 1448) ; ses troupes réorganisées assurèrent la reconquête de la Normandie et de la Guyenne, ­jusquà la victoire finale de Castillon en 1453. Au demeurant, Azincourt ­nétait pas ­quune affaire ­dhommes : une part du pathétique est prise en charge dans les textes par les femmes endeuillées ; lesquelles restent, dans le Livre des quatre dames, les gardiennes du sens de ­lhonneur quand les hommes ont montré leur indignité… Enfin, bon nombre de ces témoignages laissent percevoir une grande lassitude de la guerre et une profonde aspiration à la paix.

Florence Bouchet

Université Toulouse-Jean Jaurès

PLH-ELH (EA 4601)

1 Sur le retentissement littéraire de cette bataille, voir F. Autrand, « La déconfiture. La bataille de Poitiers (1356) à travers quelques textes des xive et xve siècles », Guerre et société en France, en Angleterre et en Bourgogne à la fin du Moyen Âge, éd. P. Contamine, C. Giry-Deloison et M. Keen, Lille, Publications de ­lInstitut de recherches historiques du Septentrion, 1991, p. 93-121.

2 Martial ­dAuvergne, Vigiles de Charles vii, ms. BnF fr. 5054, fol. 12r.

3 Le Livre des quatre dames, v. 541-542, dans Alain Chartier, Poèmes, éd. J. Laidlaw, Paris, UGE, 1988, p. 58.

4 Livre de la Thoison ­dor, dans Guillaume Fillastre, Ausgewählte Werke, éd. M. Prietzel, Ostfildern, Thorbecke, 2003, p. 269 ; « ceste doulereuse journee » dans les Mémoires de Pierre de Fenin, prévôt ­dArras (Mémoires des règnes de Charles vi et de Charles vii, 1407-1425, éd. N. Desgrugillers-Billard, Clermont-Ferrand, Paleo, 2009, p. 56).

5 La Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, éd. L. Douët-­dArcq, t. III, Paris, Renouard, 1859, p. 123. Ici et dans ­dautres citations infra, je supprime ­laccent grave (ici, « très ») et réserve ­laccent aigu au « e » tonique final.

6 Alain Chartier, Le Quadrilogue invectif, éd. F. Bouchet, Paris, Champion, 2011, p. 45.

7 Du côté anglais, la victoire est devenue une sorte de mythe patriotique ancré ­jusquà nos jours dans la mémoire collective ; voir R. C. Woosman-Savage, « Agincourt, Agincourt ! Know ye not Angincourt ? », ­DAzincourt à Marignan. Chevaliers et bombardes, 1415-1515, éd. A. Leduc et al., Paris, Gallimard / Musée de ­lArmée, 2015, p. 126-135.

8 Je mentionnerai aussi occasionnellement le chroniqueur bourguignon Jean Le Fèvre de Saint-Rémy, qui ­combattit du côté anglais.

9 Chronique de Jean le Bel, éd. J. Viard et E. Déprez, Paris, Renouard, 1904, t. I, p. 2. Le Bel relate les années 1326-1361.

10 Froissart, Chroniques, livre I, éd. G. T. Diller, Genève, Droz, 1972, p. 35. ­Cest la 3e rédaction, vers 1400, du livre I ; la première version ­nhésitait pas à prétendre mettre les faits « en memoire perpetuelle » (éd. J. A. C. Buchon, Paris, 1837, p. 1).

11 Froissart, Chroniques, p. 36.

12 Froissart, Chroniques, p. 39.

13 Voir les exemples cités dans F. Bouchet, Le Discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles : pratiques, poétique, imaginaire, Paris, Champion, 2008, p. 67-69.

14 Messire Gilles de Chin, natif de Tournesis, éd. A.-M. Liétard-Rouzé, Villeneuve ­dAscq, Presses universitaires du Septentrion, 2010, p. 75 ; Le Livre des faits du bon chevalier messire Jacques de Lalaing, dans Œuvres de Georges Chastellain, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, 1866, t. VIII, p. 2.

15 Le Livre des fais du bon messire Jehan le Maingre, dit bouciquaut, éd. D. Lalande, Genève, Droz, 1985, p. 8-9.

16 Voir F. A. Yates, ­LArt de la mémoire, Paris, Gallimard, 1975, chap. iii et iv ; M. Carruthers, The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 9, 65 ; J. Le Goff, Histoire et mémoire, Paris, Gallimard, 1988, p. 130-148.

