Musique et magie Quelques évocations folkloriques d’après la culture visuelle de l’Orient médiéval
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2020 – 1, n° 39. varia - Auteur : Caiozzo (Anna)
- Résumé : La culture visuelle de l’Orient médiéval permet de mieux comprendre, par certains aspects, le fonctionnement de la magie et les procédés des magiciens. Toutefois, il en est un que les miniaturistes ont davantage de mal à mettre en scène : le lien entre magie et musique. Il est offert par quelques contes fameux du monde arabe et persan, qui montrent comment les sons envoûtent les cœurs ou les âmes et influent jusque sur la prise de décision des princes.
- Pages : 347 à 366
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406107422
- ISBN : 978-2-406-10742-2
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10742-2.p.0347
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 14/07/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Automate, Azādeh, Barbād, luth, sorcière
MUSIQUE ET MAGIE
Quelques évocations folkloriques
d’après la culture visuelle de l’Orient médiéval
Dans le monde musulman médiéval, les musiciens et les chanteurs participent du protocole de cour et animent par leur présence les fêtes données par les grands ou les souverains1, faisant de la musique l’un des arts présents dans l’éducation des princes, et ce dès l’époque sassanide2.
Les musiciens et leur grande variété d’instruments participent du bazm, l’art du banquet, et on compte ainsi, parmi les plus anciens instruments de la Perse3, ceux que l’on peut observer sur les bas-reliefs de Ṭāq-i Bustān4 (ive-vie siècle), mais aussi dans l’argenterie sassanide5. Dans les textes littéraires célébrant l’époque préislamique6, poésie, épopée, la musique est omniprésente : départ à la guerre, festivités, repos et halte, 348fêtes, repas solitaire ou convivial, etc. ; pas une activité quotidienne n’est signalée sans la présence de musiciens ou de chanteurs.
De ce fait, dans la tradition à la fois gréco-romaine et sassanide, les arts visuels célèbrent fréquemment les musiciens, tout comme à l’époque des califats omeyyades (661-749), où les arts sont en partie hérités de la basse antiquité, comme on le voit, par exemple, dans la fresque du palais omeyyade de Qaṣr al-Ḥayr7. L’influence musicale grecque, en particulier, se retrouve également à l’époque suivante, sous les Abbassides (750-1258), chez le philosophe al-Fārābī qui écrivit plusieurs traités musicaux dédiés au calife al-Rāḍī (m. 940)89.
10La musique participe aussi des plaisirs et réjouissances populaires lors des fêtes, dīwāns entre amis ou dans les lieux publics comme la taverne, comme le mettent en scène les miniatures des Maqāmāt de Ḥarīrī illustrées au xiiie siècle11.
Festivités, distractions, banquets et boissons lui sont liés comme la danse qui souvent l’accompagne. Mais, selon le mythe orphique bien connu, la musique est aussi directement associée à une autre activité : la magie. Elle envoûte les cœurs et les âmes et peut devenir un moyen de persuader ou d’influencer le jugement en dehors de son registre habituel, l’agrément. Le musicien ou le chanteur peut influer de façon maléfique ou bénéfique et user de son art pour semer le chaos ou, en revanche, pour apporter ordre, harmonie et espoir, et parfois même pour protéger les hommes. Ces différents aspects sont illustrés dans les miniatures des xive et xve siècles dans l’épopée des rois de Perse de Firdawsī de Ṭūs (m. vers 1020) ou chez Niẓāmī (m. 1209) dans sa Khamsa (Cinq contes), par quelques exemples emblématiques qui retracent chacun de ces cas de figure, la plupart étant liés aux mythes du monde iranien préislamique.
349LA MUSIQUE OU L’ENVOÛTEMENT DES CŒURS
Vénus et la musique
Mais auparavant, rappelons en effet que l’archétype de la musicienne, patronne des instruments de musique mais aussi de la beauté, des arts, et de l’amour est en astrologie la planète Vénus-Zuhra, « le petit bonheur » des astrologues. La planète Vénus, dès ses premières occurrences dans les objets d’art du monde musulman comme dans les descriptions des astrologues, est dotée, du xie au xiiie siècle, d’une iconographie quasi immuable12 : assise, jambes croisées, elle joue du luth (‘ūd) de la main droite, comme on le voit dans la cosmographie de Qazwīnī conservée à Munich13.
Cette étrange fonction de musicienne qui la distingue de ses images antiques est héritée de la Mésopotamie archaïque lorsque Ishtar-Vénus était la parèdre du dieu planétaire Bêl-Jupiter, et qu’on la nommait Sarpanitūm, la brillante14. Cette dernière était servie par une suivante musicienne, joueuse de luth15. S’il est admis qu’Ishtar était à la fois déesse de l’amour, des plaisirs et de la guerre, on ne connaît pas de représentation d’Ishtar jouant d’un instrument ; en revanche, une influence indienne hindouiste est possible pour la joueuse d’instrument, à la manière de la déesse Saravastī, joueuse de vīnā, représentée assise sur un lion (comme la déesse Anāhita en Asie centrale)16.
350La personnalité de Vénus-Zuhra en astrologie arabo-musulmane est celle d’une courtisane distrayant le prince, munie d’un luth dans le monde arabe (Planche 1), ou encore d’une harpe dans le monde persan17, instruments à cordes des cours orientales18, qu’elle patronne plus spécifiquement selon l’astrologue Abū Maʿshar al-Balkhī19. La harpe est fort appréciée dans les cours persanes médiévales et notons que, dans un certain nombre de scènes du conte Shīrīn wa Khusraw de Niẓāmī20 – dont celle où Shīrīn tombe amoureuse, comme envoûtée par le portrait du prince Khusraw21 –, une harpiste est souvent présente dans le cercle des femmes participant par son art à l’ambiance festive, mais aussi à l’emprise que les arts (peinture, musique) peuvent parfois exercer sur les âmes22. Et, de fait, Vénus patronne à la fois l’amour et la musique comme maîtresse des plaisirs et des arts en astrologie, comme le montrent deux contes très différents, l’un arabe et l’autre persan.
Le premier est un conte oriental en langue arabe, le Ḥadīth Bayāḍ wa Riyāḍ, dont le cadre géographique serait la Syrie et le Tartar, un bassin de réception affluent de l’Oronte. Un jeune homme, fils d’un marchand, Bayāḍ, tombe amoureux de l’esclave favorite d’un vizir, Riyāḍ. Le fleuve est le cadre des amours des jeunes gens, et la musique 351les accompagne : l’une des suivantes/domestiques, Shumūl, joue du luth, puis c’est le tour de Riyāḍ (fol. 9r), puis enfin de Bayāḍ (fol. 10r), qui se déclarent indirectement leur passion devant la maîtresse de maison, fille du ḥajīb23. Le manuscrit peint et copié en Espagne au xiiie siècle évoque stylistiquement les berges du Guadalquivir24, où le jeune homme s’évanouit de douleur. Les seuls moyens de communiquer, organisés par une vieille femme, substitut de la nourrice entremetteuse habituelle, sont les séances de poésie mise en musique ou les courriers clandestins. L’issue est inconnue en raison de folios manquants dans le manuscrit.
