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Classiques Garnier

L’écriture de la croisade dans la Chanson de la Première Croisade d’après Baudri de Bourgueil

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2019 – 1, n° 37
    . varia
  • Auteur : Gabel de Aguirre (Jennifer)
  • Résumé : La Chanson de la Première Croisade se fonde sur la chronique latine de Baudri de Bourgueil. Elle relate les événements historiques de manière beaucoup plus fidèle que les chansons de geste traditionnelles. Avec celles-ci elle partage pourtant la manière de relater les batailles et les combats singuliers et la présentation des protagonistes. L’écriture de la croisade dans cette œuvre se caractérise encore par la forte présence du merveilleux chrétien et oriental.
  • Pages : 119 à 141
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406097013
  • ISBN : 978-2-406-09701-3
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09701-3.p.0119
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 17/12/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : histoire, croisades, chronique, chanson de geste
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LÉCRITURE DE LA CROISADE DANS
LA CHANSON DE LA PREMIÈRE CROISADE DAPRÈS BAUDRI DE BOURGUEIL

La Chanson de la Première Croisade daprès Baudri de Bourgueil1 fut écrite en ancien français vers le début du xiiie siècle. Cette œuvre raconte les principaux faits historiques de la Première Croisade de 1095 à 1099, en y incluant le Concile de Clermont et la croisade populaire, de même que la prise de Nicée, dAntioche et de Jérusalem. Elle sinscrit dans la tradition des chansons de croisade et donc des chansons de geste, même si lappartenance de ces premières au genre épique nest pas acceptée par tous les chercheurs. En tout cas, elle est moins connue que la Chanson dAntioche2 ou que la Chanson de Jérusalem3, ce qui sexplique tout dabord par le fait quil nen existe pas dédition complète. Lédition la plus récente de la Chanson de la Première Croisade4 contient environ un tiers (un peu plus de 5000 vers) de lœuvre, les éditions partielles antérieures de P. Meyer5 et dA. Petit6 respectivement 1140 et 491 vers. La source principale du texte est la chronique latine de Baudri de Bourgueil, qui date denviron 11077. Pourtant, il sagit plutôt dune adaptation libre 120que dune imitation. Lœuvre française nous est transmise dans deux manuscrits en scripta anglo-normande : Oxford, Bodleian Library, MS Hatton 77, daté du milieu du xiiie siècle, et Londres, British Library, MS Additional 34114, qui comprend une continuation fondée sur une autre chronique et fut écrit vers 1400. Outre ceux-ci, il existe encore deux fragments (Oxford, Bodleian Library, MS Hatton 77 annexe et Oxford, Bodleian Library, MS Brasenose Coll. D.56). La forme du texte est typique dune chanson de geste du xiiie siècle : elle est organisée en laisses dalexandrins monorimes.

Dans le présent article, nous traiterons de lécriture de la croisade dans cette œuvre. Nous nous pencherons dabord sur la représentation de la Première Croisade en comparant les événements décrits à ceux contenus dans la chronique latine de Baudri de Bourgueil et à ce que lhistoriographie moderne considère comme les principaux faits de la Première Croisade. Nous essaierons ensuite de discerner lobjectif de lauteur et sa façon de représenter lidée de croisade. Finalement, nous aborderons la manière dont les croisés et leur religion sont décrits pour continuer avec la représentation de lOrient, de ses habitants, cest-à-dire des chrétiens orientaux et des musulmans, et de la religion musulmane.

LA REPRÉSENTATION DES ÉVÉNEMENTS HISTORIQUES
ET DE LIDÉE DE CROISADE

La Chanson de la Première Croisade est un récit assez fidèle des événements et ne diffère guère de ce que les historiens relatent en ce qui concerne les principaux faits, comme le concile de Clermont (laisse III et suivantes), la croisade populaire (l. VII-XIV), le départ des nobles et de leurs armées à la croisade (l. XV et suivantes), la traversée du Bosphore (l. XXXI), le siège et la prise des villes de Nicée (l. XLV-LV), dAntioche (l. LXXXIV-CCXXIX) et de Jérusalem (l. CCCLV), ainsi que la bataille dAscalon (l. CCCLX8). Alors que lauteur exagère généralement lorsquil donne des informations sur le nombre des soldats 121croisés, les dates sont souvent exactes, comme celle de larrivée de Godefroi à Constantinople deux jours avant Noël (l. XVI). Parfois, il ajoute même des informations qui manquent dans la chronique latine de Baudri de Bourgueil. Ainsi, lépisode de Renaud Porchet (l. CLXIII et CLXXIX) ne figure pas dans le texte latin, de même que les noms de deux commandants musulmans, Holdequin de Damas dans la Chanson de la Première Croisade, v. 4694, qui correspond à Duqāq de Damas9, et Rodoez de Halape (l. CXXXIX-CLX) qui correspond à Ridwan dAlep10. Tous les deux restent anonymes dans la chronique latine (Baudri, Historia Ierosolimitana, livre II, p. 41 et 46).

En raison de son exactitude historique, plusieurs chercheurs, dont P. Damian-Grint11, pensent que la Chanson de la Première Croisade nest pas une chanson de geste, mais plutôt une chronique en vers. Néanmoins, la Chanson dAntioche, elle aussi, fut jugée par D. Trotter comme « a historically fairly accurate account12 » et son appartenance au genre épique a été mise en cause, par exemple, par K.-H. Bender, selon qui ce texte décrit les événements « avec une exactitude historique tout à fait étrangère aux chansons de geste traditionnelles13 ». Tandis que R. Cook constate à propos de la Chanson dAntioche que son auteur « amplifie, [] supprime, [] remplace, pour donner à ces événements une allure familière aux spécialistes de la littérature14 », la Chanson de la Première Croisade se contente généralement dajouter et damplifier les informations de la chronique latine de Baudri de Bourgueil, ce que nous verrons plus en détail ci-dessous. Ce texte possède donc moins de divergences par rapport aux sources historiques que la Chanson dAntioche. Toutefois, lon peut constater quun degré de fiabilité historique élevé par rapport aux chansons de geste traditionnelles caractérise les deux textes. 122Quant aux indications temporelles délivrées par la Chanson de la Première Croisade, elles spécifient souvent le jour de la semaine ou de quelle fête religieuse il est question, mais non lannée15. De telles informations se trouvent aussi dans les autres chansons de croisade comme la Chanson de Jérusalem (v. 4058 : « Çou fu par.I. joisdi, que jors fu esclarcis, / Que no Crestïens ont tos lor engiens bastis ») et la Chanson dAntioche (v. 8188 : « Un vendredi matin al point de lajornee »).

Il existe en outre des différences entre la source latine et la Chanson de la Première Croisade, qui éloignent le texte français de lhistoriographie et le rapprochent du genre épique. Il sagit notamment de la manière de représenter les événements historiques et lidée de la croisade. La chanson en ancien français omet, entre autres, des passages concernant les chrétiens orientaux qui traitent de lhistoire de Jérusalem et des souffrances de ces chrétiens (Baudri, Historia Ierosolimitana, livre I, p. 5 et 6), ainsi que des réflexions sur la situation exceptionnelle des croisés – ils nont pas de roi qui les guide, mais lunanimité et la parité règnent parmi eux –, telles quelles apparaissent, par exemple, dans le prologue de Baudri, Historia Ierosolimitana16, ou dans la description du siège de Nicée17. Cest justement à cause de ces réflexions destinées à un public cultivé et clérical que la chronique latine compte parmi les sources théologiques importantes18. Leur omission dans la Chanson de la Première 123Croisade peut être interprétée comme un rapprochement avec les chansons de geste, pour lesquelles lorganisation sociale féodale est fondamentale.