17 Voir L. Foulet, « Étude sur le vocabulaire abstrait de Froissart : ordonnance », Romania, 67, 1942-1943, p. 145-216.

18 Voir J. Huizinga, ­LAutomne du Moyen Âge, Paris, Payot, 1980, chap. 7 ; M. Stanesco, Jeux ­derrance du chevalier médiéval. Aspects ludiques de la fonction guerrière dans la littérature du Moyen Âge flamboyant, Leyde, Brill, 1988, chap. 1.

19 Chronique de Jean le Bel, p. 3.

20 Première strophe de la ballade (chant royal) MCXXIV (no 154 dans Eustache Deschamps, Anthologie, éd. C. Dauphant, Paris, LGF, 2014). Commentaire de ce poème dans Eustache Deschamps en son temps, éd. J.-P. Boudet et H. Millet, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 94-96.

21 Probablement pas écrit au jour le jour toutefois : il ­sagit plutôt de mémoires, pour la rédaction desquelles le « bourgeois » (plutôt un clerc, probablement) a utilisé ­dautres sources écrites ou orales : voir Journal ­dun bourgeois de Paris, éd. C. Beaune, Paris, LGF, 1990 ; citation p. 88.

22 Le Pastoralet présente aussi le choc des armées ­comme celui de « Crestienté sus payennie », éd. J. Blanchard, Paris, Presses universitaires de France, 1983, v. 6442-6446. Ces formules sont également dictées par le souvenir cuisant de ­lécrasement des croisés par les Turcs à Nicopolis en 1396.

23 Parmi une bibliographie abondante, signalons : P. Contamine, Azincourt, Paris, Julliard, 1964 ; D. Paladilhe, La bataille ­dAzincourt, Paris, Perrin, 2002 ; A. Curry, The Battle of Agincourt : Sources and Interpretations, Woodbridge, Boydell, 2000 ; A. Curry, Agincourt : A New History, Stroud, Tempus, 2005 ; J. Keegan, Anatomie de la bataille : Azincourt 1415, Waterloo 1815, la Somme 1916, traduit de ­langlais par J. Colonna et A. Bourguilleau, Paris, Perrin, 2013 ; V. Toureille, Le drame ­dAzincourt : histoire ­dune étrange défaite, Paris, Albin Michel, 2015 ; Bataille ­dAzincourt, Le Moyen Âge, no hors série 22, 2007 ; Autour ­dAzincourt : une société face à la guerre (v. 1370-v. 1420), éd. A. Marchandisse et B. Schnerb, Revue du nord, hors série Histoire no 35, 2017.

24 En outre, les Anglais étaient fatigués par la marche, mal nourris et en proie à la dysenterie.

25 Journal ­dun bourgeois de Paris, p. 87-88.

26 Le Religieux de Saint-Denis, Chronique du règne de Charles vi. Tome VIII (1415-1418). Azincourt, trad. du latin par L.-F. Bellaguet, Clermont-Ferrand, Paleo, 2008, p. 35. Je désignerai désormais cet auteur par son nom, Michel Pintoin. Son témoignage est ­dautant plus intéressant que ses fonctions ­dhistoriographe officiel lui ont donné accès à des documents ­confidentiels émanant de la chancellerie royale.

27 Thomas Basin, Histoire de Charles vii, éd. et trad. Ch. Samaran, Paris, Les Belles Lettres, 1964, vol. I, p. 39 (texte original en latin) ; p. 45 le rapport monte à un ­contre dix.

28 Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, p. 104.

29 Chronique de Ruisseauville, dans G. Baquet, Azincourt, Auxi-le-Château, Édition de ­lauteur, 1977, p. 94. La bataille ­na pas été ­demblée systématiquement référée à Azincourt ; Ruisseauville est une localité voisine.

30 Le Pastoralet, v. 6558-6561.

31 Chronique du règne de Charles vi, p. 36.

32 Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, p. 106.

33 Chronique de Gilles le Bouvier, Héraut de Berry, dans Baquet, Azincourt, p. 99.

34 Histoire de Charles vi, dans Baquet, Azincourt, p. 101 ; ­lattribution ancienne à Jean Juvénal des Ursins, un temps mise en doute par Peter Lewis, semble ­aujourdhui réhabilitée. Au demeurant, cette histoire suit la trame ­dune traduction de la Chronique de Michel Pintoin.

