Aller au contenu

Classiques Garnier

Territoire et géographie entre Machiavel et Guichardin

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2019 – 2, n° 38
    . varia
  • Auteur : Ruggiero (Raffaele)
  • Résumé : La notion de « territoire » dans l’œuvre de Machiavel et Guichardin est à la fois un sujet d’intérêt pour une recherche dans le domaine de la littérature, dans le domaine de l’histoire des, dans le domaine de l’histoire socio-politique et militaire dans une époque de crise comme celle des « guerres d’Italie ».
  • Pages : 47 à 64
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406104544
  • ISBN : 978-2-406-10454-4
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10454-4.p.0047
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/04/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Machiavel, Guichardin, territoire, espace, représentation
47

TERRITOIRE ET GÉOGRAPHIE
ENTRE MACHIAVEL ET GUICHARDIN

La notion de « territoire » dans lœuvre de Machiavel, et surtout sa représentation, est à la fois un sujet dintérêt pour une recherche dans le domaine de la littérature (la représentation et limaginaire géographique), dans le domaine de lhistoire des idées (lidéologie du territoire, la construction consciente du territoire en tant quattribut de létat, à lépoque de la naissance de létat moderne), dans le domaine de lhistoire socio-politique et militaire (le territoire dans une époque de crise comme celle des « guerres dItalie »). Il faut tout dabord souligner que le mot « terra/e » revient en Machiavel toujours dans des contextes militaires : il sagit toujours dacquistare ou assaltare la terra, de la difesa e offesa delle terre, de la espugnazione delle terre, en fin de pigliare ou soggiogare le terre1. Cest dire que la conception du territoire est en premier lieu et presque uniquement une conception liée à sa conquête et à sa défense. Cest le cas dans les Discours sur la première décade de Tite-Live, II, xxxii (« De quelles manières les Romains semparaient des territoires »), ou encore II, xxiv, à propos des forteresses « en général plus nuisibles quutiles » pour défendre les territoires. De même dans la première Décennale, aux v. 112-123, lauteur blâme lattitude attentiste des Florentins, qui en 1494 espéraient que Charles VIII leur apporterait « la manne dans le désert » et leur rendrait leurs forteresses, au lieu de sarmer adéquatement ; et, de fait, les chefs de larmée française les ont privé de tous leurs autres territoires (dune façon analogue aux v. 331-336, Cesare Borgia et Vitellozzo Vitelli leur « arrachèrent tout le Val di Chiana et [leurs] autres territoires en un éclair »)2.

48

Une caractérisation sociologique est donnée en revanche au territoire des Suisses, dans les Discours (I, xii, 21) : il sagit de la conclusion du chapitre, où Machiavel propose une expérience mentale symptomatique. Si on veut constater directement le niveau de corruption de lÉglise de Rome et de la curie romaine, et leur capacité de corrompre chaque province avec laquelle elles entrent en relation, « on devrait être assez puissant pour envoyer la cour romaine, avec toute lautorité quelle a en Italie, demeurer sur les terres des Suisses ». Les Suisses sont dans lœuvre de Machiavel un peuple modèle, qui vit dans une condition presque idéale ; mais au contact avec lÉglise de Rome, « on verrait alors quen peu de temps les mauvaises mœurs de cette cour produiraient plus de désordre dans cette province que tout autre événement qui pourrait jamais sy produire3 ».

Il a été déjà observé avec justesse quaussi bien le Prince que les Discours souvrent sur des métaphores cartographiques. Dans le cas du Prince, il sagit de la célèbre image de la dédicace à Laurent de Médicis le jeune :

En effet, de même que ceux qui dessinent les pays se placent en bas, dans la plaine, pour considérer la nature des monts et des lieux élevés, et que, pour considérer celle des lieux den bas, ils se placent haut sur les monts, semblablement, pour connaître bien la nature des peuples, il faut être prince, et pour connaître bien celle des princes, il convient être du peuple (Prince, dédicace, 5)4.

Et dans les Discours, de façon peut-être moins explicite, mais en tout cas frappante, le fragment manuscrit avec une première rédaction autographe de la préface aux Discours souvre avec un parallèle entre 49la difficulté de trouver de « nouvelles institutions » et « la recherche docéans et de terres inconnus » :

Bien que, à cause de la nature envieuse des hommes, plus prompts à blâmer quà louer les actions dautrui, il ait toujours été périlleux de trouver de nouveaux modes de gouvernement et de nouvelles institutions que de chercher des mers et des terres inconnues [] (Discours sur la première décade de Tite-Live, avant-propos, 1)5.

Limportance de ce double incipit cartographique ne réside pas seulement dans linfluence évidente de limaginaire des nouvelles découvertes géographiques du début du xvie siècle (notamment le succès éditorial du Mondus novus, lépitre à Antonfrancesco de Médicis attribuée à Vespucci)6, mais il sagit dun idée profonde, à savoir lidée dune équivalence entre la fondation dun nouvel ordre politique et laction de sapproprier un territoire nouveau et jusque-là inconnu ; et par conséquent lidée quun territoire conquis (quil sagisse dune domination politique ou simplement intellectuelle) est un territoire dûment cartographié7.

Le contrôle de lespace politique passe donc par sa hiérarchisation, par la possibilité de le décrire et de le mesurer : mais il faut déjà prévenir que, dans la logique de la nouvelle théorie politique de Machiavel, cette situation nest pas un point darrivée, mais un constat de départ, duquel il faut progressivement séloigner, justement afin de trouver les terres inconnues des nouveaux ordres. En fait cette conception de 50lespace, et en particulier de lespace politique, renvoie à une idée très médiévale du contrôle politique en tant que dominium : le pouvoir nest pas (encore) lexercice dune fonction, mais la « propriété » du territoire. Il reviendra précisément à la pensée machiavélienne de déclencher à ce propos une véritable révolution. Par conséquent la notion de territoire utilisée par Machiavel ne correspond jamais à lidentification juridique traditionnelle (typique du droit romain et du droit commun) avec le lieu de lexercice du pouvoir (dominium en tant que propriété), mais, au moment où la réflexion de Machiavel se développe, les différentes définitions juridiques modernes du territoire (« das Staatsrechtliche “Recht am Gebeite” », pour utiliser lexpression de Georg Jellinek8) nexistent pas encore ; et cest à mon avis justement la pensée politique de Machiavel qui a donné limpulsion à la construction dune nouvelle théorie du rapport entre la souveraineté et le territoire9.

