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Classiques Garnier

La Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier, the Eracles, and the crusade narrative

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2019 – 1, n° 37
    . varia
  • Author: Gaggero (Massimiliano)
  • Abstract: Ernoul’s Chronique and its Continuation by Guillaume de Tyr were among the most widely circulated Crusade narratives of the Middle Ages. The Continuation was heavily reworked in the lengthy editions produced in the Latin West. We examine the structures and ideology of Crusade narratives, first through a reading of the first part of the Chronique, and then through a comparative analysis of the key episodes from the various editions.
  • Pages: 53 to 74
  • Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406097013
  • ISBN: 978-2-406-09701-3
  • ISSN: 2273-0893
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09701-3.p.0053
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 12-17-2019
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: history, Crusades, chronicle, Ernoul, Guillaume de Tyr
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LA CHRONIQUE DERNOUL
ET DE BERNARD LE TRÉSORIER
, LERACLES
ET LA NARRATION DE LA CROISADE

La Chronique attribuée par les critiques modernes à Ernoul et à Bernard le Trésorier1 est lune des principales sources vernaculaires sur les croisades et a connu, depuis le Moyen Âge, un succès considérable. La pluralité des rédactions qui sont transmises par les manuscrits offre une série de perspectives différentes sur la narration de la croisade, qui nécessitent, pour une meilleure compréhension, dêtre envisagées dans une approche comparatiste.

Telle que nous la lisons, la Chronique embrasse une période allant, selon les manuscrits, de la mort de Godefroi de Bouillon à lexcommunication de Frédéric ii par Grégoire ix (1227), à son retour de Terre Sainte (1229) ou au moment où Jean de Brienne devient régent de lempire latin de Constantinople (1231). La Chronique trouve son origine dans le récit de la chute de Jérusalem aux mains de Saladin (1187) fait par Ernoul, que les manuscrits achevant le récit en 1227 et 1229 présentent comme lécuyer de Balian dIbelin et lauteur/commanditaire de lœuvre : « Dont fist descendre.i. sien varlet qui avoit a non Ernous. Ce fu cil qui cest conte fist metre en escript. Celui Ernoul envoia Balyans de Belin dedens le castiel []2 ».

Il est possible que le récit dErnoul ait été un court exposé en prose, composé pour informer le public (surtout ceux qui vivaient en Occident) 54et susciter une réaction visant la reconquête de la ville sainte, mais aussi pour justifier et mettre en valeur les actions dun groupe de nobles de lentourage de Balian dIbelin.

Dailleurs la première partie du Libellus de expugnatione Terræ Sanctæ per Saladinum, composé par un clerc anonyme en latin à un moment proche de la composition du récit dErnoul, se concentre aussi sur la perte de Jérusalem et présente de notables similarités avec les différentes versions données par la Chronique et les rédactions de la Première Continuation de Guillaume de Tyr, similarités qui peuvent sexpliquer, selon J. H. Kane, par la connaissance, de la part de lauteur, du récit dErnoul ou de traditions émanant du milieu dans lequel Ernoul opérait. Tout en étant proches sur le plan du contenu, la Chronique et le Libellus diffèrent cependant par le point de vue adopté et par le style, qui dans le Libellus est très soutenu : le texte a été défini comme « a religious treatise on the fall of the Holy Land in which the anonymous writer subordinated pure historical narrative to his overall exegetical design3 ».

Le récit originel dErnoul serait ainsi le mémoire dun spectateur proche dun événement catastrophique de lhistoire de lOrient latin. Cette catégorie de relations par des témoins oculaires forme un genre littéraire qui a toujours été lié à la croisade : le premier exemple en sont les Gesta Francorum anonymes, consacrés à la Première Croisade. En langue vernaculaire, nous pouvons citer encore au moins les deux ouvrages consacrés à la Quatrième Croisade par Robert de Clari et Geoffroi de Villehardouin4. Nous ne pouvons pas être sûrs que le récit dErnoul ait originellement été composé en langue vernaculaire ; si cétait le cas, nous aurions affaire à lun des premiers exemples de prose narrative en français5. La composition dun texte politiquement engagé sur la chute 55de Jérusalem aux mains de Saladin ne saurait être trop éloignée des événements qui lont inspirée et elle prendrait tout son sens dans les années précédant la Troisième Croisade.

P. Edbury estime que la narration dErnoul nallait pas au-delà de la chute de Jérusalem et que la Chronique, telle que nous la lisons, est lœuvre de plusieurs remanieurs écrivant entre les années 1220 et 1230 dans lentourage de Jean de Brienne pour expliquer ses relations contrastées avec Frédéric ii et sa prise de pouvoir à Constantinople6. Le texte a été composé dans le nord de la France, région associée à lessor de la prose narrative et historique en français au xiiie siècle7. Sur la base déléments communs à la Chronique et à la Conquête de Constantinople de Robert de Clari, nous avons proposé labbaye de Corbie comme milieu dorigine pour les deux textes. Le colophon de F25 (Bern, Burgerbibliothek, 340) et de F26 (Paris, Arsenal, 4797), mentionnant Bernard, trésorier de labbaye de Saint-Pierre de Corbie, comme auteur ou commanditaire du livre en 1232, atteste la perception dun lien entre le texte et labbaye, même si lon na pas encore trouvé de documentation historique sur ce personnage8.

Nous ne connaissons pas la date à laquelle la Chronique a été adaptée pour servir de continuation à la traduction française de Guillaume de Tyr dans la compilation dite Estoire dEracles. La traduction a été effectuée entre 1219 et 1223 environ, en Île-de-France, daprès Ph. D. Handyside9 ; le manuscrit le plus ancien de lEracles, F38 (London, British Library, Yates Thompson 12), date de la moitié du xiiie siècle. Il a été localisé en Angleterre par J. Folda10, mais R. Leson a récemment souligné dans les 56armoiries figurant dans les enluminures des détails qui renverraient à la famille de Coucy11. Il est donc probable que la compilation de lEracles a été réalisée dans les régions au nord de Paris, entre 1232 et 1250. Par ailleurs la plus grande partie des manuscrits de lEracles donne de la Première Continuation un texte (« rédaction brève ») qui, pour lessentiel, est identique au texte de la Chronique se terminant en 1232.

Les rédactions longues de la Première Continuation de Guillaume de Tyr, en revanche, ont été composées en Terre Sainte, probablement à Acre, à partir dune réélaboration de la rédaction brève12. P. Edbury a daté la première rédaction, dite de Colbert-Fontainebleau, de 1230-1240 et la seconde, dite de Lyon, fondée sur celle-ci, des années 1240 ; la première rédaction est contenue dans F73 (Paris, BnF, fr. 2628) et F57 (Paris, BnF, fr. 2634), la seconde dans F72 (Lyon, BM, 828) et, partiellement, dans F70 (Firenze, Bibl. Medicea Laurenziana, Plut. 61.10)13. Le premier des deux remanieurs est intervenu sur le récit des batailles de la fontaine du Cresson et de Hattin, et sest ensuite concentré sur la narration de la Troisième Croisade ; le second remanieur, qui a repris le travail sur lensemble de la partie relative aux années 1184-1197, se caractérise en particulier par son intérêt pour lislam et les affaires ecclésiastiques. Ce pourrait être, daprès P. Edbury, un clerc14.