Il existe une autre différence essentielle entre la Chanson de la Première Croisade et sa source, par laquelle le texte français sinscrit dans la tradition épique19 : cest lajout de nombreuses scènes de bataille. Il sagit notamment des descriptions de combats singuliers20, qui contiennent généralement plus ou moins de clichés rhétoriques reliés au combat à lance dans les chansons de geste21. Les v. 2391-2402 donnent une description complète reproduisant tous les clichés correspondants – le chevalier éperonne son cheval, brandit sa lance, frappe, brise lécu de son adversaire, rompt son haubert, lui « passe la lance au travers du corps22 » et labat mort à bas de son cheval :

Guilleaume de Ferrieres ad le giu comencié

Qui joinst o Malatré [].

Des esporuns a or ad le cheval brochié

Et esloigné la lance od le fer aguisié.

Vait ferir le paien que trova afichié

Que lescu de son col li ad frait et perchié

Et lauberc de son dos rompu et desmaillié,

Parmi le gros del cors lui ad conduit son espié.

Ou il volsist u non, jus lad mort trebuchié. []

Les clichés reposent généralement sur des expressions formulaires, répétées fréquemment. Ainsi, le cliché relevé par J.-P. Martin23 X frappe Y correspond généralement dans la Chanson de la Première Croisade à la formule aler + ferir et sert à marquer le début dun combat singulier (par exemple, « Vait ferir un Franceis sor la targe flurie », v. 1343 ; « Vait ferir un paien sor le hialme sardri », v. 2694). Un emploi similaire se trouve dans la Chanson dAntioche (« Et vait ferir.I. Turc de la lance aceree », v. 1763) et dans la Chanson de Jérusalem (« Et vait ferir un Turc, quil ne lesparna mie », v. 481).

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Les expressions formulaires servent aussi à structurer les descriptions de batailles. Au début dune laisse qui prolonge la description dune bataille commencée auparavant, nous trouvons par exemple : « Mult fud grant lestor al val el pré herbu, / Bien i fierent Franceis, Deu les tienge en vertu » (Chanson de la Première Croisade, v. 4794-4795). Cette expression correspond à la formule A. grans + noise + bataille relevée par J.-P. Martin pour les chansons de geste24. Elle est aussi employée dans le Cycle de la Croisade : « Desur le pont de Fer fu mout grans li bataille ; / Bien fierent li baron et li [serjant] sans faille » (Chanson dAntioche, v. 3887-3888) ; « Molt fu grans li bataille, mervellose et estraigne » (Chanson de Jérusalem, v. 8859). Les ajouts de la Chanson de la Première Croisade par rapport à sa source ne sont pourtant pas limités à des combats singuliers : il existe de longues additions, entre autres, les laisses XXXII-XLIV, qui relatent deux batailles entières.

Outre les scènes de combat, la Chanson de la Première Croisade ajoute des dialogues, par exemple, entre Garsion et Süart (v. 3593-6073), entre Garsion et ses hommes (v. 3622-3659) ou encore entre les chefs de la croisade (v. 4614-4652). Lon peut donc constater quil sagit dune dramatisation par rapport à la source latine. Si S. Biddlecombe remarque, dans son introduction à Baudri, Historia Ierosolimitana, p. lvii, que lauteur aurait amplifié les événements et la description des caractères, on peut considérer que ce travail fut poursuivi par lauteur de la Chanson de la Première Croisade.

Quant à la présentation des raisons de sengager dans la croisade, Baudri invoque surtout les souffrances des chrétiens orientaux, car, suivant C. Rouxpetel, ceux-ci « sont essentiellement envisagés comme les victimes des Sarrasins, libérés de leurs bourreaux par les croisés25 ». Mais comme nous lavons vu, cette motivation est omise à plusieurs reprises dans le texte français, qui met plutôt laccent sur la libération de Jérusalem :

Qui por mamor voldra ses richeises laissier

Et sun pere et sa mere, ses enfanz et sa moillier,

Prenge vïaz la croiz, en rien nait il desirier

Et vienge ensenble od moi Jherusalem deraisner.

(v. 75-78)

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Un autre motif important est la vengeance contre les musulmans, qui joue un rôle prééminent dans les chroniques de croisade26 : « Et sumes ça venu por noz cors traveillier / Et por la passïon nostre seignur vengier » (v. 875-876).

Labsolution de tous les péchés, relevée déjà par C. Erdmann27 comme lune des raisons les plus importantes de partir en croisade, est également évoquée à plusieurs reprises, par exemple aux v. 187-188 (« Barons, ceste novele ne se vielt pas celer / Que de prendre la croiz pot hom salme salver ») et aux v. 869-873 (« Que tut cil qui por Deu se voldront croisier / [] Seroient toz asolz de Deu le jostisier »). Mais lauteur ne passe pas sous silence que la cupidité jouait aussi un rôle important28. Ainsi, Tancrède et Baudouin se disputent la domination de Tarse (l. LXXX) et Raimond de Saint-Gilles et Bohémond celle dAntioche (l. CCCXXIII-CCCXXXII).

Quant à lobjectif de lœuvre, nous pouvons constater trois fonctions principales : linstruction, la propagande et le divertissement. La fonction didactique de donner un bon exemple au public est perceptible dès le prologue, qui commence par une critique des temps actuels29 :

Seignurs, bien est seü et nest pas lungement,

Estoient cil proisié et servi largement

Qui chantoient les faiz de lancïene gent,

Et prendre lon poet sen et esperiment.

Mais ore nont de ceo cure, tut le funt altrement :

A lavoir se sunt pris trestuz communement,

Vencu ad coveitise qui tut le mund suzprent.

(Chanson de la Première Croisade, v. 1-7)

La fonction de propagande se manifeste dès les vers 17-19, qui invitent le public directement à suivre lexemple des croisés :

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Pernez a cels essample qui ancïenement

Guerpirent lur terres et lur edifiement

Por servir Damedeu, le roi omnipotent.

On peut assimiler cette attitude à celle des chansons du Cycle de la Croisade, pour lesquelles S. Edgington parle dune fonction de recrutement (« recruitment function30 »). Encore une fois, la Chanson de la Première Croisade se rapproche donc des chansons de croisade en séloignant de la source latine, qui commence par des louanges à Dieu et met au premier plan des réflexions théologiques. La Chanson de la Première Croisade, à son tour, nous raconte des événements historiques en mettant en relief les grands exploits des croisés, par exemple, dans les présentations détaillées de combats singuliers. Celles-ci visent à instruire et divertir le public, au même titre que la présentation des personnages dans leur relation au « merveilleux chrétien » et que les longues descriptions des merveilles de lOrient.

LES CROISÉS ET LE MERVEILLEUX CHRÉTIEN

Les principaux acteurs de la croisade, cest-à-dire les chrétiens occidentaux qui participèrent à lexpédition sont dépeints en héros. Là aussi, lon peut constater que la Chanson de la Première Croisade amplifie les informations de la source latine. Elle ajoute fréquemment des épithètes 127aux noms propres, par exemple, « dan Godefroi li ber » (v. 478), « Baudoïn le hardi » (v. 3881), « Guilleaume li pruz » (v. 5094), ce qui correspond à la tradition épique et existe aussi dans la Chanson dAntioche (« Aimeri le vaillant », v. 1684) et la Chanson de Jérusalem (« Robert le menbré », v. 4326).

