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Classiques Garnier

Musical instruments in competition with magic Roger Bacon and the power of music

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2020 – 1, n° 39
    . varia
  • Author: Weill-Parot (Nicolas)
  • Abstract: Roger Bacon – in particular, in the Communia mathematica and Opus tertium – borrows from accounts about the power of music on bodies and souls from a tradition dating back to Antiquity, but he gives them a renewed meaning since he infuses them within his scientific-technological project aiming at changing the world – a project framed according to an eschatological view. Extraordinary musical instruments become weapons competing successfully with magicians’ frauds.
  • Pages: 221 to 235
  • Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406107422
  • ISBN: 978-2-406-10742-2
  • ISSN: 2273-0893
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10742-2.p.0221
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 07-14-2020
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: Therapeutic power, instruments, experimental science, power of music, medical use for music
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DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE CONCURRENTS DE LA MAGIE

Roger Bacon et le pouvoir de la musique

Les inventions extraordinaires : navires sans rameur, chars sans chevaux, machine à voler etc. apparaissent à plusieurs reprises dans les différentes œuvres du savant franciscain Roger Bacon à partir des années 12601. Elles ­sinscrivent dans un projet global de réforme du savoir orienté par une préoccupation eschatologique et une volonté de promouvoir une « science expérimentale2 ». Cette science expérimentale serait capable de ­conférer à ­lhomme la capacité ­daller au-delà de la nature grâce aux ressources inépuisables de son ars, son aptitude à inventer et réaliser toutes sortes ­d« instruments ». La science expérimentale peut se ­comprendre ­comme une utopie scientifico-technique qui ­soppose chez Bacon à la magie : la magie ­sappuie sur des procédés frauduleux ­quil ­sagisse de la ruse des prestidigitateurs (joculatores) ou des procédés faux ou 222démoniaques des véritables magiciens3. La science expérimentale permet de réaliser des instruments capables de ­lemporter sur les prétentions des magiciens et ­darmer les fidèles ­contre ­lantéchrist. Les buts que ces instruments permettent ­datteindre sont plus extraordinaires que ceux auxquels aspirent les magiciens, et beaucoup plus efficaces parce ­quils sont fondés sur une raison scientifique explicite, et non sur une fausse raison ou ­lintervention cachée ­dun démon, et ­quils répondent tous à une utilité véritable, essentiellement militaire, pour les fidèles dans leur lutte à venir ­contre ­lantéchrist4.

Bien que la musique ­noccupe pas une place centrale chez Bacon (elle est bien moins évoquée que ­lastrologie ou ­loptique), ce dernier ne manque pas de puiser en elle les ressources pour servir son projet scientifico-technique. Dans ce domaine, ­comme dans tous ceux ­quil évoque (statique, science des astres, optique etc.), Bacon extrapole à partir de récits et ­dexemples, parfois bien ­connus, pour bâtir une véritable science utopique de la musique. ­Cest ce que je souhaiterais montrer dans cet article.

Les travaux de Nancy van Deusen ont souligné notamment le rôle attribué par le savant franciscain, dans le sillage de saint Augustin, à la ­connaissance de la musique dans ­létude de la Bible5. Dans deux ouvrages, Bacon accorde une attention particulière à la musique : les Communia mathematica et ­lOpus tertium. Les Communia mathematica sont une œuvre datée des années 1260. Comme le titre ­lindique, ­louvrage est ­consacré aux mathématiques, ou plus exactement, ainsi que le résume Jeremiah Hackett, à « une présentation des “notions ­communes” qui sont importantes pour une multiplicité de pratiques mathématiques ». Pour Bacon, les mathématiques sont censées « ­contribuer à la ­connaissance et aider ­lactivité missionnaire6 ». Conformément à la classification des 223disciplines « mathématiques » du quadrivium ­connue depuis ­lAntiquité, la musique arrive en bonne place dans ­louvrage de Bacon. Quant à ­lOpus tertium, rédigé vers 1267, il fait partie de ­lensemble formé également par ­lOpus maius et ­lOpus minus, et destiné à être présenté au pape ­comme un projet global de réforme du savoir de la chrétienté7.

Afin de cerner ­loriginalité du modèle ­dutilisation de la musique présenté par Bacon, nous essaierons de repérer le point de bascule entre ­leffet naturel qui est alors ­communément accordé à la musique par une tradition remontant à ­lAntiquité et ­lutilisation technico-scientifique originale ­quil met en avant. Pour ce faire, nous ­commencerons par le premier registre pour ­comprendre ensuite les modalités qui permettent par extrapolation de ­construire le second registre proprement baconien. Cela nous permettra, pour finir, ­denvisager, à titre ­dhypothèse, une explication pour un passage obscur de ­lEpistola de secretis operibus artis et naturae.

ROGER BACON ET LE POUVOIR MORAL
ET THÉRAPEUTIQUE DE LA MUSIQUE

Dans ­lune et ­lautre de ces œuvres précédemment citées (Communia mathematica et Opus tertium), Bacon énumère toute une série ­dexemples attestant le pouvoir de la musique sur ­lâme et sur le corps. Ces cas ­nont rien ­doriginal et ­sinscrivent dans une longue tradition remontant au moins au De institutione musica de Boèce et, à travers cette œuvre, à ­dautres sources antérieures.

