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Classiques Garnier

Lettres privées et politique internationale à la veille du Prince

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2019 – 2, n° 38
    . varia
  • Auteur : Loiacono (Alessia)
  • Résumé : Avec le conclave de 1513 Florence salue une conjoncture politique favorable. Elle constitue, avec Rome, le centre du pouvoir ascendant des Médicis. Les espoirs se mêlent, néanmoins, au scepticisme, et se fait jour la crainte que l’élection de Léon X ne suffise pas à apaiser le sort de l’Italie, après 1494. Dans la correspondance entre Machiavel et Vettori, cette inquiétude ouvre la voie à un retour vers le passé et à une pratique de la conversation qui s’imposent toujours à notre attention.
  • Pages : 65 à 86
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406104544
  • ISBN : 978-2-406-10454-4
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10454-4.p.0065
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/04/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Machiavel, Cicéron, correspondance, diplomatie, Florence
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LETTRES PRIVÉES
ET POLITIQUE INTERNATIONALE
À LA VEILLE DU Prince

Le 11 mars 1513, quand lastre de Jules II, « papa rotto et indiavolato1 », abandonne lhorizon de la politique italienne, le cardinal Jean de Médicis occupe la chaire de Saint-Pierre. Il se fait appeler Léon X, en hommage à saint Léon, dit le Grand. Ce dernier – né, lui aussi, en Toscane –, avait hérité la tiare de Pierre en 440, sous le nom de Léon I. Autour de lan 452, saint Léon avait fait un geste diplomatique mémorable : au confluent du fleuve Pô et du Mincio, il avait dirigé une négociation décisive avec Attila, le roi des Huns, et libéré lItalie de la menace étrangère2. Leffigie de cette rencontre légendaire complète un ensemble de quatre fresques qui se trouvent aux musées du Vatican, Raphaël en est lauteur. Dans sa Rencontre entre Léon Ier le Grand et Attila, le peintre florentin célèbre la victoire de lÉglise temporelle contre ses adversaires. Son œuvre a pour mécène Jules II, mais date de 1513. Elle inaugure, par une fatalité, le pontificat de Léon X.

Au début de son pontificat, Jean de Médicis se présente au regard dune Italie et dune Europe politiquement bouleversées comme un personnage au caractère doux, destiné à de grandes entreprises. On le considère comme le candidat le plus susceptible de patronner la renaissance politique qui paraît indispensable à laube du xvie siècle, et à libérer lItalie de lemprise étrangère par la diplomatie. De Léon X, fils cadet de Laurent le Magnifique, on attend notamment la restauration de léquilibre des puissances, qui confine au mythe de lEurope du xve siècle. La satisfaction générale qui accompagne lélection du nouveau pape émerge nettement dans lHistoire dItalie de Guichardin :

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Presque toute la chrétienté se réjouit fort de cette élection : on était universellement convaincu que ce serait un très excellent pape, car le souvenir de la valeur de son père était dans toutes les mémoires et partout on vantait sa renommée de libéralité et de bénignité []3.

Âgé de 37 ans à peine, Léon X conquiert le principat ecclésiastique et sinstalle à Rome, au carrefour de la diplomatie européenne du xvie siècle. Il est aussitôt rejoint par les messagers des principales autorités étrangères. Roberto Acciaiuoli, ambassadeur florentin en France4, se rend auprès de lui portant la lettre de vœux de Louis XII. Ainsi, dès le début de son pontificat, pour Léon X – successeur de ce célèbre adversaire de la monarchie française que fut Jules II –, se pose le problème de construire une relation équilibrée avec la France, relation qui a des prémisses importantes dans lhistoire récente de la famille Médicis5. En 1494, quand les Français débutent leurs campagnes italiennes, Léon X – alors Jean de Médicis – avait dû abandonner Florence déguisé en frère franciscain, fuyant les émeutes locales lors de la destitution de son frère Pierre. Au passage de Charles VIII – qui se dirige vers le royaume de Naples – les Médicis perdent le contrôle de Florence en faveur dun gouvernement populaire, et Jean commence son périple vers Città di Castello et Urbino. Ensuite, entre 1499 et 1500, le jeune Médicis entreprend, avec son cousin Jules, une tournée de formation à travers lAllemagne, les Pays-Bas et la France. Arrivé à Rouen, il tombe aux mains des Français, et sa libération est négociée entre le roi Louis XII et Pierre de Médicis, refugié entretemps à Venise.

À part ces expériences personnelles, en 1513 les relations de Léon X avec la France sont minées par des facteurs politiques de plus grande envergure : les amitiés nouées par le Médicis à Rome regardent notamment la monarchie avec suspicion. Lentourage du pape se compose de riches marchands et de banquiers dorigine toscane hostiles à la République née à Florence en 1494, soutenue par le peuple et protégée par lalliance avec le roi français : Louis XII représente en effet, pour la République florentine, un bouclier contre lépouvantail des Médicis.

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Suivant les mutations institutionnelles florentines de 1494, le cardinal Jean de Médicis travaille à Rome avec ses fidèles, en briguant la réintégration florentine de sa lignée. Durant le pontificat dAlexandre VI et les premières années de Jules II, il se maintient essentiellement aux marges de la politique romaine, à lépoque favorable à la France. En 1510, en revanche, quand Jules II opte pour un revirement net contre Louis XII, le Médicis sinvestit totalement dans le conflit entre lÉglise et le roi de France. Il est nommé légat du pape à Bologne, et il marche à la tête des mercenaires suisses vers Ravenne. Là, le 11 avril 1512, les Français lemportent sur les troupes de Jules II, et Jean de Médicis est à nouveau fait prisonnier. Il est conduit à Milan, puis vers Lyon. Sur la route, une poignée de paysans hostiles aux Français secourent le cardinal, qui, une fois libéré, se met à scruter lhorizon de la politique internationale, toujours à la recherche dune occasion favorable à la prospérité de sa lignée. Une telle occasion se présente en août 1512 à Mantoue, quand la Sainte Ligue fédérée contre la France – et qui réunit Jules II, Venise, Maximilien I, Ferdinand le Catholique, et Henri VIII – décide de battre en brèche son adversaire commun, Louis XII. Pour ce faire, les alliés auraient tout dabord ciblé Florence et le gouvernement de Pierre Soderini, qui représente un des derniers bastions italiens fidèles à la France. À Mantoue, le cardinal Jean de Médicis fait preuve dune grande maîtrise du jeu diplomatique, et il montre un premier indice de son profond attachement aux intérêts familiaux. Il négocie la réintégration florentine des Médicis, marchant séance tenante vers Prato pour abattre la république de Soderini6.

Au mois de septembre 1512, Jean restaure le pouvoir des Médicis à Florence, avec son frère Julien à la tête du gouvernement. Une fois sa patrie reconquise, il tâche de poursuivre les projets de son père Laurent, visant à restaurer un lien politique solide entre Florence et lÉglise. Avec 68la mort de Jules II, survenue entretemps à la veille du 13 février 1513, la fortune se montre enfin favorable au cardinal, qui devient pape – on la dit – le 11 mars 1513.

Lors de cet événement, François Vettori, jeune rejeton de loligarchie florentine, réside à Rome en tant quambassadeur de Florence. Lélection de Léon X fait lobjet dune de ses lettres adressées à son ami Nicolas Machiavel, qui est, lui, confiné dans la campagne toscane, soupçonné davoir participé à la conjuration Boscoli-Capponi de 1512 :

È creato papa col consenso di tutti e cardinali, con approvazione delloratore cesareo, spagnuolo e veneto, e quali si vedevano rallegrarsi da cuore ; [] e oltre a questo sintende, per lettera di Ruberto, il Cristianissimo essersene rallegrato grandemente, et aver detto che, sendo eletto questo papa buono, darebbe opera che le cose si quietassino, e lui non mancherebbe in cosa alcuna dalla parte sua7.

Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 30 marzo 1513

Peu après, le 11 avril 1513, Léon X défile en cortège vers la basilique de Saint-Jean de Latran. Il fait lobjet de cérémonies « più suntuose che li altri pontefici », première manifestation dun apparat de propagande pour lequel ce pape « spese grossa somma di danari8 ». Loligarchie fidèle aux Médicis excite dans lopinion publique le mythe dun âge dor épigone de celui de Laurent le Magnifique9. Un espoir de revanche, après des décennies de guerres, de ravages, et de tumultes catalysés10 par linvasion étrangère, se propage à partir de Rome. À Florence cette attente se manifeste de manière emblématique ; Giovan Giacomo Penni, médecin florentin, sexprime en ces termes dans sa Chronicha :

Et si vegia che l Summo Fattore, miserato a questa nostra Europa over christianità, habi voluto el Laureo tempo, o vogliamo dire aureo, per Sua clementia ritorni ; che possiamo dire che da che successe la condolenda morte della Laurea Magnificentia, [] della pontificia prole degno genitore, possemo dire da indi in qua la età aurea [] insieme con Laureato corpo fossin sepulte ; donde seguì che li italici potentati, [] chi in vendicarsi con el inimico, che per cupidità di thesoro o regno, pigliate le arme in mano, detteno causa che la aurea età in ferrea se convertisse ; [] insino 69a tanto che l Summo Rectore [] per vero pastore delle anime dare a noi uno Leone, assai più humile et immaculato che puro agnello11.

La papauté de Léon X semble inaugurer le début dune époque faste pour le sort de la Péninsule italienne, et spécialement pour léconomie et pour la politique de Florence. La bourgeoisie locale du commerce et des banquiers nocculte point les raisons plus authentiques de sa satisfaction devant le triomphe du pape Médicis. Dans son Sommario della Istoria dItalia, Vettori parcourt à rebours lhistoire de son époque, et observe quà Florence « della creazione del Papa si fece quella festa che si può stimare. E perché li Fiorentini sono dediti alla mercatura et al guadagno, tutti pensavano dovere trarre profitto assai di questo pontificato12 ».

Au lendemain du conclave de mars 1513, Florence salue une conjoncture politique très féconde. Elle constitue, avec Rome, le centre du pouvoir des Médicis, en phase ascendante. Après léquilibre précaire entre le régime de Savonarole et lÉglise, le dialogue épineux de la République des Dix avec le fils du pape Borgia, et enfin la question du concile de Pise – qui avait attiré sur les Florentins linterdit de Jules II –, Florence et Rome se rapprochent politiquement, tandis que le pape Médicis se projette sur lespace italien comme le guide dun principat qui se promet « très grand et vénérable13 ». Vettori observe notamment que :

[] sendo in Italia potente il re Ferrando e disegnando il re di Francia di nuovo tornarci, pareva necessario, a volere mantenere la grandezza della Chiesa, che fussi creato pontefice di autorità : et avendo il cardinale de Medici il governo di Firenze, si poteva iudicare che, essendo eletto pontefice e coniungendo la potenzia de Fiorentini con quella della Chiesa, avesse più presto a mettere timore ad altri, che a temere dalcuno14.

David Lomellini, notable génois de passage en Toscane, adresse aux Florentins un augure exemplaire, évoqué dans les Istorie di Firenze de Iacopo Nardi : « Voi Fiorentini bene avete ragione a far festa di questa 70nuova dignità del papato, [] potrete conoscere che effetto abbia fatto, o possan fare le grandezze de pontefici nelle città libere15 ». Avec Léon X comme guide de la diplomatie internationale, à Rome, et Julien à la tête de la République, à Florence16, les Médicis cultivent des projets politiques ambitieux ; le consensus populaire est indispensable à leur réputation. Une propagande efficace se fait urgente : il faut persuader les Florentins que grâce aux Médicis la tragédie italienne débutée en 1494 touchera à sa fin. Le 5 novembre 1513 Laurent le jeune sadresse ainsi à Gregorio Gheri17, homme des Médicis et nonce du pape Léon X, alors quil parle des citoyens florentins : « io li ho inanimati et confortati per vedere se fosse possibile che questa povera Italia tanti anni affaticata e depredata da barbari potesse ritornare allantica e pristina libertà18 ».

Or, malgré les attentes initiales, des voix sceptiques se lèvent aussitôt craignant que lélection de Léon X ne suffise pas à « asseoir le repos de lItalie19 ». Vettori insiste par exemple sur la nature dissimulatrice du pape, qui « avea sempre mostro di essere uomo rimesso e liberale [] et avea saputo in modo simulare, che era tenuto di ottimi costumi20 », et il semble dissiper, avec le désabusement qui lui est propre, toutes promesses iréniques. Bien avant la rédaction de son Sommario, dans sa lettre à Machiavel qui porte la date du 30 mars 1513, Vettori insuffle déjà des tons graves dans ses discours optimistes21. Une inquiétude sous-tend le discours de lambassadeur. Il se montre désorienté devant les caprices du sort, qui a porté Léon X sur le siège de Saint Pierre malgré le nombre restreint de cardinaux censés appuyer sa candidature, et malgré les conséquences de cette élection sur léquilibre complexe de la géopolitique22 de lEurope du xvie siècle23. Circonspect devant ce retournement du sort, Vettori 71perd au fur et à mesure confiance dans la rationalité du présent, et confesse à son ami :

E così mho acconcio questo guasto nel cervello ; e, come vi ho detto qualche altra volta, io non voglio andare più discorrendo con ragione, perché spesso mi son trovato ingannato, e ora più che mai nella elezione di questo nostro papa [] tutti questi mia discorsi e ragione mi sono fallite []. Sì che, Nicolò mio, vedete quello fa la buona sorte, della quale chi manca, come fo io, bisogna facci poche imprese, o per meglio dire nessuna []24.

Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 30 marzo, 1513

Dans la correspondance entre Nicolas Machiavel et François Vettori, sinstalle – à partir de la lettre du 30 mars 1513 – une appréhension partagée concernant un scénario politique de plus en plus difficile et incertain25. Unis dans un même désir de signifier leur présent – soit de le comprendre et de le représenter efficacement en visant laction future –, les deux Florentins se rencontrent dans leurs échanges épistolaires, entre Rome et San Casciano. Or, ce rendez-vous se situe à la croisée de deux trajectoires opposées. Si Vettori cherche, dans la correspondance avec son ami, à fuir une cour pour lui ennuyeuse26, Machiavel entrevoit dans ces messages loccasion de réduire la distance qui sépare son Albergaccio de lépicentre de la politique internationale. Voilà donc dune part Vettori, qui confesse :

Spero non star molto a rivedervi, e fo pensiero consumare questo resto del tempo mi avanza in villa, dalla quale confesso essere stato pel passato alieno ; ma ora ho 72disposto fare il contrario. E dove sarò, o in villa, o in Firenze, o qui, sarò, come sono stato, sempre vostro27.

Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 30 marzo, 1513

Et, de lautre, les sentiments de Machiavel :

[] pensate adunque, torvandomi ora discosto da ognaltro bene, quanto mi sia suta grata la lettera vostra, alla quale non manca altro che la vostra presenzia et il suono della viva voce ; e mentre la ho letta, che la ho letta più volte, ho sempre sdimenticato le infelici condizioni mia, e parmi essere ritornato in quelli maneggi, dove io ho invano tante fatiche durate e speso tanto tempo28.

Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 29 aprile 1513 (minuta)

Les deux amis florentins semploient à donner du sens aux questions politiques qui se posent à Léon X, et, pendant ces discours, ils confessent lun et lautre leurs états dâme respectifs. Vettori évoque notamment ses préoccupations – dues, entre autres, aux mutations plus récentes de la vie politique florentine, et plus précisément au sort de son frère Paolo29 –, tandis que Machiavel salue, grâce à son ami, loccasion de revenir sur les réflexions touchant lart de létat, quil regrette depuis son confinement à San Casciano. La correspondance entre Machiavel et Vettori renforce davantage les bases dun lien solide entre la politique et la parole. Cette situation nest, certes, pas sans exemple dans lhistoire. Autour de 46 avant J.-C. Marcus Tullius Cicero traverse la catastrophe de la guerre civile romaine. Le consul se tourne vers son ami Brutus, et écrit dans lincipit de son Orator30 :

Était-il plus difficile ou plus important pour moi de me dérober à ton insistance que de faire ce que tu me demandais, voilà qui ma, Brutus, longtemps laissé perplexe. Dire non à quelquun pour qui javais une particulière affection et auquel je me sentais moi-même très cher, surtout quand sa demande était légitime et ce quil désirait excellent, me semblait peu aimable ; quant à me charger dune entreprise telle que la difficulté nétait pas seulement den venir à bout, mais même de la saisir par la pensée, je ne trouvais guère que ce fût dun homme qui redoute se voir repris par les personnes instruites et 73compétentes. [] Mais puisque cest la question que tu me poses tout le temps, je vais my attaquer, non pas tant dans lespoir dy réussir quavec la bonne volonté de my essayer []31.

Au mois davril 1513, Machiavel, « oisif mais soucieux de continuer à penser la politique32 », occupe son temps avec la lecture, entre autres, de Cicéron lui-même. Le Florentin cite les Tusculanae disputationes dans sa lettre du 29 avril, et semble réagir aux instances de son ami Vettori avec le même élan que le consul romain dans le passage de lOrator ci-dessus :

E benché io sia botato non pensare più a cose di stato né ragionarne, come ne fa fede lessere io venuto in villa, et avere fuggito la conversazione, nondimanco, per rispondere alle domande vostre, io sono forzato rompere ogni boto, perché io credo essere più obligato alla antica amicizia tengo con voi, che ad alcuno altro obligo io avessi fatto ad alcuna persona []33.

La pensée et lœuvre de Machiavel, basées sur le lien très profond entre action et réflexion, entre expérience et leçon du passé, se clarifient et se façonnent ainsi davantage grâce au dialogue écrit avec son ami Vettori. Leurs échanges entre 1513 et 1515 trouvent dans lécriture un outil indispensable, car malgré le désir ardent et réciproque de se rencontrer, les deux renoncent systématiquement à loccasion de discuter oralement34. Lécriture répond ainsi à une urgence, comme Vettori le suggère : « io stetti piú che da due ore nel lecto oltre allusato per investigare quello potessi esser, e non mi risolvetti a nulla fermo. Levami e scrissi []35 ».

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Consacrer quelques réflexions ponctuelles au personnage de François Vettori et à son activité durant les années que nous sommes en train de considérer nest pas anodin. À Rome, Vettori est une présence discrète, mais nullement négligeable. En tant quambassadeur florentin, il se montre prodigue en conseils envers Léon X : sa lettre du 12 juillet nous le montre. Mais Vettori est, de plus, un médiateur indispensable entre le pape et Machiavel (que Léon X consulte par le biais des lettres privées de lambassadeur), et plus précisément – si nous pouvons hasarder cette métaphore – le légat de Machiavel. Vettori prête à son ami, désormais loin des palais, son égard et sa voix au sein de la cour de Léon X et de la diplomatie internationale. Loffice du légat est ainsi satisfait36. « Come verrò », lencourage le secrétaire par les vers de Dante, « se tu paventi, che suoli al moi dubbiare esser(e) conforto37 ». Les informations de Vettori permettent à Machiavel de percer à nouveau le vif de la politique, tandis que ses encouragements lobligent à réagir à la tragédie de son confinement38 : « per parere vivo e per ubbidirvi », déclare Machiavel, « dirò quello mi occorre39 ». À travers ses réflexions embrouillées, quil compare à « uno pesce pastinaca40 », Machiavel saventure dans un exercice de clarification fondé sur lécriture. La distance qui le sépare de 75Vettori est propitiatoire ; une circonstance aussi ennuyeuse pour les deux interlocuteurs que précieuse pour nous. Grâce à leurs lettres conservées, nous savourons aujourdhui latmosphère turbulente des guerres dItalie, et nous découvrons les traits les plus intimes du profil de Machiavel, qui à travers ce dialogue épistolaire semble trouver dans lécriture un instrument pour faire face à la qualité des temps41.

Non ho dipoi auto vostre lettere, né io ve ne ho scritte, perché intendendo come voi eri per tornare, aspettavo di parlarvi a bocca. Ma intendendo ora come il ritornar vostro è raffreddo [], mi è parso da rivicitarvi con questa lettera, e ragionarvi con quella tutte quelle cose che io vi ragionerei se voi foste qua42.

Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 20 giugno 1513

Leffort de dépasser le moment machiavélien, cest-à-dire de donner du sens à un présent problématique – et souvent secret –, se réalise pour le quondam secrétaire dans un premier temps à travers sa correspondance privée, et débouche progressivement vers son œuvre systématique. Lécriture se révèle ainsi comme une arme face à la tragédie personnelle et à la catastrophe politique et militaire de lespace italien. Elle permet, en outre, de braver le secret à peine évoqué, qui pèse sur Machiavel, loin des discussions du palais, comme il pèse sur Vettori, qui habite certes un foyer crucial de la vie politique du xvie siècle, mais qui ne reçoit, en effet, que des « lettere rare e avvisi incerti43 » autour de lHistoire en train de se faire. Les deux amis affrontent, en dautres termes, les mêmes difficultés évoquées par leur concitoyen François Guichardin, qui en 1513 représente Florence à la cour dEspagne. Alors quil est auprès de Ferdinand II, Guichardin ne reçoit, lui aussi, que de très rares nouvelles à la fois de la part du gouvernement florentin et de son entourage familial. Ce mystère alimente son isolement dans lécriture, et un soliloque qui aboutit à la rédaction des Ricordi44. François Vettori et Nicolas Machiavel réagissent – on la vu – de manière opposée. En dépit de lobscurité45 qui les entoure, ils sinterpellent lun lautre : « E benché a me convenga scagliare, per essere discosto da segreti e dalle faccende, tamen non credo possa nuocere alcuna oppenione che io abbi delle cose, 76né a me, dicendola a voi, né avoi, udendola da me46 ». Grâce à son dialogue épistolaire avec Vettori, Machiavel comble une oisiveté seulement apparente47. Il aménage en effet, son propre laboratoire, pour emprunter la définition de Fournel et Zancarini48. Si lexpérience politique dans la Chancellerie florentine et la leçon de lhistoire moderne et classique représentent les outils fondamentaux de lart de létat, la correspondance avec Vettori semble offrir à Machiavel le rempart idéal pour les polir, permettant lélaboration de son œuvre littéraire. La qualité des temps saffronte ainsi dans un premier temps sur la voie entre Rome et la Toscane, à travers une correspondance qui cherche constamment à débrouiller et à ré-signifier le réel :

Sarà egli però, doppo mille anni, cosa reprensibile che io vi scriva altro che favole ? Credo di no ; e però a me pare, posto ogni rispetto irragionevole, da pregarvi che voi mi sviluppiate una matassa che io ho nella testa49.

Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 16 aprile 1514

Les scénarios complexes de la vie politique et militaire italienne imposent la nécessité dune nouvelle forme daction, et Machiavel la réalise à partir de lécritoire de son Albergaccio ; lui qui avait subi directement léchec militaire italien, observant son escadron se désagréger à lavancée des troupes de la Sainte Ligue en 1512. La voie poursuivie à partir de ses lettres à Vettori est une voie qui cherche à « assettare » le présent à travers lécriture (une écriture qui vise toujours laction, mais qui est aussi souvent confrontée au désespoir), et cherche à décortiquer la matière complexe de létat au sein du laboratoire épistolaire qui sert dantichambre aux écrits post res perditas :

Compare mio caro. Ancora che, come vi ho scritto, mi paia spesso che le cose non procedino con ragione, e per questo giudichi superfluo il parlarne, discorrerne e disputarne, nondimeno [] desiderrei essere con voi, e vedere se noi potessimo rasettare questo mondo, e, se non il mondo, almeno questa nostra parte qua, il che mi pare molto difficile assettare nella fantasia, sí che, quando savessi a venire al fatto, crederrei fussi impossibile50.

Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 12 luglio 1513

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Vettori joue un rôle fondamental dans le cheminement qui, à travers la parole écrite, conduit Machiavel de la boutique « que fut pour lui la chancellerie51 » vers sa boutique décrivain. On dirait même que lambassadeur encourage à son insu cette transition :

Ora, compar mio, io vorrei che, stante tutte queste cose, voi massettassi colla penna una pace [] e se vi paressi fatica rispondere in una volta, rispondete in dua o tre, ché sempre vedrò volentieri vostre lettere e con esse passerò tempo []52.

Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 12 luglio 1513

Grâce à ses lettres privées, Machiavel redécouvre le goût de ses anciennes occupations, et il persévère dans un genre de discours qui invite à laction : la réaction de Vettori à ses lettres apparaît comme une preuve de cette lecture. Incité par les événements, ainsi que par linsistance de son ami, lambassadeur se résout enfin à ré-agir aux défis du présent :

Nicolò, compare caro. In otto giorni ho avuto dua vostre, e ancora che io vi avessi detto non volere piú ghiribizare, né discorrere con ragione, nondimeno questi nuovi accidenti mi avevono fatto mutare di proposito []53.

Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 19 aprile 1513

À partir du 19 avril 1513 les messages entre Machiavel et Vettori senchaînent à un rythme accéléré54. Vettori répond à cette date, à « dua vostre55 » de Machiavel, qui le 9 et le 16 avril se montre soucieux de mettre fin à son confinement. Le secrétaire songe à interpeller le Pape par le biais de Julien de Médicis ou de François Soderini, et à se rendre personnellement à Rome en quête, semble-t-il, dun mécène56. La lettre 78du 16 avril montre, par ailleurs, les solutions et lesprit dans lesquels Machiavel affronte sa tragédie personnelle : dune part le sourire sournois que François Guichardin observe encore des années plus tard, dans sa célèbre lettre à Roberto Acciauioli du 18 juillet 152657, et, de lautre, lotium littéraire. Machiavel se tourne vers les rimes de Pétrarque, et il dit : « Però se alcuna volta io rido o canto/ Follo perché io non ho se non questa una / Via da sfogare il mio acerbo pianto58 ».

François Vettori fait écho à ce chagrin avec une inquiétude comparable, et il soumet à son ami les matières dramatiques de la politique internationale. Lurgence dy voir clair dans les mouvements plus récents de la diplomatie en Europe force lambassadeur à rompre le silence auquel il sétait auparavant astreint59, et à reprendre son discours pour interroger la complexité du présent. À la cour de Léon X, Vettori observe, préoccupé, les revirements soudains des princes occidentaux. Le rythme accéléré de la politique se reflète dans lempressement de ses messages, et tandis que lambassadeur tâche de prendre du temps pour écrire à son ami Machiavel, un courrier précipité le talonne. Néanmoins, Vettori insiste dans son propos, et dans un paragraphe succinct il esquisse un tableau rapide des questions qui agitent la cour de Léon X :

Solo vi dirò questo : che se è vera la triegua tra Francia e Ispagna, bisogna di necessità fare conclusione che il re Cattolico non sia quello uomo che è predicato in astuzia et in prudenzia, overo che gatta ci covi, e che quello che sè decto più volte sia entrato a questi principi nel cervello, e che Ispagna, Francia e lo imperatore disegnino dividersi 79questa misera Italia. E se qualcuno che trita le cose dicessi non potessi essere, non gli crederrei, e più presto macosterei con chi ha la misura più alla grossa, la qual misura sè veduta più volte a nostri dí riuscire60.

Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 19 aprile 1513

Le 19 avril, Machiavel et Vettori entament une discussion approfondie sur le sort politique de la Péninsule italienne, à partir de la trêve signée le 1er avril 1513 entre Ferdinand II et Louis XII. Laccord, secret jusquà lélection de Léon X, remet en question léquilibre de lEurope61, et met à nu sa précarité. Lespace italien se retrouve en particulier écrasé entre les appétits des princes étrangers, et notamment de Ferdinand II et de Louis. Le premier est un diplomate désinvolte et hautain, persuadé de pouvoir user de sa « reputazione » dans la gestion des questions italiennes, et « con altri mezi che con larmi, posarle a suo vantaggio62 ». Lautre, Louis XII, se montre « stracco e pieno di rispetti63 », la faute aux longues campagnes italiennes, mais il persévère, malgré tout, dans son effort militaire et économique – grâce aussi au soutien des Vénitiens – et « diventava in Italia in ogni modo potente64 ». La « décision inattendue65 » des rois de France et dEspagne prouve laffaissement de la Sainte Ligue, désormais agonisante après la victoire sur Louis XII à Ravenne66 : les ambitions particulières des princes simposent avec vigueur sur la diplomatie européenne.

Vettori et Machiavel observent, inquiets, le progrès politique et militaire de Louis XII, décidé à reprendre ses campagnes italiennes. Le roi français, dira plus tard François Vettori dans son Sommario :

[] pensò non essere bene che Italia, in questa nuova creazione del pontefice, si stabilisse e riordinasse. E però con prestezza fece essercito e mandòllo di qua da monti verso 80il ducato di Milano ; et ordinò capitani di esso il signor Ioan Triulzi e monsignore della Trimoglia, uomini reputati prudenti et esperti nellarme67.

Les ambitions françaises représentent toujours une menace pour les territoires italiens (et spécialement pour les intérêts des Médicis), qui se remémorent la férocité du roi Charles VIII alors quils observent son successeur prêt à terrifier ses adversaires au bruit dun rugissement : « si può stimare che come Francia volta il viso inverso Italia, súbito al romore, e lesercito spagnolo sabbia partire, e tutte le terre di Lombardia a ribellare, e il nuovo duca a fuggire68 ». La réputation de Louis XII oblige les autres acteurs de la politique européenne à contrebalancer son pouvoir, soutenant le parti espagnol69 : « il duca di Milano, e svizzeri, il papa co suoi aderenti, considerato el pericolo portono se Francia è in Lombardia vittorioso, tutti aiuteranno lesercito suo e di danari e di gente, in modo che Francia rimarrà con vergogna70 ». Ferdinand II se montre, quant à lui, intéressé par le bien commun de lEurope, et cache derrière ce prétexte lenvie de soumettre le nouveau pape à son autorité, ainsi que dendosser larbitrage de la scène internationale. Il aspire à contenir la réputation de lÉglise, et à lui soustraire le contrôle de léchiquier politique européen71. Vettori considère attentivement les mouvements de ce roi dans son dialogue avec Machiavel :

Sí che io concludo chegli abbi iudicato piú securo partito fare tregua, perché con questa tregua e mostra a collegati lerrore loro [] e mette in disputa et in garbuglio di nuovo le cose dItalia, dove e vede che è materia da disfare ancora, et osso da rodere ; e come e disse di sopra, spera che l mangiare insegni bere ad ognuno, et ha a credere che al papa e a lo mperadore, et a svizeri non piaccia la grandeza de viniziani e Francia in Italia, e giudica, [] che l papa per questo se li abbi a gittare tutto in grembo72.

Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 29 aprile 1513 (minuta)

En 1513, au lendemain de la trêve, léquilibre de lEurope se retrouve ainsi suspendu entre deux plateaux, Ferdinand II dune part et Louis XII 81de lautre : « Il papa e altri collegati, intendendo questa triegua, né sappiendo la causa perché è fatta, staranno sospesi e aranno poca fede in sua Maestà, e più presto cercheranno lacordo con Francia », explique Vettori dans sa lettre du 21 avril73. Dernier arrivé sur la scène des princes européens, Léon X se retrouve « giovane, povero, con parenti assai, con uno stato in mano da esser formidabile74 ». Son sentiment dêtre à la tête de lespace politique italien paraît confirmé par quelques observations de Vettori : le pape reproche à Louis XII davoir entrepris, « senza fargliene intendere », la campagne de Novare, montrant ainsi quil avait « poco respetto mandare ad assaltare Italia », dont « egli [Leon X] era capo75 ». Le pape scrute ainsi lhorizon de la diplomatie internationale, sans vouloir apparemment « mescolare inter christianos né sua danari né sua armi, nisi coactus76 ».

Les tâches confiées à Léon X ne sont, certes, pas ordinaires. Il occupe une place de premier rang au carrefour dun imbroglio dambitions et dintérêts particuliers77, et au lendemain de son élection il doit œuvrer à la réconciliation de la Chrétienté, étirée entre le schisme pisan et la Réforme allemande, ainsi quau consolidement territorial de lÉglise – qui sest étendue à la suite des initiatives militaires du clan Borgia et de Jules II78. Neutraliser Louis XII79 est notamment une étape incontournable, dautant plus qu« il apparaissait manifestement à tous quil était en son pouvoir doccuper Rome et tous les États de lÉglise80 ». Mais, surtout, Léon X doit sassurer larbitrage du jeu international, quil dispute à Ferdinand II, décidé à « nutrire un essercito in Italia, in altro 82luogo che nel Regno di Napoli81 ». Des grandes attentes pèsent en somme sur Léon X, qui vise à regagner le siège dhonneur dans léquilibre européen jadis occupé par son père Laurent, et à jouer un rôle central dans la tutelle de lespace italien.

La position idéale que le pape devrait assumer au milieu de cette constellation politique délicate est flagrante au sens de François Vettori et Nicolas Machiavel. Le 20 août 1513 Vettori raconte à Machiavel avoir soumis au pape une lettre dans les jours qui ont suivi lélection du Médicis. Dans son texte, lambassadeur concluait « che la maggior sicurtà potessi avere Italia, e la più certa pace, era lasciare ripigliare lo stato di Milano a franzesi82 ». Et Machiavel, quant à lui, écrit à Vettori une lettre très célèbre, le 20 juin 1513. Dans son discours, le secrétaire assume explicitement la position du pontife, et il dit :

A me parrebbe, se io fussi il pontefice, stare tutto fondato in su la fortuna, insino a tanto che non si fosse fatto uno accordo, per il quale le armi si avessino a posare o in tutto o in maggior parte. Né mi parrebbe essere sicuro delli spagnuoli, [] né securo de svizzeri, [] né di alcuno altro, che fosse prepotente in Italia. Così, per avverso, non temerei di Francia, quando si stesse di là da monti, o quando e ritornasse in Lombardia daccordo meco83.

Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 20 giugno 1513

Les suggestions de Vettori et de Machiavel sont pourtant condamnées à rester lettre morte. Durant la première année de son pontificat, Léon X mène une politique fluctuante. Imitant la diplomatie du Magnifique, il poursuit une stratégie désormais inefficace au début du xvie siècle, et viciée, de surcroît, par les ambitions familiales des Médicis. Cest en vain que Machiavel sévertue à convaincre le pape dassumer une position nette dans le contexte international, cest-à-dire à être « vrai ami et vrai ennemi84 ». LItalie est jetée irrémédiablement en pâture aux étrangers, qui y trouvent « materia ancora da disfare et osso da rodere85 », tandis quà Rome Léon X sentoure de personnalités rapaces.

Et in che modo potevono i Fiorentini ricordare poi al Pontefice che ponessi freno alle immoderate cupidità del dominare per la Chiesa e per li suoi e pigliassi essemplo dalli 83pontefici passati, i quali tutto quello che avevono acquistato per li loro attinenti con grande infamia pericolo e spesa, in pochi giorni, alla morte loro, era ritornato alli primi signori, quando loro erano suti i primi aincitarlo acconsentire cose non convenienti86 ?

La prudence entrevue dans le profil du pape Médicis se retrouve étouffée par lambition qui dévore lItalie du xvie siècle, une terre « divenuta da oltre quattro lustri il campo di battaglia, sul quale la Francia, la Spagna, limperatore di Germania e gli Svizzeri si disputavano non meno il dominio di province italiane che la supremazia morale sugli altri Stati della penisola87 ». Des indices du caractère ambigu de Léon X et des contradictions qui marqueront son pontificat sétaient manifestés dès le premier abord ; on en devine des traces dans les lettres de Vettori, ainsi que dans lHistoire dItalie. À ces témoignages, il convient dajouter quelques éléments que William Roscoe recueille dans sa biographie de Léon X, en 1816. Lors de la procession qui conduit Léon X à loccupation de la basilique de Saint Jean, « les arcs de triomphe », observe Roscoe, « chargés dinscriptions relatives à la cérémonie, sembloient annoncer plutôt la marche triomphale dun général de lancienne capitale du monde, que celle dun souverain ecclésiastique88 ». En vérité, Léon X manque de la verve du chef militaire. Mais sil est vrai que son image de pape diplomate évoquée au début de notre discours nest pas comparable au profil dAlexandre VI, ni de Jules II, « che più presto si potevano dire imperatori che pontefici89 », le pape Médicis se révèle finalement comme un personnage ambigu, et fondamentalement incapable dintervenir efficacement au profit des états italiens, comme ses prédécesseurs.

Lespoir que Machiavel exprime en clôture du Prince XI90 sadresse, en somme, à un prince qui apparaît inapte à diriger une politique efficace sur le plan international, cest-à-dire une politique qui aurait permis à Rome de protéger les intérêts de lespace italien. Lattente du secrétaire nest donc quune illusion ? On hésite à le croire, étant donné la finesse avérée de Machiavel. Du reste, on connaît aussi la tendance du secrétaire 84à user de lironie dans son discours91. On pourrait ainsi conjecturer que dans la conclusion du chapitre xi Machiavel manifeste ouvertement son espoir concernant le pontificat de Léon X, pour cacher derrière ses mots la crainte dun pape impuissant sur la scène européenne, aveuglé par les intérêts de son entourage. On serait dès lors amené à croire que les défauts de Léon X avaient alarmé Machiavel dès lété 1513. Quelques observations dans les lettres de François Vettori auraient notamment pu éveiller les soupçons du secrétaire au sujet du pape. Le 12 juillet 1513 lambassadeur écrit : « E cominciando al papa diremo che il fine suo sia mantenere la Chiesa nella riputazione lha trovata, non volere che diminuisca di stato, se già quello che gli diminuissi non lo consegnassi a sua, cioè a Giuliano e Lorenzo, a quali in ogni modo pensa dare stati92 ». Cette déclaration pourrait être lue comme un signal dalarme touchant à la sollicitude prononcée de Léon X pour les intérêts de son entourage, un aspect qui risque, en 1513, dentraver les projets dun nouvel équilibre de lEurope promu à partir de Rome. Par la suite, Vettori observe encore « non pensò prima a cosa nessuna il papa poi fu creato che a riaverle93 », et il se réfère ici aux territoires de Parme et Plaisance que Léon X avait aussitôt revendiqués sur le vice-roi de Naples, Raimond de Cardona94, et qui devaient intégrer la principauté idéale destinée à Julien, frère du pape.