Un second conte, qui se déroule dans le monde persan cette fois mais au ve siècle de notre ère sous les Sassanides, évoque le destin d’une jeune musicienne dont la beauté et le talent musical en firent la concubine d’un futur roi de Perse historique, le prince Bahrām Gūr, célèbre pour ses exploits amoureux et cynégétiques.
Le destin d’AzᾹda dans le conte persan BahrᾹm GŪr et AzᾹda
D’après Eva Baer, les vaisselles du monde musulman des xiie et xiiie siècles sont décorées de trois thèmes : les cycles dits princiers, les cycles astrologiques et les cycles amoureux ou de méditation. Un des thèmes très prisé au moins contrevient à cette classification, celui de Bahrām Gūr et Azāda, où la chasse, la musique et l’amour se conjuguent, accompagnés d’autres thèmes liés au pouvoir et peut-être aux croyances25.
Il s’agit de l’une des histoires d’amour les plus tragiques rapportée par les vaisselles sassanides26 puis racontée à la fois par le poète Firdawsī 352dans son Shāh nāma et par Niẓāmī dans sa Khamsa27. Elle se déroule dans l’ancien royaume lakhmide de Ḥīra où le prince sassanide Bahrām Gūr28 (420-438) fut confié par son père, le roi de Perse Yazdagird ier, à ses vassaux Nuʿmān et Mundhir, pour y apprendre entre autres à chasser, ainsi que son futur métier de roi29. Ce prince historique est bien connu des sources arabes30, mais son histoire avec Azāda est surtout racontée par Firdawsī, Thaʿlibī puis Niẓāmī.
Le prince Bahrām, bien que comblé et bien éduqué (il venait de recevoir deux magnifiques chevaux), demande à son tuteur Mundhir davantage de liberté et d’intimité et une femme pour l’accompagner dans sa formation. Les arguments du jeune homme sont convaincants : les femmes doivent guider leur aimé vers Dieu et le bien, et leur donner un héritier31. Il choisit donc parmi 40 jeunes filles roumies, c’est-à-dire byzantines, deux jeunes filles qui se distinguaient par leur beauté et l’une d’entre elles, pour ses qualités de musicienne32. Cette dernière, prénommée Azāda (ou Fitna selon les auteurs), l’accompagnait à la chasse montée sur un dromadaire qu’il fit couvrir de brocart, une scène fréquente dans l’argenterie sassanide33.
Si l’histoire se limite ici à une seule chanteuse, dans la plupart des cours princières ou aristocratiques officiaient des dizaines voire des centaines de musiciens et musiciennes ; en outre, dans toutes les familles aristocratiques, les jeunes filles chantaient et jouaient de la harpe, preuve de l’importance de la musique mais aussi des voix de femmes, davantage prisées que celles des hommes34.
Pour en revenir au conte persan, un jour, alors que le couple partait à la chasse, le jeune homme demanda laquelle des gazelles abattre et 353Azāda lui lança un double défi qui, s’il le remportait, lui permettrait d’« être sa lumière du monde » : « Convertis avec tes flèches cette femelle en mâle et fais que ce vieux mâle devienne une femelle » ; puis elle demanda qu’une gazelle puisse avoir le pied cloué à sa tête par une flèche après avoir été chatouillée35.
Bahrām Gūr réalisa les trois exploits. Mais la jeune fille, atterrée par ce qu’elle venait de provoquer, et consciente de la cruauté exercée sur les gazelles, jeta à la face du prince qu’il était un dīv (démon) ! Surpris de se voir insulté de la sorte alors que son honneur d’habile chasseur était en jeu, il fit chuter la musicienne sous les sabots du dromadaire et la piétina à mort36 (Planche 2). Après cet incident, le prince se confondit en exploits cynégétiques devant ses tuteurs qui firent réaliser une soie peinte commémorative pour l’envoyer à la cour du roi Yazdagird37.
Ce conte a été diversement interprété, dans le sens du mithriacisme ésotérique par David Bivar38, mais aussi simplement comme une façon de traduire la colère de l’orgueil outragé d’un prince tombé sous la coupe d’une belle musicienne, comme envoûté par sa beauté, ses chants et sa musique.
La raison de la colère, et de cette mort terrible, outre l’orgueil blessé, pourrait être l’offense faite au dieu tutélaire et éponyme du jeune homme, Verethragna/Bahrām, ou Mars dans l’astrologie orientale, planète des guerriers et des chasseurs. Comme le dit Elena Cassin39, le chasseur est un personnage ambigu, vivant à la fois parmi les hommes et sur les confins parmi les fauves, et, par analogie, il développe, pour les besoins de la chasse, des qualités similaires à celle des proies qu’il poursuit. C’est le cas sans conteste de l’archétype du chasseur, Rustam, mais aussi de 354Bahrām Gūr, qui est fort, habile, et surtout cruel. Et c’est bien, en effet, par mimétisme que le roi devient aussi lion, à savoir l’animal sauvage qu’il chasse, ou tigre, etc. On peut alors comprendre la valeur qualifiante de la chasse pour développer les aptitudes guerrières.
L’art islamique assura la promotion de ce motif singulier alliant la violence, les arts et l’amour40 dès l’époque saljoukide sur les céramiques mina’i41 qui continuent de représenter le couple chasseur-musicienne, plusieurs déroulant le drame sur une même vaisselle : la chasse en dromadaire, les exploits cynégétiques et l’issue fatale42. Puis la miniature s’en empara au xive siècle avec les petits Shāh Nāma et, jusqu’aux époques contemporaines, le couple est représenté dans deux situations : la course dans le désert et le drame. Les copies timourides montrent Azāda en harpiste jouant sur la croupe du dromadaire43, parfois observant l’exploit44, parfois absente45. Toutefois, alors qu’au xive siècle les scènes ne représentent que le drame de la mort d’Azāda, les miniatures du xve l’évoquent précédée de la chasse46.
Le héros musicien et la sorcière dans le Livre des rois
Dans un tout autre registre, uniquement propre à un épisode de l’épopée des rois de Perse de Firdawsī de Ṭūs47, la musique rencontre la magie lorsque les deux principaux héros des temps mythiques, Rustam 355et Isfandiyār, au cours de leur parcours initiatique, croisent des entités intermédiaires attirées par le chant ou la musique des héros48.
Ainsi, lorsque Rustam, après avoir combattu contre un dragon, aperçoit en entrant dans le pays des magiciens un repas tout préparé (un argali rôti et du vin) et une lyre, il se met à chanter ses propres exploits49. Une sorcière lui apparaît alors sous les traits d’une belle femme ; mais, en l’entendant prononcer le nom de Dieu, elle change d’aspect et noircit. Voyant la sorcière, Rustam la ligote de son lacet puis la tranche en deux50.