Dans les Communia mathematica, dans un chapitre ­consacré à la louange de la musique, Bacon énumère les témoignages du pouvoir de la musique pour incliner la volonté des hommes et pour ­contraindre les bêtes sauvages. Dans ­lOpus tertium, il énumère successivement des exemples ­deffets de la musique : sur ­lâme (effets moraux), sur le corps (effets thérapeutiques), et sur les animaux (­contrainte). Les exemples étant à peu près les mêmes dans ces deux passages, nous regroupons leur présentation.

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Bacon énumère des cas où la musique manifeste son pouvoir de susciter la dévotion. Il cite ­lexemple du prophète Élisée qui – ­comme le rapporte le Second Livre des Rois (II Rois 3, 14-15) – ­consulté par Josaphat, le roi de Juda, fait appeler un musicien pour être inspiré8. Le savant franciscain mentionne également saint François ­dAssise qui « ordonna au frère joueur de cithare de faire retentir <ses sons> plus doucement, de façon à faire ­sélever ­lâme ­jusquaux harmonies célestes ­quil entendit plusieurs fois9 ».

Une série de témoignages est sollicitée pour montrer le pouvoir moral de la musique. Bacon emprunte à Boèce ­lexemple ­dEmpédocle qui grâce à la « puissance de ­lharmonie » apaisa un homme qui ­sapprêtait à en tuer un autre10. Il lui emprunte aussi ­lexemple de Pythagore qui, grâce à « la douceur ­dune mélodie », rendit ses esprits à un homme si ivre ­quil voulait détruire la maison ­dune prostituée11, et qui également calma ­lardeur de jeunes hommes ivres qui voulaient attenter à la pudeur ­dune femme12.

Outre cette efficacité de la musique ­contre les débordements de ­livresse, Bacon emprunte, sans doute à Isidore de Séville, ­lexemple ­dAsclépiade qui soigna un frénétique grâce à la « puissance de la musique13 ». Il se réfère aussi à ­lexemple biblique de David qui, ­comme 225il ­lécrit dans la Communia mathematica, « par sa cithare a libéré de son délire Saül qui était démoniaque (demoniacum)14 », ou ­comme il le dit plus brièvement dans ­lOpus tertium, « a libéré Saül de sa possession démoniaque ». Le terme demoniacus a une double acception : théologique (possédé par le démon) et médicale (fou furieux). Le texte biblique (1 Samuel 16 : 14-23) lui-même oriente nettement vers le premier sens ; au demeurant, le terme de demoniacus ­napparaît pas dans la Vulgate ; ­cest en effet spiritus malus qui est employé. ­Lesprit du Seigneur avait abandonné Saül et ­cest un « esprit mauvais » qui venait le tourmenter. Quand David joue de sa cithare, ­lesprit mauvais ­séloigne de Saül. Comme Béatrice Delaurenti ­la montré, ce motif biblique est utilisé aussi par Guillaume ­dAuvergne, qui ­lemprunte sans doute aux Étymologies ­dIsidore de Séville15. ­Lexemple ­dHippocrate guérissant de cette façon Démocrite devenu fou est emprunté à Boèce, mais ­lhistoire rapportée par ce dernier est différente : Démocrite, qui était en prison et que tous les citoyens croyaient fou, aurait enseigné à Hippocrate venu lui rendre visite les liens entre les émotions et les battements du cœur16.

Pour ­lusage médical de la musique, Bacon explique aussi que, dans le premier livre de son Canon de la médecine, Avicenne fait du chant le meilleur exercice pour la santé. La cause tient au fait que « le corps se réjouit » et que « les nerfs se détendent, ainsi que les veines », et que, par ­conséquent, les « vapeurs corrompues » peuvent ­sévaporer par les pores favorablement pour le rétablissement de la santé17. Le renvoi de Bacon à Avicenne est assez imprécis. Dans le livre I de son Canon medicine, Avicenne 226évoque au moins trois fois la musique. ­Dabord, dans la fen II ­consacrée à « la définition de la médecine, de ses sujets et des choses naturelles », à propos du rythme du pouls ­quil ­compare à ­lart de la musique. Tout ­comme la musique est réalisée par ­laddition de sons « selon la proportion les accompagnant entre ­laigu et le grave », suivant des intervalles de temps variés, il en va de même de « la disposition du pouls » eu égard aux temps et à la force des battements18. Ensuite, dans la même fen II, à propos de ­lallaitement, Avicenne ­conseille le bercement de ­lenfant pour aider le corps et « ­lharmonie de la musique » (­consonantia musice) pour aider ­lâme19. Enfin, dans la fen IV ­consacrée aux « divisions des modes de médications selon les maladies universelles », Avicenne mentionne brièvement, outre les médicaments sédatifs, ­dautres moyens de soulager la douleur ­comme se promener longtemps, utiliser des graisses et des huiles, et, ajoute-t-il, chanter « un chant doux », efficace surtout quand il provoque le sommeil20.

­Lutilisation de la musique dans des buts thérapeutiques est un thème ­connu au Moyen Âge, ne serait-ce que par les remarques ­dIsidore de Séville. Mais, ­comme ­la montré Danielle Jacquart, les mentions qui ­sy rapportent dans les écrits des médecins ne dépassent guère des généralités21. 227La musique ­nest mentionnée ­quau milieu ­dautres remèdes ­comme les promenades et autres divertissements susceptibles de chasser la tristesse. Par ­contraste, des écrits médicaux arabes semblent avoir été un peu plus précis techniquement22. Parmi les maladies, les troubles mentaux sont particulièrement visés par ce genre de pratique23.