Cette situation rédactionnelle complexe affecte la narration de la croisade dans son contenu et ses structures. Nous étudierons surtout ces dernières, en nous penchant sur la façon dont les différents auteurs se servent dun système dannonces et de renvois internes pour acclimater leurs interventions et souligner limportance de certains éléments de la narration15. Le jeu sur ces éléments montre aussi la façon dont chaque auteur prenait conscience de la structure de lœuvre et de lagencement de ses parties. Nous terminerons notre analyse par quelques exemples de remaniements du récit sur une plus large échelle.

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FONCTION STRUCTURELLE
DE LA PREMIÈRE PARTIE DE LA CHRONIQUE

La Chronique souvre par une section qui embrasse les années 1101-1184, de la mort de Godefroy de Bouillon au moment où Baudouin iv, mourant, désigne Raymond iii de Tripoli comme régent jusquà la majorité de Baudouin v16. Dans cette section, la narration dabord très schématique, devient progressivement plus détaillée au fur et à mesure que lon se rapproche du récit, fondé sur le témoignage dErnoul, de la chute de Jérusalem. La section initiale est importante pour comprendre les stratégies textuelles de la Chronique17, modifiées par les interventions sur le texte qui se sont révélées nécessaires au moment de lintégrer dans lEracles.

Lauteur de la Chronique se sert dun système dannonces et de reprises, qui garantit la cohérence du texte dans son ensemble et permet au lecteur/auditeur de comprendre que certaines séquences narratives introduisent des éléments qui auront des effets à moyen et à long terme. Cest dailleurs par une annonce de ce type que souvre le texte de la Chronique18 : « Oiés et entendés comment la tiere de Jherusalem et la sainte crois fu conquise de Sarrasins sour Crestiiens19 ». Lappel au lecteur identifie tout de suite la chute de Jérusalem comme lépisode central autour duquel se construit le texte20. Il est possible que lappel au public soit lœuvre dErnoul, car cet appel ne saurait introduire une œuvre qui embrasse une période se prolongeant 140 ans plus tard après lévénement évoqué en ouverture21.

En poursuivant la lecture du texte, il est tout de suite clair que le projet de lauteur de la Chronique diffère de celui dErnoul. On 58trouve dès les premières pages une allusion aux faits de la Quatrième Croisade : « le contesse [Margarite] de Hainau, qui mere fu le conte Bauduin de Flandres et Henri dAnjo, qui puis furent empereur de Constantinoble22 ». Les annonces de la Quatrième Croisade se situent dans la série dépisodes de la vie dAndronic ier Comnène. Le récit de sa relation avec Théodore, fille de Manuel ier Comnène et veuve de Baudouin iii de Jérusalem (1167-1180), est justifié par le narrateur parce quAndronic a commis la malice (le meurtre dAlexis ii Comnène, marié à Agnès de France, fille de Louis vii) qui est la cause première de la chute de Constantinople en 120423. Plus loin, le récit du mariage dAlexis ii et dAgnès de France se termine par une formule de transition24 qui annonce un long passage relatant la succession au pouvoir dAndronic ier, Isaac ii Ange et Alexis iii Ange (1180-1195). Ce passage se conclut, à son tour, par une prolepse sur larrivée de la Quatrième Croisade25. Le narrateur dépasse largement la chronologie des événements de Terre Sainte à lintérieur desquels le récit sur les empereurs byzantins est enchâssé (nous sommes bien avant la mort de Baudouin iv en 1184), pour préparer de loin la narration de la Quatrième Croisade qui se lit dans la partie finale de la Chronique26 : cest là une marque de limportance de cet événement dans lœuvre, mais aussi de lattention portée par lauteur à sa structure.

La séquence consacrée à Andronic ier est reliée par une formule de transition à une autre séquence, qui introduit le thème de la déchéance morale des habitants de Jérusalem, cause de la perte de la ville. Guillaume de Tyr et Héraclius, protégé dAgnès de Courtenay, mère de Baudouin iv, sont les deux candidats au patriarcat de Jérusalem. Sachant que lélection dHéraclius amènera la perte de la sainte croix, Guillaume essaie de convaincre les chanoines du Sépulcre de choisir dautres candidats queux. Une fois Héraclius élu, Guillaume part pour Rome faire appel au pape, mais Héraclius le fait tuer. Suit une description des mœurs débauchées du nouveau patriarche, responsables de la déchéance des mœurs des clercs et des laïcs de Jérusalem :

59

Quant nostre sires Diex Jhesu Cris vit le pecié et lordure quil faisoient en le cité ou il fu crucefiés et espandi son sanc pour le monde racater, ne le pot il nient plus souffrir comme il fist de Gomorre et de Sodome ; ains esnetia la cité si des habitans qui i estoient al tans del patriarce Eracle de lorde de luxure puant qui en le cité estoit, quil ni demoura ne homme, ne femme, ne enfant fors seulement.ii. hommes, sesclaves ne furent. Li uns de ches deux hommes avoit a non Robiers de Corbie, et fu al prendre de la cité, quant Godefrois de Buillon le prist, et li autres avoit non Folkes Fiole27.

Ce passage illustre la technique employée dans la Chronique, qui consiste à insérer des épisodes qui nont pas de rapport avec la réalité documentée, mais qui permettent dillustrer les axes idéologiques sur lesquels le texte est construit. La conclusion de lépisode est reprise à la lettre vers la fin du siège de Jérusalem, lorsque le narrateur mentionne « lorde puans luxure et lavoltere qui en le cité estoit », à cause de laquelle Dieu « esnetia si le cité des habitans quil ni demoura home ne feme en poesté, fors seulement.ii. homes daage, qui ne vesquirent gaires apriés28 ». P. Edbury a remarqué que cette explication moralisante reçoit ici une inflexion anticléricale relativement inattendue, car lorigine de la déchéance morale des habitants de Jérusalem est dans les mœurs du patriarche même. Lépisode de Thoros dArménie, qui propose une explication politique de la perte du royaume nettement distincte de lexplication théologique propre au passage sur Héraclius, est teinté par le même anticléricalisme29. Cette composante anticléricale découle de lethos aristocratique qui informe la Chronique dans son ensemble et qui est cohérent avec lutilisation de la langue vernaculaire pour la composition de lœuvre.

Les deux épisodes de corruption morale et politique – celui dHéraclius et celui dAndronic ier –, qui ont des répercussions importantes dans la suite du récit, sont présentés en séquence et introduits par une seule formule de transition :

Or est li rois en pais en se tiere. Or vous dirons dAndrone, qui en prison estoit, qui fist le malisse pour coi li Franchois alerent en Coustantinoble, 60qui au tans le roi mesel fu fait. Mais ançois que jel vous die, vous dirai de.ii. clers qui en le tiere de Jherusalem estoient, a chel tans, dont li uns estoit archevesques de Sur et li autres achevesques de Cesaire30.