Isfandiyār51, autre héros renommé et fils du roi Gushtāsp, accomplit lors de son parcours initiatique la troisième épreuve du dragon, qu’il terrasse. Il se lave, revêt une nouvelle tenue et apprend de son guide et prisonnier Gugsār, qu’il va traverser le territoire d’une puissante magicienne. Pour la piéger, il s’installe dans la forêt et l’attire en chantant et en jouant d’un instrument à cordes, et en priant les péris (fées) de venir le retrouver. Une fois arrivée à ses côtés, après l’avoir fait boire, il lui passe autour du cou une chaîne que Zoroastre avait naguère rapportée du paradis, et la neutralise52.
Ce sont donc les voix enchanteresses des héros qui charment les sorcières, ou zān-ī- jādū, dans le premier cas de façon fortuite, et dans l’autre intentionnellement, car le jeune homme est conscient du pouvoir performatif de sa voix et de l’œuvre de sa musique pour séduire son ennemie. On peut se souvenir que pour extraire Ṭahmūrath des entrailles du diable, l’ange Sraosha donna à son frère Jamshīd un conseil : séduire le diable par le chant et le sexe53…
Dans tous les exemples ici présentés, c’est visiblement par l’alliance de la voix à un instrument à cordes que s’effectue l’emprise sur l’être à séduire. Comme le dit Seyed-Gohrab, le terme jādū est d’ailleurs indistinctement utilisé pour les sorcières-magiciennes ou pour les êtres 356aimés qui vous ensorcellent dans ce processus d’emprise que constitue l’amour54. D’ailleurs, le terme « zand », en sogdien, selon Harold Bailey, signifie « chanter », comme chanter une incantation, ou enchanter55. Certaines femmes, il est vrai, usent intentionnellement de la magie pour susciter le sentiment amoureux. C’est le cas de Sudāba, la jeune épouse yéménite du roi Kay Kāwūs, qui utilise la magie et les magiciennes pour contrôler à la fois son époux et son beau-fils. La musique constitue ainsi l’un des moyens permettant à la séduction d’exercer son effet, par l’entremise des sons ou de la voix.
FAIRE DE LA MUSIQUE À LA COUR
OU COMMENT INFLUER SUR LES CHOIX DU ROI
Conscient de ce pouvoir comme Isfandiyār lui-même, certains musiciens professionnels approchent le souverain pour exercer sur lui leur art et leur pouvoir, comme en témoignent deux autres contes.
Comme on l’a dit, la musique est liée à l’art aulique dans les traditions orientales ; la présence de musiciens accompagne les scènes d’intronisation et de majesté, ainsi que les scènes de banquet. D’ailleurs, comme le dit Firdawsī, même l’apothéose de la royauté et de l’investiture royale par les cieux, le nawrūz ou nouveau jour, se célébrait en musique sous le roi Jamshīd. À son époque, la musique résonne à la cour comme une forme de triomphe de la royauté et de couronnement de l’ordre du monde sous la direction d’un roi sage et puissant :
Ainsi s’étaient passés trois cents ans, pendant lesquels la mort était inconnue parmi les hommes. Les hommes ne connaissaient ni la peine, ni le malheur, et les Divs étaient ceints comme des esclaves. Les hommes étaient attentifs aux ordres de Djemschid, et les doux sons de la musique remplissaient le monde56.
357Mais la musique peut aussi être la voix de la corruption de l’âme royale lorsqu’elle est au service de la magie, que ce soit par le chant ou par les instruments eux-mêmes. Deux passages du Livre des rois de Firdawsī évoquent différemment le pouvoir de la musique, l’un comme perversion du bon sens royal, l’autre pour démontrer la puissance de la musique sur l’esprit du roi.
Le dĪv musicien
Le roi Kay Kāwūs est l’un des rois kayānides dont le règne apparaît comme l’un des plus controversés en raison d’un défaut majeur dans l’exercice de la royauté : l’hybris. Le roi entreprend des guerres ou se lance dans des entreprises hasardeuses du seul fait de certains mauvais conseillers qui flattent son orgueil. La première des guerres qu’il entreprend contre le pays du Mazandéran gouverné par les dīvs est suscitée par un envoûtement musical57.
Un jour que le roi récemment couronné étonnait ses conseillers par ses propos prétentieux sur la grandeur de son règne, un dīv déguisé en chanteur ambulant demanda au chambellan de l’introduire auprès du roi ; il est à noter que le chambellan lui-même avait été séduit par la lyre et la voix douce du dīv, qu’il introduisit sans méfiance auprès du roi. Il s’agit pour le poète de signaler non seulement le pouvoir de la musique mais aussi celui des ménestrels qui se déplaçaient de cour en cour pour chanter les épopées et divertir les grands, peut-être un clin d’œil du poète sur sa propre condition à la cour de Maḥmūd, comme sur la façon de collecter les épopées et de les diffuser58.
La chanson vante les mérites du Mazandéran, un pays fabuleux par ses paysages, la beauté des filles et par sa richesse, ce qui achève de convaincre le roi qu’il se devait de mener des combats victorieux pour secouer la paresse de ses troupes et parvenir à « la possession du monde59 ». La cour, consciente de l’envoûtement, tente de dissuader le roi, tout comme les conseils du sage Zāl, mais en vain60. Le roi partit 358en guerre mais fut immédiatement immobilisé avec ses soldats par des nuées aveuglantes envoyées par le dīv blanc, commandant en chef des dīvs, et il tomba ainsi dans leurs mains61. Ce fut le héros Rustam, fils de Zāl, qui dut libérer le roi et lui restituer la vue en lui apportant le foie du dīv blanc comme seul remède à la cécité62.
La scène de l’envoûtement du roi par le dīv est assez peu reproduite. Dans les petits Shāh Nāma, dont celui d’Istanbul63 où le chanteur jouant du luth est aux pieds du roi, on notera que les traits du dīv sont foncés (gris), comme dans la copie timouride de Bāysunghur Mirza64, où le roi festoie entouré de ses gardes, serviteurs et musiciens. Dans un autre manuscrit timouride, un musicien joue du luth alors qu’un jeune homme semble s’adresser au roi65. Dans ce cas précisément, la voix comme la musique du dīv ont fait perdre la raison au roi en flattant son orgueil, alors que ses proches et courtisans n’étaient visiblement pas sous l’emprise du charme.