Pour ­leffet de la musique sur les bêtes sauvages, Bacon cite ­lautorité de Varron qui évoque ­lefficacité de la cithare pour les faire fuir. Dans les Rerum rusticarum libri III, ­connus au Moyen Âge, Varron rapporte ­comment Orphée fut invoqué et mit en fuite les bêtes sauvages en jouant de cet instrument24.

Cette efficacité naturelle de la musique est à distinguer chez Bacon de ­lusage néfaste des incantations magiques. À plusieurs reprises, il rejette ces incantations recourant à ­laide des démons et les oppose à son usage naturel des sons et de la musique. Dans ­lOpus tertium notamment, il précise que les incantations et les charmes, qui sont effectués arbitrairement sans tenir ­compte des ­conditions naturelles et astrologiques requises, ne sont pas naturelles et il indique donc que le pouvoir, ­sils en obtiennent un, provient des démons25.

À première vue, rien ne distingue ­lemploi des exemples de ­lefficacité musicale sur le corps et ­lâme de celui que plus tôt lui reconnaît Guillaume ­dAuvergne dans son De universo (1231-1235). Ce passage a bien été analysé par Béatrice Delaurenti26. Il se trouve dans le chapitre (II.iii.21) 228­consacré notamment au pouvoir de la musique. Il ­sagit de savoir si, « par les harmonies, ­cest-à-dire par les accords ­dinstruments de musique », on peut obtenir le splendor prophétique. Il se réfère à un prophète de ­lAncien Testament qui eut recours au joueur de cithare (psaltem) pour prophétiser27 ; on reconnaît là ­lhistoire ­dÉlisée. Guillaume explique ensuite que la musique est efficace ­contre « de nombreuses maladies spirituelles » (multos morbos spirituales), ­comme la folie (insaniam) ou la mélancolie28. La « douceur de certains accords charme merveilleusement les âmes humaines et les ravit, et, à cause de cela, les arrache à ­dautres passions29 ». ­Cest pour illustrer ce point ­quil mentionne, sans le nommer, ­lexemple de David libérant Saül de sa fureur démoniaque. Guillaume évoque alors la puissance attribuée par Platon, dans le Timée, aux harmonies pour adoucir les douleurs de ­lâme humaine30. Comme ­lécrit fort bien Béatrice Delaurenti, « Guillaume ­dAuvergne attribue ainsi à la musique le pouvoir ­quil refuse aux incantations31 ». Sur ce point, sa position se rapproche de celle de Bacon. Pourtant, ces ­considérations sur la musique ont chez le savant franciscain une signification bien différente, ­puisquelles ­sinscrivent dans son projet utopique.

­LUTILISATION UTOPIQUE DE LA MUSIQUE

Le chapitre des Communia mathematica ­consacré à la louange de la musique ­souvre et se clôt par des ­considérations qui donnent sens à la liste des exemples de son pouvoir. Au début Bacon précise bien ce sens :

Je dis donc que cette science, outre les instruments ­communs et les harmonies ­communes, enseigne à trouver des instruments spéciaux et des sons 229proportionnés et des gestes recherchés par lesquels non seulement les êtres naturels sont changés, mais aussi les êtres volontaires sont inclinés et les animaux sauvages sont attirés selon le bon plaisir de la volonté de ­lhomme32.

Dans ces lignes, Bacon ­séloigne du simple ­constat de ­leffet apaisant ou excitant des instruments de musique normaux, ­comme la cithare ; il envisage la fabrication ­dinstruments spéciaux susceptibles ­détendre ­considérablement le pouvoir du joueur ­dinstrument en imposant sa volonté. Il se singularise donc par rapport à ses prédécesseurs qui ont pu citer ces exemples depuis Boèce en ceci ­quil suggère une exploitation technicienne des ressources de ­linstrument de musique. À la fin du chapitre, Bacon revient sur ce pouvoir extraordinaire de la musique :

Ainsi, donc, un musicien expérimenté peut pousser les esprits des hommes à tout acte ­quil veut, étant sauve cependant la liberté de ­larbitre en toutes choses, car la volonté ­nest pas ­contrainte, mais la force de ­lharmonie est introduite pour ­quil veuille gratuitement choisir ce à quoi il est poussé efficacement. Et non seulement les esprits humains, mais les âmes des bêtes sauvages et des serpents et des poissons et ­dautres, de sorte ­quelles sont prises dans le sens de la volonté des hommes, ­comme les livres des Anciens ­lenseignent ; et cela est prouvé par ­lexpérience chez les grands poissons, ­comme chez les dauphins et autres, et chez les bêtes ­comme les cerfs et de nombreux animaux, qui sont attirés non seulement par des séductions harmonieuses et des instruments spéciaux suivant la volonté des hommes, mais aussi par des instruments ­communs ­comme le sont les cithares, les flûtes de Pan, des vielles, et autres de cette sorte33.

Il ­sagit donc ­dun pouvoir de ­contrainte assumé de ­lâme animale ou de ­lesprit humain, exception faite du libre arbitre. Tout ­comme ­linfluence des astres incline les hommes à des choix sans ­contraindre 230leur volonté, cette musique pousse les hommes à agir selon la volonté du joueur ­dinstrument, à moins que ces derniers ne résistent à cette impulsion en usant de leur libre arbitre. ­Lexemple des animaux, dont les dauphins, séduits par la musique, est peut-être encore une fois inspiré ­dIsidore de Séville34. Ici, à côté des instruments de musique ­communs dont ­lefficacité est réaffirmée, les instruments spéciaux désignent aussi bien les appeaux utilisés pour les bêtes sauvages que ­dautres instruments qui restent à inventer. Le fondement de ­lefficacité repose sur ­lharmonie particulière, ­laccord particulier de sons musicaux susceptibles de « ravir » ­lâme des êtres animés35.