Lépoque de Machiavel, lépoque au cours de laquelle il a tiré profit dune longue et riche expérience de lactivité diplomatique, est lépoque où lespace politique devient cartographiable et il doit être cartographié pour être compris (et éventuellement dominé). Les nouveaux rapports de force passent par une nouvelle mesure de lespace, parfois exigée par les nécessités des guerres et de lactivité militaire : donc la compréhension politique du monde est indissociable de sa mesurabilité. Alors, la mutation des relations internationales à partir dune confrontation militaire des différents acteurs, produit une nouvelle conception du territoire.

Un premier aspect à souligner est que la pédagogie politique de Machiavel se configure presque comme un portulan, un portulan qui traduit en mots une carte mentale. Dans lœuvre de Machiavel nous pouvons détecter deux mouvements conceptuels discordants : dun côté, le territoire est pensé comme ce sur quoi sexerce un contrôle direct, souvent militaire, une conception qui dénonce la crise du système de relations juridiques de lantiquité tardive (dominé par la rationalité de 51ladministration cadastrale romaine) et qui fait ressortir des formes de domination matérielle et personnelle, de nature féodale, sur les hommes et les terres ; de lautre côté, laction consistant à « se mettre à la tête de nouveaux ordres et de les introduire » dans létat, bien quelle soit la chose « la plus difficile à traiter » et « la plus dangereuse à manier » (Prince VI, 17) et que sa réussite soit « la plus incertaine », reste la seule solution pour parvenir à sortir de la crise et elle se présente exactement comme un rétablissement de lordre (juridique) par rapport à des pures situations factuelles (et de brimade).

Cette idée est déjà bien présente à lépoque de la deuxième chancellerie florentine de Machiavel. Lactivité politique de Piero Soderini, et notamment le projet militaire de Machiavel lui-même pour le recrutement dune armée citoyenne, sont au cœur de la Décennale publiée par Agostino Vespucci (collègue de Machiavel à la chancellerie) en 1504, accompagnée dune lettre-préface du même Vespucci adressée aux Florentins. Mais le premier dédicataire envisagé pour cette opération poético-politique était Alamanno Salviati, membre majeur de laristocratie florentine, qui en 1502 avait favorisé la montée de Soderini, non sans bientôt sen repentir. La dédicace à Salviati fut remplacée parce quelle était devenue contradictoire avec le jugement très mitigé que lauteur porte sur son action politique aux v. 355-381, où Alamanno est loué pour avoir posé les bases de son gonfaloniérat perpétuel (« Cest lui qui dressa une échelle… », etc.). Pourtant Machiavel ajoute quil serait « un mauvais géomètre de ce monde », sil avait décidé de séloigner « de cet ordre » (cest-à-dire de lordonnancement de la république quil avait lui-même instauré avec la création du gonfaloniérat à vie)10.

Un tel secours ne serait pas parvenu à temps,

sans lactivité de celui

qui alors gouvernait votre Etat [Alamanno Salviati, parmi les Seigneurs pendant lété 1502].

[]

car vous souffriez de quatre plaies mortelles,

dont trois quil put soigner

[]

Cest lui qui dressa une échelle pour monter

52

à la magistrature suprême, afin que pût y accéder

un homme qui fût digne de cette tâche [cest-à-dire Piero Soderini] :

[]

Si quelquun séloigne de cet ordre,

pour quelque motif que ce soit, il pourrait être

un mauvais géomètre de ce monde (Première décennale, v. 355-57, 359-60, 364-66, 379-81)11.

Donc lactivité de lhomme politique, qui consiste en une connaissance du monde qui doit se pratiquer à lavance et de loin, sans un nombre suffisant dindices (à savoir, le vedere discosto de Prince iii 26 et 2912), est représentée comme la construction dune géométrie. Bien évidemment il ne sagit pas dune géométrie théorique (néoplatonicienne), mais dune géométrie e coelo revocata, qui permet de mesurer et cartographier le monde, la géométrie même des ateliers florentins où Léonard de Vinci fit son apprentissage. Donc mesurer de façon géométrique le monde équivaut à le connaître et à le dominer13.

Une démonstration parallèle de la présence de cette double logique dans lœuvre de Machiavel, une attention particulière à la construction dune nouvelle idée de lespace politique, découle de son insistance sur le contrôle direct que le prince (et notamment le prince nouveau) doit exercer sur « son » territoire, sur le territoire quil va constituer comme son 53état nouveau (chap. iii-vi du Prince). « Et un des remèdes les plus grands et les plus vivaces [par rapport aux difficultés des nouveaux principats] serait que celui qui les acquiert allât y habiter en personne » (III, 12, et de même en V, 2) ; et encore « Ce qui engendre aussi de la facilité [à gouverner un nouveau principat], cest que le prince soit contraint [] de venir en personne y habiter » (VI, 6). Cette insistance sur la nécessité quun prince nouveau sinstalle directement dans son principat, vive et habite sur le territoire quil a conquis, nest pas simplement un bon conseil, selon la typologie de suggestions formulées dans les specula principis, mais il sagit dun modèle essentiel dans la pensée machiavélienne : loccupation directe du territoire est une attitude fondamentale pour limiter les aléas de la fortune et multiplier les occasions dexercer sa vertu dans laction politique.