BᾹrbad l’enchanteur
Dans le second cas, c’est l’un des musiciens de la cour, Bārbab, que l’on retrouve également dans les corpus illustrés de la Khamsa de Niẓāmī66, qui va user de subterfuges pour approcher le roi Khusraw Parvīz, car le roi est jalousement surveillé par le musicien attitré. En effet, à la vingt-huitième année du règne de Parvīz, le bruit courant que le roi préférait les musiciens aux grands, Bārbad voulut supplanter le musicien officiel en quittant son pays. Ce dernier, aux portes du palais, l’entendit jouer et chanter ; il prit peur pour sa fonction et demanda qu’on lui interdise l’accès au roi67. Mais Bārbad devint l’ami du gardien du jardin où le roi célébrait les grandes fêtes du nouvel an. 359Apprenant la venue du roi, il décida de se vêtir de vert et de se cacher dans un cyprès près duquel le roi s’assiérait. L’entendant jouer, le roi fut subjugué par le troisième morceau dont l’air se nommait « Sebz der sebz (vert sur vert), et dont on se sert pour les incantations et la magie68 ». Bārbad, révélé et honoré pour son talent, devint ainsi un des grands de la cour (Planche 3).
Les deux exemples révèlent l’audience des artistes dans les cours princières médiévales, ces musiciens et poètes qui pouvaient à l’occasion retenir l’attention du roi en exerçant une influence visible sur le souverain.
De façon plus générale, on peut ici observer qu’Azāda, le dīv musicien, et Bārbad sont des étrangers, la première est arménienne et chrétienne et les deux autres seraient des musiciens errants qui se présentent à la cour où ils sont à peu près sûrs d’être reçus, sauf si l’un des courtisans leur en ferme l’accès intentionnellement. Ce trait est intéressant car il montre le rôle de ces fameux Gōsāns, ou ménestrels, que Mary Boyce analysait, et dont l’émergence est forte à l’époque des Parthes Arsacides69. On connaît aujourd’hui le rôle de ces personnages dans la construction et la diffusion de l’épopée des rois de Perse et de ses différentes inclusions non iraniennes, dont l’épopée des Sakas70, dans la construction d’une identité et d’une histoire nationale.
La musique associée au chant semble agir comme une sorte de processus d’envoûtement, à la façon d’un nērang-sāzī71 en quelque sorte, qu’il soit dispensé par une créature bonne ou démoniaque, malgré l’affirmation de Firdawsī que les dīvs sont incapables de bien chanter72 : l’effet est identique et subjugue.
La parole chantée renvoie directement au processus habituel de la parole efficace ou magique. Le chant, la rime sont d’ailleurs en Orient les attributs des poètes inspirés qu’ils soient issus du monde arabe comme les kāḥin, poètes et devins73, ou du monde persan, comme les 360mages cette fois, puisque l’Avesta, le texte sacré des Zoroastriens, était essentiellement oral et chanté74.
LA MUSIQUE POUR ÉLOIGNER
OU SOUMETTRE LE MAL
Le pouvoir sacré de la parole dans le contexte zoroastrien a été longuement analysé par Antonio Panaino, notamment celui des Gathas ou du Yasna chantés75. Il montre que le pouvoir des mots en est démultiplié selon le mode de récitation et la précision donnée, et que la performativité permet alors la guérison ; par exemple dans le Vidēvdad 7, 44, ce serait la divinité Sraosha qui aurait eu le privilège de chanter la première fois les Gathas76 !
Cette action de la parole en contexte musical renvoie également aux pratiques religieuses des Manichéens et de leurs chanteurs d’hymnes, ou mahrsarārayān, qui étaient accompagnées d’un instrument à cordes, le zīh77. Les paroles sacrées sont donc mises en musique ou en chant, et remplissent dans certains cas, comme le montre Kori Pekala, le rôle d’invocations magiques et apotropaïques78.
Dans le monde musulman médiéval, ces pratiques semblent se perpétuer, comme le dit le voyageur maghrébin Ibn Baṭṭūṭa : voyageant de l’Occident à l’Inde, il raconte qu’arrivé à la cour des Ilkhāns, il fut hébergé dans une demeure où on lui envoya des musiciens « fakirs » pour qu’ils dansent et prient pour la santé du fils du sultan79. Toutefois, dans le monde 361musulman, les procédés utilisés par les conteurs et chanteurs qui usaient de facéties et d’artifices étaient condamnés à l’intérieur des mosquées80.
D’autres moyens musicaux sont toutefois utilisés à titre apotropaïque dans les légendes et les récits relatifs aux croyances relatifs au monde musulman, comme on va le voir maintenant.
Automates musiciens
La musique et les musiciens participent aux rituels d’affirmation de l’autorité dans les villes, surtout à l’époque des dynasties turques au service des Saljoukides puis des Mamelouks, où les orchestres militaires connurent un plein succès. Ainsi, Ibn Baṭṭūṭa raconte encore qu’arrivé à Tripoli, il observe l’habitude vespérale de faire jouer de la musique militaire près de la maison des principaux émirs81. De la même façon, lorsqu’il arrive à Najaf (Mashshad ‘Alī), il observe que le sayyīd (prince de la famille de ‘Alī), qui gouverne la ville, « fait jouer l’orchestre et, quand il voyage […], la musique militaire joue à sa porte soir et matin82 ». L’attachement des Turcs à la musique se mesure encore aux cérémonies mameloukes du Caire le long des remparts où jouait le tablkhaneh du sultan, une tradition qu’un automate fameux retrace depuis le début du xiiie siècle : le portique de l’horloge à eau d’al-Jazārī.
Le portique fait partie de l’ensemble des automates élaborés par l’ingénieur al-Jazārī au service des Artouqides de Jazīra83, et représente une entrée de ville, une porte triomphale à la gloire de l’émir artouqide dont les aigles sont frappés sur chacun des piliers de l’arche ; le fronton abrite les douze signes du zodiaque qui se partagent les saisons, et chacun des douze ventaux laisse sortir un personnage une fois par heure du jour ou de la nuit ; à chaque heure, une bille tombe d’un des ventaux dans un vase et met en branle un mécanisme de musiciens automates qui jouent alors84.
362Le portique de Jazarī, dans sa connotation cosmologique, est aussi une façon de promouvoir le prince comme cosmocrator et organisateur de l’ordre universel sur terre comme dans le ciel, une sorte de substitut au trône cosmique qu’Alexandre le Grand détruisit, que Khusraw Parvīz fit reconstruire, et dont Firdawsī donne une belle description85. Les automates musiciens pouvaient en effet apparaître comme des gardiens de substitution et, dans certains cas, comme de véritable apotropaia capables de protéger le monde dans son ensemble86.
Neutraliser par le bruit ou la musique
Le bruit renvoie à la légende selon laquelle le tyran Dhahhak, emprisonné par Farīdūn dans le mont Damāwand jusqu’à la fin des temps, est neutralisé par les forgerons87 de la région qui tapent sur leurs enclumes pour empêcher les liens qui le clouent à la paroi montagneuse de sa grotte de se défaire88. Le pouvoir apotropaïque repose sur le rôle de l’airain utilisé comme métal magique mais aussi sur le bruit ou la musique.