Dans ­lOpus tertium, les indices de cette insertion du pouvoir de la musique dans le projet de transformation du monde sont encore plus patents. Dans le chapitre déjà mentionné, ­lutilisation délibérée de ­limmense puissance de la musique est assumée ­comme moyen de pousser à la plus grande dévotion, et le procédé est significativement appelé « arcanes de cette science36 ». ­Lexpression revient à la fin du chapitre :

Et si tu as vu que toutes ces choses chez les hommes et les animaux sauvages sont accomplies par les douceurs divulguées de mélodies et par des instruments ­communs, ­quen sera-t-il si, vers les arcanes extrêmes de cette science, on fabriquait des instruments recherchés et les harmonies les meilleures, avec une douceur excellente du rythme et de la métrique, de sorte que toutes les parties de la musique ­convergeraient vers un seul effet parfait de séduction37 ?

Cette phrase exprime on ne peut mieux toute la démarche baconienne. En premier lieu, les témoignages ordinaires (les exemples et anecdotes de la tradition) de ­leffet des mélodies et des instruments ­communs sur les hommes et les bêtes sont une invitation à extrapoler à partir du pouvoir de la musique instrumentale. En deuxième lieu, 231cette extrapolation repose sur une maîtrise scientifique et technique des harmonies et des rythmes et de ­lélaboration ­dinstruments spéciaux. En troisième lieu, enfin, cette extrapolation va ­jusquaux ­confins (extrema) des « arcanes de cette science » ; la science expérimentale en effet repose sur une ­conception progressive et ouverte de ­lexploration des territoires des « secrets de ­lart et de la nature38 ». Roger Bacon poursuit ainsi son développement :

Assurément, les animaux sauvages seraient entraînés à toute notre volonté, de sorte ­quils seraient capturés par la main, paralysés et ­contraints par cette douceur excessive. Et de la même manière les esprits des hommes seraient entraînés à ­nimporte quel degré de dévotion et ils seraient poussés au plein amour de ­nimporte quelle vertu, et à toute santé et toute vigueur. Mais parce que la puissance de cette musique ­nest pas habituelle, la foule de ceux qui philosophent ­naspire pas à ces choses, et elle ne revient pas aux livres des anciens sages, et ne se ­confie pas à une expérience attentive, ­cest pourquoi les choses que ­jai écrites ne sont pas ­connues de beaucoup. Cependant, elles sont très vraies et doivent être accueillies par tout savant39.

Les trois buts énoncés sont la chasse (pour les animaux sauvages), ­lincitation à la dévotion et à ­lamour de ce qui est vertueux, et ­loctroi ­dune bonne santé et ­dun bon état physique (pour les hommes). Le caractère extraordinaire est de nouveau souligné par le fait ­quune telle musique est inconsueta (inhabituelle) et le caractère de secret est de nouveau suggéré par le fait que ces procédés demeurent inconnus au plus grand nombre et relèvent, ­comme toujours chez Bacon, ­dun savoir très ancien dont on ­na malheureusement pas exploité toutes les ressources.

Dans les sections de ­lOpus tertium éditées par Little, la liste célèbre des inventions extraordinaires déjà mentionnée est introduite en ces termes :

Après cela ­jai ajouté les œuvres de la géométrie, de ­larithmétique et de la musique, qui ont trait semblablement aux plus grands secrets de la nature et des arts merveilleux, et là rien selon la vérité ­nest magique, ni selon 232­lapparence, mais sont produites des œuvres très utiles selon la vérité de la philosophie et ­dune si grande sagesse ­quil ­ny a pas de fin40.

La musique est donc expressément mentionnée, au même titre que deux autres arts du quadrivium (géométrie et arithmétique) avant ­dénoncer les exemples ­dinventions extraordinaires qui pourront être faites (ou refaites) à ­lavenir et qui sont justement à distinguer de la magie. Ce savoir de la « science expérimentale » est infini (« pas de fin »).

De fait, dans la liste des inventions extraordinaires qui suit, après les miroirs ardents pour brûler des cibles à distance, les engins de vol, les engins de navigation transportant de nombreux guerriers et se mouvant grâce à ­leffort ­dun seul rameur, les chars munis de faux mus sans force animale, vient cette occurrence :

Et semblablement au sujet des instruments et des harmonies musicales dont ­jai traité précédemment, et surtout si elles étaient produites sous les ­constellations appropriées, pour ­quelles reçoivent des vertus célestes spéciales41.

Dans ­lOpus maius, Roger Bacon articule le pouvoir des mots et le pouvoir des astres ­comme ­la montré Béatrice Delaurenti, tout en soulignant que, malgré ­limportance ­quaccorde généralement le savant franciscain à ­lastrologie, ce ­nest pas le trait dominant de sa théorie de la virtus verborum42.

UNE ÉNIGME ÉLUCIDÉE GRÂCE À LA MUSIQUE ?

Dans la liste des inventions extraordinaires présentée dans ­lEpistola de secretis artis et naturae (dont ­lauthenticité ­nest plus sérieusement 233mise en doute43), Bacon évoque deux inventions, qui ne figurent pas dans la courte liste de ­lOpus tertium, ­dabord un instrument de petit volume destiné à lever des poids « presque infinis », grâce auquel on pourrait faire ­sévader des prisonniers, puis une étrange invention difficile ­dinterprétation :

On pourrait aussi aisément fabriquer un instrument par lequel un homme attirerait à lui mille hommes par violence et malgré leur volonté, et de même pour ­lattraction ­dautres choses44.