Ce que nous avons observé jusquici, nous amène à souligner que le territoire – dans la pensée de Machiavel et dans sa pratique décriture, ainsi étroitement liée à sa pratique politique –, est bien loin dêtre un espace naturel ; en revanche il sagit dun espace virtuel, encadré par les différentes structures administratives. Dans le chapitre iv, justement à propos de la différence entre ladministration de lempire ottoman et celle de la France :

Toute la monarchie du Turc est gouvernée par un seul seigneur : les autres sont ses serviteurs ; et, divisant son royaume en sandjacs, il y envoie des administrateurs différents et les change et les permute comme il lui semble. Mais le roi de France est placé au milieu dune nombreuse et ancienne compagnie de seigneurs, qui, dans cet état, sont reconnus par leurs sujets et aimés par eux : ils ont leurs prérogatives, que le roi ne peut leur ôter sans courir un danger (Prince IV, 6-7).

La répartition de lempire ottoman en sandjacs (sangiacchie) constitue une stratégie pour concevoir le territoire en vue dun objectif politique : dans ce cas il sagit dassurer la stabilité de létat et en même temps une efficace action administrative même dans les périphéries les plus éloignées du centre du pouvoir. La France, en revanche, à cause de la présence dune ancienne noblesse, subit pleinement les désavantages liés à la fragmentation féodale.

Cette conception du territoire entièrement déterminée par des intentions politiques (ou guerrières, ce qui dans loptique de Machiavel, on la vu, est presque la même chose) réapparaît dans le chapitre xx, et 54notamment dans la section consacrée à la façon qua Venise de dominer les villes sujettes :

Les Vénitiens, poussés, je le crois, par les raisons susdites, nourrissaient les sectes guelfes et gibelines dans leurs villes sujettes ; et bien quils ne les laissassent jamais faire couler le sang, tamen ils nourrissaient en leur sein ces dissensions, afin que ces citoyens, occupés à leurs différends, ne sunissent pas contre eux. Cela, comme on le vit, finit par venir mal à propos : en effet, sitôt après quils eurent été mis en déroute à Vailà, un de ces partis prit courage et ils leur enlevèrent tout leur état (Prince XX, 12-13).

La stratégie de gouvernement qui joue sur le conflit partisan à lintérieur des villes sujettes afin de mieux les dompter, dans lanalyse machiavélienne, se révèle inefficace justement à la lumière dune considération plus générale de la dialectique entre la ville dominante et le territoire assujetti.

On peut ici constater une modalité typique dans lanalyse du territoire que Machiavel a élaborée (ou peut-être en partie empruntée) pendant ses années à la chancellerie florentine : il sagit dune évaluation qui prend synchroniquement en compte laction politique au centre du pouvoir, les instances centrifuges de la périphérie ou plus généralement des territoires soumis (dans le cas de Florence, le dominio florentin), et le cadre désormais continental dans lequel cette dialectique se développe (par exemple : Venise, ses territoires en terre ferme, sa politique envers lempire, lÉglise, la France ; ou encore Florence, le contrôle de Pise ou du Val di Chiana, les relations diplomatiques avec la France).

Laspect synchronique que cette analyse politique comporte – comme il a été observé à juste titre – constitue une caractéristique de la pratique décriture fonctionnelle de Machiavel à lépoque de son activité au sein de la deuxième chancellerie florentine. Il sagit dune écriture qui « doit accepter ce que nous pourrions appeler les incertitudes de lépreuve du présent14 ». Laction des chanceliers finit par essayer de remédier au « contrôle insuffisant de la république sur lespace réel du territoire » (cest-à-dire létat florentin et ses multiples points de fragilité), mais aussi par élaborer un type de communication politique qui 55doit être soumis à des règles précises, des règles qui établissent même une relation particulière entre la périphérie, « espace du recueil et de la sélection des informations objectives », et le centre « qui a le monopole théorique de lanalyse15 ».

Sil a été efficacement démontré une « attention constante à la question de la vision » de la part de Machiavel16, ce nest que récemment que la recherche a opportunément souligné que la dimension spatiale et plus proprement territoriale joue un rôle fondamental dans la construction de la pensée politique machiavélienne, même au-delà de son intérêt évident pour lédification des nouvelles puissances étatiques européennes. En effet la métaphore qui conclut la dédicace du Prince (« ceux qui dessinent les pays… ») révèle une ambiguïté sémantique significative : le mot paesi, dans la langue vernaculaire toscane au début du xvie siècle, signifie aussi bien les territoires (point de vue cartographique) que les paysages (point de vue chorographique et pictural), et les deux significations participent à la construction dune métaphore complexe17.

Afin daborder le sujet, nous partirons de deux cas, respectivement dans le Prince (1513-1515) et dans les Histoires florentines (1525).

Dans le chapitre xiv du Prince, le troisième des chapitres consacrés par Machiavel à la question militaire et notamment à la nécessité pour une principauté solide de se douer dune armée « nationale », et pour le prince lui-même dêtre bien entraîné à la vie militaire, Machiavel écrit :

Il [le prince] ne doit jamais, de ce fait, détourner sa pensée de lexercice de la guerre, et dans la paix il doit sy exercer plus que dans la guerre ; ce quil peut faire de deux façons : lune par les actions, lautre par lesprit. Et, quant à ses actions, outre quil tiendra bien ordonnés et exercés les siens, il doit toujours aller à la chasse et, par ce moyen, accoutumer son corps aux désagréments ; et en même temps apprendre la nature des sites et connaître comment se dressent les monts, comment souvrent les vallées, comment sétendent les plaines, et comprendre la nature des fleuves et des marais, et en cela mettre le plus grand soin. Cette connaissance est utile de deux façons : dabord, sil apprend à connaître son pays, il peut mieux comprendre les défenses de celui-ci ; ensuite, par le moyen de la connaissance et de la pratique de ces sites, il peut comprendre tout autre site nouveau quil lui serait nécessaire 56dexplorer : car les collines, les vallées, les plaines, les fleuves, les marais quil y a, par exemple, en Toscane ont avec ceux des autres provinces quelques ressemblances, de sorte que, par la connaissance du site dune province, on peut facilement venir à la connaissance des autres. Et le prince qui est dépourvu de cette compétence est dépourvu du premier bagage que doit avoir un capitaine, car elle apprend à aller à la rencontre de lennemi, à choisir son logement, à conduire ses armées, ordonner les batailles, assiéger les villes, le tout à ton avantage (Prince XIV, 7-10).