A fortiori, les apotropaia musicales exercent un pouvoir similaire, et les plus célèbres, doit-on le rappeler, sont celles qui se dressent sur la barrière d’airain construite par Alexandre le Grand pour empêcher les populations Gog et Magog de déferler sur le monde. Ces automates musiciens sont parfaitement visibles dans la miniature la plus ancienne, celle du manuscrit Persan 174 (1272, Aksaray, fol. 100r) qui les met en scène sur le haut de la muraille, jouant d’une longue trompe analogue à un cor89.
Si l’on veut se rappeler l’usage du cor et son pouvoir, le mythe avestique du roi Pishdadien Jamshīd nous enseigne que pour rassembler les meilleurs des humains dans le var, cet abri souterrain qui ressemblait au monde, tout en procurant à ceux qui y vivraient l’éternité, il utilisa un instrument à vent analysé par Jacques Duchesne-Guillemin comme 363étant une sorte de cor ou de trompette90. Jamshīd est condamné pour une faute commise, mais, dit-on, une faute de la parole, un mensonge (Yasht, 19, 33-34)91. Roi de troisième fonction, il apporte aux hommes les activités productrices, la prospérité et la santé ; il parachève, d’après Jean Kellens, la création en leur octroyant le bien suprême, l’immortalité dans le var, substitut du monde terrestre et mortel, espace protégé et à l’écart. L’appel serait ainsi destiné à rallier comme un berger ses moutons, l’humanité à sauver. Ce qui n’est pas sans évoquer un type de conte illustré par celui du joueur de flûte92 de Hamelin entraînant derrière lui les rats et qui montre le pouvoir du souffle reconnu en magie93… Toutefois, les avis sont très partagés sur le sens du mot sutra, qui serait pour certains non un cor mais un aiguillon94.
Il est un fait que l’ange Isrāfīl, dans l’iconographie du monde musulman médiéval, hérita d’une sorte de trompette, peut-être par ce biais95, instrument dont on le voit jouer dans les cosmographies en arabe ou en persan à partir du xiiie siècle96. De ce fait, on comprend le choix du miniaturiste du manuscrit Persan 174 de la Bibliothèque nationale de France d’affecter aux automates de la muraille d’airain un long cor, instrument à vent analogue à la trompette d’Israfīl qui sonnera, lui, le 364jour du jugement97, lorsque les peuples maudits auront déferlé sur le monde ! On peut imaginer que le miniaturiste connaissait l’ange et sa fonction eschatologique, tout comme le rôle de l’instrument dont il jouera.
Le lien entre musique et magie ne s’impose pas d’emblée lorsqu’on pense aux corpus enluminés orientaux. Néanmoins, les légendes du monde persan nous l’enseignent via quelques mythes exemplaires, ceux de Kāwūs, d’Azāda, de Barbād, de la muraille d’airain d’Iskandar ou des sorcières, nous rappelant, à l’instar des mythes grecs, le pouvoir de la voix et du chant, de la musique pour séduire, réduire, contraindre ou protéger. La magie, ou pouvoir de contrainte sur la matière et sur les esprits, se nourrit des sens et, avec la vue, l’ouïe est sans aucun doute le sens le plus fragile et corruptible, car passif et directement accessible au pouvoir de la parole efficace ou des sons perturbants l’âme, mettant en action la faculté d’imagination du sujet et sa sujétion directe à une influence extérieure. Le mythe d’Ulysse se bouchant les oreilles avec de la cire pour échapper aux voix des sirènes trouve alors tout son sens, un mythe pourtant oublié du monde musulman98.
Anna Caiozzo
Université Bordeaux Montaigne
365Fig. 1 – Vénus, la planète musicienne, Abū Maʿshar al-Balkhī, Kitāb al-mawālīd, Paris, BnF, Arabe 5843, Égypte, xive siècle, fol. 5v.
Fig. 2 – Bahrām Gūr piétinant Azāda, Firdawsī, Livre des rois,
Paris, BnF, Supplément persan 1280, Shiraz, vers 1490, fol. 388r.
Fig. 3 – Le musician Bārbad caché dans le cyprès, Firdawsī, Livre des rois,
Paris, BnF, Supplément persan 1493, Shiraz, 1441, fol. 535r.
1 J. Wiesehöfer, « King, Court and Royal Representation in the Sasanian Empire », The Court and Court Society in Ancient Monarchies, éd. A. J. S. Spawforth, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 58-81, ici p. 58.
2 S. Azarnouche (éd., trad.), Husraw ī Kawādān ud Rēdag-ē. Khosrow fils de Kawād et un page, texte pehlevi, Paris, AAEI, 2013.
3 B. Lawergren, « Music History in Pre-Islamic Iran », Encyclopædia Iranica, online edition, 2016, disponible en ligne sous forme numérisée. Parmi les instruments à l’honneur, dont certains survécurent dans les miniatures du monde musulman médiéval, le joueur de harpe (čang-srāy), le joueur de vina (win-srāy), la flûte à long col (winkannār-srāy), la flûte de pan (sūr-pīk-srāy), le joueur de cithare (tambūr-srāy), le joueur de lyre (barbut-srāy), le joueur de flûte (nāy-srāy), et le joueur de percussions (dumbalag-srāy). Les femmes qui avaient une jolie voix (xwaš āwāz) chantaient en s’accompagnant de la harpe (čang-srāy-kanīg) ou du luth vīnā.
4 H. G. Farmer, « The Instruments of Music on the Tāq-i Bustān Bas-Reliefs », Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain & Ireland, 3, July 1938, p. 397-412 ; T. Daryaee, Sasanian Persia : The Rise and Fall of an Empire, Londres, I. B. Tauris, 2009, p. 50.
5 P. O. Harper, Silver Vessels of the Sasanian Period. Volume one : Royal Imagery, New York, The Metropolitan Museum of Art / Princeton University Press, 1981 ; id., In Search of a Cultural Identity : Monuments and Artifacts of the Sasanian Near East, 3rd to 7th Century A. D, New York, Bibliotheca Persica, 2006.
6 La poésie de Niẓāmī ou de Firdawsī entre autres.
7 Dans un bel article sont retracés les types d’occurrences des musiciens dans les arts de l’islam : W. Denny, « Music and Musicians in Islamic Art », Asian Music, 17/1, 1985, p. 37-68.
8 Kitāb al-Mūsīqā al-kabīr (« grand livre de la musique »), Kitāb al-Īqāʿāt (« livre des rythmes ») et Kitāb Iḥṣāʾ al-īqāʿāt (« livre pour la compréhension élémentaire des rythmes ») ; voir H. G. Farmer, « Greek Theorists of Music in Arabic Translation », Isis, 13/2, 1930, p. 325-333, réimpr. dans Studies in Oriental Music, éd. E. Neubauer, Francfort, 1986, vol. 1, p. 411-419.