En général, la Chanson de la Première Croisade décrit les chefs de la croisade de manière plus individuelle31 : ainsi, dans les laisses LXX-LXXIV, après la bataille de Dorylée, lauteur ajoute un épisode portant sur les qualités guerrières de Godefroy de Bouillon, qui se bat tout seul contre un grand nombre de soldats ennemis. Voici un extrait qui montre la prouesse et la valeur de Godefroy dans le combat et qui raconte le miracle divin le sauvant finalement face à la multitude des ennemis, suivi par sa prière daction de grâces, qui illustre sa piété32 :

Le premier qui li vint od la teste colpee

Et le secund enprés lespaule desevree []

Grant cops lui ont doné en la targe roee, []

Mort leüst a estrus icele gent deffaee,

Mais Deus le succurut par ital destinee,

Que as Turs fud vïaire que devers la valee

Venoit de crestïens, de la gent redutee : []

Poür ont de la gent que Deus lur ad mustree,

En un bois se ferirent por aveir recelee.

Il [= Godefroy] vit la compaignie que Deus out amenee

Qui furent trestut blanc comme neif sur gelee []

Damedeu aora et la vertu nomee :

« Sire, merciz te rend de malme quas salvee ! »

(Chanson de la Première Croisade, v. 2967-2989)

Mais, outre les chefs de la croisade, il existe encore dautres croisés qui figurent dans des épisodes absents de la source latine, dont Renaud Porchet, l. CLXIII et CLXXIX. Cet épisode rapproche la chanson de lhagiographie, car il dépeint un martyre idéalisé33. La captivité et la 128mort de Renaud sont aussi traitées dans la Chanson dAntioche (l. 187, 189 et 192-203) et dans la chronique de la Première Croisade de Tudebode, mais ne figurent pas dans le texte de Baudri de Bourgueil. Il est donc fort probable que lauteur de la Chanson de la Première Croisade a utilisé dautres sources quil serait intéressant didentifier.

Quant aux croisés pris dans leur totalité, ils sont caractérisés par leur prouesse (par exemple, v. 1107 : « Mais Franceis furent pruz, hardi et aduré »), qui est parfois excessive et empreinte dorgueil. Ainsi en est-il dans la Chanson de la Première Croisade lorsque larmée de Robert de Normandie se trouve dans une situation difficile lors dun combat contre une multitude de musulmans : personne naccepte de partir comme messager pour appeler à laide les autres armées croisées parce que cet acte pouvait être interprété comme pure lâcheté (l. XXXIX-XLI34). Voici un extrait de la laisse XLI :

Il en apele Girard de Ruissillon [] :

« Si succuruz ne sumes, ni ad plus mes morrom.

Car poigniez, biaus amis, cest destrier dAragon

Et alez dire as autres que nos nos combatom. »

« Dehé ait », dist G[i]rard, « qui movera le talun !

Ne fui unques messagier, nel ne comencerom,

Por chevalier me tienent cil de mon aviron. »

(Chanson de la Première Croisade, v. 1445-1452)

Une attitude similaire peut être observée dans la Chanson dAntioche (l. 322-328), où tous les chefs de la croisade refusent de porter la sainte lance, car cela empêcherait leur participation au combat.

Même si lon peut constater que les actes atroces des croisés sont relatés dans la Chanson de la Première Croisade (« Li home et les femmes qui i furent manant / Sunt trestut detrenchié et li petit enfant », v. 654-655), ce nest quun groupe marginal de croisés, cest-à-dire les Tafurs35, qui font excessivement preuve de brutalité. Ce groupe est aussi mentionné dans les textes épiques et dans la chronique de 129Guibert de Nogent, mais non dans la source latine ni dans les autres chroniques36. Dans la Chanson de la Première Croisade comme dans la Chanson dAntioche, les Tafurs sont décrits de manière particulièrement effrayante37. Les différences physiques par rapport aux autres croisés sont mises en relief38 :

Si ad fait por le roi des Taffors envoier,

Et il i est venu, avoec lui cent pautonier

De la plus fiere gent que Deus ait a baillier

Que ont les chars plus noires que paluz en vivier.

Pels et maçues portent por paens chastïer

Et merveillos coteals a bestes escorcier.

(Chanson de la Première Croisade, v. 4560-4565)

La fu li rois Tafurs, li ribaut o lui sont

Et jurent Dameldeu, ki forma tout le mont,

Que sil truevent paiens as dens les mangeront.

Tafur crient et huent et mout grant noise font.

(Chanson dAntioche, v. 3636-3639)

Ils maltraitent les prisonniers musulmans (« Puis pernent les paens, si les font despolloier. / Batant les menerent od verges daiglentier », Chanson de la Première Croisade, v. 4568-4569), les tuent de manière cruelle et donnent leur chair aux chiens (« Puis lor ovrent lor [ventres] comme a porcs funt bochier. / La boele et la fresure funt a lur chiens mangier », v. 4586-4587).

Les musulmans supposent même quil sagit de cannibales (« La hors ad une gent plus noire que charbon. / Nos Sarazins manguent comm autre veneison », v. 4602-4602). Dans la Chanson dAntioche39 et la Chanson de Jérusalem40, les Tafurs mangent également de la chair humaine. Le cannibalisme est encore mentionné dans Baudri, Historia Ierosolimitana, livre III, p. 93, mais, à la différence de sa source, la Chanson de la Première Croisade limite cette pratique au groupe des Tafurs, absents de la source latine, et se contente dallusions pour lépisode de cannibalisme décrit en détail dans lHistoria Ierosolimitana (« Car la sunt li plusor por la 130faim renoié », Chanson de la Première Croisade, l. CCCXXXV41). Dans la Chanson de la Première Croisade, mais apparemment aussi dans la Chanson dAntioche et la Chanson de Jérusalem, les Tafurs endossent la responsabilité des actes les plus cruels et les plus difficiles à accepter pour un public chrétien, épargnant ainsi, comme le démontre E. Baumgartner, limage positive des croisés dans leur ensemble42.

Leur représentation généralement favorable tient à un trait valorisant commun à tous les croisés : la ferveur religieuse, qui est fréquemment mise en relief et qui suscite la présence du « merveilleux chrétien43 » présent aussi dans les chansons de geste traditionnelles. Quand les croisés implorent laide de Dieu pendant les batailles (« Se sunt trestoz ensenble “Deus aïe” escrïé », v. 2441), Jésus et des saints apparaissent à certains dentre eux dans des visions (l. CCXLV-CCXLVII, l. CCLXI), ce qui mène à la découverte de la sainte lance. Le merveilleux est très prononcé dans les chansons de croisade44, comme le montre K.-H. Bender45, qui souligne linfluence de lhagiographie sur la Chanson dAntioche. On peut ajouter aux visions les songes prémonitoires, comme dans la Chanson de la Première Croisade, l. CXXIX, où lévêque prévoit larrivée du sarrasin converti Saraçon, et dans la Chanson dAntioche, laisse 251 (Bohémond voit la prise dAntioche dans un songe).

Lépisode dune armée de saints qui vient à laide des croisés pendant la bataille dAntioche illustre bien la prégnance du merveilleux :

Quant Damedé meïsmes succurs lor envoia ;

De la guaste montaigne un conroi desbuscha,

Unques tant bel ne vit qui cel nesgarda.

Conreé de bataille vers paens chevalcha.

Saint George et saint Domitre de devant le guia

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Et saint Mercurïen qui lenseigne porta.

Tut sunt blanc comme noif, ice descomforta

Le poeple deffaé et forment esmaia,

As crestïens comfort et hardement duna.

(Chanson de la Première Croisade, laisse CCXI46)

Cette armée de saints est mentionnée également dans la chronique sur la croisade de Raymond dAguilers et dans les Gesta Francorum, de même que dans les chroniques qui lont utilisée en tant que source, comme lHistoria Ierosolimitana de Baudri. A. Leclercq parle dun « motif bien répertorié, tout droit issu de la Bible47 ». Cest donc un motif commun aux chansons de croisade et aux chroniques latines48.