Bacon ne donne aucun indice clair du mécanisme dont il évoque seulement le résultat : ­lattraction des hommes ­contre leur volonté et des choses plus généralement. Trois interprétations peuvent être suggérées à titre ­dhypothèses.

La première repose sur une articulation avec ­linvention précédente. Dans cette invention, Bacon extrapole à partir des découvertes de la statique (en particulier, celles de Jordanus de Nemore45) pour imaginer des engins de petite taille capables de faire ­sélever des poids ­dune lourdeur quasi infinie. On pourrait alors supposer que cet instrument qui attire les hommes et les choses ­sappuie sur un mécanisme du même type, à savoir un système de levier capable de ­contraindre par une très grande force les hommes à venir vers soi. Mais cette solution ­nest que partiellement ­convaincante, car on voit mal ­comment à un premier stade de ce dispositif les hommes seraient pris par cette machine « ­contre leur volonté ».

234

La deuxième interprétation ­sappuie sur le grand intérêt que Roger Bacon accorde à ­laimant et aux travaux expérimentaux de Pierre de Maricourt sur ce sujet. Dans ­lEpistola et dans ­dautres œuvres, il ­consacre plusieurs passages à ­lexploitation de la force magnétique en citant la sphère magnétique se mouvant ­delle-même suivant la rotation de la voûte céleste46. Ne serait-il pas possible ­dimaginer un aimant capable ­dattirer non seulement le fer, mais aussi ­dautres êtres ­comme les hommes ? Albert le Grand, dans le lapidaire de son De mineralibus, mentionne des aimants capables ­dattirer la chair humaine47. Mais évidemment on manque de preuves pour une telle interprétation.

La troisième interprétation enfin pourrait reposer sur cette précision ­dhommes attirés ­contre leur volonté. Peut-être est-il possible ­dimaginer que le dispositif envisagé repose précisément sur un usage utopique de la puissance de la musique. Les passages que nous avons analysés reviennent à plusieurs reprises sur ce pouvoir ­quont certains instruments musicaux ­dimposer aux hommes et aux bêtes sauvages la volonté de celui qui en joue. Évidemment le « de rebus aliis » semble pointer aussi vers les êtres inanimés, ce qui pourrait ­constituer une objection recevable.

La réflexion de Roger Bacon sur le pouvoir de la musique ­sinscrit donc dans le cadre plus général de son projet scientifico-technique de modification du monde. Il se fonde sur une liste ­dexemples, qui en eux-mêmes ­nont rien ­doriginal, mais il leur ­confère un tout autre horizon, celui de son dessein utopique de faire acquérir aux fidèles de nouveaux pouvoirs ­contre les forces de ­lantéchrist. On retrouve donc, dans cette réflexion relativement brève sur la puissance de la musique, les éléments ­constitutifs de sa ­conception de la science expérimentale et de son usage : à partir de faits attestés dans le passé (par la tradition textuelle notamment) du pouvoir de la musique, il lui est loisible ­dextrapoler et de proposer de fabriquer tout exprès des instruments de musique spécialement ­conçus pour imposer à des foules la volonté de celui qui les utilise. Il ­sagit par-là de défricher les secrets, les « arcanes », 235­dune science ou art de la musique ­jusquà ses ­confins les plus extrêmes pour en faire une arme dans la lutte des fidèles ­contre les magiciens et ­contre ­lantéchrist. La musique baconienne est une utopie anti-magique.

Nicolas Weill-Parot

EPHE, PSL

1 Roger Bacon, Communia mathematica, I.3.2-3, éd. R. Steele, Oxford-Londres, Clarendon-H. Milford (Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, 16), 1940, p. 42-47 ; Roger Bacon, Opus maius, VI.12, éd. J. H. Bridges, 3 vol. Oxford, Clarendon, 1897-1900, vol. 2, p. 218 ; Roger Bacon, Opus tertium, A. G. Little, Aberdeen, The University Press, 1912, p. 18 ; Roger Bacon, Epistola de secretis operibus artis et naturae et de nullitate magie, cap. 4, éd. J. S. Brewer, Londres, Longman, Green, Longman and Roberts (Fr. Rogeri Bacon Opera quaedam hactenus inedita, vol. 1), 1859, Appendice I, p. 523-551, ici p. 532-533.

2 Sur la « science expérimentale » chez Roger Bacon, voir notamment J. Hackett, « Roger Bacon on Experimental Science », Roger Bacon and the Sciences, éd. J. Hackett, Leyde-New York-Cologne, Brill, 1997, p. 277-315. Sur la préoccupation eschatologique de Roger Bacon, en général ou en lien avec son projet de réforme scientifico-technique : S. C. Easton, Roger Bacon and His Search for Universal Science, Oxford, Blackwell, 1952 ; rééd. Westport, Conn, Greenwood Press, 1970 ; G. Beaujouan, « La prise de ­conscience de ­laptitude à innover (le tournant du milieu du 13e siècle) », Le Moyen Âge et la Science : approche de quelques disciplines et personnalités médiévales, éd. B. Ribémont, Paris, Klincksieck, 1991, p. 5-14 ; Z. Matus, « Reconsidering Roger ­Bacons Apocalypticism in Light of His Alchemical and Scientific Thought », The Harvard Theological Review, 105, 2012, p. 189-222 ; A. Sannino, « Riforma degli studi e della società nel Compendium studii Philosophiae di Ruggero Bacone », Studi filosofici, 21, 1998, p. 25-47 ; A. Power, Roger Bacon and the Defence of Christendom, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.