Il y a plusieurs éléments à remarquer dans ce passage : dabord la connaissance géographique du territoire de létat est une qualité du bon capitaine, donc une vertu militaire, mais aussi une qualité politique. Les deux choses sont si étroitement liées que pour lauteur il ny a aucun écart entre elles : le prince doit toujours se concentrer sur la guerre, donc il doit réunir toutes les qualités dun bon capitaine, à commencer par la capacité de connaître de façon rationnelle et fonctionnelle le territoire de son état (un territoire à défendre et à gouverner), ainsi que « tout autre site nouveau quil lui serait nécessaire dexplorer ». Il sagit – comme il a été observé – dune approche qui ressent fortement du climat des « guerres dItalie » : la génération de Machiavel étant une génération qui est née et qui a vécu dans une condition de guerre permanente, la réflexion de Machiavel sur la construction de létat moderne découle en partie de ces conditions de danger continuel, de la menace à laquelle les territoires italiens sont soumis. Par conséquent lidée de territoire et le lien établi entre le territoire et létat sinscrivent et se définissent dans la perspective de la guerre18.

Bien évidemment cette thèse se fonde sur une application stricte du principe danalogie, cest-à-dire lidée que tous les territoires « ont avec ceux des autres provinces quelques ressemblances ». Il sagit donc dune expérience mentale, dans laquelle, grâce à la lumière de son esprit, le prince pourra simuler différentes conditions dattaque et de défense19. La pédagogie géographique imposée au prince est fondée sur 57une analyse constante. Le prince devra apprendre « comment se dressent les montagnes, comment souvrent les vallées, comment sétendent les plaines, etc. », et – Machiavel le souligne – il devra mettre beaucoup de soin à cela. Un précepte analogue sera proposé encore une fois dans le livre V de lArt de la guerre, où Fabrizio Colonna, interrogé par Zanobi Buondelmonti, définit la stratégie à suivre lorsquune armée traverse un territoire ennemi :

Vous devez savoir aussi que, lorsque lon marche dans un pays ennemi, on court plus de dangers et plus grands que lors dune bataille rangée. Aussi le capitaine doit-il alors redoubler dattention. La première chose à faire est davoir une description et une représentation exactes du pays où lon passe, de façon à connaître les lieux, leur nombre, les distances, les routes, les montagnes, les marais et tous leurs aspects20.

« La prima cosa che [il capitano] dee fare è di avere descritto e dipinto tutto il paese per il quale egli cammina » : les participes descritto et dipinto ne sont pas une hendiadys (qui de plus est très rare dans la prose concise et sèche de Machiavel), mais ils répondent à deux exigences géographiques différentes pour le bon capitaine, qui doit compter aussi bien sur une carte topographique (descritto) que sur une carte chorographique (dipinto)21.

Si le prince doit consacrer une attention particulière à la connaissance exhaustive de son territoire, cest quil devra défendre celui-ci, et donc se défendre lui-même aussi bien des menaces extérieures (armées de possibles envahisseurs) quintérieures (ennemis qui conspirent pour lui enlever le pouvoir ou le contrôle dune partie du territoire). De cette façon le territoire devient un attribut de la personne physique du prince : la théorie machiavélienne concernant la nécessité dune exploration et dune connaissance profonde du territoire détermine lidentification progressive du territoire de létat avec létat en soi et, en dautres termes, du territoire avec le prince lui-même.

Par conséquent, le diagnostic de Machiavel concernant la faiblesse dun état se fonde en général sur la parcellisation et le manque dunité du territoire. Il sagit du diagnostic célèbre concernant la faiblesse des états 58féodaux : « [] on constate que les principats dont on garde mémoire sont gouvernés de deux façons différentes : soit par un prince, et tous les autres sont des serviteurs [] ; soit par un prince et par des barons qui, non par la grâce de leur seigneur, mais par lantiquité de leur sang, tiennent leur rang []. Dans les états qui se gouvernent par un prince et par des serviteurs, le prince a plus dautorité » (Prince IV, 2-4). Ce même diagnostic sapplique à toutes les autres formes de parcellisation territoriale, en référence par exemple au gouvernement qui se déroule « par lentremise des magistratures », et « dans ce dernier cas, leur état est plus faible et court plus de dangers » (IX, 24), ou enfin dans le cas où ladministration de certains territoires est (ou bien doit être) confiée à une entité qui ne coïncide pas avec le titulaire nominal du pouvoir. Dans ce dernier cas, il y a une dissociation entre le titre nominal du pouvoir et son exercice effectif. Le même phénomène peut être observé dans lhistoire de la république de Gênes, résumée par Machiavel dans les Histoires florentines VIII, xxix. Machiavel offre un aperçu de lhistoire de Gênes, après la guerre avec la république de Venise. À cette époque-là, le Commune de Gênes, fortement endetté envers les citoyens qui avaient soutenu la plupart des frais militaires, leur accorda les revenus de la douane, afin quils puissent se satisfaire de leur crédit, et leur assigna aussi le palais de la douane. Ces créanciers du Commune se constituèrent en une sorte de corporation sous le nom de Saint-Georges : cétait en fait une banque, qui administrait la dette publique de Gênes à travers la gestion dune partie des revenus fiscaux, avec un conseil de cent membres et une « magistrature » (à savoir un organe exécutif) de huit citoyens. Cette entité divisa ses créances en parts appelées « lieux » : en fait ces lieux sont des titres de la dette publique. Lorsque la république de Gênes eut de nouveaux besoins financiers, elle fit à nouveau recours au prêt des créanciers de Saint-Georges, et « de même quelle [la république] leur avait dabord accordé les douanes, elle commença à leur concéder des territoires en garantie de largent reçu22 ». Nous ne voulons pas ici nous arrêter sur des aspects dhistoire économique (concernant les typologies anciennes 59de gestion de la dette publique ou bien les formes dinterposition fiscale), mais il faut en revanche souligner que lassignation de territoires de la république à une autre entité de ladministration (il reste même problématique détablir de quelle forme dadministration il sagit, et à quel titre elle intervient) est un facteur déterminant, dans lanalyse de Machiavel, pour évaluer la faiblesse de létat. En fait Machiavel conclut son analyse concernant le cas de Gênes avec un observation qui fait découler la crise de létat de la perte de son intégrité territoriale :