LORIENT

Lélément merveilleux dans la Chanson de la Première Croisade nest pas limité au domaine chrétien, mais constitue aussi lun des traits dominants dans la description de lOrient. Sa représentation relève du motif des richesses orientales et sinscrit dans la tradition des romans dantiquité, concernant notamment la description des villes49 et des tentes orientales. Ainsi, les villes orientales sont présentées comme pleines de richesses : beaucoup de détails sont ajoutés à la source latine, par exemple, dans la laisse LXXXV, v. 3427-3440, qui décrit la ville 132dAntioche50, ou dans la description de la ville de Sarmacène, qui nest pas nommée dans la chronique latine (Chanson de la Première Croisade, l. CLXXXV-CXCIII). Dans les deux cas, lenfermement de la ville est décrit (« Close fud de fossez et de bon mur entur », v. 3429, et « Plus de dis grosses lieues dure le tenement / Clos de merveillos murs tut asis o ciment », l. CLXXXV51), puis sa topographie et ses bâtiments52. À plusieurs reprises, la beauté et la richesse des villes53 sont dépeintes par des expressions formulaires similaires à celles de la tradition des romans dantiquité54 : « Mult fud bone la vile, onc home ne vit meillur, / Ne tant richement fait de lovre ancienur » (en parlant dAntioche, v. 3427-3428) ; « trestutes les citiez qui sunt en occident / Ne valent cele sule par le mïen escient » (en parlant de Sarmacène, l. CLXXXV). Cette caractéristique est encore mise en relief par la représentation des matériaux précieux utilisés dans la construction55, tels que le marbre (« une tur [] toute de marbre de diverse colur », v. 3431-3434), lor (v. 3438) et des pierres extraordinaires, dont les aimants (« De pieres daimant sunt tut li fundement », l. CLXXXV56), et des pierres resplendissantes dorigine orientale (« Trente portals [] / Tuit fait dune pïere qui est 133en orïent [], / Et reluisent plus cler [] / Que piere de cristal ne que oil de serpent », l. CLXXXV57). À linstar des romans dantiquité, des verbes imprécis sont employés58, par exemple, faire (v. 3431) ou peinturer pour le travail du peintre (v. 3436 et l. CLXXXV : « sunt tuit painturé o bel enlacement / De bestes et de oiseals, de flurs et de serpent »). Sont dépeints enfin en prolongement les marchés de la ville de Sarmacène, où lon vend des pierres précieuses et des épices exotiques (« giroffle et garingau59 [] Et la riche canele et bon citoau60 », l. CLXXXVI61). La topographie et la description des lieux font ainsi de lOrient un espace onirique, un endroit hors du commun, semblant appartenir à un autre monde qui peut même être rapproché du paradis (« Seignors, en la citié ad un eaue mult grant / Qui surt de paraïs, ce trove len lisant », l. CLXXXVII62).

Cette magnificence est parachevée par la générosité des souverains orientaux offrant des tentes merveilleuses, telles celles quAlexis de Constantinople remet aux croisés qui lui jurent foi et hommage. Ces cadeaux qui ne sont pas mentionnés dans la chronique de Baudri sont décrits en détail aux laisses XC-CIX, v. 3671-4134, à loccasion du siège dAntioche63. Ce motif est typique du roman antique médiéval, auquel il pourrait être directement emprunté64 : le Roman dAlexandre65 et le Roman de Thèbes donnent des descriptions détaillées de tentes et de 134palais orientaux, où se manifeste une intention didactique comparable à celle de la Chanson de la Première Croisade66. Ces tentes, comme les villes, exposent les richesses de lOrient par leurs matériaux précieux et par leurs peintures. Quelques-unes possèdent même des qualités magiques, telles que celle de guérir des maladies (« Ja hom qui fust dedenz neüst sanc melleison, / Ne fievre ne chalt mal, ne gote ne curson / Ne morir ne peüst neis par une poison », Chanson de la Première Croisade, v. 3688-3690)67.

Les créatures merveilleuses complètent le panorama oriental : elles sont évoquées dans les laisses CC-CCIX de la Chanson de la Première Croisade et correspondent aux merveilles de lInde de la tradition classique représentée, entre autres, par Isidore de Séville68. Absentes dans la chronique latine et dans la Chanson dAntioche, elles appartiennent à larmée du soudan de Perse et constituent un point commun avec la Chanson de Jérusalem, qui décrit des monstres similaires dans les laisses 227-230, 245 et 25069. Dans la Chanson de la Première Croisade, une influence directe des Romans dAlexandre, notamment du Roman de toute chevalerie de Thomas de Kent70 est tout à fait envisageable71. S. Friede relève plusieurs types de monstres auxquels Alexandre est confronté avec son armée dans le Roman dAlexandre72. Voici deux exemples de la 135Chanson de la Première Croisade et des passages analogues de la Chanson de Jérusalem et de Thomas de Kent, Roman de toute chevalerie :

Chanson de la Première Croisade,

laisse CXCVII73 :

Chanson de Jérusalem, v. 8281-8289 :

Ja home de la contree de pain ne mangera,

Ne nen beivra de vin, ne drap ne vestira.

Derbe vivent tuz jorz, qui ja ne lur faudra

Et sunt plus verz de cive, qui verité en dira.

Ne ja nul de bataille pur arme ne suira,

Ne descu ne de riens son cors ne covra,

Car un vestement en font de glaiol qui creist ja

Que riens nel pot perchier tant et ne sen penera.

La tierce est des Majols, la quarte dAlfaïn –

Cest une gens averse qui ne gostent de vin.

Les roces i sont hautes et li perron marbrin,

Tot mainent desos terre parfont en sousterin

Et mangüent le graine del poivre et del comin.

Plus trençoient lor dent que rasoir acerin

Et si corent plus tost que cevroel en gaudin.

Ainc ne vestirent drap de laine ne de lin,

Velu sont conme viautre, sont abai de mastin.

Chanson de la Première Croisade,

laisse CCIII74 :

Thomas de Kent, Roman de toute chevalerie, v. 4710-4711 :

Enprés Emofradites vindrent Cenophali,

Une gent merveilluse, onques home tel ne vi.

A loi de chien resemble lor parole et lur cri

Et si ne sunt pas grant, mais forment sunt hardi.

Un autres i ad qe lem cleime chenine :

Abaient e sunt chiens en amont la poitrine

Comme dans les chansons du Cycle de la Croisade, la représentation de lOrient de la Chanson de la Première Croisade sinscrit explicitement dans une tradition littéraire et non pas historiographique75. Lœuvre satisfait ainsi le goût de son public pour lexotisme en créant un espace merveilleux.

Si la représentation de lOrient est donc la plupart du temps positive, celle de ses habitants est beaucoup plus ambiguë, voire négative. Même les chrétiens byzantins et orientaux, qui partagent la religion des croisés, sont décrits comme lâches et efféminés (à propos des Byzantins : « Mais 136coarz sunt et revers et sanz defendement », Chanson de la Première Croisade, v. 839) et comme des traîtres ; les Byzantins attaquent à plusieurs reprises les croisés (l. XVI-XVIII et XXII-XXIII) et les chrétiens dAntioche servent despions aux musulmans de la ville, par exemple, dans Chanson de la Première Croisade, v. 4429-4433 :

Bien ad esté conté Grasïon lamirail, []

Crestïen le lui distrent et sai bien dire qual :

Hermine baptizié del païs natural

Qui soient maleït de Deu lespiritual.

Quant à lempereur byzantin, il est présenté de manière ambivalente. Dun côté, cest lui qui donne lordre dattaquer les croisés, de lautre, il leur fait de riches cadeaux lorsquils lui jurent foi et hommage (l. XXX) et on lappelle « roi droiturier » (v. 864).