Enfin, un dernier constat de Vettori semble fonder la crainte dun pape trop préoccupé par ses questions familiales pour consacrer des efforts efficaces à la construction dun principat que Machiavel aurait voulu « vénérable », cest-à-dire doté dune réputation qui aurait fait de Rome la cuirasse politique des autres grands et petits états italiens. Dans la même lettre du 12 juillet, Vettori rapporte à Machiavel lessentiel de ses discussions avec Léon X autour de la trêve franco-espagnole, et il met en exergue lobstination du pape dans la poursuite de ses projets familiaux. Vettori narre que Léon X entendait ses raisonnements et ses conseils, « [] nondimeno seguiva nel suo proposito. Che voglia dare stato a parenti, lo monstra che così hanno facto e papi passati Calixto, Pio, Sixto, Innocentio, Alessandro et Iulio ; et chi non lha facto, è restato per non potere95 ». Aux remarques de Vettori se rajoutent enfin les préoccupations de Ferdinand II. 85Ce dernier paraît notamment « ragionavolmente temere » le pape, qui se présente « con parenti e nipoti senza stato ». Le roi dEspagne craint en effet que suite à un accord militaire entre les Médicis et les Suisses « e non li sia tolto il suo96 », cest à dire le Royaume de Naples, que Léon X projetait de confier à son frère Julien. Lhistorien Iacopo Nardi, déjà cité, montre à quel point les projets médicéens risquaient de détourner Léon X, prince ecclésiastique, des tâches auxquelles il était appelé, en tant que leader à la fois de lÉglise Catholique et de lespace politique italien :

[] mi piace di raccontare, che ne primi mesi del pontificato di Leone, intendemmo da chi si trovò presente in casa di Giuliano, che abitava in Roma in casa gli Orsini di monte Giordano, a un ragionamento gravemente tenuto da alcuni signori e cortigiani del papa, e fiorentini gentiluomini di detto Giuliano, i quali andavano discorrendo insieme il successo de futuri tempi ; ne quali ragionamenti conchiusono [] che facilmente, anzi quasi di necessità potesse avvenire, che Giuliano fosse fatto re di Napoli, e Lorenzo duca di Milano97.

Dans ses Ricordi, François Guichardin observe que cest le devoir de chaque bon citoyen98 « quando la patria viene in mano di tiranni, cercare davere luogo con loro per potere persuadere el bene e detestare el male99 ». La figure de Machiavel pourrait bien incarner ce portrait car, à travers ses réflexions et lironie qui lui est propre, le quondam secrétaire appelle sans cesse la cour de Rome à une présence centrale dans la géopolitique de lespace italien, accomplissant son offizio di uomo buono100 au sein dun état utopique. Lappel qui clôt le chapitre xi du Prince, et qui prélude à lExhortatio ad capessendam Italiam confirmerait notamment la volonté de lauteur de dissuader Léon X dune ligne politique reproduisant celle de Jules II : renfermée sur des intérêts temporels, et pernicieuse pour le destin politique de la Péninsule.

Le Prince sera néanmoins finalement confié à Biagio Buonaccorsi, et les nombreux avertissements qui y sont contenus nauront pas loreille des Médicis101. En 1515, Machiavel renonce à éduquer les princes flo86rentins à une contribution à lhistoire à travers son Prince102, et il livre son opuscolo à un public différent, qui pourrait se montrer plus sensible à son projet déducation. Désormais proche de sa mort, Machiavel parle ainsi à son fils Guido :

[] bisogna che tu impari, e poiché tu non hai più scusa del male, dura fatica in imparare le lettere e la musica, ché vedi quanto onore fa a me un poco di virtù che io ho ; sì che, figliuolo mio, se tu vuoi dare contento a me, e fare bene et onore a te, studia, fa bene, impara, ché se tu ti aiuterai, ciascuno ti aiuterà103.

Niccolò Machiavelli a Guido Machiavelli, Imola, 2 aprile 1527

Alessia Loiacono

C.H.E.R. – EA 4376

Université de Strasbourg

1 N. Machiavelli, Opere, éd. C. Vivanti, Turin, Einaudi-Gallimard, 1999, vol. II, p. 256.

2 Entrée « Leone I, santo » de lEnciclopedia dei Papi consultable sur le site de lEnciclopedia Treccani.

3 F. Guicciardini, Histoire dItalie, 1492-1513, éd. J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, R. Laffont, 1996, vol. I, l. XI, chap. viii, p. 853.

4 Entrée « Acciaiuoli, Roberto » du Dizionario Biografico degli Italiani consultable sur le site de lEnciclopedia Treccani.

5 Voir I. Nardi, Istorie di Firenze, éd. A. Gelli, Florence, Felice Le Monnier, 1858, vol. II, p. 31, n. 2.

6 Sans prétendre à lexhaustivité vis-à-vis de la vaste bibliographie disponible à ce sujet, on citera par la suite les principaux ouvrages consultés pour létude du profil de Léon X : P. Bembo, Epistolarum Leonis X p.m. nomine scriptarum libri XVI, Venetiis, 1536 ; W. Roscoe, Vie et pontificat de Léon X, trad. P. F. Henry, t. II, Paris, Gide fils, 1813 (The Life and Pontificate of Leo the tenth, in four volumes, Liverpool, T. Cadell and W. Davies, 1805) ; F. S. Nitti, Leone X e la sua politica : secondo documenti e carteggi inediti, Florence, G. Barbèra, 1892 ; M. Pellegrini, Il papato nel Rinascimento, Bologne, Il Mulino, 2010 ; Leone X : Finanza, mecenatismo, cultura, Atti del Convegno Internazionale Roma, 2-4 novembre, 2015, éd. F. Cantatore, Rome, Roma nel Rinascimento, 2016 ; Entrée « Leone X, papa » du Dizionario Biografico degli Italiani consultable sur le site de lEnciclopedia Treccani.

7 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 239-240.

8 F. Vettori, Sommario della Istoria dItalia, 1511-1527, Scritti storici e politici, éd. N. Niccolini, Bari, Laterza, 1972, p. 151.

9 Voir J. Najemy, A History of Florence, Oxford, Blackwell Publishing, 2006.

10 A. Denis, « Charles VIII en Italie : catalyseur et/ou symbole de la crise », dans Italie 1500-1550 : Une situation de crise ?, éd. C. Bec, Lyon, LHermes, 1976, p. 57-66.

11 Giovan Giacomo Penni, Chronicha delle magnifiche & honorate pompe fatte in Roma per la creatione & incoronotione di papa Leone X (1513), cité dans F. Lucioli, « Di alcune cronache della cerimonia del possesso leonino », Leone X : Finanza, mecenatismo, cultura, t. I, p. 195, n. 11.

12 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 152.

13 N. Machiavel, De Principatibus. Le Prince, éd. J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, PUF, 2014, chap. xi, 18, p. 161.