35 J. Favier, La Guerre de Cent ans, Paris, Fayard, 1980, p. 438.

36 Chronique de Ruisseauville, p. 94.

37 Chronique de Gilles le Bouvier, p. 99.

38 Histoire de Charles vii, p. 43.

39 Vigiles de Charles vii, ms. BnF fr. 5054, fol. 11v.

40 Histoire de Charles vii, p. 41.

41 Chronique de Gilles le Bouvier, p. 98.

42 Chronique de Ruisseauville, p. 92-93.

43 Histoire de Charles vi, p. 102. Voir aussi Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 35-36.

44 Mémoires de Saint-Rémy, dans Choix de chroniques et mémoires sur ­lhistoire de France, éd. J. A. C. Buchon, Paris, 1838, p. 399.

45 Des Droiz de la couronne de France, dans Œuvres de Robert Blondel, historien normand du xve siècle, éd. A. Héron, Rouen, t. I, 1891, p. 442. Il ­sagit de la traduction faite en 1460 par un clerc normand de ­lOratio historialis de Blondel (1449).

46 Chronique de Ruisseauville, p. 93.

47 Chronique du règne de Charles vi, p. 38. Voir aussi ­lHistoire de Charles vi, p. 104, et Le Pastoralet, v. 6529-6530, p. 202.

48 Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 40.

49 Histoire de Charles vi, p. 104-105.

50 Ibid.

51 Mémoires de Saint-Rémy, p. 398 : « ­jay oy dire et certiffyer pour verité, par homme ­donneur qui a ce jour estoit avec et en la ­compaignie de roy ­dAngleterre, ­comme ­jestoye, ­quil ­nen fut riens ».

52 Dans les batailles antérieures tout autant, ­comme le rappelait Jean de Montreuil peu avant la bataille ­dAzincourt dans son traité adressé « A toute la chevalerie » (J. de Montreuil, Opera, vol. II : ­Lœuvre historique et polémique, éd. N. Grévy, E. Ornato et G. Ouy, Turin, Giappichelli, 1975, p. 127). ­Lhumaniste français poursuit par une mise en garde sur les futurs dommages que pourraient encore causer ces archers si les Français ­nadaptent toujours pas leur tactique.

53 Chronique du règne de Charles vi, p. 40.

54 Histoire de Charles vii, p. 43. Voir aussi Le Pastoralet, v. 6455-6470. Olivier Renaudeau estime que les archers anglais décochaient ensemble 60 000 flèches par minute : voir O. Renaudeau, « Où ­lEurope découvre que la guerre se gagne à pied : la révolution de ­linfanterie », ­DAzincourt à Marignan, p. 42.

55 Histoire de Charles vi, p. 102.

56 Chronique du règne de Charles vi, p. 38-39 ; voir aussi Chronique de Ruisseauville, p. 93. Au demeurant, les arbalètes sont bien moins performantes que les arcs.

57 Chronique du règne de Charles vi, p. 40.

58 Le Pastoralet, v. 6473-6474. Le poète évoque la bataille à grand renfort ­dhyperboles épiques.

59 Chronique de Gilles le Bouvier, p. 99 ; Mémoires de Pierre de Fenin, p. 52 et 53.

60 Chronique de Ruisseauville, p. 93-94 ; Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, p. 109 ; Mémoires de Saint-Rémy, p. 401 ; Mémoires de Pierre de Fenin, p. 54.

61 Journal ­dun bourgeois de Paris, p. 88. Bertrand Schnerb précise ­qu« il est possible ­détablir une liste de plus de 450 noms de représentants de grandes familles nobles tombés à Azincourt » : voir B. Schnerb, « Tournai et Azincourt : ­lhistoire ­dun désastre », Campin in Context. Peinture et société dans la vallée de ­lEscaut à ­lépoque de Robert Campin, 1375-1445, éd. L. Nys et D. Vanwijnsberghe, Valenciennes – Bruxelles – Tournai, 2007, p. 51-61, ici p. 52.

62 Mémoires de Pierre de Fenin, p. 53.

63 Chronique de Gilles le Bouvier, p. 99.

64 Vigiles de Charles vii, ms. BnF fr. 5054, fol. 12r. Valérie Toureille estime les pertes françaises à plus de 6000 morts, ­contre 2000 du côté anglais (­DAzincourt à Marignan, p. 18).

