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Classiques Garnier

Le théâtre à l’envers de Maugouvert Impuissance masculine et chevauchée de l’âne au XVIe siècle

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2019 – 1, n° 37
    . varia
  • Auteur : Négrel (Éric)
  • Résumé : Les Abbayes parodiques du « mauvais gouvernement » exerçaient une justice coutumière collective qui prenait pour objet les alliances matrimoniales et la vie sexuelle des couples. La peine infamante de la chevauchée de l’âne était destinée à sanctionner les maris cocus et dominés par leurs épouses. Cette forme rituelle spectaculaire fait appel à l’imaginaire symbolique du monde renversé et possède des enjeux anthropologiques cruciaux concernant la communauté et le système de parenté qui la fonde.
  • Pages : 333 à 355
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406097013
  • ISBN : 978-2-406-09701-3
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09701-3.p.0333
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 17/12/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : histoire du théâtre, parodie, anthropologie, charivari
333

Le théâtre à lenvers de Maugouvert

Impuissance masculine
et chevauchée de lâne au xvie siècle

Le désir quelle avait eu de lui, tout à lheure, quand elle chantait, lui revint à lesprit.

– Tu veux que je te suce ?

– Cest de vivre… il dit faiblement, comme sil avait poursuivi une réflexion. Vivre fatigue. Tu ne crois pas ?

Jean-Claude Izzo, Vivre fatigue, 1998.

Compagnons du charivari
et bandes de maugouverts

Le rite punitif de la promenade sur lâne est une peine infamante très ancienne qui remonte à la Grèce antique, où elle sanctionnait les adultères1. Dans lEurope renaissante et moderne, cette forme spectaculaire dhumiliation publique relève à la fois de larsenal punitif officiel du droit pénal et des modalités coutumières de la justice populaire. Dans son Traité des différentes espèces de crimes, et de leurs peines, qui complète, en 1757, ses Institutes au droit criminel, Muyart de Vouglans note, à propos du crime de « maquerellage », que la loi condamne « la maquerelle à être promenée sur un âne par les carrefours de la ville, le visage tourné vers la queue, avec un chapeau de paille sur la tête, et des écriteaux devant et derrière portant ces mots, Maquerelle publique, et ensuite 334à être fouettée, marquée et bannie pour un temps2 ». De son côté, la justice collective coutumière recourt à cette même peine corporelle pour sanctionner un crime dune tout autre nature, lequel nentre pas dans le champ dapplication de la loi civile : les violences domestiques. Dans son Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts (1784), Prost de Royer indique que « [c]ette coutume de promener sur un âne, et le mari qui avait battu sa femme, et le mari qui sétait laissé battre par sa femme, est fort ancienne, et en France, et dans les autres contrées de lEurope3 ». Cette forme de punition rituelle était également appliquée aux infidélités conjugales, comme le signale Jean-François Fournel dans son Traité de ladultère, considéré dans lordre judiciaire (1778). Avocat au parlement de Paris, lauteur envisage son objet du point de vue du droit positif, lequel pénalisait, dans la France dAncien Régime (et jusquau xixe siècle), la seule infidélité féminine. Le juriste ne manifeste quincompréhension à légard de la coutume qui sanctionne la victime de ladultère – le mari trompé – au lieu de lépouse infidèle ; il est choqué par cet « usage » « de promener sur un âne, le visage tourné vers la queue, le mari qui accusait sa femme dadultère4 ». Au rebours du droit pénal, qui sefforce de régler les conduites sociales en codifiant les infractions et les sanctions, la justice coutumière apparaît comme une justice à lenvers, punissant paradoxalement les victimes en redoublant leur peine.

Souvent tolérée par les autorités, la sanction coutumière pouvait aussi bien faire lobjet de poursuites judiciaires pour action dinjures (cest-à-dire voies de fait) et assemblée illicite avec troubles à lordre public, suite à un dépôt de plainte de la part de la victime : les arrêts de cour de justice ou les ordonnances de police signalent la vitalité de la coutume tout autant que linterdit qui la frappe5. Suivant les auteurs, la chevauchée 335de lâne est tantôt présentée comme une forme particulière de la coutume du charivari, tantôt comme un rite distinct. En réalité, par les objets communs quils se donnent, par certaines modalités rituelles quils partagent, par les enjeux anthropologiques identiques qui sont les leurs, charivaris et chevauchées de lâne offrent un même visage : la violence rituelle est linstrument dun contrôle social qui sexerce sur « les alliances matrimoniales et la vie sexuelle de la communauté6 ». Secondes noces ou mariages exogames, unions mal assorties sur le plan de lâge ou des conditions, infidélités conjugales ou violences domestiques, grossesses illégitimes ou infertilité des couples, ces objets pluriels de la censure donnent lieu à diverses modalités punitives : concert discordant, jonchée infamante, chevauchée de lâne, exhibition en charrette, sur une poutre ou sur une claie, projection en lair des victimes, jets de projectiles contre leur maison, etc. Ces différentes formes rituelles ont en commun une visée judiciaire ; elles recourent toutes à des procédés identiques de censure et de satire : conduites de bruit et instruments dissonants, moqueries et huées (que ces procédés soient au centre du rite ou à sa périphérie). Souvent, cette justice communautaire était prise en charge par des compagnies joyeuses et des abbayes burlesques, comme les Cornards à Rouen ou à Caen, lInfanterie de la Mère Folle à Dijon, les Abbayes de Maugouvert à Mâcon, Lyon ou Vienne. « Les abbayes exerçaient une justice populaire locale (de village ou de quartier), dans des domaines que la loi parfois ne couvrait pas, et en dautres aussi pour lesquels elle avait depuis longtemps évolué7 ».

Les abbayes parodiques du « mauvais gouvernement » (Maugouvert, Malgouvert, Malgouverne, etc.) ont essaimé du xve au xviie siècle, essentiellement dans le sud de la France, du Poitou au Béarn et du Mâconnais au Languedoc8. Forgé à laide de ladjectif mal/mau (« mauvais »), selon un 336procédé de composition lexicale très productif dans lancienne langue, le terme qui désigne ces abbayes joyeuses est attesté dans Pantagruel (1542), où est mentionné « le maulgouvert de Louzefougerouse [cest-à-dire : Loge-Fougereuse, en Vendée]9 ». À en croire Jacob Le Duchat, qui procure une édition annotée de Rabelais au xviiie siècle, « Malgouvert signifie un homme qui se conduit mal, un dissipateur10 ». Cet emploi comme substantif de maugouvert au sens d« homme sans conduite » est attesté dans la réédition augmentée du Dictionnaire étymologique de Ménage en 1750, qui renvoie à Le Duchat11. Le Dictionnaire indique également, à larticle « Maugouverne », que lexpression jouer à lAbbé de Maugouverne désigne un « jeu denfants où lon se dépouille de tous ses habits jusquà en jeter par terre toutes les pièces lune après lautre, comme apparemment faisait certain Abbé, surnommé de Maugouverne, parce quil dissipait les biens de son Abbaye »… à limage des « enfans de Mau-Gouverne » qui « [o]nt mengé tous leurs revenus » à la « taverne12 » ! En somme, comme le suggère Mistral dans son Tresor dóu Felibrige (1886), labadiè de Mau-Gouvèr est constituée dune bando de mau-gouvèr, cest-à-dire dune « bande de jeunes gens de mauvaise conduite » ou qui se plaisent à se désigner tels, du moins dans la titulature parodique quils se donnent13.