Lauteur de la Chanson de la Première Croisade ne suit donc pas la chronique latine où Baudri défend lidée que tous les chrétiens sont membres de la même famille, révélant une position originale face aux chrétiens orientaux76. Il omet, on la vu, des passages de sa source, notamment ceux qui parlent de la croisade comme dune expédition servant à aider et à défendre les chrétiens orientaux. Il paraît, dans ce cas, suivre les Gesta Francorum77 qui, selon St. Biddlecombe représentent les chrétiens orientaux de manière ambiguë :

The Gesta author has the Armenian and Syrian Christians walk a fine line between the Turks and crusaders at Antioch : for exemple they are spying for the Turks, while at the same time bringing much-needed supplies to the crusader camp. (Baudri, Historia Ierosolimitana, éd. Biddlecombe, p. xlvii)

Il existe toutefois un groupe situé entre les musulmans et les croisés et dont la représentation dans la Chanson de la Première Croisade est beaucoup plus positive : les convertis, notamment Saraçon et Pirrus dAntioche. Le premier est un personnage qui nexiste pas dans lhistoriographie, le second est mentionné dans les chroniques comme la personne qui a 137facilité laccès des croisés à la ville dAntioche ; en réalité, il sagissait probablement dun chrétien arménien et non pas dun musulman converti. Par rapport à lhistoriographie, ce personnage occupe une place beaucoup plus importante dans la Chanson de la Première Croisade. Limportance des deux personnages et leur ajout, voire leur rôle amplifié par rapport à la source latine, pourraient être encore une manière de rapprocher ce texte de la tradition épique, dans laquelle les convertis jouent un rôle plus important que dans des textes de genre différent78. Des convertis se trouvent aussi dans les chansons du Cycle de la Croisade. Tandis que Saraçon se convertit à la suite dune illumination miraculeuse (l. CXXX), Garsiien dAcre dans la Chanson de Jérusalem renonce à sa foi pour sauver sa vie79, mais, dans les deux cas, le baptême est décrit en détail :

Li evesques lui fait les fonz apparillier,

Et li autre baron le font tut despouillier.

Le cors ont lavé deaue au noble chevalerie

Et od un blanc chainsil lont fait bien essuier.

Puis lest alé li evesques maintenant primseignier,

Deudoné le noma quant il le velt plungier.

(Chanson de la Première Croisade, v. 5086-5091)

Li vesques de Mautran a les fons aprestés,

Aprés se fu li rois de ses dras desnüés ;

Mais ses nons ne li fu cangiés ne remüés :

Puis fu en lost par lui mains bons consels donés.

(Chanson de Jérusalem, v. 2570-2257)

Pirrus, dont lamitié étroite avec Bohémond est décrite amplement dans la Chanson de la Première Croisade, réagit de façon similaire dans Chanson de la Première Croisade (l. CCXXIV) et dans la Chanson dAntioche (l. CCLX-CCLXI) face à sa femme, une fervente musulmane, qui veut lempêcher de donner la ville aux croisés : il la tue. Ce conflit dintérêts entre loyauté familiale et religieuse, relevé par M. Ailes80, comme typique pour les convertis, est donc résolu de la même manière – la religion lemporte sur lamour de sa propre femme. La fiabilité des nouveaux chrétiens nest donc aucunement mise en cause dans les chansons de croisade.

138

Quant aux musulmans non convertis, ils correspondent aux stéréotypes des chansons de geste. Dun côté, ils sont couverts dinsultes par les croisés et par le narrateur (« li paen desfaé », v. 1059, « la gent Belzebu », v. 2318, « la pute gent haïe », v. 1549) et décrits comme cruels (ils maltraitent les prisonniers chrétiens, « Aler les funt a pié par la terre durcie / Et les mainent batant comm autre bergerie », v. 1550-1551 ; ils torturent Renaud Porchet, l. CLXXVII-CLXXIX81). De lautre, ils sont aussi dépeints comme de vaillants guerriers (« Borgeau lenvoisié [] fud prouz et hardi et out le cors haitié », v. 2407-2409 ; « Soliman [] od la chiere hardie », v. 2928 ; « trente mile Turcs hardiz et corrajus », v. 1382). Ils peuvent même avoir des qualités chevaleresques et courtoises, ce qui est traditionnel dans les chansons de geste et dans le Cycle de la Croisade82. Il en est ainsi dans lépisode du musulman Rubidan (v. 1332-1368), qui fait preuve de valeurs chevaleresques (« Riches amirailz ert, not tant proz en Surie, / A Niques fud venu a grant chevalerie », v. 1333-1334) et éprouve un amour tout de courtoisie pour Florence, la nièce de son souverain (« La niece Soliman avoit mult encovie », v. 1335). Cet amour le conduit à sa perte lors du combat mortel quil engage contre le duc de Normandie à linstigation de Beaufomet, « cui Florence iert amie » (v. 1357). Rubidan est donc lexemple typique du chevalier parfait dont le seul défaut est celui dêtre « païen », stéréotype des chansons de geste83.

Dans la même veine, la représentation de lislam comme religion païenne correspond, elle aussi, aux stéréotypes fréquemment utilisés dans les chansons de geste et dans les chroniques de la Première Croisade84. Dans la Chanson de la Première Croisade, trois noms de dieux musulmans sont mentionnés qui, selon P. Bancourt, forment une « espèce de Trinité85 » dans la tradition épique : Apolin, Tervagant et Mahomet. Ils se trouvent aussi dans la Chanson de Jerusalem86. Le premier, Apolin, nest pourtant évoqué quune seule fois dans la Chanson de la Première Croisade (v. 2570). Tervagant est cité deux fois (v. 3529 et 4005). Mahom/139Mahomet est le plus souvent évoqué comme dieu musulman : il est nommé 58 fois avec de légères variations (entre autres, Mahom v. 127, 1004, 1041 etc., Mahomet v. 1033, 1235, 1273 etc., Mahon v. 1676, 3752 et Malmet v. 1609).

Pour compléter limage du paganisme, la Chanson de la Première Croisade représente des sacrifices danimaux (« Et ont sacrifïé a lur Deu un mouton / Et une vache o trestut son foon. / Por ce quident li fel quil aient pardon », v. 2273-2275) et parle didoles de Mahom :

Plus i furent unchore de trois cenz soudoier

Qui tuz jurent le Deu qui tut pot jostisier

Que ja ne retorneront por neis un encombrier, []

Jesque en Antïoche se peussent herbergier,

Et [lez] paens occire et (lur) Mahom trebuchier,

Qui est en lur mustiers tresgeté dor mier.

(Chanson de la Première Croisade, v. 3749-3753)

A. Leclercq87 relève des passages de la Chanson de Jérusalem et de la Chanson dAntioche décrivant lidolâtrie des musulmans et la volonté des croisés de détruire ces idoles (voir la Chanson dAntioche, v. 1752-1753 : « Ne lairons Soliman, si larons trait a fin / Et destruit Tervagan, Mahon et Apolin »).

Limpuissance de Mahomet est démontrée par les réactions des musulmans devant leur échec dans les batailles menées. Ils supposent que leur dieu Mahomet est endormi (Chanson de la Première Croisade, v. 2898-2899 : « Ahi, saint Mahomet, comm ies hui dormiz, / Malveisement nos as tensez et garantiz ») et en insultent leur dieu :

Franceis nos encontrerent, nostre en fud le dehez,

Ça men sui afoï issi com vos veiez.