La situation, née des besoins de la Commune et des services rendus par Saint-Georges, a évolué de telle sorte que ce dernier [cette corporation mercantile ? cette banque ?] a pris sous son administration la plupart des places et des cités soumises à Gênes. Elle [la banque de Saint-Georges] les gouverne, les défend et y envoie chaque année des gouverneurs élus, sans que la Commune ne sen préoccupe autrement. Il en est résulté que les citoyens nont plus damour envers la Commune, considérée comme tyrannique, mais lont porté sur Saint-Georges, parce que cette corporation est régulièrement et justement administrée (Histoires florentines VIII, xxix)23.

Les choix linguistiques manifestent ici de façon déterminante le mouvement de la pensée machiavélienne. « Elle les gouverne » : donc il semble être question dune véritable forme de gouvernement ; la banque prend soin de défendre les territoires soumis à son administration (et on se demande spontanément sil sagit dune administration ou dune véritable juridiction), et denvoyer des « rettori » élus « per pubblici suffragi » (donc, apparemment, élus par les citoyens de Gênes ayant titre à lexercice de droits politiques, et non simplement nommés par les gérants de la banque). La transmission de certains territoires du pouvoir de la république au contrôle de la banque semble avoir déterminé la constitution dun état dans létat : lexigence – en principe exclusivement économique, et certainement favorisée par lidentité présumée (au moins familiale) entre gérants de la banque et notables dans le gouvernement de Gênes – a constitué une nouvelle situation de droit, qui a transformé profondément la constitution matérielle de la république. Cette 60transformation est stigmatisée par Machiavel au moyen dune métaphore typique de son langage politique concernant la patrie, à savoir lidée de l« amour24 ». Lamour de la patrie à Gênes a été transféré par les citoyens de la Commune (considérée en tant que « cosa tiranneggiata ») à la banque de Saint-Georges. Le manque damour de la part du peuple est un symptôme évident de la crise politique, et même dune crise fatale (en fait, la transmission des territoires de la république à la banque pourra déterminer progressivement leffondrement de létat).

Dans cette conception virtuelle et politique de lespace, qui conditionne en premier lieu ladministration du territoire, une attention particulière doit être donnée à la projection du pouvoir central vers les périphéries : il ne sagit pas seulement danalyser les formes (et les magistratures) grâce auxquelles la Seigneurie de Florence exerçait son contrôle sur les villes, les villages, le contado ; mais aussi dévaluer si limage du pouvoir projeté par le centre (la ville de Florence et son élite dirigeante) avait été capable de construire une unité identitaire dans le dominio florentin. Les fonctions de gouvernement et dadministration publique dans les territoires contrôlés par Florence étaient habituellement exercées par des commissarii. La reconstruction classique de Otto Hintze (1910)25 fonde son analyse du statut juridique du commissarius sur les pages consacrées par Bodin à ce sujet, mais elle ressemble en fait à létude du développement dun phénomène historique en partant de sa conclusion, ou mieux – dans notre cas – de son institutionnalisation. En tant que sources pour la définition du rôle du commissaire, sur la base de Bodin (Les six livres de la République III ii), Hintze indiquait, parmi dautres, un texte de Celsus, de officio praesidis (D 1.18.17), et sa réception par les Décrétales grégoriennes, notamment en ce qui concerne la juridiction déléguée. En fait lattribution de pouvoirs aux commissaires se fonderait sur la figure du iudex delegatus, déjà connue en droit canonique.

61

Si les exemples illustrant cette généalogie institutionnelle semblent être tout à fait raisonnables, il ny a pas, en revanche, un seul document attestant que la construction juridique de la figure du commissaire ait évolué de cette façon et non autrement. Notamment il ny a pas dans ce parcours la moindre référence à des formes de commissio privée et personnelle qui devait être la règle en vigueur dans le régime féodal ni à une activité directement liée à un mandat précis reçu par le seigneur qui aurait lourdement influencé les premiers pas dans le développement du commissaire en tant que fonctionnaire. À mon avis, il sagit en fait de comprendre si lactivité du commissaire se présente comme une délégation extraordinaire des pouvoirs nécessaires à la maîtrise dune situation déterminée, ou bien si elle participe au processus de construction progressive dun véritable office public. Lhypothèse selon laquelle, dans la deuxième moitié du xive siècle, la Seigneurie florentine se mettrait à utiliser les commissarii lorsquelle commencerait à se considérer comme titulaire dune souveraineté, est très suggestive, mais non entièrement démontrée26.