La para-justice rituelle des Abbayes de Maugouvert sexerce au nom dun contre-pouvoir festif et facétieux ; elle suit des modalités de réalisation burlesques et spectaculaires qui empruntent au carnaval ses images et ses symboles. Aussi, était-ce pendant le temps long du carnaval, des Rois au Carême, que les charivaris avaient généralement lieu. Du reste, les compagnies joyeuses qui exerçaient ce contrôle social du fait conjugal étaient souvent les mêmes qui organisaient les festivités des jours gras. 337Ainsi à Bruges, au nord de Bordeaux, où le corps de ville accordaient de petites sommes aux compagnie pour lorganisation des mascarades : à « Labadie de Mau Gouber » en février 1630, aux « compagnous qui haben feyt la mascarade » en 1645, ou à « la Compagnie de la Mascarade de Mardy Gras » en 164714. Il est ainsi fort probable que les « Compaignons du Charevari », mentionnés en 1402 dans les archives municipales de Mâcon, soient à lorigine de lAbbaye de Maugouvert qui apparut dans la ville au cours du xve siècle15.

TOUT VA À REBOURS

À la fin du xviiie siècle, labbé Guillon signale que la coutume de « la chevauchée de lâne tombe en désuétude » à Lyon : « Le mari bénin, qui souffrait pacifiquement les outrages que sa femme lui faisait, était promené dans la ville, monté à rebours sur un âne, dont on lobligeait de tenir la queue. Les officiers de police autorisaient cet usage immoral16 ». Quelques années auparavant, en 1784, Prost de Royer, échevin et lieutenant général de police à Lyon, indiquait lui aussi que la coutume navait pas encore disparu et quelle avait bénéficié dune reconnaissance officielle des autorités municipales : « Cette cérémonie burlesque, pratiquée encore quelquefois par le peuple, fut jadis légale à Lyon17 ». Non seulement le rite y était autorisé, il « se faisait avec le plus grand éclat []. Le jour de la grande cérémonie [était] indiqué par trois criées, faites à trois différents jours », les semaines précédant lévénement (p. 785). Prost de Royer rend compte dune chevauchée 338lyonnaise précise, celle qui eut lieu en novembre 1566. Les « criées » évoquées sont des jeux dramatiques qui ont pour objectif dappeler à la mobilisation les différentes compagnies joyeuses de la ville (abbayes parodiques, corporations de métier, associations de quartier), pour quelles défilent en corps le jour de la cérémonie. Un ouvrage paru à la suite de lévénement rassemble, dune part, le texte des trois « criées » et celui du jeu dramatique joué lors de la chevauchée, dautre part, un exposé des manifestations qui entourèrent les « criées » et une minutieuse description de la grande cavalcade processionnelle. Ce Recueil faict au vray de la chevauchée de lasne, faicte en la ville de Lyon, et commencée le premier jour du moys de septembre mil cinq cens soixante six nous apprend que, cette année-là, la chevauchée initialement prévue « au plus tard » la première semaine doctobre fut « différée » au dernier dimanche du mois pour coïncider avec la venue de la duchesse de Nemours, épouse du gouverneur en chef de la ville18. Mais un nouveau contretemps reporta encore la chevauchée, qui eut finalement lieu le quatrième lundi de novembre. En effet, les maris « battus » des différents quartiers de la ville, que les compagnies joyeuses se proposaient de prendre pour cible lors de la chevauchée, avaient adressé des « requestes » au duc de Nemours et à sa femme, ainsi quau Président de Birague, pour leur demander quils « ne fussent nommez par noms et surnoms, comme de coustume est de faire ausdictes chevauchées » (p. 18). Après examen des requêtes, les magistrats autorisèrent les « Abbez de Mal-gouvert et leurs suppostz parfaire ladicte chevauchée [] à la charge que pour ceste foys tant seulement [] ne leur estoit permis nommer par nom ny surnom aucuns desdictz martyrs ».

Sous la plume du rédacteur du Recueil, lexpression Abbayes de Mal-gouvert ne désigne pas des institutions spécifiques qui porteraient ce nom, mais renvoie, de façon générique, à lensemble des abbayes joyeuses de la ville – Abbaye du Temple, Abbaye Saint-Vincent, Abbaye Saint-Just, Abbaye Saint-Georges, etc. –, ainsi quaux autres compagnies facétieuses : les associations de quartier – comme « la compagnie du gentilhomme de la rue du Boys » (p. 20), « la compagnie du Baron de rue Neufve » 339(p. 27) – ou les corporations de métier – ainsi « la compagnie du Capitaine des taincturiers » (p. 24), « ceux de la boucherie de lhospital du Pont du Rosne » (p. 21), « la Dame imprimerie, le Seigneur de la Coquille et leurs suppostz » (p. 28). Ce sont en tout dix-huit compagnies joyeuses qui participèrent à lévénement, rassemblant plus de deux mille participants, essentiellement masculins. Cette chevauchée-là tire une part de son faste et de son ampleur de sa coïncidence avec lentrée dans la ville de la duchesse de Nemours. Dans son Histoire véritable de la ville de Lyon (1604), Claude de Rubys, juge au siège présidial de la ville, indique que la chevauchée sinscrivait dans le cadre des festivités entourant la venue de la femme du gouverneur : « Les jours suyvants furent faictes plusieurs resjoüyssances en la ville. Et entre autres une charavary ou chevauchée de lasne, contre les maris qui sestoyent laissez battre à leurs femmes, qui fut chose fort plaisante à voir19 ». En outre, la présence du gouverneur et de son épouse à la chevauchée na pas peu contribué à conférer à cette dernière une magnificence et une dignité certaines20.

La chevauchée lyonnaise de 1566 nen donne pas moins une image précise de la façon dont la justice coutumière des compagnies joyeuses pouvait sexercer à lencontre des maris dominés par leurs femmes. Les trois criées de septembre ont dailleurs été préparées et réalisées alors que la venue de la duchesse de Nemours nétait pas encore connue21. Ces trois criées sont accompagnées de festivités qui vont samplifiant dun dimanche à lautre. Le premier dimanche, seuls sont présents « lAbbé du Temple, [qui est] lun des Abbés de Mal-gouvert, et sa suitte », « trente à quarante moynes de ladicte Abbaye, montez tant sur chevaux que asnes », en habits ecclésiastiques, avec tambourins et fifres22. À la fin du cortège, « trois suppostz de ladicte Abbaye [] disoyent les dictons par les carrefours de ladicte ville et lieux accoustumez » (p. 3-4). Ces 340« dictons » sont « jouez », cest-à-dire que la « cryée et proclamation des dictons » consistent en un jeu dramatique à trois personnages qui, par sa forme et son ton, sapparente au genre de la sottie. Dès leurs premiers échanges, les suppôts de Maugouvert justifient leur appel à la mobilisation des autres compagnies joyeuses par la nécessité dopposer un front commun à lennemi :

le troisième

Si la bride aux femmes on lasche,

Croyez que nous sommes perduz.

le premier

Pour estre soudain deffenduz,

Fault appeller les gens notables.

le deuxième

Asseurez-vous que tous les diables

Ne firent jamais tant de maux

Comme feront ces animaux

De femmes, tant sont dommageables.

le troisième

Suppostz ! Soyons-nous secourables,

Ou autrement tout est perdu.

le premier

Ne serons-nous pas entendu

Des abbez de ceste province23 ?