Jamés nen iert par moi Mahomet ahorez,

Nu sera il par vos, si croire me volez,

Car nule rien ne valt la sue poüstez

(Chanson de la Première Croisade, v. 3597-3601)

Ces éléments sont absents de la source latine. Cependant, la Chanson dAntioche introduit aussi le motif de Mahomet endormi (v. 2292 : « Or 140puis je mout bien dire, pour voir, que vous dormés88 »), de même que celui des musulmans insultant leurs dieux après une défaite, relevé par A. Leclercq89.

Même si lislam est représenté comme religion païenne et idolâtre, Pirrus, le musulman dAntioche qui se convertit ultérieurement au christianisme, montre par sa formule de salutation quil croit que chrétiens et musulmans adorent le même créateur :

Si ge ne sai voz nons, car nes ai pas usé,

Mais dicel creatur qui le mund ad formé,

Et mist el firmament soleil pur clarté

Soiez tuz asols, benoit et guaranté,

Mais que a nos pais aiez et soiez amé.

(Chanson de la Première Croisade, v. 4246-4248)

Il évoque les différences entre les deux religions, tout en faisant ressortir leurs similarités :

Mais a salver noz almes sumes mielz avisé :

Nos creiom en Mahom et le tenom a dé

Et vos en Jhesu Crist, le roi de majesté.

Nos sumes circumcis, vos estes baptizié.

(Chanson de la Première Croisade, v. 4275-4278)

Ce qui est intéressant, cest que Mahomet et Jésus sont, tous les deux, nommés dieux alors quen réalité, il sagit des fondateurs de lislam et du christianisme. Pour chacune des deux religions, un rite qui seffectue peu après la naissance dun enfant est évoqué. Dans ce bref extrait se dessine une représentation de lislam comme religion monothéiste et similaire à celle des chrétiens. En dehors de ce discours direct de Pirrus, la Chanson de la Première Croisade reste pourtant conforme à la représentation stéréotypée des musulmans et de lislam comme religion « païenne » typique des chansons de geste.

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CONCLUSION

Lécriture de la croisade de la Chanson de la Première Croisade se caractérise surtout par linscription de ce texte dans la tradition épique et par lajout de scènes de combat et dépisodes concernant les chefs de la croisade. Lauteur met laccent sur lhéroïsme et la prouesse des croisés, qui sont représentés de manière identique aux héros des chansons de geste traditionnelles. Un autre élément qui distingue lœuvre de la chronique latine est linsertion de longues descriptions des richesses et merveilles de lOrient, rapprochant la Chanson de la Première Croisade du roman antique médiéval. Cette double influence des chansons de geste et du roman sobserve aussi pour les chansons du Cycle de la Croisade, la Chanson dAntioche et la Chanson de Jérusalem : la Chanson de la Première Croisade entretient du reste beaucoup de points communs avec ces dernières. Elle combine ainsi le récit des principaux événements de la croisade avec une représentation épique et laugmentation des éléments merveilleux qui se trouvent déjà dans les chroniques latines.

Jennifer Gabel de Aguirre

Université de Klagenfurt

1 Lœuvre est aussi connue sous les titres de Siege dAntioche ovesque le conquest de Jerusalem de Godefred de Boilion, contenu dans lun des manuscrits, et de Récit en vers de la Première Croisade fondé sur Baudri de Bourgueil, utilisé dans A. Petit, « Le camp chrétien devant Antioche dans le RPCBB », Romania, 108, 1987, p. 503-519.

2 La Chanson dAntioche, éd. J. A. Nelson, Tuscaloosa/London, University of Alabama Press, 2003. Voir aussi La Chanson dAntioche, éd. et trad. B. Guidot, Paris, Champion, 2011.

3 La Chanson de Jérusalem, éd. N. R. Thorp, Tuscaloosa/London, University of Alabama Press, 1992.

4 La Chanson de la Première Croisade daprès Baudri de Bourgueil, éd. J. Gabel de Aguirre, Heidelberg, Winter, 2015.

5 P. Meyer, « Un récit en vers français de la première croisade fondé sur Baudri de Bourgueil », Romania, 5, 1876, p. 1-63.

6 Petit, « Le camp chrétien ».

7 Voir Baudri de Bourgueil, The Historia Ierosolimitana of Baldric of Bourgueil, éd. S. Biddlecombe, Woodbridge, Boydell Press, 2014.

8 Pour plus de détails et les renvois aux historiographies modernes, voir lintroduction à la Chanson de la Première Croisade, p. 6-28.

9 Voir Ch. Tyerman, Gods war : a new history of the Crusades, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2006, p. 137.

10 Voir Tyerman, Gods war, p. 140.

11 Voir P. Damian-Grint, The New Historians of the Twelfth-Century Renaissance, Woodbridge, Boydell, 1999, p. 82.

12 D. Trotter, Medieval French literature and the Crusades (1100-1300), Genève, Droz, 1988, p. 114.

13 K.-H. Bender, « De Godefroy à Saladin. Le premier cycle de la croisade : entre la chronique et le conte de fées (1100-1300). Partie historique », GRLMA, III/1, Les Épopées romanes, éd. R. Lejeune, Heidelberg, Winter, 1987, t. 1, fasc. 5, p. 81-83, ici p. 43.

14 R. Cook, Chanson dAntioche, chanson de geste : Le cycle de la croisade est-il épique ?, Amsterdam, Benjamins, 1980, p. 71.

15 Voir F. Autrand, « Les dates, la mémoire et les juges », Le Métier dhistorien au Moyen Âge. Études sur lhistoriographie médiévale, éd. B. Guenée, Paris, Publications de la Sorbonne, 1977, p. 171.

16 Voir Baudri, Historia Ierosolimitana, livre I, p. 3 : « Quis enim tot principes, tot duces, tot milites, tot pedites sine rege, sine imperatore dimicantes eatenus audiuit ? Neque siquidem, in isto exercitu, alter alteri prefuit, alius alii imperauit : nemo quod sibi peculiare uidebatur disposuit, nisi quod sapientium commune consultum decreuit, nisi quod plebis scitum collaudauit. » (Nous traduisons : « Car qui avait entendu parler jusque-là dautant de princes, de ducs, de soldats et de fantassins qui combattaient sans roi, sans empereur ? Dailleurs, dans cette armée, aucun nétait supérieur à lautre, ni ne commandait à lautre : il semblait que personne ne disposait de ses propriétés, si ce nétait que la communauté le décrétait de manière plus sage par une délibération ou quune décision de sa part le loua »).

17 Voir Baudri, Historia Ierosolimitana, livre I, p. 26 : « Preterea ibi erat tanta rerum omniu communitas ut uix aliquis aliquid sibi diceret propriu ; sed, sicut in primitiua ecclesia, ferme illis erant omnia communia » (Nous traduisons : « Plus tard, la communauté de tous les biens était telle que presque personne ne déclara rien comme sa propriété, mais presque toutes les choses étaient communes à ceux-ci, comme dans lÉglise originelle »).

18 Voir C. Kostick, The Social Structure of the First Crusade, Leiden, Brill, 2008, ici p. 65 : « Baldrics history, however, merits analysis in its own right for the theological and classical perspectives that Baldric offers ».

19 De telles séquences épiques traditionnelles se trouvent pourtant aussi en grand nombre dans les Romans dAlexandre ; voir C. Gaullier-Bougassas, Les Romans dAlexandre. Aux frontières de lépique et du romanesque, Paris, Champion, 1998, p. 101-102.

20 Dautres exemples se trouvent dans les v. 1068-1075, 1342-1346, 2521-2541, 2693-2695, 4514-4523 et 4816-4819.

21 Voir J.-P. Martin, Les Motifs dans la chanson de geste. Définition et Utilisation, Villeneuve-dAscq, Centre dÉtudes Médiévales et Dialectales, 1987, p. 184-185.