Il est intéressant en revanche de souligner ici un aspect typique de la société dancien régime, dans laquelle parfois les contours juridiques des différentes figures sont vagues et non rigidement déterminés. En 1489, après lassassinat de Mariano Panichi, un influent notaire de Pistoia lié à Laurent de Médicis27, la ville tombe dans les désordres et dans les affrontements entre factions : Florence envoie deux commissaires (Piero Vettori et Giovanni Battista Ridolfi) pour rétablir lordre. Ils arrivent à Pistoia en avril 1490 et y restent pendant vingt mois. Sagit-t-il de fonctionnaires détat, ou bien dhommes de confiance de Laurent ? Est-il vraiment possible, en la circonstance, de marquer une différence ? Il faut encore souligner que dans des conditions normales, les administrateurs (rettori) des différentes parties du dominio sont les capitani, ou les podestà, ou encore les vicari : lorsque en revanche la guerre menace le dominio, dabord une commission extraordinaire pouvait être donnée aux administrateurs déjà en fonction ; un commissaire – ayant dordinaire une compétence militaire particulière – pouvait être envoyé à lappui de 62ladministrateur, pour organiser la défense du territoire ; enfin lentière juridiction territoriale pouvait être enlevée à ladministrateur habituel et confiée ad hoc à un commissaire avec des pouvoirs et des tâches supplémentaires28. Dans son esquisse concernant le rôle des commissaires dans ladministration du territoire florentin, Connell remarque justement deux aspects très importants : en premier lieu, bien que les pouvoirs du commissaire soient dhabitude plus étendus que les pouvoirs ordinaires des administrateurs, les commissaires sont davantage liés au pouvoir central et notamment à la magistrature florentine qui les a envoyés ; de plus, il y a parfois des liens personnels entre le commissaire (ou sa famille) et le territoire qui lui est assigné (par exemple il a déjà servi en tant quadministrateur dans la même zone, ou sa famille a des intérêts économiques dans le territoire). Il sagit daspects qui renforcent la thèse dune association entre tâches publiques et statut privé dans la figure et lactivité du commissaire.

Les éléments qui érigent la cartographie en modèle de sa pensée politique font de Machiavel une source précieuse pour les esquisses géographiques nécessaires à Guichardin dans son Histoire dItalie29. La description que Machiavel propose de la ville de Vérone dans sa lettre du 12 décembre 1509, à loccasion dune mission diplomatique auprès de lempereur Maximilien, constitue la base, comme il a été efficacement démontré, pour la description de Vérone dans le livre VIII de lHistoire dItalie de Guichardin30. Mais cest justement le parallèle entre ces deux descriptions qui permet de mettre en perspective les intérêts géographiques 63de Guichardin. LHistoire dItalie manifeste une attention à la précision géographique, un souci dexactitude, y compris dans la topographie et dans lonomastique des villes et des territoires, qui manquaient aux Histoires florentines de Machiavel31. Notamment lorsquil sagit des mouvements des armées ou des éléments cartographiques nécessaires à la compréhension de la politique, Guichardin sest doté aussi bien de récits documentaires que de cartes (par exemple la carte de Parme commanditée par Guichardin à lépoque du siège de la ville en 1521, pour lenvoyer au cardinal Jules de Médicis, ou encore lesquisse à la plume des fortifications de Milan en 1526)32. Mais dans le cas de Guichardin, même avec cette attention persistante à la dimension cartographique, nous narrivons jamais à voir les lieux : nous connaissons leurs noms (parfois les noms anciens, comme il convient à une œuvre conçue selon les exigences des lettrés), nous arrivons à les situer par rapport à dautres lieux importants dun point de vue stratégique, mais en fait nous ne les voyons pas. Cest dire que, dans lœuvre de Guichardin, la géographie ne joue pas le rôle constitutif quelle a dans lœuvre de Flavio Biondo, où elle va jusquà produire une conception de lItalie33 ; elle constitue plutôt une fonction nécessaire pour atteindre le but politique et idéologique de lœuvre, mais elle reste marginale dans lunité de conception et de rédaction de lHistoire34.

« Ceux qui dessinent les pays » : cest justement à ces cartographes que Machiavel, dans la dédicace du Prince, se compare, lorsquil essaye de définir sa propre activité déducateur et de conseiller du prince, et cette perspective, comme cela a été souligné, constitue un modèle épistémologique pour la compréhension politique35. Mais il ne se cache pas la difficulté de lentreprise, à savoir limpossibilité épistémique desquisser 64une carte qui offre une représentation intégralement fidèle du territoire : il sait bien qu« une carte nest pas le territoire quelle représente36 », et cest justement en raison de cette différence quil y a éventuellement une place pour la vertu, qui sefforcera de maîtriser les espaces inconnus et les orages furieux, « hors de toute humaine conjecture », qui caractérisent lhistoire difficile et complexe des hommes à laube de la modernité.

Raffaele Ruggiero

Centre Aixois dÉtudes Romanes

Aix-Marseille Université

1 Le mot italien terra signifie chez Machiavel premièrement « territoire », et seulement dans des cas spécifiques (il est alors parfois accompagné par les adjectifs propria, sua) il indique la ville et ses alentours, voire un territoire fortifié.

2 Pour le texte italien : N. Machiavelli, Scritti in poesia e in prosa, sous la direction de F. Bausi, Rome, Salerno, 2012 ; pour la traduction française N. Machiavel, Œuvres, traduction de litalien par C. Bec, Paris, Laffont, 1996, p. 1014-1015 et 1021 (nous modifions la traduction).

3 Pour le texte italien : N. Machiavelli, Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, édition critique par F. Bausi, Rome, Salerno, 2001 ; pour la traduction française : N. Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, édition par A. Fontana et X. Tabet, Paris, Gallimard, 2004, p. 109-110 (nous modifions la traduction).