La cible du charivari est double : celui-ci ne se contente pas de ridiculiser les maris battus, il sattaque également aux épouses dominatrices. La métaphore animale pour désigner les « femmes » est mise en valeur par le rejet et la rime : « ces animaux » sont cause de « tant de maux ». Parce quils sont détenteurs du droit de justice coutumier, les Abbés de Maugouvert et leurs suppôts sont tout désignés pour venir en aide à la gent masculine que menace une inédite hégémonie féminine. Car la faiblesse de quelques-uns met en péril le groupe entier : si les hommes ne sont pas « deffenduz », ils sont « perduz », comme le souligne la rime. En tant que mâles, les suppôts font partie de lespèce menacée, mais en tant que suppôts, ils détiennent le remède, ainsi que laffirme la construction pronominale réfléchie à limpératif : « Soyons-nous secourables ». La 341« notabilité » de ces Abbés de Maugouvert auxquels sadresse la criée est celle, burlesque, attachée à leurs titres de dignité fantaisistes ; mais si ces « gens notables » pour rire nappartenaient certes pas à lélite consulaire, certains dentre eux nen étaient pas moins aisés et même propriétaires. En 1566, les meneurs des différents cortèges sont de riches bourgeois qui apparaissent comme des chefs de quartier. Lorganisateur général de la cavalcade est Jean Perron, « imprimeur et lun des Gardes du Maître des Ports, homme fort facétieux et propre pour telles inventions24 ».

Les dimanches suivants, la deuxième et la troisième criée rassemblent beaucoup plus de monde : plusieurs compagnies joyeuses ont répondu à lappel. Les « dictons » sont encore joués de façon itinérante dans différents lieux de la ville et le cortège se grossit, le long de son parcours à travers les quartiers, par le ralliement successif de nouvelles compagnies. Celles-ci ont pavoisé les rues qui les abritent et préparé de riches banquets à lintention du cortège qui vient à leur rencontre. Le deuxième dimanche, les membres des Abbayes Saint-Michel et du Temple sont « plus de cent » : « la plupart diceux habillez en femmes, de diverses et estranges façons, portant en main quenoilles à filler, et autres bastons fantasques25 ». Les suppôts qui font la criée intègrent à leur jeu cette fiction dune assemblée de femmes révoltées que donne à voir le cortège :

le premier

À layde !

le deuxième

À larme !

le troisième

Au secours !

le premier

Je crois que tout va à rebours

De ainsi veoir femmes en armes.

342

le deuxième

Vous diriez que ce sont gendarmes

Si bien ellentendent le tout26.

Le travestissement sexuel féminin, traditionnel lors des charivaris et des rites dinversion carnavalesques, donne ici corps au fantasme dune prise de pouvoir fulgurante des femmes, qui avait été évoquée dans la première criée à laide des images conjointes de la maladie et du feu. Ce qui était redouté se réalise : la ville est investie par plusieurs dizaines de femmes « [p]lus eschauffées quun toreau », qui « Frappent à tort et à travers / Assez pour troubler lunivers » (p. 391-392). La troisième criée reprend lidée dun renversement général de lordre du monde, corollaire de cette folle entreprise féminine « [d]e se vouloir à lhomme prendre » ; il ne faut pas « craindre » de « punir un si grand meffaict » :

Autrement le monde est deffaict,

Et yra san devant derrière. (p. 415)

Mais ce « chastiement » que les suppôts appellent de leurs vœux, ce ne sont pas les femmes qui vont en être les victimes ; ce sont les hommes, en ce quils portent lentière responsabilité de la faillite du couple et de la déroute du pouvoir masculin. Les coupables de ces « meffaictz infames » « Seront tellement pourchassez / Que longtemps on sen souviendra » (2e criée, p. 403). Il revient à la chevauchée proprement dite de mettre en scène un tel châtiment.

« SOUS LA MAIN ET OBÉISSANCE DE LA FEMME »

Le jour de la grande cavalcade cérémonielle, les dix-huit compagnies paradent à pied, à cheval ou à dos dâne, en tenue dapparat, au son des tambourins, trompettes, fifres et hautbois. Huit compagnies proposent en outre de petites scènes daction, desprit farcesque, toutes similaires, jouées sur des « chariots » qui prennent part au cortège. Par exemple, sur le chariot conduit par la compagnie de lAbbé Saint-Vincent, « il y avoit 343une femme qui battoit son mary à grandz coupz de baston, représentant celuy qui avoit esté battu de sa femme audict quartier sainct Vincent » ; sur le chariot de la compagnie du Comte de la Fontaine, « il y avoit une femme qui battoit son mary, luy gettant une fricassée de tripes au visage, et le frappant outre ce dune forchette de boys, appellée une forcolle, représentant celuy qui avoit esté ainsi battu audict quartier27 ». La compagnie du Chevalier Saint-Romain a choisi, quant à elle, de mettre en scène une chevauchée de lâne au sens strict : « y avoit un homme monté sur un asne, et une femme après luy, qui portoit un trenchoir de boys dune main, et en lautre un grand haste de fer, représentant celuy qui avoit ainsi esté battu de sa femme, au lieu et distroict de la juridiction dudict Chevalier sainct Romain » (p. 26-27). Ces scènes de violence conjugale démultipliées au long de la procession et sans cesse répétées sont comme le second temps du scénario de terreur que la deuxième criée avait commencé à jouer. Linvasion de la cité par des hordes de « femmes en armes » conduit à lassujettissement brutal et complet des hommes. Deux saynètes en particulier, par les accessoires et la gestuelle quelles mobilisent, révèlent les enjeux de ce déchaînement de violence. La compagnie du Baron de la rue Neuve conduit « deux chariotz, où il y avoit deux femmes qui battoyent leurs marys, lune avec grands coups dun couppon de boys sur la teste, luy arrachant la barbe ; et lautre ruant force caillous, à sondict mary, après lavoir battu dun gros baston : représentant ceux qui sestoyent laissé battre à leurs femmes » (p. 28). L« arrachage » de la barbe est une composante rituelle ancienne des charivaris28. On sait du reste que « [d]u côté de la barbe est la toute-puissance29 » ; plus généralement, « le poil est une marque de force30 ». Dans de nombreuses cultures, barbe et chevelure sont des symboles des organes génitaux ; aussi leur rasage rituel revêt-il une signification symbolique sexuelle31. Tel est bien le sens de la furie guerrière féminine : émasculer le mâle. La saynète jouée par la 344compagnie de lAbbé du Temple désigne le lieu corporel même dont la barbe constitue le substitut symbolique : « En ladicte compagnie estoit conduit un chariot où il y avoit une femme qui battoit son mary, luy baillant grandz coupz de piedz aux génitoires : et après grandz coupz de pierres, représentant celuy qui avoit esté battu ainsi de sa femme audict quartier du Temple » (p. 23). Lhomme est atteint dans ce qui fonde sa virilité du point de vue physiologique. Le tranchoir et le grand hast de fer quagite la femme dans la saynète de la compagnie du Chevalier Saint-Romain apparaissent ainsi comme les redoutables instruments du supplice masculin.

Dans la sottie quils jouent le jour de la chevauchée, les suppôts évoquent ces différentes scènes de violence domestique les unes après les autres : dans leur variété même, les sévices infligés aux hommes « représentent » de façon symbolique la domination féminine, plus quils nillustrent la réalité des coups qui ont été portés. À la suite des « joueurs de dictons », suivent « quatre drolles magnifiques et hautes comme Géans, habillez desdictes couleurs jaune, rouge et verd : sans aucune aparoissance de bras, chose fort monstrueuse » (p. 33). Arborant les couleurs de la folie (de même que les compagnons de la Coquille avec lesquels ils défilent), ces personnages monstrueusement mutilés symbolisent la castration dont sont victimes les maris « martyrs ». Telle est bien linterprétation métaphorique que le rédacteur lui-même donne du déguisement, à la fin de sa longue description de la chevauchée :

Les drôles « représentoyent les hommes qui contre lordonnance de Dieu, et devoir de Nature se laissent ainsi battre, mutiller et subjuguer à leurs femmes. Car il nest chose plus monstrueuse, ny de plus grande drollerie, que de voir lhomme ainsi abbaissé et estre soubz la main et obéissance de la femme. Et nest possible veoir Drolles, ny autres animaux, plus monstrueux, que sont lesdictz hommes endurans telz meffaictz, indignes de porter ledict nom dHomme » (p. 37).