65 Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, p. 121 ; voir aussi Mémoires de Saint-Rémy, p. 402.

66 Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, p. 120.

67 Chronique de Ruisseauville, p. 95.

68 Histoire de Charles vi, p. 103.

69 Les circonstances varient selon les témoignages : Chronique de Ruisseauville, p. 93 ; Chronique du règne de Charles vi, p. 41 ; Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, p. 109 ; Mémoires de Saint-Rémy, p. 401 ; Basin, Histoire de Charles vii, p. 45.

70 La Chronique de Ruisseauville insinue tout de même que le ­connétable, soupçonné de trahison, fut tué par des seigneurs picards, p. 94.

71 Chronique de Gilles le Bouvier, p. 100 ; Histoire de Charles vi, p. 104 ; Basin, Histoire de Charles vii, p. 47.

72 Histoire de Charles vi, p. 103.

73 Autrand, « La déconfiture », p. 101.

74 Chronique, dans Œuvres de Georges Chastellain, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, 1863, t. I, p. 335.

75 Vigiles de Charles vii, ms. BnF fr. 5054, fol. 12r.

76 Le verbe cuid(i)er, qui dénonce une pensée erronée, revient souvent dans les textes : « par trop cuidier, pert ­len victore », assène ­lauteur du Pastoralet, v. 6407.

77 Chronique de Ruisseauville, p. 95.

78 Chronique de Gilles le Bouvier, p. 99. Voir aussi Martial ­dAuvergne, Vigiles de Charles vii, ms. BnF fr. 5054, fol. 11v-12r.

79 Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 38 ; Histoire de Charles vi, p. 104.

80 Chronique du règne de Charles vi, p. 45.

81 Ibid. Les Mémoires de Saint-Rémy détaillent ­lhéroïsme suicidaire ­dAntoine de Brabant, arrivé en pleine bataille sans équipement avant ses hommes ­darmes : « Si ne les voullut attendre, de haste que il avoit ; et print une des bannieres de ses trompettes, et y fist un pertuis par le milieu, dont il fist cotte ­darmes. Ja si tost ­ny fust descendu, que tantost et incontinent par les Anglois fut mis a mort » (p. 400). Pour une analyse circonstanciée de cet épisode, voir S. Boffa, « Antoine de Bourgogne et le ­contingent brabançon à la bataille ­dAzincourt (1415) », Revue belge de philologie et ­dhistoire, 72-2, 1994, p. 255-284 ; ­lhistorien pense ­quAntoine fit partie des prisonniers exécutés par les Anglais.

82 Basin, Histoire de Charles vii, trad. p. 45. Voir aussi la Chronique de Gilles le Bouvier, p. 99 ; Mémoires de Pierre de Fenin, p. 53.

83 Autrand, « La déconfiture », p. 102.

84 Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 38.

85 Chronique du règne de Charles vi, p. 48-51, ici p. 50. Voir aussi Histoire de Charles vi, p. 103 ; Des Droiz de la couronne de France, p. 444 (­lauteur lie ­laugmentation des vices aux années de paix et de prospérité qui ont précédé). Basin rappelle que la mise à sac de Soissons et de son « vénérable monastère » par les Français, un an auparavant, est une faute passible de la punition divine, mais il laisse « chacun [] libre ­den penser ce ­quil veut », Histoire de Charles vii, p. 47.

86 Chronique de Ruisseauville, p. 94 ; voir aussi Histoire de Charles vi, p. 105 et Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, p. 111 ; Mémoires de Saint-Rémy, p. 402.

87 Le debat des heraulx ­darmes de France et ­dAngleterre, éd. L. Pannier et P. Meyer, Paris, SATF, 1897, p. 8 et 17.

88 Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 37.

89 Histoire de Charles vi, p. 102 et 106 ; Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 36-37 ; Basin, Histoire de Charles vii, p. 41-43. La force du discours direct donne du relief à cette harangue, que Shakespeare rendra célèbre dans sa pièce Henri v. ­Labsence du roi français ressort par ­contraste mais on ­navait pas voulu ­lexposer au risque ­dune capture ­comme ce fut le cas de Jean ii à Poitiers.

90 Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 44.

91 Histoire de Charles vi, p. 101. Selon Basin, les exactions anglaises visaient à forcer les Français au ­combat (Histoire de Charles vii, p. 39).