4 N. Machiavel, De principatibus / Le prince, texte italien établi par G. Inglese, traduction et commentaire de J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, PUF, 2014. En suivant lusage de cette édition, nous avons choisi de laisser le mot français « état » en minuscules pour traduire litalien stato : à lépoque de Machiavel, la notion moderne dÉtat nexistait pas encore ; par la suite, elle sest formée dans la théorie politique des xvie et xviie siècles ; en revanche cest justement la réflexion théorique de Machiavel qui a déclenché le processus qui a mené à lélaboration dune telle notion. Cf. R. Descendre, « stato », Enciclopedia Machiavelliana, Rome, Istituto dellEnciclopedia italiana, 2014, vol. 2, p. 570-576.

5 Machiavel, Discours, p. 49.

6 Sur ce sujet la bibliographie est désormais très étendue : cf. N. Broc, La géographie de la Renaissance (1420-1620), Paris, CTHS, 1986 ; J. Schulz, La cartografia tra scienza e arte. Carte e cartografi nel Rinascimento italiano (1990), Modena, Panini, 20062 ; S. Gentile, Lambiente umanistico fiorentino e lo studio della geografia nel secolo xv, dans La cartografia europea tra primo Rinascimento e fine dellIlluminismo, Actes du colloque de Florence, 13-15 décembre 2001, sous la direction de D. Ramada Curto, A. Cattaneo, A. Ferrand Almeida, Florence, Olschki, 2003, p. 9-63. Et du point de vue de lhistoire des idées : P. Camporesi, Le belle contrade. Nascita del paesaggio italiano (1992), nouvelle édition avec une préface de G. Boatti, Milan, Il saggiatiore, 2016 ; C. Jacob, Lempire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers lhistoire, Paris, Albin Michel, 1992 ; F. Lestringant, « Chorographie et paysage à la Renaissance », dans Écrire le monde à la Renaissance, Caen, Paradigme, 1993, p. 49-67 ; J.-M. Besse, Les grandeurs de la Terre. Aspects du savoir géographique à la Renaissance, Lyon, ENS Éditions, 2003 ; S. Landi, Lo sguardo di Machiavelli. Una nuova storia intellettuale, Bologne, Il Mulino, 2017, p. 113-125.

7 C. Varotti, « Disegnare il Principe : gli spazi della politica », dans Machiavelli cinquecento, sous la direction de G. M. Anselmi, R. Caporali, C. Galli, Milan, Mimesis, 2015, p. 245-259.

8 Cf. G. Jellineck, Allgemeine Staatslehre, Berlin Häring, 19143, Die rechtliche Stellung der Elemente des Staates. Das Staatsgebiet, p. 394-406, en particulier p. 401. La bibliographie sur ce débat est immense : sans aucune prétention dexhaustivité, jindique seulement J. Barberis, « Les liens juridiques entre lÉtat et son territoire : perspectives théoriques et évolution du droit international », Annuaire français de droit international, 45, 1999, p. 132-147 ; et E. Balibar, « Il diritto al territorio », préface dans E. Rigo, Europa di confine. Trasformazioni della cittadinanza nellUnione allargata, Rome, Meltemi, 2007, p. 7-24.

9 R. Ruggiero, « I soggetti politici in Machiavelli : il popolo, i grandi, il principe civile », La cultura, 2, 2018, p. 221-247, notamment p. 235.

10 Cf. G. Sasso, « Per alcuni versi del primo Decennale » (1970), dans G. Sasso, Machiavelli e gli antichi e altri saggi, t. II, Milano-Napoli, Ricciardi, 1988, p. 165-195.

11 Pour le texte français : Machiavel, Œuvres, p. 1021-1022 (nous modifions la traduction) ; pour le texte italien : N. Machiavelli, Scritti in poesia e in prosa, sous la direction de F. Bausi, Rome, Salerno ed., 2012 (pour les Décennales édition par A. Corsaro), p. 38-40.

12 Justement J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, dans leur édition du Prince déjà indiquée (2000, 20142), traduisent le « prevedendosi discosto » de Prince iii 26 avec deux expressions adverbiales françaises : « si on le voit à lavance et de loin… » (p. 91). Le double adverbe est nécessaire parce que dans le prevedere discosto de Machiavel, le sens physique de discosto (à savoir, lidée de distance) a une valeur exclusivement métaphorique (et il nimplique pas une véritable distance physique). Le prevedere discosto en effet traduit le grec εἰκζειν de Thucydide I cxxxviii 3 (Thémistocle εἰκαστς, à savoir il est capable de prévoir les événements futurs de façon exacte et sans des indices suffisants), probablement arrivé à Machiavel par le biais de la version latine de Valla (conicere) : cf. N. Machiavelli, Il principe, édition avec commentaire par R. Ruggiero, Milan, BUR, 2008, p. 63-64 et 111. Ici nous ne pouvons pas nous attarder sur un aspect ultérieur de la question, à savoir la possibilité – à mon avis plus quenvisageable – que Machiavel ait lu et profité des biographies de Cornélius Nepos (qui à son époque circulait sous le nom dÆmilius Probus, même si la culture humaniste commençait à soupçonner lattribution correcte) : cf. R. Ruggiero, Postilla machiavelliana, dans La Roma di Cornelio Nepote, sous la direction de G. Solaro, Rome, Aracne, 2013, p. 167-172.

13 R. Descendre, « Larpenteur et le peintre. Métaphore, géographie et invention chez Machiavel », Laboratoire italien, 8, 2008, p. 63-98, en part. p. 70-74.

14 J.-L. Fournel, « Temps de lhistoire et temps de lécriture dans les Scritti di governo de Machiavel », dans Machiavelli senza i Medici (1498-1512), Actes du colloque de Lausanne novembre 2004, sous la direction de J.-J. Marchand, Rome, Salerno, 2006, p. 75-95, notamment p. 81.

15 Fournel, « Temps de lhistoire », p. 84 et 87.

16 J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Sur la langue du Prince : des mots pour comprendre et agir, dans Machiavel, De Principatibus – Le Prince, Paris, PUF, 2000, p. 545-610, en particulier p. 589.