Les maris battus ne sont pas des hommes ; ils sont des drôles, cest-à-dire, ici, des êtres bizarres, extraordinaires, insolites et monstrueux : à la fois « prodigieux » conformément au sens étymologique et « contre lordre de la nature32 ». Leur émasculation symbolique nest que la traduction, 345sur le plan cérémoniel, de cette déficience de virilité qui les conduit à être possédés par leurs épouses.

La coutume de la chevauchée de lâne se rattache à une double tradition, théâtrale et iconographique. Les maris battus dont le rite publie la faiblesse sont parents des cocus et « durement menés » de la farce, tels le Jaquinot de la Farce du cuvier (fin du xve siècle) : endurant les injures et les menaces de sa femme et de sa belle-mère, Jaquinot a, « par indicible follye [] le sens mis à lenvers » ; il est tout à la fois un « Jehan marié », cest-à-dire un cocu, et un « homme abonny [rendu bonasse] », entièrement soumis à sa femme33. Jaquinot a bien conscience de sa sujétion, quil exprime à laide de la métaphore de la domesticité – « Plus ne vueil estre son varlet » (p. 72) –, mais il na pas la force de sémanciper :

Je suis peloté [frappé] et tourmenté

De gros cailloux sur ma servelle.

Lune crye, lautre grumelle [grommelle] ;

Lune mauldit, lautre tempeste. (p. 41)

Corbieu ! je suis bien coquillart

Destre ainsi durement mené. (p. 58)

De son côté, la gravure également a richement représentés ces mâles indignes. Du xvie au xixe siècle, les innombrables tirages populaires de planches illustrant « le monde renversé » ont régulièrement fait une place à ces situations dinterversion des rôles sociaux : « Humblement file le gendarme, et la femme au lieu de luy sarme », dit, par exemple, la lettre dune vignette sur une gravure du tournant du xviie siècle, où lon voit un homme assis, en train de filer la quenouille, un petit enfant emmailloté sur les genoux, tandis que son épouse se campe face à lui, poing sur la hanche, fusil à lépaule et lépée au côté. « La femme a le mousquet, la quenouille lépoux / Et berce pour surcroix lenfant sur ses genoux », lit-on sur une gravure similaire de la même époque34. Par ailleurs, différents aspects de cette suprématie féminine au sein du 346couple ont été traités de façon plus particulière dans des œuvres gravées originales : dispute pour la culotte, maris fustigés, confrérie des cocus… Pierre Picart a ainsi consacré aux thèmes corrélés du cocuage et des maris battus une série de douze gravures publiées vers 166035. Lune dentre elles offre comme une illustration de la bande de plusieurs dizaines dhommes « habillez en femmes [], portant en main quenoilles à filler, et autres bastons fantasques », qui investissent la ville lors de la chevauchée de 1566, jouant sans doute à terroriser les passants, et qui suscitent leffroi des suppôts dans leur deuxième criée. Picard situe sa scène gravée dans une rue ; un groupe dhommes qui étaient en train de jouer aux quilles sont soudain interrompus par larrivée inopinée dune bande de femmes en fureur, armées de quenouilles et de pierres ; les hommes prennent la fuite en levant les bras : « Ce nest mye des fammes ce sont des diables », dit une lettre de la gravure. Au premier plan, un homme qui ramassait une quille na pas eu le temps de senfuir ; encore courbé en deux, il est saisi aux cheveux par une « diablesse » déchaînée. Un quatrain commente laction :

Ces diablesses icy viennent troubler la feste

Et chargent leurs maris dinjures et de coups

Lun a le nez cassé et lautre sur sa teste

Esprouve ce que cest quune femme en couroux36.

Tout comme la farce et la gravure, la coutume de la chevauchée de lâne sempare dune réalité pour en offrir une représentation parodique aux implications symboliques. Ni la farce, ni la gravure, ni la coutume ne représentent la réalité historique des maris battus37. Suivant 347leurs moyens propres, elles sont le lieu dexpression dun discours idéologique au sujet dun fait social. Par son outrance et son caractère systématique, la mise en scène dun renversement total des positions de pouvoir et dassujettissement entre hommes et femmes relève de la fiction. Coutume, théâtre et gravure rencontrent ici la pensée mythique. Reposant sur un « fait structural » commun à diverses cultures (« le thème du renversement fondateur »), plusieurs « sociétés à pouvoir masculin marqué [] justifient leur organisation sociale par rapport à un état mythique matriarcal originel38 ». Selon le mythe, et sans égard à ses variantes, ce matriarcat primitif plaçait les hommes sous la suprématie féminine ; un jour, les hommes sont parvenus à déposséder les femmes de leur pouvoir et à inverser les rôles. Quil appartienne à la pensée mythique ou quil relève de la création artistique, le thème du monde à lenvers fait entendre le langage de lidéologie. Au sein du scénario mythico-rituel de la chevauchée, il participe de ces deux natures, mythique et théâtrale.

La représentation que la coutume offre du fait social est complexe, car le rite relève à la fois des pratiques festives et du jeu théâtral. Ces deux composantes sarticulent et se répondent. Dune part, la réalité des conduites collectives masquées se réfléchit dans la parole versifiée des « joueurs de dictons » : reposant sur un fonctionnement dramatique sans fiction et sans distance, hormis celle de loctosyllabe, les criées sadressent aux spectateurs et, par leur commentaire de la fiction cérémonielle des « femmes en armes », confère paradoxalement à celle-ci lépaisseur menaçante de la réalité. Dautre part, les scènes de violence jouées sur les chariots sinsèrent dans les cortèges et puisent, dans la dynamique processionnelle même, leur formule itérative simpliste, sans aucun enchaînement dramatique, répétant, dune rue à lautre, toujours le même tableau vivant. Dans le cadre cérémoniel de la chevauchée, le thème du monde à lenvers revêt non laspect dun mythe dorigine, mais celui dun mythe prospectif. Le matriarcat dont les suppôts redoutent lavènement imminent est une projection mythique de lavenir ; dans la première criée, leur mise en garde prend les accents angoissés dune parole prophétique :

348

le deuxième

La contagion est à craindre

Et qui [si lon] la lairra demeurer

Serons en danger dendurer

Avant que mourir grand martyre39.

Le surgissement incontrôlé dune légion de femmes armées, le deuxième dimanche, sonne comme le début de réalisation de cette prophétie apocalyptique : « Je crois que tout va à rebours », sexclame le premier suppôt, après que lui et ses deux compagnons ont fait retentir leurs appels de détresse. Sur la scène rituelle de la chevauchée de lâne, limaginaire symbolique du monde renversé possède une fonction idéologique propre.