92 Des Droiz de la couronne de France, p. 443.

93 Chronique de Ruisseauville, p. 93.

94 Mémoires de Saint-Rémy, p. 401.

95 George Chastellain, Chronique, t. II, p. 163. ­Lindiciaire de Bourgogne ajoute : « Cestui, mort en memoire de ses plus prochains, par ­compassion de son adversaire, le duc bourgongnon, fut tiré hors de prison, marié a sa niepce, et secouru de grans biens ».

96 René ­dAnjou, Le Livre du Cœur ­damour épris, éd. F. Bouchet, Paris, LGF, 2003, p. 338-340.

97 Le duc ­dOrléans est devenu un illustre poète grâce à sa longue captivité mais fait silence sur Azincourt (tout ­comme sur sa libération, attendue vingt-cinq ans) dans ses vers : point aveugle, là encore innommable, autour duquel va se cristalliser ­lœuvre poétique, ­comme la perle se forme autour du grain de sable irritant.

98 Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 41 ; Des Droiz de la couronne de France, p. 443.

99 George Chastellain, Chronique, t. II, p. 167.

100 Chronique de Gilles le Bouvier, p. 98.

101 Chronique du règne de Charles vi, p. 37-38, 45-46, 50.

102 Charles ­dOrléans, par exemple, avait été adoubé la veille de la bataille.

103 Vigiles de Charles vii, ms. BnF fr. 5054, fol. 11v.

104 Des Droiz de la couronne de France, p. 313-314.

105 ­Lauteur anonyme de la Chronique ­dun bourgeois de Verneuil indique que le roi ­dAngleterre, pour répondre à ­lexigence des Français de ne ­combattre que des nobles, décida ­danoblir tous ses gens : voir ­lédition ­dA. Hellot, Bulletin de la Société de ­lhistoire de Normandie, 1880-1883, p. 218. Voir aussi Histoire de Charles vi, p. 106.

106 Chronique ­dun bourgeois de Verneuil, p. 218. Voir aussi Chronique de Ruisseauville, p. 93 ; Histoire de Charles vi, p. 101.

107 Des droiz de la couronne de France, p. 443 (voir aussi p. 442).

108 Chronique du règne de Charles vi, p. 41.

109 O. Renaudeau, « Où ­lEurope découvre que la guerre se gagne à pied », ­DAzincourt à Marignan, p. 42.

110 Chronique ­dEnguerran de Monstrelet, p. 123.

111 Chronique du règne de Charles vi, p. 50. Voir aussi Des Droiz de la couronne de France, p. 441 ; Mémoires de Pierre de Fenin, p. 55 : « Et ancore la discension qui estoit entre le duc Jehan de Bourgoingne et les seigneurs du sang royal pargastoit tout ».

112 Histoire de Charles vi, p. 103. On voit se profiler là le terrible massacre des Armagnacs par les Bourguignons à Paris en juin 1418.

113 B. Schnerb, ­LÉtat bourguignon, 1363-1477, Paris, Perrin, 1999, p. 163 ; Boffa, « Antoine de Bourgogne », p. 265.

114 Le Pastoralet, v. 6563-6566.

115 Livre de la Thoison ­dor, p. 269. Mémoire (personnifiée) fait également état du regret de Philippe le Bon dans Les Exposicions sur Verité mal prise de Georges Chastellain, éd. J.-C. Delclos, Paris, Champion, 2005, p. 54.

116 Chronique de Gilles le Bouvier, p. 98.

117 Voir Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 36 ; Histoire de Charles vi, p. 101.

118 Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 37.

119 B. Guenée, « Tragédie et histoire chez le Religieux de Saint-Denis », Bibliothèque de ­lécole des chartes, 150-2, 1992, p. 223-244. Guenée dénombre dix occurrences du « cliché » tragique et démontre que Pintoin ­sest inspiré du Tragicum argumentum de miserabili statu regni Francie de François de Montebelluna, écrit en 1357 après la défaite de Poitiers.

120 Michel Pintoin, Chronique du règne de Charles vi, p. 43.

121 Des Droiz de la couronne de France, p. 444.

122 Des Droiz de la couronne de France, p. 314.

123 Jean de Bueil, Le Jouvencel, éd. M. Szkilnik, Paris, Champion, 2018, p. 134-135. La version antérieurement éditée par L. Lecestre (Paris, 1887) y insiste par le doublet « beaulx et bons exemples » (p. 8).