22 Ibid.

23 Voir Martin, Les Motifs dans la chanson de geste, p. 186.

24 Voir Martin, Les Motifs dans la chanson de geste, p. 194.

25 C. Rouxpetel, LOccident au miroir de lorient chrétien. Cilicie, Syrie, Palestine et Égypte (xiie-xive siècle), Rome, École française de Rome, 2015, p. 296.

26 Ainsi en est-il, par exemple, de Raymond dAguilers, pour lequel J. Tolan constate que « la croisade – avec son bain de sang – se justifie dabord et avant tout comme vengeance » (J. Tolan, Les Sarrasins, trad. P.-E. Dauzat, Paris, Flammarion, 2003, p. 173).

27 Voir C. Erdmann, Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgemeinschaft, 1935, p. viii.

28 Voir Erdmann, Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, p. viii, qui constate que lavidité (« die Aussicht auf Sold, Beute und Landgewinn ») était une des raisons de partir à la croisade.

29 Une critique similaire se trouve dans la Chanson dAntioche, v. 118-123 : « Cis siecles est mout fel, si nos viut enganer : / Ni a point de justice, ni puet on veïr cler, / Hom ni est ki foit ait encontre avoir douner. / Mout i couvi[e]nt grans gardes pour nos vies sauver ; / Diables nos est prés, qui nos viut enganer / Bien nos devriiens mais de ses engiens garder. »

30 S. Edgington, « “Pagans“and “Others“in the Chanson de Jerusalem », Languages of Love and Hate, éd. S. Lambert et H. Nicholson, Turnhout, Brepols, 2012, p. 37-47, ici p. 38. Néanmoins, Hardman et Ailes considèrent quil serait simpliste de considérer les chansons de geste qui traitent des croisades essentiellement comme propagande de la croisade : « Simplistic readings of chansons de geste and romances with crusading themes as essentially crusade propaganda have long been abandoned » (Ph. Hardman et M. Ailes, « Crusading, Chivalry and the Saracen World in Insular Romance », Christianity and Romance in Medieval England, éd. R. Field, Ph. Hardman et M. Sweeney, Cambridge, Brewer, 2010, p. 45-65, ici p. 64-65). Ils citent Daniel : « The songs are not Crusade propaganda, as I once believed, but they are good propaganda for a life of daring and adventure » (N. Daniel, Heroes and Saracens. An Interpretation of the Chansons de Geste, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1984, p. 267). Ils observent pourtant la présence de « complex attitudes to chivalric values and Christian salvation that surrounded the practice of crusading » (Hardman et Ailes, « Crusading, Chivalry and the Saracen World in Insular Romance », p. 65) pour les textes en moyen anglais.

31 Bender, « De Godefroy à Saladin », p. 82, et Damian-Grint, The New Historians of the Twelfth-Century Renaissance, p. 83, ont mis en cause lappartenance de ce texte au genre épique en argumentant que les héros ne seraient pas pris en compte individuellement. Ce jugement sexplique probablement par leur connaissance fragmentaire de lœuvre, puisque, à lépoque, seulement une petite partie en avait été éditée.

32 Un épisode similaire se trouve dailleurs dans la Chanson dAntioche vers la fin de la bataille dAntioche (l. CCCLXXVII-CCCLXXIX).

33 Tolan constate que la mort de Renaud Porchet est représentée chez Tudebode « en des termes empruntés à lhagiographie » (Tolan, Les Sarrasins, p. 168).

34 Cet épisode est absent de la chronique latine de Baudri.

35 Sur la représentation de ce groupe dans le Cycle de la Croisade, voir M. Janet, LIdéologie incarnée. Représentations du corps dans le premier cycle de la croisade (Chanson dAntioche, Chanson de Jérusalem, Chétifs), Paris, Champion, 2003, p. 142-155 (sur les Tafurs en général et sur leur apparence physique), p. 171-184 (sur lextravagance vestimentaire des Tafurs) et p. 345-368 (sur le cannibalisme des Tafurs).

36 Voir Janet, LIdéologie incarnée, p. 142.

37 Voir aussi S. Duparc-Quioc, Le Cycle de la Croisade, Paris, Champion, 1955, p. 79, qui constate cette similitude entre les deux œuvres.

38 Voir sur ce sujet Janet, LIdéologie incarnée, p. 142-151, qui rapproche la représentation des Tafurs dans la Chanson dAntioche de celle dun homme sauvage, dun animal ou dun monstre.

39 Voir E. Baumgartner, « Lexotisme à rebours dans la Chanson dAntioche », LExotisme dans la poésie épique française, éd. A. Kalmar, Paris, LHarmattan, 2003, p. 13-28, ici p. 26-27 ; Janet, LIdéologie incarnée, p. 345-368.

40 Par exemple v. 6424 ; voir Edgington, « “Pagans“and “Others“in the Chanson de Jerusalem », p. 45.

41 Cette partie de la Chanson de la Première Croisade nest toujours pas éditée. Le vers cité est directement transcrit du manuscrit, fol. 171r.

42 Baumgartner, « Lexotisme à rebours dans la Chanson dAntioche », p. 28 : « Mais ces effroyables Tafurs, si présents dans la Chanson dAntioche, apparaissent à bien des égards comme limage agrandie de lhorreur qui guette les croisés, comme des sortes de boucs émissaires [] ».

43 Comme J. Le Goff, « Le merveilleux dans loccident médiéval », LÉtrange et le merveilleux dans lislam médiéval, éd. M. Arkoun, Paris, Éditions J. A., 1978, p. 61-79, ici surtout p. 73 et 75, nous comprenons par « merveilleux chrétien » toute catégorie de surnaturel qui se rapproche du miracle et dont lauteur est le dieu chrétien.

44 Voir Trotter, Medieval French literature and the Crusades, p. 113.

45 Voir Bender, « De Godefroy à Saladin », p. 44.

46 Ces vers sont directement transcrits du manuscrit Hatton 77, fol. 159v. Voir aussi la Chanson dAntioche, l. CCCLXXIII.

47 A. Leclercq, Portraits croisés. Limage des Francs et des Musulmans dans les textes sur la Première Croisade. Chroniques latines et arabes, chansons de geste françaises des xiie et xiiie siècles, Paris, Champion, 2010, p. 381.

48 Ainsi, R. Deschaux, « Le merveilleux dans la Chanson dAntioche », Au carrefour des routes dEurope : La chanson de geste. Xe congrès international de la Société Rencesvals, éd. F. Suard, Aix-en-Provence, Publications du CUERMA, 1987, t. 1, p. 431-443, ici p. 440, constate à propos de la Chanson dAntioche que « [l]a comparaison avec des œuvres du temps à prétention plus nettement historiographique montre que sur ce point il ny a pas grand écart ».

49 Voir C. Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage. Poétique de la ville dans le roman antique au xiie siècle, Paris, Champion, 1994, p. 39 : « La ville se révèle ainsi réceptacle de toutes les richesses aussi bien matérielles que culturelles, religieuses ou politiques [] ».

50 Cette description est complétée par le sermon de lévêque du Puy, v. 3355-3370, qui parle de lhistoire de la ville, par la laisse LXXXIV, v. 3380-3427, qui explique lorigine de son nom, donne des informations supplémentaires sur son histoire et vante sa propreté et sa richesse, et par la laisse LXXXVI, v. 3458-3485, où les rois et les émirs de la ville sont énumérés. Dans Baudri, Historia Ierosolimitana, livre II, p. 38, la description se limite à quelques lignes : « Post hec ingressi sunt uallem illam inclitam, uallem spaciosam et uberem, in qua regia et famosa ciuitas Antiochia sita est, que tocius Sirie metropolis et princeps est, en qua primicerius apostolorum, Petrus, catedram decorauit pontificalem. ». Une partie des informations sur Antioche contenues dans la Chanson de la Première Croisade se trouve ailleurs, dans Baudri, Historia Ierosolimitana, livre III, p. 90 ; il sagit néanmoins dune description beaucoup plus neutre et moins détaillée.