3 Sur le rejet des joculatores : Roger Bacon, Epistola de secretis operibus artis et naturae, 1, p. 523-525 ; je me permets de renvoyer à mon article de vulgarisation : N. Weill-Parot, « La cause cachée : magie et prestidigitation au Moyen Âge », Les Amis du Vieux Saint-Germain, 54, 2017, p. 227-247. Sur Bacon et la magie, parmi nombre de publications, on peut mentionner : S. P. Marrone, A History of Science, Magic & Belief from Medieval to Early Modern Europe, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015, p. 138-142.

4 Sur la définition du projet de Roger Bacon ­comme utopie scientifique : N. Weill-Parot, « Histoire des sciences dans ­lOccident médiéval », Annuaire de ­lÉcole pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 149, 2018, mis en ligne le 09 juillet 2018. URL : http://journals.openedition.org/ashp/2435.

5 N. van Deusen, « Roger Bacon on Music », Roger Bacon and the Sciences, p. 223-241.

6 J. Hackett, « Roger Bacon », The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Printemps 2015), éd. E. N. Zalta, URL : https://plato.stanford.edu/archives/spr2015/entries/roger-bacon/. Consulté le 1/11/2019.

7 Ibid.

8 Roger Bacon, Opus tertium, éd. J. S. Brewer, Londres, Longman, Green, Longman, and Roberts (Fr. Rogeri Bacon Opera quaedam hactenus inedita, vol. 1), 1859 [= désormais OT], chap. 73, p. 298.

9 OT, p. 298 : Sic beatus Franciscus jussit fratri cytahrista ut dulcius personaret, quatenus mens excitaretur ad harmonias celestes, quas pluries audivit. Sur ­lemploi par François ­dAssise pour sa prédication du chant accompagné à la cithare, voir, par exemple : A. Vauchez, François ­dAssise entre histoire et mémoire, Paris, Fayard, 2009, rééd. Fayard/Pluriel, 2018, p. 454-455.

10 OT, p. 299 ; cf. Boethius, De institutione musica, I.1, éd. Gottfried Friedlein, Leipzig, Teubner, 1867, p. 185 ; Boèce, Traité de la musique, trad. C. Meyer, Turnhout, Brepols, 2004, p. 29. Signalons ­louvrage récent de A. Hicks, Composing the World : Harmony in the Medieval Platonic Cosmos, Oxford, Oxford University Press, 2017, qui accorde une place importante au De institutione musica de Boèce, dans une perspective cependant différente.

11 OT, p. 299 : Pythagoras ebrium et vino plenius delibutum, frangere domum scorti cupientem, melodiae suavitate et sui ­compotem reddidit, et luxuriosum animum ad statum debitum revocavit. Cf. Boethius, De Institutione musica, I.1, p. 184-185 ; trad. C. Meyer, p. 27.

12 OT, p. 299 ; cf. Boethius, De institutione musica, I.1, p. 299 ; trad. C. Meyer, p. 29 (Boèce se réfère à Cicéron qui, dans son De ­consiliis (perdu), donne là, selon Boèce, en fait, deux versions de la même histoire).

13 OT, p. 299 ; cf. Isidore de Séville, Liber Etymologiarum, IV.13 ; Martianus Capella, De nuptiis Philologiae et Mercurii, lib. IX (De harmonia), § 926 ; Martianus Capella, Les Noces de Philologie et Mercure, éd. et trad. J.-B. Guillaumin, Paris, Les Belles Lettres, 2011 (collection des universités de France publiée sous le patronage de ­lAssociation Guillaume Budé), p. 29 : Perturbationibus animorum corporeisque morbis medicabile crebrius carmen insonui ; nam phreneticos symphonia resanaui ; quod Asclepiades quoque medicus imitatus.

14 Roger Bacon, Communia mathematica fratris Rogeri, éd. R. Steele, Oxford-Londres, Clarendon-H. Milford, 1940, (Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, 16) [= désormais CM], I.4.4, p. 56 : Et sicut nostra historia firmat, David per citharam Saulem demoniacum a sua furia expedivit.

15 B. Delaurenti, La Puissance des mots, “virtus verborum” : débats doctrinaux sur le pouvoir des incantations au Moyen Âge, Paris, Cerf, 2007, p. 219-220 ; cf. Guillaume ­dAuvergne, De universo, dans Id., Opera omnia, Venise, 1591, II.3.21, 996 col. 1 (E) ; cf. Isidorus Hispalensis, Etymologiae, éd. G. Gasparotto, collab. J.-Y. Guillaumin, et trad. J.-Y. Guillaumin, Paris, Les Belles Lettres, 2009, III.16.3 (« Quid possit musica »), p. 59 : Excitos quoque animos musica sedat, sicut de David legitur, qui a spiritu inmundo Saulem arte modulationis eripuit. Voir aussi pour les sources patristiques : L. Wuidar, Fuga Satanae. Musique et démonologie à ­laube des temps modernes, Genève, Droz, 2018, p. 57-62.