La formulation en deux temps semble marquer une hésitation de lauteur sur le récit à présenter en premier lieu et pourrait renvoyer à la superposition de deux strates (dues à Ernoul et à lauteur de la Chronique) dans la composition du texte. Cette double séquence est en tout cas signalée dans le texte même comme unitaire et son importance narrative et idéologique est mise en relief : ces deux faits ont été bien perçus par le rédacteur de la Continuation de Guillaume de Tyr (voir plus loin).

Un troisième fil rouge de la première partie concerne le personnage de Saladin. La Chronique consacre une narration assez développée à son ascension au pouvoir : il est le seul chef musulman qui soit présenté dont la biographie – déjà partiellement vue à la lumière de limage idéalisée qui caractérise le personnage dans les littératures européennes – est présentée avec autant de détails. Le récit sur Saladin commence dans la Chronique justement avec un épisode relevant de la tradition romanesque : la mention de lemprisonnement de Saladin au Crac de Montréal et de son adoubement par Onfroy iii de Toron31. Celle-ci engendre à son tour un microsystème danalepses liées à laffection de Saladin pour la mère dOnfroy iv de Toron que « [Saladin] avoit maintes fois portee entre ses bras quant il estoit esclave el castiel, et elle estoit enfes ». Ces références, qui soulignent la courtoisie du chef musulman, pourraient avoir été insérées par lauteur qui a interpolé le récit dErnoul dans la Chronique, étant donné que la dernière des mentions de la mère dOnfroy se lit dans la préparation à la Troisième Croisade32.

Saladin est présenté dès son apparition comme le conquérant de Jérusalem :

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Il ot non Salehadins. Li nons Salehadins, çou est a dire en françois : « Cest li sires qui euvre pour le loy. » Cil Salehadins est cil dont on parla tant par le mont, qui conquist Jherusalem. Mais ançois que je vous die comment il conquist la tiere de Jherusalem, vous dirai comment il conquist le roiaume dÉgypte et.v. roiaumes sour Sarrasins apriés, et comment il ocist le Mulane33.

Le récit de la prise du pouvoir en Égypte et de lassassinat du calife du Caire (appelé mullah dans la Chronique) fait lobjet dune narration qui sécarte de la réalité historique et se rapproche de la fiction littéraire. Pour se rapprocher du calife et le tuer, Saladin feint de se présenter désarmé pour lui rendre hommage, marchant à quatre pattes pendant que ses hommes le battent avec des verges ; au moment dembrasser le pied du calife, il sort un couteau quil avait caché et le frappe34. Lannonce que la prise de Jérusalem est précédée par la conquête par Saladin de cinq royaumes crée un effet dattente qui oriente le récit des premiers démêlés entre Saladin et les chrétiens (siège dAscalon et bataille de Montgisard) en introduisant une téléologie interne au texte. Saladin nayant pas encore conquis les cinq royaumes, il ne peut pas remporter de victoire significative sur les chrétiens, qui ont par ailleurs, dans la bataille de Montgisard, le soutien divin et la protection de la relique de la croix35. Le nombre des royaumes conquis est systématiquement noté à partir du mariage de Saladin avec la veuve de Nûr ed-Din36, et les conquêtes de la Perse, de Mossoul et dAlep sont entrelacées aux phases de la fortification du château du Gué Jacob par les Templiers. Le siège et la destruction du château en 1179 constituent la première véritable victoire de Saladin sur les chrétiens37 et marquent le moment où la menace posée par celui-ci devient un danger immédiat pour le royaume de Jérusalem.

62

Les annonces et les renvois internes de la première partie mettent en relief les axes narratifs et idéologiques du récit. Celui-ci se fonde sur une réflexion sur les événements narrés et sur leurs causes, ainsi que sur un esprit partisan assez ouvertement affiché. Si une partie des annonces étudiées devait déjà se trouver dans le récit dErnoul, dautres, celles de la Quatrième Croisade et, en général, tous les éléments se retrouvant aussi dans la narration des événements postérieurs à la prise de Jérusalem en 1187 peuvent avoir été intégrés par lauteur qui a inséré ce récit dans le texte tel quil nous est parvenu.

Jusquà la chute de Jérusalem et à lépisode de la défense de Tyr par Conrad de Montferrat, le récit de la Chronique est essentiellement caractérisé par la prolepse, alors que la présence de récits rétrospectifs demeure très limitée. Les acteurs principaux des événements narrés sont également introduits, à partir du moment où leurs actions infléchissent le cours des événements, sans aucun préambule, comme sils commençaient à exister, pour le narrateur, à partir de leur entrée en scène38. La première véritable analepse se trouve dans la transition à la Troisième Croisade. Elle explique post factum que lune des causes de la faiblesse du royaume de Jérusalem était le fait que larrivée de forces occidentales en Palestine était réduite parce que plusieurs pèlerins étaient enrôlés dans la flotte envoyée par Guillaume iii de Sicile contre lempire byzantin. Cette expédition, qui eut lieu à la fin du règne dAndronic ier (1189), est rapportée après la prise de pouvoir dAlexis iii (1195) avec un anachronisme qui renvoie en même temps à la fin du passage sur les empereurs byzantins situé au début du texte39.

Louverture de la section sur la Troisième Croisade semble marquer, dans la Chronique, un nouveau début narratif. Le succès de Conrad de Montferrat dans la défense de Tyr marque laccomplissement du projet divin, dont le marquis est un instrument, consistant à punir les chrétiens de Palestine, mais à leur laisser cette ville. Ce projet est un leitmotiv de la narration des événements de 1187, si bien quaprès la prise de Jérusalem et léchec de Saladin à Tyr, larrière-plan providentiel, sans disparaître, devient beaucoup moins important. Les rôles des personnages changent aussi : Guy de Lusignan est présenté sous un jour moins négatif, alors 63que lannulation du mariage dOnfroy iv de Thoron et dIsabelle de Jérusalem met en lumière lambition de Conrad de Montferrat. Cest aussi à partir de ce moment que lhorizon des événements narrés sélargit considérablement, en prenant en considération lOccident. Jusqualors (peut-être en bonne partie sur la base du récit dErnoul), le théâtre principal des opérations était représenté par les royaumes latins, et le théâtre secondaire par le Proche-Orient et lEmpire byzantin. LEurope restait donc en arrière-plan, comme le lieu doù provenaient hommes et aide financière et vers lequel on envoyait des messagers.

Ayant étudié les axes principaux – du point de vue structurel et idéologique – de la première partie de la Chronique, qui nest pas entièrement reprise dans lEracles, nous pouvons maintenant nous tourner vers les modifications apportées au récit de la partie de la Chronique qui sert, dans cette compilation, de Continuation au récit de Guillaume de Tyr. Après avoir décrit lopération de montage des deux textes, nous adopterons une démarche comparative, en prenant en considération les différences entre la rédaction brève de la Continuation, qui correspond au récit de la Chronique dans sa forme indépendante, et les versions longues de Colbert-Fontainebleau et de Lyon.