17 Descendre, « Larpenteur », p. 66-68, 78, 81 et n. 43.

18 Cf. J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, « Machiavelli e la questione della guerra », dans Machiavelli, sous la direction de E. Cutinelli-Rendina et R. Ruggiero, Rome, Carocci, 2018, p. 245-264.

19 Une anaphore très significative du verbe « voir », et en général de la sphère sémantique concernant le regard, a été justement souligné dans lArt de la guerre : cf. N. Machiavelli, Arte della guerra e Scritti politici minori, édition critique et commentaire par D. Fachard et G. Masi (pour lArt de la guerre) et par J.-J. Marchand (pour les Scritti politici minori), Rome, Salerno, 2001. Cf. encore G. Masi, LArte della guerra, dans Machiavelli, p. 119-136, notamment p. 130-131.

20 Machiavel, Œuvres, p. 567 ; pour le texte originel cf. Machiavelli, Arte della guerra, p. 638.

21 Descendre, « Larpenteur », p. 68-70.

22 C. Taviani, « Hanno levato lamore dal comune e postolo a San Giorgio. Limmagine del comune e della Casa di San Giorgio di Genova (xv-xvi sec.) », dans Libertà e dominio. Il sistema politico genovese : le relazioni esterne e il controllo del territorio, sous la direction de M. Schnettger et C. Taviani, Rome, Viella (pour lIstituto Storico Germanico à Rome), 2011, p. 282-304 ; et C. Taviani, « An Ancient Scheme : The Mississippi Company, Machiavelli and the Casa di San Giorgio (1407-1720) », dans Chartering Capitalism : Organizing Markets, States, and Publics (Political Power and Social Theory), éd. E. Erikson, Bingley, Emerald, 2015, p. 239-256.

23 Pour le texte italien : N. Machiavelli, Istorie fiorentine, dans N. Machiavelli, Opere storiche, éditées par A. Montevecchi et C. Varotti, sous la direction de G. M. Anselmi, Rome, Salerno, 2010, t. II, p. 764. Pour la traduction française : Machiavel, Œuvres, p. 989-990 (avec nos modifications).

24 J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, patria, dans lEnciclopedia Machiavelliana, dirigée par G. Sasso et G. Inglese, Rome, Institut de lEnciclopedia italiana, 2014, vol. II, ad vocem, où les auteurs démontrent que, si dans la pensée de Machiavel la patrie est lespace de laction politique, alors lamour de la patrie est au même temps le mobile de cette action et loutil de lanalyse historique ainsi que de lévaluation politique.

25 O. Hintze, « Der Commissarius und seine Bedeutung in der allgemeinen Verwaltungsgeschichte. Eine vergleichende Studien » (1910), dans O. Hintze, Staat und Verfassung. Gesammelte Abhandlungen zur allgemeinen Verfassungsgeschichte, hrsg. von G. Oestreich, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1962, p. 242-274.

26 Cette hypothèse est formulée par W. J. Connell, Machiavelli nel Rinascimento italiano, Milano, Angeli, 2015, p. 118-128, notamment p. 125 (le chapitre apparut initialement dans Ricerche storiche, 1988).

27 P. Salvadori, Dominio e patronato. Lorenzo dei Medici e la Toscana nel Quattrocento, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2000, p. 38-39 et passim.

28 Des informations concernant les conditions requises pour lélection des commissari sont contenues dans la Costituzione per gli ambasciatori 1421-1529 [ASF – Carte di Corredo della Signora, n. 13], publiée sous le nom de Codicetto par G. Vedovato dans Note sul diritto diplomatico della Repubblica fiorentina, Florence, Sansoni, 1946, p. 47-sqq., notamment les provvisioni du 2 décembre 1494 et du 25 janvier 1496. Mais il ny a dans ces documents aucune référence à lextension des pouvoirs des commissaires.

29 Cf. E. Cutinelli-Rendina, « La geografia nella Storia dItalia », dans La Storia dItalia di Guicciardini e la sua fortuna, sous la direction de C. Berra et A. M. Cabrini, Milan, Cisalpino, 2012, p. 305-327, dont découlent les observations suivantes.

30 Cf. N. Machiavelli, Legazioni. Commissarie. Scritti di governo, vol. 6, édition avec commentaire par E. Cutinelli-Rendina et D. Fachard, Rome, Salerno, 2011, p. 399-400, et F. Guicciardini, Storia dItalia, dans F. Guicciardini, Opere, édition par E. Scarano, Turin, Utet, 1981, p. 817 (pour le texte français cf. F. Guichardin, Histoire dItalie, sous la direction de J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, Laffont, 1996). Cf. E. Cutinelli-Rendina, « La geografia », p. 324-326.

31 Une attention particulière à la dimension géographique de lHistoire dItalie, avec lidentification presque intégrale des sources, caractérise lédition avec commentaire F. Guicciardini, Storia dItalia, par S. Seidel Menchi, Turin, Einaudi, 1971, p. cxxxiii-cxxxiv et passim.

32 La carte de Parme fut vue par A. Otetea, François Guichardin. Sa vie publique et sa pensée politique, Paris, Picart, 1926, p. 99, mais elle est aujourdhui perdue ; lesquisse des fortifications de Milan est reproduite dans lédition de S. Seidel Menchi, et cf. P. G. Ricci, « Nota guicciardiniana », Rinascimento, 7, 1956, p. 169-171.

33 F. Bruni, Italia. Vite e avventure di unidea, Bologna, Il Mulino, 2010, p. 147-164.

34 Cutinelli-Rendina, « La geografia », p. 307 et 326.

35 Descendre, « Larpenteur », p. 79-80.

36 A. Korzybski, Une carte nest pas le territoire. Prolégomènes aux systèmes non-aristotéliciens et à la sémantique générale (1933, 19584), nouvelle édition française, Paris, LEclat, 2015.