« TOUS LES JOURS CINQ OU SIX FOIS »

Dans la Farce du cuvier, lépouse et sa mère dictent à Jaquinot toutes les tâches domestiques dont il doit sacquitter, afin quil les inscrive sur un « rolet » et sen souvienne. La mère clôture cette longue énumération en ajoutant : « Et puis faire aussi cela / Aulcunesfois à leschappée40 ». Jaquinot se récrie en sadressant à sa femme : « Vous en aurez une gouppée [giclée] / En quinze jours ou en ung moys ». « Mais tous les jours cinq ou six fois ; / Je lentens ainsi pour le moins », lui rétorque sa femme sur un ton sans appel (p. 57). Cest bien là que gît la source de la faiblesse masculine et de la domination corollaire de la femme au sein du couple : « Rien ne vaut ce lasche paillart [ce paillard impuissant na rien qui vaille] », enrage lépouse insatiable. Près de deux siècles plus tard, une gravure de Jacques Lagniet établit le même rapport de cause à effet entre limpuissance masculine (ou tout au moins le manque dallant des hommes en la matière) et leur subordination absolue à leur épouse. Intitulée La Poule qui chante devant le coq, la gravure représente une femme debout dans une attitude vindicative et menaçante : elle agite son balai en lair et se tient derrière son mari, lequel est assis face à la cheminée où il fait cuire 349le repas de leur enfant : « Ce fera Jehan il na pas fet la besongne, il fera la bouillie à lenfant », dit la lettre gravée en bas à droite de limage41 ». Or lon sait bien quavec les femmes, « il y a toujours à besogner, et surtout à celle dun cocu », autrement dit, dun Jean42. Le mari fatigué qui faillit à besoigner sa femme, cest-à-dire, « en bon français », qui faillit à la « chevaucher, ou F… », lhomme faible, coupable de manquer à son devoir dépoux et que sa femme a fait Jean voit se renverser lordre domestique43. Si lhomme fait la femme, s« il est lâche, oisif et efféminé », il conduit à la métamorphose inverse des femmes en « diables » guerriers44. Car cest bien lhomme, en dernier ressort, qui est responsable de ce monstrueux renversement du monde.

La culpabilité des époux à la virilité défaillante possède, aux yeux de la communauté, des enjeux sociaux et se voit donc sanctionnée par la coutume du charivari, ainsi que latteste, par exemple, un texte en vers du xvie siècle : Ung esbatement vulgairement nommé chalivary domme vieil qui se marie en femme ou fille jeune. Le texte décrit une situation qui est traditionnellement à lorigine de la sanction coutumière : Coillebaut est un vieillard, un veuf, qui décide de se remarier avec « une tres belle pucelle / Jeune fresche et de bon lignage ». On apprend, en outre, non seulement que la demoiselle est déjà enceinte, mais que « Grosse de lui elle nest mie45 ». Coillebaut cumule les motifs de charivari : veuf 350se remariant, il est regardé comme « bigame » dans une société qui réprouve traditionnellement les secondes noces (fol. 509r, cité p. 587) ; sa nouvelle union est fortement disproportionnée en âge et sur le plan de lorigine sociale ; la conduite de la jeune épousée nest pas des plus irréprochables, puisque la « pucelle » nest plus vierge et attend en outre un enfant ; enfin, avant même dêtre marié, Coillebaut est déjà cocu. Le châtiment coutumier qui lui est réservé est la promenade sur lâne. Le texte rapporte les propos de ses futurs tourmenteurs ; ils mènent la bête à la maison du coupable et exposent ses torts, criant collectivement « Chalbari ». Ce qui préoccupe le plus les personnages, ce qui, de leur point de vue, rend cette union vraiment condamnable, cest la constitution physique du futur mari :

Par saint Mor il nest pas trop sage

Davoir entrepris si grant tasche

Il est faible vieillard et lasche [impuissant]

Tout aruty [chagrin] et chassieux

Grateleux et maulgracieux

Ne fait que tousser et glapir

Aille soy en un four tapir

À sa femme ne pourra faire

Déduit [plaisir amoureux] qui ja lui puisse plaire

Car son membre est devenu coille

Froncie comme une povre andoille

Quant il sen veult aidier il ploye

Et ne le peut bouter en roye [dans la raie]

Et est tout mort et inutile. (fol. 510r, cité p. 587)

Non seulement lâge avancé du mari, son délabrement physique, son humeur querelleuse le rendent repoussant et insupportable, mais lon craint que sa virilité chancelante lempêche dhonorer son épouse. Là est la raison profonde du charivari organisé à son encontre : Coillebaut na rien dune « Fièrepine » (ou « Pinehardie »), contrairement à ce quaffirme son nom par antiphrase46 ! Loin dêtre « bien foureuse », telle la « couille » dun des personnages de la sottie des Sotz nouveaulx, 351farcez, couvez (vers 1513 ?) – selon les mots de la « gorgiase fillette » que le sot a « empongn[ée] » dans une « rivière » –, la « coille » de Coillebaut « ploye » face à la « roye », comme le souligne la rime47. Quand lun « fai[t] la besongne / Fort et ferme » (v. 209-210), lautre, « faible » et « lasche », « ne pourra faire / Déduit ». Cest bel et bien en raison de la déficience supposée de son engin que le vieillard est charivarisé : « Paier lui ferons son coillage » (fol. 512r, cité p. 588). Derrière la dénonciation satirique des maris battus, la chevauchée lyonnaise de 1566 vise, elle aussi, limpuissance masculine.

Une seconde chevauchée de lâne, qui eut lieu à Lyon en novembre 1578, explicite cette corrélation – quaffirment la farce et la gravure – entre les violences conjugales dont sont victimes les maris et les insuffisances de ces derniers en matière sexuelle. Comme pour la chevauchée de 1566, un volume publié à la suite de lévénement réunit la description minutieuse des cortèges et le texte du jeu dramatique qui fut représenté ce jour-là dans les rues de la ville. Dix-neuf compagnies joyeuses prirent part à la procession réunissant en tout quelque mille six cent personnes. On retrouve les Abbayes parodiques qui ont défilé douze ans auparavant – « la compaignie de lAbbé de mal-gouvert du quartier de sainct Vincent », celle de lAbbé Saint-Georges ou de lAbbé Saint-Just –, les mêmes associations de quartier, les mêmes corporations de métier48. Certaines compagnies conduisent des chariots où sont représentées des scènes de violence domestique comparables à celles jouées en 1566 : ainsi de « la compagnie du Seigneur Baron de rue Neufve », « conduisans un chariot, dans lequel estoit le martir dudit quartier battu par sa femme, ayant dans iceluy chariot plusieurs joueurs dinstrumens pour les accorder » (p. 18-19). Ce sont « trois supposts de lImprimerie » qui jouent, de façon itinérante, « les dictons » (p. 11), dans lesquels les maris battus sont, cette fois, identifiés, non par leur nom – à une exception près (du moins dans la version éditée du texte) –, mais par leur profession ainsi que par la rue ou le quartier où ils résident. On apprend par exemple, au sujet d« un bourrassié quest de la coste », que « Souvant sa femme le 352dorlote / Avec une pelle de fer », ou qu« un battelier de sainct Vincent » « fut battu à ladvenant / À coup de caillou par sa femme49 ». Quant à un « plieur de soye / Qui se tient près le Garillan », il fut « frappé » à laide dune « une cheville à soye » et vit publiée la raison secrète de sa craintive soumission à son épouse :

Sa femme lappela « meschant,

Bastard, chastré, vilain infamme !

Tu nes pas digne davoir femme,

Tu nas du tout point de couillon !

Va-ten, sort hors de la maison »,

Et luy cracha droict au visage50.