DE LA CHRONIQUE À LA CONTINUATION
DE GUILLAUME DE TYR

La jonction de la Chronique à la traduction de Guillaume de Tyr dans lEracles est caractérisée par léconomie admirable des interventions du rédacteur, qui ont tout de même altéré le plan de la composition originale de notre texte. Le rédacteur a omis toute la partie initiale, que nous venons danalyser, parce que les événements narrés figurent déjà, sous une forme plus développée, chez Guillaume de Tyr. Il a pourtant gardé une série de passages qui complètent le récit de celui-ci. Les épisodes du patriarche Héraclius et des Empereurs Andronic ier, Isaac ii et Alexis iii sont interpolés dans la partie conservée de la Chronique. Seul le manuscrit F38 (Londres, BL, Yates Thompson 12) transmet aussi trois autres passages interpolés dans la traduction de Guillaume 64de Tyr : les récits de la visite de Thoros dArménie, celui de la prise du pouvoir par Saladin en Égypte et le court paragraphe sur larrivée en Terre Sainte de Gérard de Ridefort, futur maître de lOrdre du Temple, et sur lorigine de son inimitié avec le comte Raymond de Tripoli40 :

Thoros, p. 25-31

fol. 138vb-139rb ; après Guillaume de Tyr, 19, 22

Saladin, p. 35-41

fol. 142rb-143ra ; après Guillaume de Tyr, 19, 33

Gérard, p. 114

fol. 172va-b ; après Guillaume de Tyr, 22, 29

Empereurs, p. 82-88

fol. 174va-175rb ; Chronique, p. 128

Héraclius, p. 89-96

fol. 179vb-180rb ; Chronique, p. 166

Tous les récits mentionnés sont accompagnés dans la Chronique par des annonces explicites de leur importance pour la compréhension dévénements postérieurs (la chute de Jérusalem et la Quatrième Croisade dans lépisode sur les empereurs byzantins). Il est probable que F38 représente la forme originale de la Continuation, qui a pu se perdre dans le reste de la tradition41 : lextrapolation de tous ces passages répond à la même stratégie narrative et la technique suivie dans lextraction est aussi la même. Des quatre passages les plus étendus, deux (Empereurs-Héraclius) se font immédiatement suite, alors que deux autres (Thoros-Saladin) se trouvent seulement à quelques pages de distance dans lédition Mas Latrie : cette proximité a pu aider le rédacteur dans la sélection de ces séquences. Linterpolation des passages sur les empereurs byzantins et sur Héraclius les transforme en analepses servant à expliquer deux événements de 1187 : la révolte dAlexis Branas et la bataille de Hattin. Il sagit dune transformation majeure des stratégies narratives de la Chronique, qui jusquaprès le siège de Tyr ne comporte pas, comme nous lavons vu, de récits rétrospectifs.

Lélimination de la première partie de la Chronique a entraîné la disparition des digressions qui mettent en relation les sites des événements historiques narrés avec les événements de lhistoire sacrée42. Sauf erreur, 65seules trois courtes notices apparaissent dans la partie qui est passée dans la Continuation43. Le rédacteur de la Continuation a aussi omis la description de Jérusalem qui précède, dans les manuscrits de la Chronique, le récit de la perte de la ville44. Il est possible que, ce faisant, le rédacteur ait été sensible à larchitecture générale de la compilation : une description de Jérusalem ouvre le livre viii de Guillaume de Tyr, et il aurait pu vouloir en éviter le redoublement, même à très grande distance, ce qui montrerait sa connaissance approfondie des textes quil compilait.

RÉDACTION BRÈVE ET RÉDACTIONS LONGUES

Les interventions de Colbert-Fontainebleau et de Lyon nintéressent pas lensemble du texte, mais seulement le récit dépisodes ou les sections que les rédacteurs percevaient comme insatisfaisantes : par exemple, la section concernant les événements de 1184 à la prise de Jérusalem subit relativement moins dinterventions que celles touchant à la Troisième Croisade, qui la suit immédiatement45. Chaque rédaction longue présente donc un diasystème formé par la superposition des caractéristiques idéologiques, structurelles et stylistiques des rédactions précédentes46. À cause du faible nombre dattestations manuscrites de ces deux rédactions, 66il est parfois difficile de distinguer ce qui est à attribuer au rédacteur et ce qui revient aux copistes des manuscrits qui nous sont parvenus47.

Causes de la perte de Jérusalem

Les interventions des rédacteurs se situent en partie dans le prolongement des axes idéologiques et structurels de la Chronique, reprise par la rédaction brève de la Continuation. Les manuscrits des rédactions longues sont les seuls, avec F38, à présenter (dans une version remaniée) linterpolation relative à lavènement du maître du Temple, Gérard de Ridefort. Celle-ci est déplacée, par rapport à F38, avant le récit de la bataille de Hattin48, pour expliquer lanimosité des répliques sarcastiques de Gérard aux conseils donnés par le comte Raymond iii de Tripoli à Guy de Lusignan : arrivé en Terre Sainte, Gérard serait entré dans lordre du Temple par dépit, après que Raymond lui avait refusé la main de lhéritière du château de Botron. Le déplacement de linterpolation renforce le portrait négatif du personnage déjà présent dans la Chronique. Colbert-Fontainebleau – suivi par Lyon – a aussi eu soin de créer un système de références proleptiques et analeptiques à lépisode interpolé. Une première référence, en forme de prolepse, se trouve dans un ajout des deux rédactions à la fin de la description du couronnement de Guy et Sibylle. Gérard, favorable au couronnement qui est célébré en rupture des accords pris sur le lit de mort de Baudouin iv, commente de façon elliptique : « Ceste corone vaut bien le mariage du Botron49 ». Une analepse implicite se trouve seulement dans Lyon : le seigneur du Botron, que les rédactions longues identifient avec un riche Pisan nommé Plivain, est mentionné avec le maître du Temple dans la liste des prisonniers de Saladin après la bataille de Hattin. Nous sommes à quelques pages de linterpolation consacrée à Gérard, et cet ajout de Lyon, qui réunit dans le même destin le maître du Temple et son ancien rival, ne peut pas être un hasard.

La liste des causes de la perte de Jérusalem devient aussi plus longue au fil des rédactions : Colbert-Fontainebleau et Lyon50 mentionnent à ce propos la capture par Renaud de Châtillon dune caravane musulmane 67qui transportait la sœur de Saladin. Lépisode, absent de la rédaction brève, est construit sur le même schéma narratif que deux épisodes relatifs à Renaud dans la partie pré-1184 de la Chronique omise par la Continuation : rupture dune trêve ou accord avec les musulmans, demande de réparation de Saladin, intervention du roi de Jérusalem en faveur de Saladin, refus du transgresseur dobéir au roi51. Des analepses rappellent limportance de lépisode au début et à la fin du récit de la bataille du Cresson dans les deux rédactions52. Lyon ajoute aussi une autre référence à lépisode après la prise de Jérusalem par Saladin : celui-ci « manda a sa seror, cele que le prince Renaut avoit prise, quele venist aorer ou lui au Temple, rendre grace a Dieu et a Mahomet de lenor que Dieu li avoit faite53 ». Le rédacteur offre ici à la dame une compensation du tort subi en lassociant à la victoire la plus importante de son frère. Lyon donne encore un récit rétrospectif dans la narration de la bataille de Hattin pour apporter une autre cause de la perte de Jérusalem, linimitié entre les chrétiens de Palestine (les poleins) et les Poitevins à cause de lélection de Guy de Lusignan54.

