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Classiques Garnier

Un nouveau regard sur la composition et l’organisation du manuscrit BnF, fr. 12599

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2018 – 2, n° 36
    . varia
  • Auteur : Carné (Damien de)
  • Résumé : On voit dans le manuscrit BnF, fr. 12599 un des premiers exemples de collaboration éditoriale destinée à édifier une compilation arthurienne : le Tristan en prose y est copié avec d’autres récits. Cet article reconstitue autrement la composition du manuscrit. Celui-ci est formé à partir d’un exemplaire tristanien lacunaire, qu’un duo de copistes a scindé et colmaté en y insérant pages tristaniennes et extraits allogènes. Ce dispositif réalise une mise en cycle a posteriori d’une copie du Tristan.
  • Pages : 447 à 471
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406089537
  • ISBN : 978-2-406-08953-7
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08953-7.p.0447
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/01/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Un nouveau regard
sur la composition et lorganisation du manuscrit BnF, fr. 12599

Ayant eu à reprendre les descriptions existantes du manuscrit BnF, fr. 12599 au cours de recherches récentes, nous avons été frappé par les surprises que recelait encore ce document, quoiquil soit bien connu et quil ait été largement décrit au fil du temps. Certaines particularités passées inaperçues jusqualors nous ont amené à comprendre dune façon nouvelle lhistoire matérielle de ce manuscrit composite. Outre lintérêt propre du document, cest laudace pour le moins inhabituelle de lactivité des copistes, lampleur de leur travail déditeurs, mainte fois soulignée mais pourtant sous-estimée, qui engageait à publier pour elle-même lenquête dont on donne ici le détail. À cette enquête, il ne manquait pas grand-chose pour quelle fût policière. Pour accomplir leur ambitieux projet éditorial, précoce « ébauche de compilation cyclique1 », les copistes se sont livrés à des opérations qui confinent parfois au maquillage et au bricolage les plus désinvoltes des sources et des documents quils avaient à leur disposition ; et dans cette « affaire » du manuscrit BnF, fr. 12599 interviennent des faux, un complice caché, des preuves déguisées et même un corps démembré.

Si lhypothèse proposée ici contribue à renforcer le caractère exceptionnel de ce témoin fascinant, elle met aussi en évidence le poids des contraintes matérielles dans les orientations du travail de sélection et décriture mené par les copistes. Les procédés de suture, de réécriture et de recomposition employés pour répondre à ces contraintes constituent, nous semble-t-il, un cas décole au sein des manuscrits arthuriens.

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Un document atypique

De nombreuses raisons expliquent lattention dont ce manuscrit a été lobjet de la part des chercheurs depuis largement plus dun siècle. Tout dabord, sil apparaît comme un manuscrit presque entier du Tristan en prose, il commence pourtant par de longs extraits empruntés au cycle de Guiron le Courtois2. Il contient également deux longues sections romanesques plus ou moins bien identifiées mais qui sont en marge du matériau tristanien habituel : dune part, les aventures connues sous le nom de Folie Lancelot3, qui étaient peut-être une part du cycle du Graal « post-Vulgate4 » ; dautre part, une suite dépisodes inconnus ailleurs, dont Eilert Löseth a donné un résumé très précis dans son irremplaçable analyse du Tristan en prose5. Lensemble de ces deux parties occupe près 449de cent feuillets, sur les cinq cents que contient le manuscrit. Ce dernier intègre également, de façon très ponctuelle, un extrait de LHistoire ancienne jusquà César ainsi que quelques lignes originales ou empruntées à un texte inconnu6. Par ailleurs, un chapitre des aventures résumées par Löseth (désormais Queste 12599, voir ci-dessous n. 5), qui met en scène Ségurant le Brun, est manifestement emprunté à un texte guironien préexistant7. Enfin, des épisodes du Guiron et du Tristan donnés par le manuscrit sont inconnus ailleurs (ainsi du contenu des dix-sept premiers feuillets) ou présentent des particularités notables dans leur rédaction (ainsi de la description des statues érigées en lhonneur de Tristan et Yseut défunts8).

Outre loriginalité de contenu de cet « étrange manuscrit9 », qui le distingue des autres témoins tristaniens, le ms. BnF, fr. 12599 se singularise également par le réarrangement quil impose au déroulement du roman en prose. Des épisodes sont déplacés (voir infra la description des fol. 101-106), le Tristan est coupé en deux, au prix de contradictions narratives réelles, par La Folie Lancelot et la Queste 12599. Ces réarrangements et traces diverses de réfection10 nempêchent pas que les 450rédactions présentes dans le manuscrit offrent un intérêt propre pour la connaissance aussi bien du Guiron que du Tristan. Pour le Guiron, il transmet un texte remarquablement complet et correct11. Pour le Tristan, il est lun des trois seuls manuscrits à donner les lettres échangées par Tristan et Lancelot, et contient en outre une version particulière des aventures du Chevalier à la Cotte Mal Taillée (en tout cas, de leur début, car elles sinterrompent au feuillet 100d) qui semble préserver « des traces dune tradition plus ancienne », selon Renée Curtis, de même que pour les brèves aventures de Lamorat qui la précèdent12. Il est par ailleurs un document fondamental pour les chercheurs qui ont étudié la progression du Tristan et de ses adaptations en Italie13.