16 OT, cap. 73, p. 299 ; cf. Boèce, De institutione musica, I.1, p. 186 ; trad. C. Meyer, p. 29.

17 CM, I.4.4, p. 56 ; OT, cap. 73, p. 299.

18 Avicenne, Liber Canonis primus [-quintus] [], translatum a magistro Gerardo cremonensi in Toledo ab arabico in latinum, Venise, Petrus Maufer, Nicolò Contugo et associés, 1483, I.2.3.2.1, sign. c 3v [p. 76, col. 1] : Debes autem scire quod in pulsu reperitur natura musice, quoniam quemadmodum ars musice ­completur per adiunctionem sonorum secundum proportionem ­comitantem eos inter acuitatem et gravitatem per circulos casuum et temporum quod sunt inter eorum percussiones, sic est dispositio pulsus, quia proportio suorum temporum in velocitate et spissitudine et debilitate et in quantitate est sicut proportio adiunctionis eius. Pour une analyse technique de cette ­comparaison : voir aussi O. Cameron Gruner, A Treatise on the Canon of Medicine of Avicenna, Incorporating a Translation of the First Book, Londres, Luzac & Co, 1930, p. 292. Sur la relation entre musique et pouls : N. G. Siraisi, « The Music of Pulse in the Writing of Italian Academic Physicians (Fourteenth-Fifteenth Centuries) », Speculum, 4, 1975, p. 689-710 ; L. Mauro, « La musica del polso in alcuni trattati del Quattrocento », Anima e corpo nella ­cultura medievale, éd. C. Casagrande et S. Vecchio, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 1999, p. 235-257.

19 Avicenne, Liber Canonis, I.3.1.2, [p. 90, col. 1] : Et preter hoc etiam due res sunt faciende iuvamen ei ­conferentes ad hoc ut eius ­complexio fortis fiat, quarum una lentus motus et altera est ­consonantia musice quorum unum est corporis alterum anime.

20 Avicenne, Liber Canonis, I.4.30, n. pag. [p. 126, col. 2] : Ex sedantibus preterea dolorem, emolitur [emmolitur ed.] longo tempore incedere propter illud quod in ipso exit ex virtute faciendi fluxa. Et similiter adipes subtiles noti et olea que nominamus et dulcis cantilena et proprie quando ex ea provocatur somnus. Et occupari in eo quod gaudium efficit doloris vehementiam sedat.

21 D. Jacquart, « La musique dans les écrits médicaux parisiens de la fin du Moyen Âge », Musica e Storia, 8, 2000, p. 237-256 ; ead., « Médecine et ­consonance musicale à la fin du Moyen Âge », Les Représentations de la musique au Moyen Âge. Actes du colloque des 2 et 3 avril 2004, Paris, Cité de la musique, 2005 (Les Cahiers du Musée de la musique, 6), p. 67-73 (qui se ­concentre ensuite sur la ­contribution ­dÉvrart de Conty).

22 Ch. Burnett, « Sound and its Perception in the Middle Ages », The Second Sense : Studies in Hearing and Musical Judgement from Antiquity to the Seventeenth Century, éd. Ch. Burnett, M. Fend et P. Gouk, Londres, The Warburg Institute, 1991, p. 43-70 ; id., « “Spiritual Medicine” : Music and Healing in Islam and its Influence in Western Medicine », Musical Healing in Cultural Contexts, éd. P. Gouk, Aldershot, Variorum, 2000, p. 85-91.

23 C. de la Rosa Cubo, « La música ­como medio de curación y terapia de las afecciones mentales », Terapia e guarigioni, éd. A. Paravicini Bagliani, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2010, p. 199-214.

24 M. Terenti Varro, De re rustica, éd. F. Semi, Venise, F. Pesenti del Thei, 1965, III.13, p. 164-165 ; sur la ­connaissance de Varron au Moyen Âge, voir F. Brunhölzl, « Varro im Mittelalter », dans Lexikon des Mittelalters, vol. VIII, Turnhout, Brepols, 1997, p. 1414-1415.

25 OT, 26, p. 99 : Si igitur hujusmodi voces quae vocantur incantationes et carmina, non fiant ­consideratis speciebus quatuor, et ­conditionibus animae et corporis, sed a casu et secundum nutum cujuslibet, tunc sunt magica ; et non habent virtutem naturalem alterandi ; sed si est operatio tunc daemones faciunt. Passage cité et analysé par Delaurenti, La Puissance des mots, p. 199.

26 Delaurenti, La Puissance des mots, p. 217-230.

27 Guillaume ­dAuvergne, De universo, p. 995, col. 2 / p. 996, col. 1.

28 Guillaume ­dAuvergne, De universo, p. 996, col. 1.

29 Ibid. : Causa autem in hoc est, quoniam ­concentuum quorundam suavitas mirabiliter est demulcens animas humanas, et rapiens eas, et propter hoc eripiens eas ab aliis passionibus. Sur une autre ­contribution à ­lidée de raptus par la musique : F. A. Gallo, « Anima e corpo ­nellascolto della musica : il raptus secondo Pietro ­dAlvernia », Anima e corpo nella ­cultura medievale, p. 230-233.

30 Delaurenti, La Puissance des mots, p. 220-221 ; cf. Timée (67a-c).

31 Delaurenti, La Puissance des mots, p. 229.

32 CM, p. 255 : Dico igitur quod hec sciencia preter ­communia instrumenta et armonias ­communes docet invenire specialia instrumenta et sonos proporcionatos et gestus exquisitos quibus non solum naturalia varientur sed et voluntaria inclinentur et bruta animalia alliciantur secundum humane beneplacitum voluntatis.