Dans tous ces cas, Colbert-Fontainebleau et Lyon sinscrivent dans la continuité des caractéristiques du récit de la Chronique tel quils le connaissaient par la Continuation de Guillaume de Tyr. Ils sont de même animés par un souci de cohérence narrative qui les amène, dune rédaction à lautre, à multiplier les renvois internes.

Duplication de scènes et de motifs

Le souci dexploiter certaines caractéristiques du texte-source explique la répétition de motifs et le dédoublement dépisodes dans les rédactions longues. Dans la description de la bataille de Hattin donnée par la version brève55, larmée de Guy de Lusignan, établie à Saffuriyah pour une action militaire contre les musulmans, reçoit la nouvelle que Saladin a assiégé Tibériade, où se trouve, dépourvue de défenses, la femme du comte Raymond iii de Tripoli. Le comte tient un long discours devant le conseil des barons, dans lequel il déconseille au roi daller au secours 68de la ville et de sa propre femme pour des raisons stratégiques. Une remarque cinglante de Gérard de Ridefort fait allusion à lalliance encore récente du comte et de Saladin : « Atant passa avant li maistres dou Temple, si dist quencore y avoit dou poil de lours56 ». Lavis du comte remporte ladhésion des barons mais, avant le coucher du roi, le maître du Temple réussit à convaincre Guy daller à Tibériade avec larmée, qui est ainsi mise sur la route de la défaite de Hattin.

Dans Colbert-Fontainebleau et Lyon, lépisode est plus complexe et se situe dans un contexte différent57. Le secours du roi est demblée déclaré inutile : Raymond iii est allé à Tibériade pour en renforcer les défenses et donner à sa femme des instructions pour quelle et les habitants pussent quitter la ville sils narrivaient pas à contrer le siège de Saladin. À larrivée du message de la comtesse, le maître du Temple et Renaud de Châtillon conseillent daller défendre la ville, le comte de Tripoli estime plutôt quil faut pourvoir à la défense des autres villes du royaume, contacter le prince dAntioche et Baudouin de Ramallah – brouillé avec Guy – et laisser la chaleur fatiguer larmée de Saladin :

Ensi come li cuens de Triple ot finee sa parole, li maistres dou Temple et li princes Renauz distrent au conte que en son conseil avoit dou poil dou loup. Oiant ce, li cuens de Triple se torna vers le roi, et li dist : « Sire, je vos requier et semons de aler rescorre Tabarie ».

Avant de se mettre en marche pour Tibériade, le roi consulte encore les barons ; le comte de Tripoli tient ici le même discours que dans la Chronique, et la scène se conclut par une reprise au mot près de léchange précédent :

Quant li cuens ot finee sa parole, li maistres dou Temple li dist encore : « Y a il dou poil dou loup. » Quant li cuens oï ce, tantost dist au roi : « Sire, je vos semoing et requier que vos alez rescorre Tabarie. » Dedens ce la contesse de Tabarie manda messages au roi, que il la deust secorre, car ele et ses gens estoient durement gregez. Oyés ces noveles, un cri sesmut en lost entre les chevaliers, que len diseit : « Alonz secorre les dames et les damoiseles de Tabarie ! »

Cest ici quest interpolé le récit rétrospectif sur Gérard de Ridefort. La scène unique de la Chronique est dédoublée en deux scènes ponctuées 69par un élément qui se répète au mot près comme dans les laisses parallèles des chansons de geste. La réaction de larmée qui clôt lépisode a, elle aussi, une allure littéraire et souligne lethos aristocratique propre aux différentes versions de nos textes58.

Dans le récit des premières phases de la Troisième Croisade, la Chronique raconte comment, poussés par la pénurie de nourriture dans le camp chrétien, pris entre la ville dAcre et le contre-siège de Saladin, les sergents décident, face à limpuissance des barons, de tenter une incursion dans le camp musulman. Larmée de Saladin feint de quitter le camp et attire les chrétiens dans un guet-apens mortel59. Cet épisode donne lieu, dans Colbert-Fontainbleau et Lyon, à deux épisodes de sens différent : le premier est le récit dune expédition organisée par Guy de Lusignan, son frère Geoffroi, Gérard de Ridefort et André de Brienne pour faire face à la pénurie de nourriture dans larmée. Le déroulement de laction est quelque peu incongru : Saladin fait retirer ses hommes, mais na pas lair de vouloir piéger les chrétiens ; il attaque seulement, sur le conseil dun renégat chrétien, lorsquun cheval qui séchappe sème le trouble dans le contingent croisé. Lépisode permet dillustrer la valeur des chefs de larmée et de décrire la mort héroïque dAndré de Brienne et de Gérard de Ridefort, qui a ici un rôle positif60. Après la longue section qui occupe la fin du livre xxiv (ch. 21-26) et le début du livre xxv (ch. 1-9) dans le RHC, dont il sera question ci-après, nous trouvons un épisode qui est plus proche de celui de la Chronique : face à la pénurie dans larmée, les sergents pensent valoir mieux que les barons et décident, en rupture ouverte avec eux, de tenter une sortie dans le camp musulman. Ils sont attirés dans le même guet-apens que dans la Chronique et tués en grand nombre61. La disposition des deux récits les met en regard et illustre, encore une fois, la proximité de lauteur avec les barons, en glorifiant leurs exploits et en sanctionnant linsubordination des soldats.

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Restructuration du récit

Dans le récit consacré à la Troisième Croisade, lélargissement des horizons du récit, désormais caractérisé par un va-et-vient entre lEurope et le Proche-Orient, oblige le narrateur à chercher un équilibre entre les différents théâtres de laction à travers la technique de lentrelacement62. Tout en cherchant à combler les lacunes de la narration, les rédactions longues ont réorganisé les éléments du récit de la Chronique. Une comparaison entre les différentes versions de la longue séquence allant du début du siège dAcre à larrivée de Philippe Auguste dans la ville63 à léchelle de larticulation des grandes séquences narratives met en lumière les particularités de la version partagée par Colbert-Fontainebleau et Lyon.

La Chronique et Colbert-Fontainebleau se séparent au moment où Guy de Lusignan met le siège à Acre : Saladin, qui est en train dattaquer le château de la Roche Guillaume, reçoit la nouvelle du siège et se dirige vers la ville. Lyon sest écarté des autres rédactions plus tôt (§ 75), mais il rejoint Colbert-Fontainebleau à cet endroit (§ 82). La Chronique donne dabord [a] une courte description de la situation à Acre (siège de Guy à la ville, contre-siège de Saladin), avec la précision que la situation reste bloquée pendant un an, et la mention de larrivée du fils de Frédéric Barberousse (Frédéric de Souabe, dont le nom nest pas explicité), après la mort de son père, devant Acre. Ce dernier passage renvoie aux toutes premières pages de la section sur la Troisième Croisade, avec une description succincte du départ et de la mort de lempereur (qui se serait noyé en Arménie en se baignant après le repas)64. La substitution de ce récit est lun des buts du réaménagement de cette section dans les autres rédactions.