Pour désigner la « vilaine » infirmité dont est victime son mari, la femme recourt à la métaphore de la castration : le mâle « châtré », qui na « du tout point de couillon », cest-à-dire de « testicules » (ou de « génitoires », comme disait le Recueil de 1566), est atteint de véritable impuissance mécanique51 ; cest à ce titre quil « nes[t] pas digne davoir femme ». La même accusation dimpuissance est formulée à lencontre « du paumier de la rue du Temple » qui « a esté souvent battu » : non seulement il fut « frappé », « ces jours passez », « Si rudement [] / Quil en pensa perdre le souffle », mais sa femme « le poursuyv[it] de telle sorte »

Quil fut contrainct gaigner la porte,

Luy disant : « va, viédaze foutu ! ». (p. 455)

Lexpression vié dase (« vit dâne », en francoprovençal) se trouve dans Rabelais. À la fin du Prologue de Gargantua (1535), les « vietz dazes » sont, par métonymie, les lecteurs, apostrophés affectueusement à laide de ce substantif grossier et flatteur. Dans le Prologue de 1552 du Quart Livre, « grand vietdaze » est lépithète quutilise Jupiter pour qualifier Priape ithyphallique52. La femme du paumier reprend lexpression dans son emploi métonymique, mais pour réduire son époux à son membre 353honteusement défaillant. Aux yeux de la femme, lépoux impuissant nest bon à rien ; il « ne vaut » « rien », disait la femme de Jaquinot dans la Farce du cuvier. Il est à limage de son flasque « membre », rabougri et fripé, « tout mort et inutile », comme létait celui de Coillebaut. Dans ces récriminations sentend toute lamertume désespérée de la femme frustrée.

Le rite de la chevauchée de lâne proclame cette « infamie » quest limpuissance masculine, en exhibant les coupables juchés à rebours sur un âne dont ils tiennent la queue en guise de bride. Lhomme incapable de « chevaucher » sa femme est contraint de chevaucher un âne. La promenade à lenvers sur cet animal avantageusement doté par la nature, et symbole de la puissance sexuelle depuis lAntiquité, figure la dévirilisation qui frappe le mâle, quand il est « faible » et « lâche », et que son vit dâne est « foutu ». « Ainsi sont traictéz les mariz qui laissent trop jeûner leurs femmes », explique le juge Claude Noirot dans son Origine des masques (1609), au sujet des « mariz battus, et mené sur lasne à rebours53 ». Les rites de castration symbolique comme larrachage de la barbe, les violences sexuelles cérémonielles comme les coups de pieds aux génitoires ont pareillement valeur de dénonciation publique : ces gestes dhumiliation ciblés proclament limpuissance masculine tout autant quils la sanctionnent. Suivant une logique judiciaire archaïque qui postule un lien symbolique entre le crime et sa peine, la coutume du charivari entend « répondre par une démonstration de disharmonie à une situation qui compromet lharmonie sociale54 ». Non seulement la justice collective sexerce en établissant une analogie entre la faute et son châtiment, mais elle confie lapplication de la peine à celles-là mêmes qui sont les victimes : les épouses excédées par les défaillances érectiles de leurs maris.

Dans la chevauchée de 1578, la compagnie du « Marquis du grand Palais » compte « deux conseillers [juges] de la Justice de mal gouvert, montés sur de petits muletz » ; ils sont précédés d« une Amazonne, portant une lance à la main, accoustrez somptueusement prests à combattre55 ». Cette figure féminine quasi allégorique fait écho à la barbarie aveugle des « femmes en armes » de la chevauchée de 1566, qui « Frappent à tort et à travers [sans discernement] / Assez pour troubler lunivers ». Ces guerrières farouches qui 354violentent et mutilent les mâles sont comme limage inversée des « guerriers-fauves » mythiques, ces envahisseurs qui portent leur violence archaïque au cœur de la cité, enlèvent les femmes, tuent les hommes, et dont la coutume du charivari, dans sa violence rituelle, rejoue le scénario de terreur56. Ces rites de violence relèvent du sacré de transgression : insultes, humiliations, sévices, mutilations, tous « ces sacrilèges sont tenus pour aussi rituels et saints que les interdictions mêmes quils violent. Ils relèvent comme elles du sacré » ; la coutume « ramène le temps de la licence créatrice, celui qui précède et engendre lordre, la forme et linterdit57 ». Ainsi le déferlement cérémoniel de la violence féminine, ces hardes femelles qui écrasent les hommes et renversent le monde ont une fonction paradoxale de régénération : sanctionnant la faute par son amplification même, la chevauchée de lâne punit les hommes dont le défaut de virilité met en péril lordre social ; elle pousse jusquà son terme logique cette défaillance masculine en mettant en scène de façon cérémonielle un matriarcat de lhorreur. La coutume sanctionne le crime masculin individuel en le démultipliant sous la forme dune violence féminine collective qui plonge la cité dans la sauvagerie et la peur. La représentation paroxystique dun « monde » « deffaict » qui « [va] san devant derrière » (selon les mots dun suppôt en 1566), permet, sur le plan symbolique, et par lentremise concrète de pratiques punitives rituelles, de restaurer lordre du monde. Or, cet ordre patriarcal ne se soucie certes pas des désirs insatisfaits des épouses…

La figuration parodique des femmes en femelles « plus eschauffées quun toreau » relève de lidéologie. Sous les oripeaux comiques de la farce et du travestissement sexuel, le rite met en scène un péril dordre anthropologique, qui menace la cohésion de la communauté : dans les éclats de rire de la culture joyeuse résonnent des cris dangoisse. Au sein de ce système de représentation que la coutume partage avec la farce et la gravure, lavidité sensuelle féminine – dont le caractère inextinguible est proportionnellement inverse à lexténuation physique des hommes – a pour fonction de dire lenjeu sexuel essentiel qui est au cœur du fait conjugal, et la responsabilité exclusive de lhomme en la matière. La coutume de la chevauchée 355de lâne est lexpression rituelle dun ordre communautaire ; il importe peu à la collectivité que le mari « [puisse] faire » « à sa femme » « déduit qui ja lui puisse plaire », quoiquen dise les jeunes gens organisateurs du charivari fait à Coillebaut. Ce qui compte, aux yeux de la communauté, ce qui rend un homme « digne davoir femme » (comme dit lépouse du plieur de soie charivarisé en 1578), ce nest pas le plaisir amoureux que lhomme peut procurer à son épouse, cest simplement quil « [fasse] la besongne ». Et la finalité de cette virile besogne nest pas dordre érotique, mais génésique. Lors de la chevauchée de 1566, un cortège de femmes membres de la compagnie du Comte de la Fontaine met en scène cet enjeu premier du mariage : « Et au devant dudict comte [] marchoit environ une douzaine de femmes habillées en Égyptiennes, montées sur chevaux, portans de petitz enfans bien contrefaicts en main58 ». Les femmes exhibent ici non lenfant du point de vue maternel, dont les maris impuissants les dépossèderaient, mais lenfant à naître pour la communauté, en tant que second terme de léchange qui fonde, dans la durée, le système de parenté : à la cession initiale de la femme, dans le cadre de lalliance matrimoniale, doit répondre le contre-don de lenfant né de cette alliance59. Ainsi la loi que défend la justice coutumière ne relève pas tant dune morale des comportements sexuels que dune politique communautaire : « le charivari nest pas dirigé contre linfraction à la morale, mais protège la chaîne idéale de la filiation60 ». Dépositaires dune justice coutumière, exerçant une violence cérémonielle collective, les Abbayes de Maugouvert ne font basculer la communauté dans le chaos que pour protéger et conserver lordre symbolique qui est à son fondement61.

Éric Négrel

UMR 5317 IHRIM (Institut dHistoire des Représentations et des Idées dans les Modernités), Lyon

1 Voir P. Schmitt-Pantel, « Lâne, ladultère et la cité », dans J. Le Goff et J.-C. Schmitt (dir.), Le Charivari, Paris, EHESS et Mouton, 1981, p. 117-122.

2 P.-F. Muyart de Vouglans, Traité des différentes espèces de crimes, et de leurs peines, suivant les principes du droit civil, canonique et de la jurisprudence du Royaume, titre III, ch. 6, dans Institutes au droit criminel ou Principes généraux sur ces matières, Paris, Le Breton, 1757, p. 496.