33 CM, p. 257 : Sic igitur animos hominum in quemcumque actum voluerit musicus peritus potest excitare, salva tamen in omnibus arbitrii libertate, nam non cogitur voluntas, sed vehemencia armonie inducitur ut gratis velit eligere illud ad quod efficaciter excitatur. Et non solum mentes humanas set animas brutorum et serpentum et piscium et aliorum ita quod capiantur pro hominum voluntate. Et non solum mentes humanas set animas brutorum et serpentum et piscium et aliorum ita quod capiantur pro hominum voluntate, sicut libri antiquorum docent et expertum est in piscibus magnis, ut in delphinibus et aliis, et in bestiis ut cervis et multis animalibus, que non solum per armonicas delectaciones et specialia instrumenta allecta sunt secundum hominum voluntatem, sed per ­communia instrumenta sicut sunt cithare, fistule, vidule, et hujusmodi alia [].

34 Isidore de Séville, Etymologiae, III.16.3, p. 59-61 : Ipsas quoque bestias, necnon et serpentes, uolucres atque delphinas ad auditum suae modulationis musica prouocat.

35 Sur la notion de ravissement chez Guillaume ­dAuvergne et Bacon, voir Delaurenti, La Puissance des mots, p. 223-224.

36 OT, cap. 73, p. 298 : [] praecipue si instrumenta fierent musicalia secundum hujus scientiae arcana, caeterarumque partium musicae praedictarum virtus jungeretur, ut non solum cantus promoveret, sed simul cum eo toti musicae potestas exquisita humanae melodiae motibus ­consimilibus et proportionibus aequalibus ­conformaretur.

37 OT, cap. 73, p. 300 : Et si hec omnia in hominibus et in brutis videris adimpleri per vulgatas melodiarum suavitates et instrumenta ­communia, quid erit si, juxta ultima istius scientiae arcana, fierent instrumenta exquisita et harmoniae electissimae, cum excellenti suavitate rhythmi et metri, ut omnes partes musicae in unum effectum delectationis perfectum ­convenirent ?

38 N. Weill-Parot, « Encadrement ou dévoilement : ­locculte et le secret dans la nature chez Albert le Grand et Roger Bacon », Micrologus, 14, 2006, p. 151-170.

39 OT, cap. 73, p. 300 : Certe raperentur bruta in omnem voluntatem nostram, ut manu caperentur, stupefacta et oppressa nimia suavitate. Et similiter hominum animi in quemlibet gradum devotionis raperentur et in plenum cujuslibet virtutis amorem excitarentur, et in omnem sanitatem et vigorem. Sed quia haec musicae potestas non est ­consueta nec vulgus philosophantium ad haec aspirat, nec libros antiquorum sapientum revolvit, nec se experientiae diligenti ­commendat, ideo non sunt multis nota, quae scripsi. Sed tamen verissima et ab omni sapiente recipienda.

40 OT, éd. Little, p. 18 : Post hec adjunxi opera geometrie et arismetice et musice, que sunt similiter de maximis secretis nature et arcium magnalium, et ibi nichil secundum veritatem est magicum, nec secundum apparentiam, sed fiunt opera utilissima secundum veritatem philosophie et tante sapientie quod non est finis.

41 OT, éd. Little, p. 18 : Similiter de instrumentis et armoniis musicalibus de quibus prius tetigi, et maxime si fierent in ­constellacionibus debitis, ut celestes virtutes reciperent speciales (Little indique que ce passage est absent du ms. Winchester College 39).

42 Delaurenti, La Puissance des mots, p. 259-261.

43 Ce sont essentiellement les derniers chapitres sur ­lalchimie qui avaient pu faire ­lobjet de ces soupçons ; cependant William Newman a montré que ces chapitres aussi sont sans doute authentiques ou ­comprennent au moins des passages authentiques (W. Newman, « An Overview of Roger ­Bacons Alchemy », Roger Bacon and the Sciences, p. 317-336, ici p. 328). Les chapitres qui nous retiennent ici présentent des parallèles évidents avec les œuvres indubitablement authentiques ; il ­ny a guère de raisons donc de douter de la paternité baconienne.

44 Roger Bacon, Epistola de secretis operibus artis et naturae, cap. 4, p. 533 : Posset etiam de facili fieri instrumentum quo unus homo traheret ad se mille homines per violentiam, mala eorum voluntate ; et sic de rebus aliis attrahendis.

45 Sur la statique de Jordanus de Nemore : M. Clagett et E. A. Moody, The Medieval Science of Weights. Scientia de ponderibus. Treatises ascribed to Euclid, Archimedes, Thabit ibn Qurra, Jordanus de Nemore and Blasius of Parma, Edited, with Introductions, English Translations and Notes, Madison, University of Wisconsin Press, 1952 ; E. Grant, « Jordanus de Nemore », Dictionary of Scientific Biography, éd. Ch. Couston Gillispie, 16 vol., New York, Charles ­Scribers Sons, 1970-1980, vol. 7, p. 171-177.

46 Voir notamment R. Halleux, « Entre philosophie naturelle et savoir ­dingénieur : ­lEpistola de magnete de Pierre de Maricourt », Archives internationales ­dhistoire des sciences, 56/156-157, 2006, p. 3-17.

47 Albert le Grand, De mineralibus, II.2.11, Alberti Magni Opera omnia, éd. A. Borgnet, vol. 5, Lyon, L. Vivès, 1890, p. 40a : Aristoteles dicit quod est quoddam genus aliud magnetis quod trahit carnes hominis.