14 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 149-150.

15 Nardi, Istorie di Firenze, p. 26.

16 Depuis septembre 1512, suivi par son neveu Laurent le jeune en août 1513.

17 Entrée « Gheri, Gregorio » du Dizionario Biografico degli Italiani consultable sur le site de lEnciclopedia Treccani.

18 Nitti, Leone X e la sua politica, p. 36, n. 1.

19 Guicciardini, Histoire dItalie, l. XI, chap. ix, p. 854.

20 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 149.

21 « [] fu creato papa Leone, cosa per la città in publico, et in particulare pe cittadini dessa, da dovere essere onorevole et utile. [] A me pare che, di questo pontificato, la città abbi tratto questo : che doverrà stare sicura drento e fuori. », Machiavelli, Opere, vol. II, p. 239.

22 Voir R. Descendre, « Analyse géopolitique et diplomatie au xvie siècle. La qualification de lennemi dans les relazioni des ambassadeurs vénitiens », Astérion (en ligne), 5, 2007.

23 « [] andavo discorrendo, cardinale per cardinale, chi lo dovessi fare e ne trovavo tanti pochi, chi per un conto e chi per un altro, che mi pareva impossibile a pensare potessi riuscire. Oltre a questo, giovane, povero, con parenti assai, con uno stato in mano da essere formidabile, parevami che Ispagna avessi a volere un papa più debole ; lo imperatore il medesimo », Ibid.

24 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 239-240.

25 On doit à Cutinelli-Rèndina une lecture exemplaire de cette correspondance, mise en perspective avec lœuvre de Machiavel : E. Cutinelli-Rèndina, Chiesa e religione in Machiavelli, Pise, Istituti editoriali e poligrafici internazionali, 1998, p. 73-92. Sur la correspondance privée de Machiavel avec François Vettori, voir en autres N. Machiavelli, Lettere, éd. F. Gaeta, Turin, UTET, 1984 ; G. Sasso, Machiavelli e gli antichi e altri saggi, Milan, Ricciardi, 1988, t. II, p. 273-276 ; J. Najemy, Between Friends : Discourses of Power and Desire in the Machiavelli-Vettori Letters of 1513-1515, Princeton, Princeton University Press, 1993 ; N. Machiavelli, Lettere a Francesco Vettori e a Francesco Guicciardini (1513-1527), éd. G. Inglese, Milan, Rizzoli, 1989.

26 « Io starò quassú tanto quanto vorrà il papa : e, quando voglia, più volentieri tornerò », Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 27 giugno 1513 ; « ci sono stati tanti oratori, e ci sono ancora, che a me, essendo il più giovane, è toco a stare a vedere quello si fa, et per lordinario sapete fuggo le cerimonie quanto posso. », Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 12 luglio 1513, Machiavelli, Opere, vol. II, p. 265, 270.

27 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 240.

28 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 254-255.

29 Voir la lettre de Vettori du 21 avril 1513. Machiavelli, Opere, vol. II, p. 245.

30 Concernant les rapports entre Machiavel et Cicéron, voir F. Pagnotta, « Cicerone nellopera e nel pensiero politico di Machiavelli : alcune considerazioni introduttive », Etica & Politica / Ethics & Politics, XVI, 2, 2014, p. 422-439, qui contient des références bibliographiques essentielles.

31 « Vtrum difficilius aut maius esset negare tibi saepius idem roganti an efficere id quod rogares diu multumque, Brute, dubitaui. Nam et negare ei quem unice diligerem cuique me carissimum esse sentirem, praesertim et iusta petenti et praeclara cupienti, durum admodum mihi uidebatur, et suscipere tantam rem, quantam non modo facultate consequi difficile esset sed etiam cogitatione complecti, uix arbitrabar esse eius qui uereretur reprehensionem doctorum atque prudentium. [] Quod quoniam me saepius rogas, aggrediar non tam perficiundi spe quam experiundi uoluntate ; malo enim, cum studio tuo sim obsecutus, desiderari a te prudentiam meam quam, si id non fecerim, beneuolentiam », Cicéron, LOrateur. Du meilleur genre dorateurs, éd. A. Yon, Paris, Les Belles Lettres, 1964, l. I, p. 2.

32 Machiavel, De Principatibus. Le Prince, p. 5.

33 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 255.

34 « Non ho dipoi auto vostre lettere, né io ve ne ho scritte, perché intendendo come voi eri per tornare, aspettavo di parlarvi a bocca. Ma intendendo ora come il ritornar vostro è raffreddo [] mi è parso da rivicitarvi con questa lettera, e ragionarvi con quella tutte quelle cose che io vi ragionerei se voi foste qua », Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 20 giugno 1513, Machiavelli, Opere, vol. II, p. 261.

35 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 248.

36 Nous nous limitons à quelques références essentielles vis-à-vis de la vaste bibliographie disponible et toujours très féconde autour de la figure de lambassadeur et de la diplomatie italienne dans le contexte européen autour des xiiie et xvie siècles : L. Bély, LArt de la paix en Europe : naissance de la diplomatie moderne, xvie-xviiie siècle, Paris, PUF, 2007 ; D. Ménager, LAnge et lAmbassadeur. Diplomatie et théologie à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2013 ; I. Lazzarini, Communication and Conflict : Italian Diplomacy in the Early Renaissance, 1350-1520, Oxford, Oxford University Press, 2015 ; P. Nevejans, « Recevoir et se mouvoir. La gestuelle dans la réception diplomatique », Europa Moderna. Revue dhistoire et diconologie, 5, 2015, p. 32-50 ; Les langues de la négociation : approches historiennes, éd. D. Couto, S. Péquignot, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017 ; F. Dante, Naissance de la diplomatie moderne (xiiie-xviie siècles) : lambassadeur au croisement du droit, de léthique et de la politique, Baden-Baden, Nomos, Zürich / St. Gallen, Dike Verlag, 2017 ; F. Montuori, « I carteggi diplomatici nel Quattrocento : riflessioni per la storia della lingua », Filologia e critica, XLII, 2, 2017, p. 177-204 ; A. Felici, « Una strategia argomentatica dalle lettere della cancelleria fiorentina di metà Quattrocento. Il procedimento ipotetico-dilemmatico », Interpres, XXXVI, 2018, p. 51-91.

37 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 240.

38 « Dubito bene che le cose mie non vi abbino a parere dello antico sapore, dil che voglio mi scusi lo avere col pensiero in tutto queste pratiche abbandonate, et appresso non ne intendere delle cose che corrono alcuno particulare. E voi sapete come le cose si possono bene iudicare al buio, e massime queste ; pure ciò che io vi dirò sarà o fondato sopra l fondamento del discorso vostro, o in su presupposti miei, e quali se fieno falsi voglio me ne scusi la preallegata cagione. », Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 29 aprile 1513 (minuta), Machiavelli, Opere, vol. II, p. 255.

39 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 248.

40 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 254.

41 À propos de ces questions : J.-L. Fournel, « Retorica della guerra, retorica dellemergenza nella Firenze repubblicana », Giornale critico della filosofia italiana, 2 (3), 2006, p. 389-411.

42 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 261.

43 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 246.

44 E. Cutinelli-Rèndina, Guicciardini, Rome, Salerno, 2009, p. 31.

45 On renvoie à la note 36 ci-dessus, Machiavel parle en effet de « buio ».

46 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 61.

47 Concernant les liens entre les différentes expériences décriture de Machiavel, un instrument précieux est offert par A. Guidi, Un segretario militante : politica, diplomazia e armi nel cancelliere Machiavelli, Bologne, Il Mulino, 2009.