Alors que la Chronique revient en Occident sans transition, les rédactions longues présentent [1] une série dépisodes relatifs au siège se terminant par un échange de messages entre Saladin et Guy : cest ici quest décrite lincursion des barons dans le camp musulman dont nous avons parlé ci-dessus65. Suit [2] la narration très détaillée de lexpédition de Frédéric Barberousse et de sa mort, qui se termine par un récit proleptique de la mort à Acre de son fils, Frédéric de Souabe, après la prise 71de la ville66 : tous les renseignements sur les Allemands, dont il nest plus question dans le récit du siège dAcre, sont ainsi rassemblés dans une seule séquence.

Ce nest quaprès cette section que les rédactions longues renouent avec les épisodes de la Chronique, repris toutefois dans une forme plus développée et dans un ordre différent. La Chronique a dabord [b] un récit suivi allant de la guerre entre Henri ii dAngleterre et Philippe Auguste, qui intervient dans la querelle sur le partage des terres du Plantagenêt entre Richard ier et Jean Sans Terre, jusquau départ de Philippe et de Richard pour la croisade. De là, le récit se sert de lentrelacement pour suivre les trajets des différents personnages : lauteur abandonne le roi de France, contraint de sarrêter à Messine, pour suivre larrivée de ses barons à Acre [c]. Il suit les événements du siège jusquà la malheureuse expédition des sergents et à la querelle pour lannulation du mariage dIsabelle de Jérusalem et dOnfroy iv de Toron au profit de Conrad de Montferrat [d]. Il revient alors [e] au séjour de Philippe Auguste, rejoint par Richard ier, à Messine jusquau départ des deux rois et à larrivée du roi de France à Acre67.

Dans les versions longues, une séquence unique [3 = b+e1] va de la guerre entre Henri ii et Philippe Auguste à linstallation de Richard ier en Sicile68. Un raccord temporel (« Le siege avoit ja esté un an devant Acre ») introduit une séquence [4 = d] allant de lexpédition des sergents au mariage de Conrad de Montferrat avec Isabelle de Jérusalem69. La dernière séquence [5 = e2] reprend les derniers événements du séjour en Sicile des deux rois et leur départ, et se termine par des épisodes absents de la Chronique, relatifs à larrivée de Philippe Auguste à Acre70. Elle se clôt par une remarque du narrateur : Philippe aurait pu prendre la ville tout seul, mais il a préféré attendre larrivée de Richard pour partager avec lui la gloire dérivant de la conquête. Ce passage fait écho à la séquence [1], où on lit que Saladin reçoit, dès son arrivée à Acre, le conseil dattaquer les chrétiens, mais que, pour le faire, il préfère attendre larrivée de son frère, Saîf al-Dîn. Le dédoublement de cet expédient visant à retarder le dénouement de laction rapproche implicitement 72les chefs des deux armées, animés par une loyauté qui ne trouve pas déquivalent chez leurs compagnons darmes, comme la suite du récit se charge de le démontrer.

Cet examen cursif ne rend pas justice à la richesse des différentes rédactions, mais il permet de montrer que, tout en donnant un récit plus ample et détaillé, la réécriture crée des blocs narratifs cohérents avec la distribution des théâtres de laction et réduit le mouvement de va-et-vient qui caractérise la Chronique. Il est par ailleurs probable que la réécriture attestée par Colbert-Fontainebleau commençait à lorigine plus loin que ce que nous voyons dans les manuscrits F73 et F57, qui nous ont transmis ce texte. Ceux-ci présentent deux fois le récit de la mort de Frédéric Barberousse : dabord selon la Chronique, ensuite selon la rédaction longue, alors que Lyon a éliminé la première occurrence71. Dans la section que nous venons danalyser, des renvois analeptiques qui ne trouvent pas de correspondant dans le récit précédent tendent à prouver que lantécédent de Colbert-Fontainebleau a changé de modèle à un moment donné, alors que Lyon, tout en étant remanié, garde une trace de la structure originale de la rédaction longue72. Nous touchons là à la limite de nos attestations et à la difficulté, parfois, danalyser la structure dune rédaction transmise de façon incomplète seulement par un nombre limité de manuscrits.

Les interventions de Lyon sur le texte de la rédaction longue affectent aussi les macrostructures du récit. Le déplacement dépisodes crée parfois des anachronismes que M. R. Morgan et P. Edbury ont déjà signalés. Lépisode de Jean Gale73 est raconté dans la Chronique et dans Colbert-Fontainebleau lors de la campagne menée par Saladin en 1188 après la prise de Jérusalem. Saladin apprend que le chevalier de Tyr Jean Gale, quil hait, se trouve à la Roche Guillaume. Un récit rétrospectif explique que Jean, ayant tué son seigneur, sétait réfugié chez Saladin ; il était devenu intime de lun de ses neveux, quil avait ensuite livré aux Templiers en échange de leur protection, afin de rentrer dans les 73territoires chrétiens. La vengeance de Saladin a lair de tourner court parce que, dans les deux rédactions, il nen est plus question à la fin de lanalepse : nous apprenons en revanche que Jean devient un conseiller de Philippe Auguste lorsque celui-ci arrive en Terre Sainte, grâce à sa connaissance des musulmans74. Dans Lyon, lépisode est anticipé entre la bataille de Hattin et la prise de Jérusalem. Le déroulement du récit est le même, sauf que la trahison de Jean Gale est vue sous un jour positif (il « sentremist de bien et donor75 »). Tout en faisant une entorse à la chronologie des événements, Lyon a essayé de mieux insérer lépisode dans lensemble de la narration. Le texte décrit rapidement les raisons familiales et personnelles qui poussent Saladin à assiéger la Roche Guillaume :

Quant Salahadin ot desconfit la crestienté et pris le rei, sa suer le comença a haster par quei il peust raveir son fils. Et Takaidin meismes, son serorge, le hasteit et teneit cort por raveir son fils. Salahadin meismes le voleit volentiers porce quil estoit son nevou76.

La victoire dans la bataille de Hattin est vue comme la condition qui a permis à Saladin de libérer des forces quil peut maintenant concentrer dans un projet de vengeance personnelle. Lauteur explique que Saladin abandonne le siège de la Roche Guillaume parce que Renaud de Sidon lui a promis la reddition de la ville de Tyr. Plus loin, arrivé au récit de la campagne de 1188, lauteur donne un dénouement très sec à lhistoire, quil avait laissée en suspens : « [] si li [à Saladin] sovint de Johan Gale qui estoit encores en La Roche Guillaume. Il lala assegier, et ne la post prendre77 ». Malgré léconomie des moyens utilisés, Lyon a assuré à lhistoire une cohérence narrative qui manquait dans la façon brusque dont lépisode du siège est abandonné par la Chronique et Colbert-Fontainebleau. Le souci de précision historique semble passer, au moins ici, à larrière-plan par rapport à la volonté du rédacteur de raconter une histoire mieux agencée que dans ses antécédents.