9 Denny, « Music and Musicians ».
10 Le Caire, Dar al-Kutub, Farsi 579, premier tiers du xiiie siècle, frontispice.
11 Ḥarīrī, Maqāmāt, Paris, BnF, Arabe 3929, fol. 165v ; Maqāma 24, Paris, BnF, Arabe 6094, Mésopotamie, 1220, fol. 75v ; Paris, BnF, Arabe 5847, fol. 33r, la taverne d’Anah.
12 Sur l’iconographie de Vénus, voir A. Caiozzo, Images du ciel d’Orient au Moyen Âge, Paris, PUPS, 2003, p. 174-176.
13 Munich, BSB, codex 464, Bagdad, 1280, fol. 14r. Accessible en ligne.
14 Ibn al-Nadīm, The Fihrist of al-Nadim : A Tenth-Century Survey of Muslim Culture, éd. et trad. B. Dodge, New York-Londres, Columbia University Press, 1970, vol. 2, p. 761 : « En Kānūn al-‘Awwal avait lieu la fête de Balthā (Belit) qui est Zuharah (Vénus), la déesse flamboyante, qu’ils appellent al-Shahmīyah, la Rayonnante. »
15 W. Eilers, Sinn und Herkunft der Planetennamen, Munich, Verlag der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1976, p. 64.
16 A. Foucher, L’art gréco-bouddhique du Gandhara, Paris, Imprimerie Nationale, 1918, vol. 2, p. 66 et fig. 340 ; A. Getty, The Gods of Northern Buddhism : Their History, Iconography and Progressive Evolution Through the Northern Buddhist Countries, Tokyo-Rutland, Ch. E. Tuttle Cie, 1962, p. 127 ; A. Daniélou, Mythes et dieux de l’Inde. Le polythéisme hindou, Paris, Flammarion, 1992, p. 398 : D. Pingree, The Yavanajātaka of Sphujidvaja, Cambridge (Mas.)-Londres, Harvard Oriental Series 48, 1978, vol. 2, p. 126-127.
17 Eilers, Sinn und Herkunft der Planetennamen.
18 Tha’alībī, Histoire des rois de Perse, trad. H. Zotenberg, Paris, 1900, rééd. Amsterdam, 1979, p. 709.
19 Abū Ma‘shar, Madkhal, Paris, BnF, Arabe 5902, fol. 121v.
20 Niẓāmī, Khamsa, Istanbul, Topkapi Sarayi Library, Ms. H. 781, Khusraw festoyant avec Shīrīn dans un jardin, fol. 48r ; Yūsuf al-Jami pour Ismat al-Dunya, épouse de Muhammad Jūki Ibn Shāh Rūkh, et illustré par Khwaja ‘Alī al-Tābrizī, Herāt, 849H. / 1445-1446, dans Th. W. Lentz et G. D. Lowry, Timur and the Princely Vision, Persian Art and Culture in the Fifteenth Century, Los Angeles County Museum of Art, Washington, Smithsonian Institution Press, 1989, p. 163, Cat. no 32 ; Assar, Mihr wa Mushtarī, Sotheby, 13-12-1972, Ex Ardashir Collection, Mihr à la fête du roi, fol. 150v ; Shirwān, 2 Sha’ban 860H. / 6 juillet 1456, Shamaka province de Shirwān, 9,5×6,5 cm, illustration dans B. W. Robinson, E. J. Grube, G. M. Meredith-Owens, R. W. Skelton, Islamic Painting and the Arts of the Book, Londres, Faber & Faber, 1976, p. 156 et illustration Pl. 34/III. no 123.
21 Shīrīn devant le portrait de Khusraw, Niẓāmī, Khamsa, Berlin, Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz, Orientabteilung, Diez Album, fol. 73 ; S. 76, # 2, Herāt, 1425/1430, dans Lentz, Timur, p. 176, Cat. no 64 ; Londres, The British Library, Ms. Or. 6810, Herāt (?), 900H. / 1494-1495, 23×17 cm, fol. 39v, illustrations dans Lentz, Timur, p. 277, Cat. no 140.
22 C’est le cas de Farhād tombant amoureux de la belle Shīrīn, qui perce et sculpte la montagne pour elle ; voir A. Caiozzo, « Des femmes, des héros et des peintres. La fabrique du héros dans les manuscrits enluminés de la Khamsa de Niẓāmī », Les courtisanes, les inspiratrices et la culture dans les sociétés orientales, Journal Asiatique, 303/2, 2015, p. 247-258.
23 Sur la romance, voir l’étude récente d’A. D’Ottone, La storia di Bayād e Riyād (Vat. Ar. 368). Una nuova edizione e traduzione, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 2013 ; C. Robinson, Medieval Andalusian Courtly Culture in the Mediterranean. Ḥadīṯ Bayāḍ wa Riyāḍ, Londres-New York, Routledge, 2007, p. 27-28.
24 Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. ar. 368, xiie-xiiie siècles. Sur ce manuscrit, voir Robinson, Medieval Andalusian Courtly Culture, p. 15-69 ; A. D’Ottone, « Il manoscritto Vaticano arabo 368, Ḥadīt Bayāḍ wa Riyāḍ. Il codice, il testo, le immagini », Rivista di Storia della Miniatura, 14, 2010, p. 35-70.
25 E. Baer, « A Brass Vessel from the Tomb of Sayyid Baṭṭāl Ghāzī. Notes on the Interpretation of Thirteenth-Century Islamic Imagery », Artibus Asiae, 39, 3/4, 1977, p. 299-335.
26 Voir Harper, Silver Vessels, Shāpūr II tirant à l’arc sur des sangliers, Freer Gallery of Art, acc. 3423 ; P. x : Yazdagird tuant un cerf à l’aide d’une lance, New York, The Metropolitan Museum of Art, acc. 1970.6 ; P. xi : Qavādh Ier chassant les béliers sauvages, New York, The Metropolitan Museum of Art, acc 34.33 ; P. xii : Plat d’Urfa et roi chassant des capridés, Ermitage, acc. S297 ; P. xiii : Roi tuant à l’épée un léopard, Ermitage, acc. S42 ; P. xv : Chasse au lion, fig. 46-47, p. 140-141, Ermitage, S247, S13 ; Lost Treasures of Persia : Persian Art in the Hermitage Museum, éd. V. Loukonine et A. Ivanov, trad. M. Molnar, Washington D.C., Mage, 1996, cat. 71, Bol, vie siècle, inv. No S-252, deux autres bols sont décorés du même thème, un à l’Ermitage, l’autre au MET.
27 Niẓāmī, Le pavillon des sept princesses, traduit du persan par M. Barry, Paris, Gallimard, 2000.
28 O. Klima, « Bahrām V », Encyclopaedia Iranica, online.
29 Shāh Nāma : Firdawsī, Livre des rois de Perse, éd. et trad. J. Mohl, Paris, Jean Maisonneuve, 1976 [reprint 1838-1878], vol. 5, p. 498-499.