3 A.-F. Prost de Royer, Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, ou Nouvelle édition du Dictionnaire de Brillon, connu sous le titre de « Dictionnaire des arrêts et jurisprudence universelle des parlements de France et autres tribunaux », t. 4, Lyon, A. de La Roche, 1784, art. « Âne », section 5 : « Maris sur lâne », p. 785.

4 J.-F. Fournel, Traité de ladultère, considéré dans lordre judiciaire, Paris, J.-F. Bastien, 1778, p. 360-361.

5 Voir F. Serpillon, Code criminel, ou Commentaire sur lOrdonnance de 1670, Lyon, Frères Périsse, 1767, t. 4, n. 19 : « Défenses de conduire un âne lorsquun mari a battu sa femme », p. 1477 ; C. Desplat, Charivaris en Gascogne. La « morale des peuples » du xvie au xxe siècle, Paris, Berger-Levrault, 1982, Ie partie, chap. 4 : « Une sanction spectaculaire et violente : lazouade », p. 76-95. Dans sa contribution au présent numéro, J.-Y. Champeley étudie lattitude ambivalente des autorités à légard des Abbayes de Maugouvert et la criminalisation progressive de ces dernières au xviie siècle.

6 M. Grinberg, « Carnaval et société urbaine, xive-xvie siècles : le royaume dans la ville », Ethnologie française, IV/3, 1974, p. 215-244, citation p. 216.

7 N. Zemon Davis, « La règle à lenvers » (« The Reasons of Misrules : Youth Groups and Charivaris in Sixteenth-Century France », 1971), dans Zemon Davis, Les Cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au xvie siècle, Paris, Aubier Montaigne, 1979, ch. 4, p. 159-209, citation p. 164, n. 18.

8 Voir N. Pellegrin, Les Bachelleries. Organisations et fêtes de la jeunesse dans le Centre-Ouest, xve-xviiie siècles, Poitiers, Société des antiquaires de lOuest, 1982 ; Jean-Yves Champeley, Organisations et groupes de jeunesse dans les communautés dentre Rhône et Alpes (xvie-xviie-xviiie siècles), thèse de doctorat, Université Lumière – Lyon 2, 2010.

9 F. Rabelais, Pantagruel (1542), éd. G. Demerson, Paris, Seuil, 1973, ch. 12, p. 266.

10 Œuvres de Maître François Rabelais, éd. J. Le Duchat, Amsterdam, J. F. Bernard, 1741, t. 1, p. 268, n. 40.

11 G. Ménage, Dictionnaire étymologique de la langue françoise (1650), éd. A.-F. Jault, Paris, Briasson, 1750, t. 2, p. 190, art. « Maugouvert » : « Un homme sans conduite. À Metz, où ce mot se dit dans cette signification, le peuple prononce maugouverne ».

12 Le Plaisant quaquet et resjuyssance des femmes pour ce que leurs maris nyvrongnent plus en la taverne (1566), dans Recueil de poésies françaises des xve et xvie siècles, éd. A. de Montaiglon, t. 6, Paris, Jannet, 1857, p. 186.

13 F. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige ou Dictionnaire provençal-français, Aix-en-Provence, Vve Remondet-Aubin, t. 2, 1886, p. 302, art. « Mau-gouvèr, mal-goubèr » : « Mauvais gouvernement, mauvaise administration, mauvais régime, mauvaise économie, inconduite ».

14 A. M. de Bruges, respectivement CC.4, CC.6 et pièce non classée : cahiers de comptes des gardes-boursiers, cité dans J.-B. Laborde, « Notes sur les divertissements populaires de Bruges, au xviie siècle, daprès les comptes des gardes : “labadie de Mau Gouber”, la Saint-Martin, les tragédies », Revue historique et archéologique du Béarn et du Pays Basque, 79-80, 1926, p. 62-72, citations p. 66 et 67.

15 A. M. de Mâcon, GG 97, no 5 : mandat de paiement ordonnancé par les échevins de Mâcon le 24 décembre 1402, cité dans L. Lex, « LAbbaye de Maugouvert de Mâcon (1582-1625) », Annales de lAcadémie de Mâcon. Société des arts, sciences, belles-lettres et agriculture de Saone-et-Loire, 3e série, t. I, 1896, p. 366-388, citation p. 371.

16 A. Guillon, Tableau historique de la ville de Lyon, Lyon, Pellisson et Mouly, 1792, p. 118.

17 P. de Royer, Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, ouvr. cité, t. 4, p. 826.

18 Recueil faict au vray de la chevauchée de lasne, faicte en la ville de Lyon, et commencée le premier jour de septembre. Avec tout lordre tenu en icelle, Lyon, G. Testefort, [1566], p. 17-18. Sur cette chevauchée, voir K. Lavéant, « Obscène chevauchée ? Théâtre, charivari et présence féminine dans la culture joyeuse à Lyon au milieu du xvie siècle », Revue dhistoire du théâtre, 269, 2016, p. 21-44.

19 C. de Rubys, Histoire véritable de la ville de Lyon, Lyon, B. Nugo, 1604, p. 409.

20 Recueil faict au vray de la chevauchée de lasne, ouvr. cité, p. 27 : « Et au devant de monseigneur de Nemours et sa compagnie et autres lieux et place de ladicte ville, se faisait gros bruit sortant de ladicte gallère [de la compagnie de lamiral du Griffon], par le moyen desdictz feuz dartifice ».

21 À la fin de la 3e criée, qui eut lieu le 3e dimanche de septembre, le 1er suppôt annonce la chevauchée pour « au plus tard dedans quinze jours ». Je cite les trois criées et le jeu dramatique qui eut lieu le jour de la chevauchée daprès leur édition dans le Recueil des sotties françaises, éd. M. Bouhaïk-Gironès, J. Koopmans et K. Lavéant, t. 1, Paris, Classiques Garnier, 2014, ici p. 415.

22 Recueil faict au vray de la chevauchée de lasne, ouvr. cité, p. 3.

23 Recueil des sotties françaises, t. 1, éd. citée, p. 386-387.

24 Rubys, Histoire véritable de la ville de Lyon, ouvr. cité, p. 409. Contrairement à ce quaffirme H. Weber, « Chevauchées de lâne et plaisants devis des suppôts de la Coquille », ce nest pas Jean Perron lui-même qui « occupe la charge de maître des ponts [sic] » (Weber écrit par erreur ponts au lieu de ports) et lon ne peut dire de lui quil est « un notable de haut rang » (dans J. Dauphiné et B. Périgot (dir.), Conteurs et romanciers de la Renaissance. Mélanges offerts à Gabriel-André Pérouse, Paris, Champion, 1997, p. 409-421, ici p. 409). Sur la tradition des chevauchées lyonnaises, voir J. Tricou, « Les confréries joyeuses de Lyon au xvie siècle et leur numismatique », Revue numismatique, 1, 1937, p. 293-317 (sur Jean Perron, p. 301-302).

25 Recueil faict au vray de la chevauchée de lasne, ouvr. cité, p. 8.

26 Recueil des sotties françaises, t. 1, éd. citée, p. 397.

27 Recueil faict au vray de la chevauchée de lasne, ouvr. cité, p. 19 et 20.

28 Voir É. Négrel, Théâtre et carnaval dans la France dAncien Régime (xviie-xviiie siècles). Coutume, idéologie, dramaturgie, à paraître.

29 Molière, LÉcole des femmes (1662), III, 2, dans Molière, Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris, Gallimard, 1971, t. I, p. 580.

30 P. Richelet, Dictionnaire français, Genève, J. H. Widerhold, 1680, art. « Poil ».

31 Voir E. R. Leach, « Cheveux, poils, magie » (« Magical Hair », 1958), dans Leach, LUnité de lhomme et autres essais, Paris, Gallimard, 1980, p. 321-361.