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CONCLUSIONS

Chaque état du texte pris en considération (Chronique, Continuation, versions longues de celle-ci) modifie de façon plus ou moins importante la structure de son prédécesseur. Le système des renvois internes permet aux auteurs de donner une présentation orientée des événements narrés, qui se fonde sur une vision densemble de moyenne à longue durée. Lintroduction deffets de répétition et décho propres aux rédactions longues montre que les auteurs songent parfois davantage à la cohérence interne du récit et aux effets de sens produits par la mise en regard dépisodes à distance quà lexactitude historique des faits relatés. Il serait pourtant réducteur den conclure que le texte séloigne du domaine de lhistoire et se rapproche du roman : les épisodes fictifs ou romancés explicitent linterprétation que les auteurs donnent des événements historiques quils relatent. Il sagit donc déléments importants pour la compréhension de lidéologie de chaque texte, qui est elle-même un fait historique à interpréter78.

Massimiliano Gaggero

Università degli Studi di Milano

1 Éditions de référence : Chronique dErnoul et de Bernard le Trésorier, éd. L. de Mas Latrie, Paris, Renouard, 1871 ; Recueil des historiens des croisades, publié par les soins de lAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres, Historiens occidentaux, II, Paris, Imprimerie Impériale, 1859 (RHC) ; La Continuation de Guillaume de Tyr (1184-1197), éd. M. R. Morgan, Paris, Geuthner, 1982 (Lyon). Les sigles des manuscrits sont repris à J. Folda, « Manuscripts of the History of Outremer by William of Tyre : A Handlist », Scriptorium, 27, 1973, p. 90-95.

2 Chronique, p. 149 (mss F16-F20).

3 Sur ce texte peu étudié, voir J. H. Kane, « Wolfs Hair, Exposed Digits, and Muslim Holy Men : the Libellus de expugnatione Terræ sanctæ per Saladinum and the Conte of Ernoul », Viator, 47/2, 2016, p. 95-112, ici p. 99. Le texte est publié en annexe dans Radulphi de Coggeshall, Chronicon Anglicanum, éd. J. Stevenson, Londres, Longman, 1875, p. 209-262 ; Voir maintenant K. Brewer-J. Kane, The Conquest of the Holy Land by Salāh al-Dīn : A Critical Edition of the Libellus de expugnatione Terrae Sanctae per Saladinum, Abingdon-New York, Routledge, 2019.

4 Voir, pour cette catégorie de textes, L. B. Mortensen, « Comparing and Connecting : the Rise of Fast Historiography (12th-13th century) », Medieval Worlds, 1, 2015, p. 25-39 (en ligne).

5 Sur les enjeux du passage du vers à la prose, voir C. Croizy-Naquet, « Écrire lhistoire : le choix du vers ou de la prose aux xiie et xiiie siècles », Médiévales, 38, 2000, p. 71-85.

6 Voir P. Edbury, « New Perspectives on the Old French Continuations of William of Tyre », Crusades, 9, 2010, p. 107-113, ici p. 109, et surtout « Ernoul, Eracles and the collapse of the Kingdom of Jerusalem », The French of Outremer : Communities, Communications, Confabulations, éd. L. K. Morreale et N. L. Paul, New York, Fordham University Press, 2018, p. 44-85 et « Conrad versus Saladin : the siege of Tyre, November-December 1187 », sous presse.

7 Voir B. Woledge et H. P. Clive, Répertoire des plus anciens textes en prose française depuis 842 jusquaux premières années du xiiie siècle, Genève, Droz, 1964, p. 9-42 ; G. Spiegel, Romancing the Past. The Rise of Vernacular Prose Historiography in Thirteenth-Century France, Berkeley, University of California Press, 1993, p. 11-98.

8 Voir M. Gaggero, « Western Eyes on the Latin East : The Chronique dErnoul et de Bernard le Trésorier and Robert of Claris Conquête de Constantinople », The French of Outremer, éd. Morreale et Paul, p. 86-109.

9 Voir Ph. D. Handyside, The Old French William of Tyre, Leiden, Brill, 2015, p. 114-120.

10 Voir J. Folda, « The Panorama of the Crusades, 1096 to 1218, as Seen in Yates Thompson MS. 12 in the British Library », The Study of Medieval Manuscripts of England, éd. G. Hardin Brown et L. Ehrsam Voigts, Turnhout, Brepols, 2010, p. 253-280.

11 Voir R. Leson, « “Partout la figure du lion” : Thomas of Marle and the Enduring Legacy of the Coucy Donjon Tympanum », Speculum, 93/1, 2018, p. 27-71, ici p. 48-50, en particulier la n. 58 p. 49-50.

12 Voir P. W. Edbury, « The Lyon Eracles and the Old French Continuations of William of Tyre », Montjoie. Studies in Crusade History in Honour of Hans Eberhard Mayer, éd. B. Z. Kedar, J. Riley-Smith et R. Hiestand, Aldershot, Variorum, 1997, p. 139-153.

13 Voir Edbury, « New Perspectives », p. 111-112.

14 Voir Edbury, « The Lyon Eracles », p. 148-151.

15 Nous ne parlerons pas ici du remaniement de la Chronique, connu sous le titre dEstoires doutremer et de la naissance Saladin (éd. M. A. Jubb, Londres, University of London, 1990).

16 Voir Chronique, p. 1-114.

17 Pour un examen des stratégies textuelles de la Chronique, voir C. Croizy-Naquet, « Deux représentations de la Troisième Croisade : lEstoire de la guerre sainte et la Chronique dErnoul et de Bernard le Trésorier », Cahiers de civilisation médiévale, 44, 2001, p. 313-327.

18 Seulement dans F26 et F25, où nous trouvons un court résumé qui commence par « Lan de lIncarnation Nostre Segnor Jhesu Crist mil.c. et.i. an, morut Godefroi [] » (Chronique, p. 1-4). Ce texte se lit aussi dans F18 après le texte de la Chronique et a dû être placé en tête des deux manuscrits cités plus haut par un rédacteur.

19 Chronique, p. 4-5.

20 Voir Chronique, p. 211-229.

21 Voir Edbury, « The Collapse of the Kingdom of Jerusalem », p. 50.

22 Chronique, p. 11.

23 Voir Chronique, p. 15-16. Sur cette construction idéologique, commune à la Chronique et à Robert de Clari, voir Gaggero, « Western Eyes ».

24 Voir Chronique, p. 47.

25 Voir Chronique, p. 89-96.

26 Voir Chronique, p. 336-388.

27 Chronique, p. 87.

28 Chronique, p. 216-217.

29 Voir P. W. Edbury, « Thoros of Armenia and the Kingdom of Jerusalem », Crusading and Warfare in the Middle Ages : Realities and Representations, Aldershot, Ashgate, 2015, p. 181-190, ici p. 188-189.

30 Chronique, p. 82.

31 Voir M. Jubb, The Legend of Saladin in Western Literature and Historiography, Lampeter, The Edwin Mellen Press, 2000, p. 67-85. Dans la rédaction qui a circulé plus largement grâce aux différentes versions de lOrdre de chevalerie, Saladin est adoubé par Hugues de Tibériade, prisonnier du chef musulman.