30 C. Canova, art. « Bahrām, romance of », Encyclopedia of Arabic Literature, éd. J. Scott Meisami et P. Starkey, Londres-New York, Routledge, 1998, vol. 1, p. 128.
31 Firdawsī, Livre des rois, vol. 5, p. 504-505.
32 Ibid.
33 New York, MET, Met 1994.402, ve siècle.
34 D. Khaleghi Motlagh, Women in the Shāhnāmeh : Their History and Social Status Within the Framework of Ancient and Medieval Sources, Mazda, Costa Mesa, 2012, p. 81-84.
35 Firdawsī, Livre des rois, vol. 5, p. 506-509.
36 Ibn al-Faqīh, Abrégé des merveilles, trad. H. Massé, Damas, IFEAD, 1973, p. 310, dit que le roi, blessé par le désir d’une femme, égorgea la chanteuse et il lui fit néanmoins construire un beau mausolée. Niẓāmī propose une autre fin à l’histoire en nommant la jeune femme Fitna, c’est à dire « discorde » ; elle est épargnée par l’officier qui devait la mettre à mort et, chaque jour, elle s’entraîne à porter un veau devenu taureau sur ses épaules jusqu’au toit d’un pavillon ; un jour, en la voyant, Bahrām Gūr comprend que son exploit fut bien réalisé par l’habitude, l’entraînement, et qu’il fut injuste avec sa concubine ; voir Le pavillon des sept princesses, trad. M. Barry, p. 152-159 et p. 607-611.
37 Firdawsī, Shāh Nāma, éd. et trad. J. Mohl, vol. 5, p. 510-511.
38 A. D. H. Bivar, « The Royal Hunter and the Hunter God : Esoteric Mithraism under the Sasanians ? », Au carrefour des religions : mélanges offerts à Philippe Gignoux, éd. R. Gyselen, Res orientales, 7, 1995, p. 29-38, ici p. 33.
39 E. Cassin, « Le roi et le lion », Revue de l’Histoire des Religions, 198/4, 1981, p. 355-401.
40 Ce thème est fort ancien dans l’iconographie et il perdure jusqu’à l’époque islamique ; voir T. W. Arnold, « The Survival of Sasanian Motifs in Persian Painting », Studien zur Kunst des Ostens. Josef Strzygowski zum sechzigsten Geburtstage von seinen Freunden un Schülern, Vienne-Hellerau, Avalun-Verlag, 1923, p. 95-97.
41 Comme le dit Eva Baer, sur les 17 observés, seulement deux sont signalés.
42 Bahrām Gur et Azāda, bol minai, Iran, xiie-xiiie siècles, New York, Metropolitan Museum of Art, Rogers Fund and Gift of The Schiff Foundation, 1957, Accession Number : 57.36.1.
43 Oxford, Bodleian Library, Ouseley Add. 176, Shiraz, 1430, fol 337v ; Saint-Pétersbourg, National Library of Russia, Dorn 332, Shiraz, 1460, fol. 161r.
44 Leyde, University Library, Or 494, Shiraz, 1437, fol. 385r ; Téhéran, Majlis Library, 1096, Iran, 1446, fol. 402v.
45 Istanbul, TIEM, ms. 1945, 1451, Yazd, fol. 376r.
46 M. V. Fontana, « Re Bahrām e la sua Schiava nei Manoscritti d’Epoca Timuride », Quaderni del Seminario di Iranistica, Uralo-Altaistica e Caucasologia dell’Università degli Studi di Venezia, 8, 1980, p. 92-112 ; ead., La Leggenda di Bahram Gur e Azada. Materiale per la storia di una tipologia figurativa delle origini al XIV secolo, Naples, 1986.
47 Sur l’épopée, voir l’édition de Ǧalāl H̱āliqī Muṭlaq, Šāhnāmah = The Shahnameh (The Book of Kings) / Abū al-Qāsim Firdawsī, Californie, New York, Mazda Pub., 1997, et celle bilingue de Jules Mohl, Firdousi, Le livre des rois, éd. et trad. J. Mohl, 1838-1878, Paris, Jean Maisonneuve, 1976.
48 A. A. Seyed-Gohrab, « Magic in Classical Persian Amatory Literature », Iranian Studies, 32/1, 1999, p. 71-97, ici p. 74.
49 Firdawsī, Livre des rois, éd. et trad. J. Mohl, vol. 1, p. 520-521.
50 Ibid., p. 522-523.
51 Sur les deux héros, voir M. E. Maguire, « The Haft Khvân of Rustam and Isfandiyâr », Studies in Art and Literature of the Near East, in Honor of Richard Ettinghausen, éd. P. J. Chelkowski, New York, 1974, p. 137-147.
52 Firdawsī, Livre des rois, vol. 4, p. 504-507.
53 Rivāyāt parsie, dans A. Christensen, Les types du premier homme et du premier roi dans l’histoire légendaire des Iraniens, Leyde, 1934, vol. 2, p. 187.
54 Il cite par exemple le cas de Tahmīna qui séduit Rustam naturellement parce qu’elle ne semble pas être un être terrestre ; Seyed-Gohrab, « Magic in Classical Persian Amatory Literature », p. 72.
55 H. W. Bailey, « Arya IV », Bulletin of the School of African and Oriental Studies, 26/1, 1963, p. 81. Bailey précise que le mot zandīk, sectaires, vient de zand, sorcier. Dans le Vidēvdād 18/55, on associe zand et jādū.
56 Firdawsī, Livre des rois, vol. 1, p. 52-53.
57 Firsawsī, Livre des rois, vol. 1, p. 488-489.
58 Leur rôle a été souligné par K. Yamamoto, The Oral Background of Persian Epics : Storytelling and Poetry, Leyde-Boston, Brill, 2003, et par M. Boyce, « The Parthian Gōsān and the Iranian Minstrel Tradition », The Journal of the Royal Asiatic Society, 89/1-2, 1957, p. 10-45.
59 Firsawsī, Livre des rois, éd. et trad. J. Mohl, vol. 1, p. 490-491.
60 Firsawsī, Livre des rois, p. 494-495.
61 Firsawsī, Livre des rois, p. 502-507.
62 Firsawsī, Livre des rois, vol. 2, p. 538-539 ; H. Borjian et M. Borjian, « The Story of Rostam and the White Demon in Māzandarāni », Nāme-ye Irān-e Bastān, 5/1-2, 2005-2006, p. 107-116.
63 TSL, H 1479, 1330, Shiraz, fol. 29r, et la miniature de l’ex-Pozzi Collection dans Islamic Painting and the Arts of the Book, no 129, fig. 16, style Turkman 1494, p. 159-160.