32 A. Furetière, Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, art. « Monstrueux ». Voir J. Céard, La Nature et les prodiges. Linsolite au xvie siècle (1977), Genève, Droz, 1996.

33 Farce du cuvier (fin xve siècle), dans Recueil de farces (1450-1550), t. 3, éd. A. Tissier, Genève, Droz, 1988, p. 76, 45 et 46.

34 Histoire du monde renvercez au champs ville et faubourg tout y va au rebours (Paris, Pierre Gallays, dernier quart xviie siècle-1er quart xviiie siècle), gravure en taille-douce coloriée ; La Folie des hommes ou le Monde à rebours (Paris, Mondhard, v. 1700), gravure en taille-douce coloriée : Marseille, MuCEM, respectivement 1970.24.18 et 1963.63.1. Reproductions dans F. Tristan, Le Monde à lenvers, Paris, Hachette, 1980, p. 100-103.

35 Voir L. Beaumont-Maillet, La Guerre des sexes. xve-xixe siècles, Paris, Albin Michel, 1984 ; S. F. Matthews-Grieco, « Picarts Browbeaten Husbands in 17th-Century France : Cuckoldry in Context », dans Matthews-Grieco (dir.), Cuckoldry, Impotence and Adultery in Europe (15th-17th Century), Farnham, Ashgate, 2014, p. 249-290.

36 P. Picart, Ces diablesses icy viennent troubler la feste (v. 1660), gravure au burin, dans Jacques Lagniet, Recueil des plus illustres proverbes, divisé en trois livres : le Premier contient les proverbes moraux, le Second les proverbes joyeux et plaisants, le Troisième représente la vie des gueux en proverbes mis en lumière par Jacques Lagniet, Paris, « sur le quai de la Megisserie au fort lÉvêque », [1663], n.p. (estampe 107 du 2e livre) : Paris, BnF, Réserve, RES-Z-1746, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71523p/f197.image.

37 Sur cette réalité historique, voir V. Vanneau, « Maris battus. Histoire dune interversion” des rôles conjugaux », Ethnologie française, XXXVI/4, 2006, p. 697-703.

38 F. Héritier, Masculin/Féminin, t. 1 : La Pensée de la différence (1996), Paris, Odile Jacob, 2012, p. 217.

39 Recueil des sotties françaises, t. 1, éd. citée, p. 392.

40 Farce du cuvier, éd. citée, p. 56 (Faire cela : « Faire lamour »).

41 J. Lagniet, La Poule qui chante devant le coq (v. 1660), gravure à leau-forte, dans Lagniet, Recueil des plus illustres proverbes, ouvr. cité (estampe 32 du 2e livre), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71523p/f121.image. La poule ne doit point chanter avant le coq : « proverbe qui signifie que la femme ne doit point parler avant son mari, ni usurper lautorité qui lui est due » (P. J. Le Roux, Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial, Amsterdam, M. C. Le Cène, 1718, art. « Coq »).

42 F. Béroalde de Verville, Le Moyen de parvenir (1616 ?), éd. H. Moreau et A. Tournon, Paris, Champion, 2004, section 53 : « Section », p. 213 ; « Jean, dans le style satirique, signifie cocu, cornard ; sa femme la fait Jean, pour la fait cocu, lui a planté des cornes » (Le Roux, Dictionnaire comique, 1718).

43 Besoigner : « Faire le déduit, caresser une femme comme Mars caressa Vénus, en bon français, chevaucher ou F… » (Le Roux, Dictionnaire comique, 1718).

44 « On dit quun homme fait la femme, lorsquil est lâche, oisif et efféminé, quil se délicate trop » (Le Roux, Dictionnaire comique, 1718, art. « Femme »).

45 Ung esbatement vulgairement nommé chalivary domme vieil qui se marie en femme ou fille jeune (xvie siècle ?), BnF, n.a.f., ms. 12646, fo 508 ro-512 ro (farces rassemblées par Émile Picot), citations fo 509 ro et 512 ro ; cité, daprès la transcription de Picot, dans J.-C. Margolin, « Charivari et mariage ridicule au temps de la Renaissance », dans J. Jacquot et É. Konigson (dir.), Les Fêtes de la Renaissance, t. 3, Paris, CNRS, 1975, p. 579-601, citations p. 587 et 588 (texte intégralement reproduit p. 586-588).

46 « Couille. Est la verge de la nature de lhomme, Penis virilis » (J. Nicot, Thresor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne, Paris, D. Douceur, 1606). Baud, bald, baut : « plein dardeur joyeuse (jusquà lexcès) ; hardi (jusquà la présomption, leffronterie) » (Dictionnaire du Moyen français, atilf.fr/dmf). Merci à Jelle Koopmans pour ses éclairages lexicographiques au sujet de ce patronyme.

47 Les Sotz nouveaulx, farcez, couvez (Rouen, v. 1513 ?), v. 203, 200 et 208, dans Recueil général des sotties, t. 2, éd. É. Picot, Paris, F. Didot, 1904, p. 195.

48 Recueil de la chevauchée, faicte en la ville de Lyon, le dix septiesme de novembre 1578. Avec tout lordre tenu en icelle, Lyon, « Par les trois Supposts » [G. Testefort, P. Ferdelat et C. Bouilland], [1578], p. 3. Le jeu dramatique seul a été édité par M. Bouhaïk-Gironès, J. Koopmans et K. Lavéant dans le Recueil des sotties françaises, t. 1, éd. citée.

49 Recueil des sotties françaises, t. 1, éd. citée, p. 457 et 456.

50 Recueil des sotties françaises, t. 1, éd. citée, p. 459-460. Le verbe à limpératif « sort [sors] » a été oublié par les éditeurs ; je le rétablis daprès lédition de 1578 du Recueil de la chevauchée (p. 15).

51 Couillon : « Testicule. Couillon de coq, couillon de bélier » (Richelet, Dictionnaire français, 1680). Voir aussi Nicot, Thresor de la langue françoyse, 1606, art. « Coüillon ».

52 Rabelais, Œuvres complètes, éd. citée, p. 41 et 573.

53 C. Noirot, LOrigine des masques, mommeries, bernez et revennez ès jours gras de Caresme-prenant, menez sur lâne à rebours et charivary, Langres, J. Chauvetet, 1609, p. 52.

54 A. Burguière, « Pratique du charivari et répression religieuse dans la France dAncien Régime », dans Le Goff et Schmitt (dir.), Le Charivari, ouvr. cité, p. 193.

55 Recueil de la chevauchée, faicte en la ville de Lyon, ouvr. cité, p. 20-21.

56 Voir G. Dumézil, Mythes et dieux des Germains. Essai dinterprétation comparative, Paris, Librairie E. Leroux (PUF), 1939, chap. 6 : « Les guerriers-fauves », p. 79-91 ; H. Rey-Flaud, Le Charivari. Les rituels fondamentaux de la sexualité, Paris, Payot, 1985, chap. 1 : « La horde sauvage », p. 17-26, et chap. 2 : « Les envahisseurs du solstice dhiver », p. 27-46.

57 R. Caillois, LHomme et le sacré (1939), ch. 4 : « Le sacré de transgression : théorie de la fête », Paris, Gallimard, 1988, p. 127-168, citations p. 155 et 149.

58 Recueil faict au vray de la chevauchée de lasne, ouvr. cité, p. 20.

59 Voir C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1974, p. 63.

60 H. Rey-Flaud, Le Charivari. Les rituels fondamentaux de la sexualité, ouvr. cité, p. 235.

61 Mes plus vifs remerciements à Michèle Clément pour sa relecture attentive et ses précieuses remarques.