32 Voir Chronique, p. 103 (courtoisie de Saladin envers la mère dOnfroi iv lors du siège du Crac en 1182) et p. 252 (Saladin restitue Onfroy iv, prisonnier après Hattin, à sa mère). Ces épisodes semblent impliquer que la dame était la fille dOnfroy ii, alors quil sagissait dÉtiennette de Milly, mariée à Onfroy iii : J. Richard, Histoire des croisades, Paris, Fayard, 1996, réimpr. 2012, p. 211.

33 Chronique, p. 36.

34 Voir Chronique, p. 36-42. Pour une reconstruction des événements sur la base des sources arabes, voir A.-M. Eddé, Saladin, Paris, Flammarion, 2008, p. 33-71.

35 La vraie croix est mentionnée à la fois dans le siège dAscalon (Chronique, p. 42) et dans la bataille de Montgisart (p. 45). Sa perte dans la bataille de Hattin est déjà rappelée dans lincipit de lœuvre, cité ci-dessus, dans la prophétie de Guillaume de Tyr sur lélection dHéraclius (p. 83 – avec rappel à la p. 156) et enfin dans le récit de Hattin, à la suite duquel lauteur décrit une tentative de récupération sous Henri ii de Champagne (p. 170-171). La restitution de la vraie croix était aussi lune des clauses de laccord pour la reddition de Saint-Jean dAcre dans la Troisième Croisade (p. 274 et 276).

36 Voir Chronique, p. 49 (« Or eut il.ii. roiaumes »), p. 53 (« Adont ot il.iiii. roiaumes conquis » – « Or ot il.v. roiaumes conquis »).

37 Voir Chronique, p. 53-54.

38 Voir, par exemple, la façon dont sont introduits Balian dIbelin et son frère Baudouin dans la Chronique, p. 43-44.

39 Voir Chronique, p. 244-245.

40 Pour le texte de la traduction de Guillaume de Tyr, voir Guillaume de Tyr et ses continuateurs. Texte français du xiiie siècle, éd. P. Paris, Paris, Didot, 1880, t. 2. Cette édition reproduit (parfois en les déplaçant dans le texte) les trois premières interpolations de F38, qui appartenait à lépoque à Firmin Didot.

41 Voir Edbury, « New Perspectives », p. 108 ; M. Gaggero, « La Chronique dErnoul. Problèmes et méthodes dédition », Perspectives médiévales, 34, 2012, en ligne, § 5.1.

42 Voir Chronique, p. 5-6, 14-15, 26-27, 52 et 97-98 ; aux p. 62-80, on lit un long excursus de géographie sacrée. Voir C. Croizy-Naquet, « Y a-t-il un représentation de lOrient dans la Chronique dErnoul et de Bernard le Trésorier ? », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 8 (2001), en ligne, et F. Tanniou, « Lieux bibliques et écriture historique dans la Chronique dErnoul et de Bernard le Trésorier », Écritures de la Bible en français au Moyen Âge et à la Renaissance, dir. V. Ferrer et J.-R. Valette, Genève, Droz, 2017, p. 609-624.

43 Voir Chronique, p. 123-124, 126 et 153. Une notice dans le même style, à propos du château de Safed rendu par Saladin à la fin de la Troisième Croisade, a été ajoutée par Colbert-Fontainebleau (RHC, p. 199).

44 Voir Chronique, p. 190-210 ; C. Croizy-Naquet, « La description de Jérusalem dans la Chronique dErnoul », Romania, 115, 1997, p. 69-89.

45 Dans la première section, la séquence sur les empereurs byzantins est toutefois entièrement réécrite et des modifications idéologiquement importantes ont été apportées au récit de la bataille du Cresson ; voir P. W. Edbury, « Gerard of Ridefort and the Battle of Le Cresson (1 May 1187) : The Developing Narrative Tradition », On the Margins of Crusading : The Military Orders, the Papacy and the Christian World, éd. H. J. Nicholson, Aldershot, Ashgate, 2011, p. 45-60 ; voir aussi Edbury, « The Lyon Eracles », p. 144-146, qui discute les hypothèses de M. R. Morgan, The Chronicle of Ernoul and the Continuation of William of Tyre, Oxford, Oxford University Press, 1973, p. 79-99, pour une vue densemble des rapports entre les rédactions de la Continuation.

46 Voir C. Segre, « Critica testuale, teoria degli insiemi e diasistema », dans id., Semiotica filologica. Testo e modelli culturali, Turin, Einaudi, 1979, p. 53-70.

47 Voir Edbury, « The Lyon Eracles », p. 145.

48 Voir RHC, p. 50-52 et Lyon, p. 45-46.

49 RHC, p. 29 et Lyon, p. 33.

50 Voir RHC, p. 34 et Lyon, p. 36.

51 Voir Chronique, p. 54-55 et 96-97 ; Edbury, « Gerard of Ridefort », p. 48.

52 Voir RHC, p. 37 et 41 et Lyon, p. 37 et 40.

53 Lyon, p. 75.

54 Voir Lyon, p. 53.

55 Voir Chronique, p. 157-162.

56 Chronique, p. 160.

57 Voir RHC, p. 47-50 et Lyon, p. 43-45.

58 Pour une analyse détaillée de cet épisode dans le cadre des rapports entre nos textes et le Libellus de expugnatione, voir Kane, « Wolfs Hair », p. 99-104.

59 Voir Chronique, p. 266-267.

60 Voir RHC, p. 128-130 et Lyon, p. 91-92.

61 Voir RHC, p. 149-151 et Lyon, p. 104-105.

62 Voir Croizy-Naquet, « Deux représentations », p. 320-321.

63 Voir Chronique, p. 259-270, RHC, p. 125-157 et Lyon, p. 86-111.

64 Voir Chronique, p. 249-250 ; Edbury, « The Lyon Eracles », p. 145-146.

65 Voir RHC, p. 125-131 et Lyon, p. 89-93.

66 Voir RHC, p. 131-142 et Lyon, p. 93-100.

67 Voir Chronique, p. 260-270.

68 Voir RHC, p. 142-149 et Lyon, p. 100-104.

69 Voir RHC, p. 149-154 et Lyon, p. 104-107.

70 Voir RHC, p. 155-157 et Lyon, p. 108-111.

71 Voir Chronique, p. 248-249, RHC, p. 116-117 et 137 et Lyon, p. 96-97 ; la première occurrence du récit de la mort du Barberousse est remplacée par une annonce du récit suivant dans Lyon (p. 84).

72 Voir Edbury, « The Lyon Eracles », p. 145-146.

73 Voir J. Richard, « The Adventure of John Gale, Knight of Tyre », The Experience of Crusading. 2. Defining the Crusader Kingdom, éd. P. W. Edbury et J. Phillips, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 189-195.

74 Voir Chronique, p. 255-256 et RHC, p. 122-123, qui comprend que Guillaume est le nom du chevalier.

75 Lyon, p. 58.

76 Lyon, p. 58-59.

77 Lyon, p. 87.

78 Cet article a été conçu dans le cadre dun projet recherche sur la tradition manuscrite de lEracles financé par le programme Rita Levi Montalcini du Ministero dellIstruzione, dellUniversità e della Ricerca (MIUR). Je remercie Timothée Gaven pour la révision linguistique.