64 Téhéran, Gulistan Palace, ms. 716, 1430, fol. 92r.
65 Khuda Bakhsh, OPL, HL 3787-3788, 1440, fol. 67v.
66 Bārbad jouant de la musique à Khusraw et Shīrīn, Ex-Schulz-Goloubew-Kofler Truniger Collections, Khamsa, Niẓāmī, Ispahān, 863H. / 1463, taille : 9,5×13,5 cm, illustration dans Islamic Painting and The Arts of the Book, Pl. 37/III, no 132.
67 Firdawsī, Livre des rois, vol. 7, p. 314-315.
68 Firdawsī, Livre des rois, vol. 7, p. 318-319, l. 3774-3775.
69 Boyce, « The Parthian Gōsān and Iranian Minstrel Tradition ».
70 Voir supra, note 55.
71 T. Fahd, art. « Nīrandj », Encyclopaedia iranica online.
72 Néanmoins, si l’on ne peut déterminer la destination de l’envoûtement par l’usage des instruments de musique (bonne ou mauvaise magie), en revanche l’usage du chant ou de la voix est déterminant, car, d’après Firdawsī, les dīvs sont incapables de chanter juste. Firdawsī, Livre des rois, vol. 7, p. 318-319, l. 3777 : « Sans doute, c’est un ange, qui doit être composé de musc et d’ambre, si c’était un dīv, il n’aurait pas chanté. »
73 E. Doutté, Magie et religion dans l’Afrique du Nord, Paris, 1984 [1re éd. 1909], p. 104-109.
74 Voir note 77.
75 A. Panaino, Rites, paroles et pensées dans l’Avesta ancien et récent. Quatre leçons au Collège de France (Paris, 7, 14, 21, 28 mai 2001), éd. V. Sadovski, Vienne, 2004, p. 53-66, notamment p. 60 : « […] les chanter (les Gathas et le Yasna Haptanhāiti) était la forme la plus sublime du sacrifice ».
76 Panaino, Rites, paroles et pensées dans l’Avesta ancien et récent, p. 61.
77 Ch. J. Brunner, « Liturgical Chant and Hymnody among the Manicheans of Central Asia », Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, 130/2, 1980, p. 342-368.
78 K. Pekala, Evil and How to Combat Evil. Magic, Spells, and Curses in the Avesta, Ph.D., Harvard University, Cambridge (Mass.), 2000, chap. iii, p. 80-83 : les mages ou mawbadhān sont d’ailleurs les principaux exorcistes ou « magiciens » qu’il identifie.
79 Ibn Battûta, Voyages, I. De l’Afrique du Nord à La Mecque, trad. de l’arabe de C. Defremery et B. R. Sanguinetti (1858), introduction et notes de S. Yérasimos et F. Maspero, Paris, Collection FM/La Découverte, 1997, vol. 1, p. 325.
80 M. Omidsalar, « Storytellers in Classical Persian Texts », The Journal of American Folklore, 97, 384, 1984, p. 204-212, ici p. 206-207.
81 Ibn Battûta, Voyages, vol. 1, p. 141.
82 Ibn Battûta, Voyages, vol. 1, p. 301.
83 Al-Jazārī, Kitâb fī ma’rifat al-Hilal al-Handasiyya, trad. D. R. Hill, The Book of Knowledge of Ingenious Mechanical Devices, Boston-Dordrecht, D. Reidel Publishing Cie, 1974.
84 Voir la miniature de la clepsydre de 1354, Boston, MFA, 14533 (Accessible sur le site du Museum of Fine Arts).
85 Firdawsī, Livre des rois, éd. et trad. Mohl, vol. 7, p. 306-315 ; sur les implications idéologiques, voir Caiozzo, Images du ciel, p. 103-105.
86 A. Caiozzo, « Entre prouesse technique, cosmologie et magie, l’automate dans l’imaginaire de l’Orient médiéval », La fabrique du corps humain : la machine modèle du vivant, éd. V. Adam et A. Caiozzo, Grenoble, CNRS-MSH, 2010, p. 43-79, ici p. 62-72.
87 M. Eliade, Forgerons et alchimistes, Paris, Champs Flammarion, 1998, p. 24-26.
88 Ibn al-Faqīh, Abrégé, p. 332.
89 Voir dans la base Mandragore (Paris, BnF) : Qazwīnī, Isrāfīl, Supplément persan 2051, Iran, 1480, fol. 27v ; Smith-Lesouëf (oriental) 221, Iran, xviie siècle, fol. 33v ; Isrāfīl, Arabe 2178, 1762, fol. 92r ; Ṭūsī Salmānī, Supplément persan 332, Bagdad, 1388, fol. 12r.
90 J. Duchesne-Guillemin, « Cor de Yima et trompette d’Isrâfîl : de la cosmologie mazdéenne à l’eschatologie musulmane », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 123/3, 1979, p. 539-549.
91 J. Kellens, « Yima, magicien entre les dieux et les hommes », Acta Iranica, vol. IX : Hommages et Opera Minor, Orientalia J. Duchesne-Guillemin, Emerito Oblata, Leyde, Brill, 1984, p. 267-282.
92 En Inde, Yama possédait un nāḍya (la flûte nay en est issue), une flûte : Duchesne-Guillemin, Cor de Yima, p. 543, et le suβrā, quant à lui, serait une corne percée ou un cornet, et serait à l’origine du mot arabe ṣūr, qui est le mot utilisé pour la trompette du jugement dernier.
93 C. Hamès, « L’usage talismanique du Coran », Revue de l’Histoire des Religions, 218/1, 2001, p. 83-95, ici p. 86, « De l’usage du souffle dans les pratiques incantatoires ». Comme le dit Hamès : « Le fait de souffler ou de cracher sur quelque chose relève d’une pratique magique récurrente en milieu musulman, signifiant la décharge de l’influx magique ou de la baraka, et son transfert sur quelqu’un ou quelque chose. Ainsi, le prescripteur de talisman souffle toujours sur ce dernier lorsqu’il est achevé. »
94 A. Tzatourian, Yima. Structure de la pensée religieuse en Iran ancien, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 106-109.
95 Cette trompette, présente dans la Bible comme le shōfār, est aussi celle d’un ange connu des chrétiens d’Orient, Suriel, qui sonne de la trompette dans le Livre d’Hénoch et dans l’apocryphe falasha de la Mort de Moïse. Voir le commentaire d’André Caquot dans Duchesne-Guillemin, « Cor de Yima », p. 549.
96 Munich, BSB, codex arab 464, Irak, 1280, fol. 27r (Accessible online).
97 R. Tottoli, « Isrāfīl », Encyclopaedia of Islam3, online.
98 Lorsque les sirènes refont leur apparition, cette fois, dans la version persane de l’épopée d’Alexandre, l’Iskandar nāma, ce dernier les observe avec curiosité dans la mer de Chine mais sans parler de leur voix enchanteresse contrairement à la tradition grecque. Par exemple, dans l’anthologie d’Iskandar Sulṭān à Londres, British Library, Add. 27261, Shiraz, 1413-1414, fol. 286r (British Library, Imagesonline).