48 Machiavel, De Principatibus. Le Prince, p. 1-66.

49 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 317.

50 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 267.

51 Machiavel, De Principatibus. Le Prince, p. 7.

52 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 270.

53 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 243.

54 « Magnifico oratore. Sabato passato vi scrissi, e, benché io non abbia che dirvi né che scrivervi, non ho voluto che passi questo sabato che io non vi scriva », Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 16 aprile 1513, Machiavelli, Opere, vol. II, p. 241. Au sujet du rythme de lécriture politique voir toujours Machiavel, De Principatibus. Le Prince, p. 2 ; ainsi que M. C. Figorilli, « Machiavelli i ritmi del segretario e i tempi dello scrittore », Festina lente. Il tempo della scrittura nella letteratura del Cinquecento, éd. C. Cassiani et M. C. Figorilli, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 2014, p. 135-163.

55 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 243.

56 « Se io potessi sbucare del dominio, io verrei pure anchio sino costí a domandare se il papa è in casa ; ma fra tante grazie, la mia per mia straccurataggine restò in terra. Aspetterò il settembre. Io intendo che il cardinale de Soderini fa un gran dimenarsi col pontefice. Vorrei che mi consigliassi, se vi paressi che fosse a proposito gli scrivessi una lettera, che mi raccomandassi a sua Santità ; o se fosse meglio che voi facessi a bocca questo offizio per mia parte con il cardinale ; o vero se fosse da non fare né luna né laltra cosa, di che mi darete un poco di risposta. », Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 9 aprile 1513, Machiavelli, Opere, vol. II, p. 241. « La magnificenzia di Giuliano verrà costì, e troverretela volta naturalmente a farmi piacere ; el cardinale di Volterra quello medesimo ; di modo che io non posso credere che essendo maneggiato il caso mio con qualche destrezza, che non mi riesca essere adoperato a qualche cosa, se non per conto di Firenze, almeno per conto di Roma e del pontificato ; nel qual caso io doverrei essere meno sospetto ; e [] io me ne verrei costì ; né posso credere, se la S.ta di Nostro Sig.re cominciasse a adoperarmi, che io non facessi bene a me, et utile et onore a tutti li amici mia. », Niccolò Machiavelli a Francesco Vettori, Firenze, 16 aprile 1513, Machiavelli, Opere, vol. II, p. 243.

57 F. Guicciardini, Le lettere, éd. P. Jodogne, Rome, Istituto storico italiano per letà moderna e contemporanea, 1986-2007.

58 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 242.

59 « [] e, come vi ho detto qualche altra volta, io non voglio andare più discorrendo con ragione », Francesco Vettori a Niccolò Machiavelli, Roma, 30 marzo 1513, Machiavelli, Opere, vol. II, p. 239.

60 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 243-244.

61 P. Boissonnade, « Les négociations entre Louis XII et Ferdinand le Catholique. La trêve du 1er avril 1513, son caractère et son vrai nom », Revue dhistoire moderne et contemporaine, I, 4, 1899, p. 352-389.

62 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 259.

63 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 249.

64 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 251.

65 Guicciardini, Histoire dItalie, l. XI, chap. ix, p. 855.

66 Dans son récit, Guichardin sattarde sur les causes de la crise interne de la Sainte Ligue, mettant en exergue la perspective de Ferdinand I, qui défendait avoir toujours agi dans lintérêt commun des confédérés, au contraire de Jules II, qui avait, lui, « pensé à son profit particulier et avait fait siennes des choses communes, en occupant Parme, Plaisance ou Reggio », Guicciardini, Histoire dItalie, l. XI, chap. ix, p. 855.

67 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 150.

68 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 248.

69 « Il re di Francia, con questo assalto, subito si concitò contro lo Imperatore, il re di Spagna e dInghilterra e li Svizzeri, i quali tutti a uno tempo da diversi luoghi assaltorono il regno di Francia », Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 151.

70 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 247.

71 Devant le progressif effondrement de la Sainte Ligue et le triomphe des égoïsmes des alliés, Ferdinand I soutenait ne pas « songer à abandonner lÉglise et ses alliées en Italie, sils lui offraient quelque contrepartie », Guicciardini, Histoire dItalie, l. XI, chap. ix, p. 856.

72 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 259.

73 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 247-248.

74 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 239.

75 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 151.

76 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 254.

77 « I Svizzeri, che in fatto erano signori di Milano, non volevano che lui [Louis XII] potesse tornare a ripigliarlo. Lo imperatore faceva la guerra per piacere, né altro fine ci avea dentro. Il re dInghilterra voleva contentare i popoli suoi i quali sono per natura inimici a Franzesi. E mentre che tutti i sopranominati si preparavano a fare guerra contro a Francia et il Re a difendersi, i Veniziani sollecitavono il Papa che, sendo loro stati in lega con Iulio, re Ferrando et Imperatore contro a Franzesi, che operasse come successore di Iulio [] », Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 151-152.

78 Voir Machiavel, De Principatibus. Le Prince, chap. xi.

79 « Il Papa considerò [] quanto importasse debilitare quello Regno, rispetto al Turco, quanto profitto ne traeva la corte di Roma delle cose beneficiali, quanto importerebbe quando lo Imperatore o re di Spagna pigliassino qualche parte di quel Regno. E cercò con ogni industria ritrarre il re dInghilterra e Svizzeri dalla impresa di Francia e si sforzò trovare modi di composizione tra questi Principi », Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 153-154.

80 Guicciardini, Histoire dItalie, l. X, chap. i, p. 721.

81 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 152.

82 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 282.

83 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 261-262.

84 Machiavel, De Principatibus. Le Prince, chap. xxi, 11, p. 241.

85 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 252.

86 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 153-154.

87 Nitti, Leone X e la sua politica, p. 11.

88 Roscoe, Vie et pontificat de Léon X, t. II, p. 180-181.

89 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 148.

90 Afin de contextualiser ce passage et den saisir davantage limportance, voir toujours Cutinelli-Rèndina, Chiesa e religione in Machiavelli, p. 93-151 ; Machiavel, De Principatibus. Le Prince, p. 297-300 ; N. Machiavelli, Il Principe, éd. G. Inglese, Turin, Einaudi, 2014, p. xxvi-xxx, 83 (n. 51).

91 Cutinelli-Rèndina, Chiesa e religione in Machiavelli, p. 74-149.

92 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 268.

93 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 268.

94 Vettori, Sommario della Istoria dItalia, p. 150.

95 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 269.

96 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 262.

97 Nardi, Istorie di Firenze, p. 32.

98 Voir également Discours, l. III, chap. xlvii ; et Fournel, « Retorica della guerra, retorica dellemergenza nella Firenze repubblicana », p. 17.

99 F. Guicciardini, Ricordi, éd. C. Varotti, Rome, Carocci, 2013, p. 312-313.

100 Discours, l. II, Proème.

101 Concernant les rapports entre le Secrétaire florentin et la famille Médicis, voir par exemple U. Dotti, La Révolution Machiavel, trad. R. Lenoir, Grenoble, Jérôme Millon, 2006 (Machiavelli rivoluzionario : vita e opere, Rome, Carocci, 2003) ; J.-J. Marchand (éd.), Machiavelli sanza i Medici (1498-1512). Scrittura del potere / potere della scrittura, Rome, Salerno Editrice, 2006.

102 Des renseignements ponctuels autour du parcours éditorial du Prince, ainsi que dautres questions centrales à ce texte se trouvent aujourdhui dans F. Bausi, Il Principe dallo scrittoio alla stampa, Pise, Edizioni della Normale, 2015.

103 Machiavelli, Opere, vol. II, p. 455.