51 Cette partie de la Chanson de la Première Croisade nest toujours pas éditée. Les vers cités de la laisse CLXXV sont directement transcrits du manuscrit Hatton 77, fol. 100v-101r.

52 Voir Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage, p. 77 : « Dans les romans antiques, décrire la ville, cest évoquer laspect denfermement puis la topographie interne avec lensemble des maisons, palais, tours et donjons principaux ». Il existe « une gradation dun espace ouvert vers un espace clos » (Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage, p. 86).

53 Voir Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage, p. 111 : « La deuxième caractéristique de la ville est la prééminence de la richesse, associée à la largesse et à labondance, mais également à la beauté. »

54 Voir Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage, p. 113.

55 Voir sur ce sujet Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage, p. 114-117.

56 Voir Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage, p. 120, pour lemploi des aimants dans les romans antiques.

57 Voir Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage, p. 123 sur léclat des matières précieuses.

58 Voir Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage, p. 125-126.

59 Il sagit de clou de girofle et de rhizoma galangae, une plante aromatique des Indes Orientales ; voir Dictionnaire Étymologique de lAncien Français (DEAF), G 92, 34, s. v. galingal, consultable sur le site www.deaf-page.de.

60 Il est question de la zédoaire, qui est similaire au gingembre ; Dictionnaire du Moyen Français (DMF), s. v. citoual, consultable sur le site de lATILF.

61 Ce vers est directement transcrit du manuscrit Hatton 77, fol. 101r.

62 Ce vers est directement transcrit du manuscrit Hatton 77, fol. 101v.

63 Cet extrait a déjà été publié dans Petit, « Le camp chrétien », qui fournit la description de la structure de toute la séquence à la p. 504 et le schéma des laisses qui sont toutes structurées de la même manière à la p. 505.

64 Voir Leclercq, Portraits croisés, p. 177-180, qui constate, p. 180 : « Hérité du roman antique médiéval, ce motif na pas grand-chose à voir avec les tentes réelles des campements musulmans ; il illustre en revanche linterpénétration de la chanson de geste et du roman ».

65 Voir E. Armstrong et al., « Version of Alexandre de Paris, Text », The Medieval French Roman dAlexandre, éd. M. S. La Du, Princeton, Princeton University Press, vol. 2, 1937 ; Gaullier-Bougassas, Les Romans dAlexandre, p. 138-139 ; S. Friede, Die Wahrnehmung des Wunderbaren. Der Roman dAlexandre im Kontext der französischen Literatur des 12. Jahrhunderts, Tübingen, Niemeyer, 2003, p. 107-114.

66 Voir E. Baumgartner, « Peinture et écriture : la description de la tente dans les romans antiques au xiie siècle », Sammlung – Deutung – Wertung : Ergebnisse, Probleme, Tendenzen und Perspektiven philologischer Arbeit, éd. D. Buschinger, Amiens, Université de Picardie, 1988, p. 3-11, ici p. 3-4. Les deux œuvres incluent dans leur description des tentes de riches informations encyclopédiques sur la conception de lunivers, puisquil existe des tentes peintes avec une mappemonde, les astres, etc. (l. XCV dans la Chanson de la Première Croisade).

67 Les tentes merveilleuses font aussi partie de la tradition des romans antiques ; voir Baumgartner, « Peinture et écriture », p. 11. Pour une description similaire de tentes, voir la Chanson dAntioche, l. CXL-CLII.

68 Voir J. Gabel de Aguirre, « Die merveilles de lInde in der altfranzösischen Chanson de la Première Croisade nach Baudri de Bourgueil und ihre Quellen », Ki bien voldreit raisun entendre. Mélanges en lhonneur du 70e anniversaire de Frankwalt Möhren, éd. S. Dörr, Th. Städtler, Strasbourg, Éditions de linguistique et de philologie, 2012, p. 95-116, ici p. 95.

69 Voir sur ce sujet aussi Edgington, « “Pagans“and “Others“in the Chanson de Jerusalem », p. 41.

70 Thomas de Kent, The Anglo-Norman Alexander (Le Roman de toute Chevalerie), éd. B. Foster et I. Short, London, Anglo-Norman Text Society, 1976-1977. Voir aussi Thomas de Kent, Le Roman dAlexandre ou Le Roman de toute Chevalerie, éd. B. Foster et I. Short, trad. C. Gaullier-Bougassas et L. Harf-Lancner, Paris, Champion, 2003.

71 Voir sur ce sujet Gabel de Aguirre, « Die merveilles de lInde in der altfranzösischen Chanson de la Première Croisade ».

72 Voir Friede, Die Wahrnehmung des Wunderbaren, p. 284-287.

73 Édité dans Gabel de Aguirre, « Die merveilles de lInde in der altfranzösischen Chanson de la Première Croisade », p. 97-98.

74 Édité dans Gabel de Aguirre, « Die merveilles de lInde in der altfranzösischen Chanson de la Première Croisade », p. 100.

75 Voir Leclercq, Portraits croisés, p. 184 : « Alors que lhistoriographie ramène surtout le lecteur à la réalité de lexpédition historique, la chanson de geste lui fait aussi traverser un espace en partie onirique. Malgré son ancrage historique, le premier Cycle de la croisade préfère à bien des égards développer une vision merveilleuse de lOrient et promouvoir un songe littéraire. »

76 Voir Biddlecombe dans lintroduction à Baudri, Historia Ierosolimitana, p. xlix : « only Baldric takes the unique position of wholeheartedly embracing the Eastern Christians as members of the same Christian family, celebrating the Eastern Church as the source of the Christian inheritance and describing it as the mother of the Christian faith ».

77 Voir « Gesta Francorum et Aliorum Hiersolymitanorum », Recueil des Historiens des Croisades, Historiens occidentaux, t. 3, Paris, Imprimerie Royale, 1866, p. 121-163.

78 Leclercq, Portraits croisés, p. 475, observe à ce sujet : « Sil est davantage présent dans les chansons de geste, le motif de la conversion nest pourtant pas purement épique ». Voir aussi P. Bancourt, Les Musulmans dans les chansons de geste du Cycle du roi, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1982, t. 1, p. 549-557, qui décrit plusieurs personnages convertis des chansons de geste.

79 Voir Leclercq, Portraits croisés, p. 473.

80 Voir M. Ailes, « Tolerated Otherness : Saracens who do not convert in the chansons de geste », Languages of Love and Hate, éd. Lambert et Nicholson, p. 3-19, ici p. 10.

81 Bancourt, Les Musulmans dans les chansons de geste du Cycle du roi, p. 114, mentionne la cruauté comme lun des principaux traits caractéristiques des Sarrasins épiques qui « se manifeste surtout par leurs actes ».

82 Voir Leclercq, Portraits croisés, p. 420-421.

83 Voir Bancourt, Les Musulmans dans les chansons de geste du Cycle du roi, p. 326-333.

84 Voir Tolan, Les Sarrasins, p. 163.

85 Bancourt, Les Musulmans dans les chansons de geste du Cycle du roi, p. 355.

86 Voir Edgington, « “Pagans“and “Others“in the Chanson de Jerusalem », p. 40.

87 Voir Leclercq, Portraits croisés, p. 202-204. Elle cite un passage de la Chanson dAntioche dans lequel Sansadoine, fils du gouverneur dAntioche, insulte Mahomet de manière similaire, en employant une valeur minimale.

88 Voir Leclercq, Portraits croisés, p. 213.

89 Voir Leclercq, Portraits croisés, p. 215.