124 Le Jouvencel, p. 320. Né en 1406, Jean v de Bueil ne participa pas à la bataille, mais seize membres de sa famille y périrent (père, frères et cousins), ­comme ­lexplicite son secrétaire Guillaume Tringant dans le Commentaire ­quil ajouta à ­lœuvre de son maître (Le Jouvencel, p. 695).

125 Des Droiz de la couronne de France, p. 445 (§ 100).

126 Le Quadrilogue invectif, p. 45.

127 Histoire de Charles vi, p. 103.

128 Chronique du règne de Charles vi, p. 47.

129 Schnerb, « Tournai et Azincourt », p. 57.

130 Il faut rappeler que Christine fonde une partie de son autorité littéraire sur son propre statut de veuve. Voir Y. Foehr-Janssens, La Veuve en majesté : deuil et savoir au féminin dans la littérature médiévale, Genève, Droz, 2000, p. 264.

131 Le Pastoralet, v. 6572-6573, 6580-6584 et 6625-6626.

132 Sur ce long poème de 3531 vers, voir notamment : B. K. Altmann, « Alain ­Chartiers Livre des Quatre Dames and the Mechanics of Allegory », Chartier in Europe, éd. E. Cayley et A. Kinch, Cambridge, Brewer, 2008, p. 61-72 ; R. Blumenfeld-Kosinski, « Two Responses to Agincourt : Alain ­Chartiers Livre des quatre dames and Christine de ­Pizans Epistre de la prison de vie humaine », Contexts and Continuities. Proceedings of the IVth International Colloquium on Christine de Pizan (Glasgow 21-27 July 2000), published in honour of Liliane Dulac, éd. A. J. Kennedy et al., Glasgow, University of Glasgow Press, 2002, vol. I, p. 75-85 ; D. Delogu, « Le Livre des quatre dames ­dAlain Chartier : ­complaintes amoureuses, critiques sociales », Le moyen français, 48, 2001, p. 7-21 ; T. Van Hemelryck, « Le Livre des quatre dames ­dAlain Chartier : un plaidoyer pacifique », Romania, 124, 2006, p. 520-533. Altmann (p. 61) rappelle que Chartier ­nest pas le premier à ­connecter la question courtoise à ­lactualité : Le Jugement dou roy de Navarre de Machaut, par exemple, ­souvre sur ­lépidémie de peste noire de 1348.

133 On a voulu voir en elle Bonne ­dArmagnac, épouse de Charles ­dOrléans, mais beaucoup ­dautres femmes étaient dans la même situation ; ­lanonymat des protagonistes accentue la portée exemplaire des situations évoquées.

134 Voir C. Taylor, « Alain Chartier and Chivalry : Debating Knighthood in the Context of the Hundred Years War », A Companion to Alain Chartier (c. 1385-1430). Father of French Eloquence, éd. D. Delogu, J. McRae et E. Cayley, Leyde-Boston, Brill, 2015, p. 141-162.

135 Livre des quatre dames, v. 2589-2592. Le désarroi de cette dame trahie par son indigne amant est ­comparable à celui de dame France trahie, entre autres, par le Chevalier dans le Quadrilogue invectif.

136 Livre des quatre dames, v. 2746-2747.

137 Livre des quatre dames, v. 3376-3381.

138 Altmann, « Alain ­Chartiers Livre des Quatre Dames », p. 69. La seconde dame fait appel à la pitié des « dames ­dAngleterre » (v. 1798) et leur rappelle ­quelles aussi sont de potentielles victimes de la poursuite de la guerre (v. 1809-1815). La solidarité féminine transcende les clivages nationalistes, ­comme le montre Altmann, p. 70.

139 Livre des quatre dames, v. 650-654 et 1826.

140 Martial ­dAuvergne, Vigiles de Charles vii, ms. BnF fr. 5054, fol. 12r ; Chronique de Gilles le Bouvier, p. 99 ; Des droiz de la couronne de France, p. 314 et 444.

141 Toureille, ­DAzincourt à Marignan, p. 17.

142 La ­compilation est à ­lépoque une pratique ­décriture courante, qui peut expliquer certaines récurrences ­dun texte à ­lautre.

143 P. Contamine, Charles vii. Une vie, une politique, Paris, Perrin, 2017, p. 422-424. Georges Chastellain écrit que Charles vii, doué de « vive et fresche memoire », « estoit historien grant, beau raconteur, bon latiniste et bien sage en ­conseil » (Chronique, t. II, p. 184).