Enfin, selon la date qui lui est attribuable (seconde moitié ou dernier quart du xiiie siècle, mais nous pourrons préciser cette datation plus loin), le manuscrit est un témoignage linguistique du plus haut intérêt. Une partie des extraits recopiés du Guiron la été en italien (plus exactement en pisan), et ce bilinguisme « non trova paralleli in altri codici arturiani medievali14 ». En outre, pour la partie française, le manuscrit constitue un exemplaire précoce dun roman présentant des usages de ce que lon nomme « franco-italien ». À la suite dAlberto Limentani, Fanni Bogdanow ou Fabrizio Cigni, Fabio Zinelli a souligné à son tour certaines de ses particularités linguistiques, en les replaçant dans le cadre plus général de la variété toscane du franco-italien15.

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Description matérielle

On doit à Fabrizio Cigni lexposé le plus complet et le plus attentif de la composition, de la configuration et du contenu du manuscrit, parmi une bibliographie foisonnante16. Nous empruntons à lune et à lautre lessentiel des informations, en tâchant de les compléter sur certains points. On verra plus loin, cependant, lesquelles de ces informations peuvent être encore précisées, voire corrigées.

Le manuscrit17 (275 x 190 mm) contient 511 feuillets de parchemin, répartis en 69 cahiers, mais il manque le cahier VI (entre les fol. 38 et 39), lacune qui correspond au passage abrupt entre le texte du Guiron et celui du Tristan ; en revanche, un dernier cahier, non numéroté, suit le cahier qui porte au fol. 501 le no LXIX (ce cahier LXX commence apparemment au fol. 507). Il faut donc compter 70 cahiers originels, 452sachant que par ailleurs le manuscrit est incomplet du début (les premiers feuillets sont partiellement détruits ou très abîmés ; il y a fort à parier que les restes du fol. 1 naient pas constitué la première page originelle) et de la fin (il sinterrompt lorsque Sagremor, revenu en Logres, rencontre un chevalier qui vient de Camelot18).

Le texte est écrit sur deux colonnes tout au long du document, avec un nombre de lignes variant de 42 à 50 selon lendroit du manuscrit. Lécriture présente la plupart des traits typiques de la rotunda, notamment larrondissement général qui la distingue de la textualis du Nord et lui a valu ce nom19. Mais les traits de lécriture varient parfois considérablement dun scribe à lautre. Le texte a été copié, comme on le verra plus loin, par au moins deux copistes différents.

La décoration semble partout de la même main. Cependant, son achèvement varie en fonction des parties. Les lettres historiées (ainsi que les lettres champies du même niveau hiérarchique, cest-à-dire qui commencent un chapitre indiqué par une formule dentrelacement) paraissent avoir été réalisées à travers tout le manuscrit20. Elles saccompagnent parfois darborescences qui soulignent verticalement et éventuellement horizontalement, en haut ou en bas de page, la délimitation des colonnes de texte. Elles remplacent en quelques endroits une ancienne décoration filigranée21. La décoration est de style italien ; « dinspiration bolonaise22 », elle relève cependant dun style qui sest répandu en Italie au milieu du xiiie siècle, selon Fabrizio Cigni, et ne contredit donc pas nécessairement la provenance toscane que litalien utilisé aux fol. 17-38 engage à identifier23.

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Contrairement à ces initiales, les lettrines (alternativement rouges et bleues, filigranes dans la marge) ont été laissées en blanc dans la plus grande partie du manuscrit24. Elles ont été réalisées dans les zones suivantes : fol. 11 à 19r (sans filigrane aux feuillets 18v-19r) ; puis 22v (avec une initiale sur deux réalisée sur ce feuillet) à 28r (sans filigrane à partir de 25v) ; puis de 30v (sans filigrane au fol. 35) à 36r ; puis une unique initiale sans filigrane au fol. 38b ; puis aux fol. 269 à 284v ; puis aux fol. 501-511 (fin, lacunaire, du manuscrit ; lettrines sans filigrane au fol. 511v).

En deux endroits du manuscrit, un ensemble pictural plus complexe occupe une colonne ou une partie de colonne. La première (fol. 107c, une demi-colonne) représente Tristan et Lancelot devisant assis près du Perron Merlin : dans une première case, moins haute que large, sont représentés la fontaine et le Perron dressé à côté de leau, et la case inférieure, carrée, montre deux chevaliers devisant assis, appuyés sur leur épée la pointe en bas et séparés par un arbre ; lensemble surmonte la majuscule. La seconde illustration (fol. 320d, une colonne entière) annonce la reprise du récit relatif à Tristan, après les diverses aventures de la Queste 12599 : dans quatre compartiments sont figurées successivement la navigation des amants, leur chevauchée en Logres, les joutes de Tristan devant Arthur et lentrée à la Joyeuse Garde. Il est notable que lillustration du fol. 107 commence le texte de la deuxième section du recueil, et que le fol. 320 clôt, quant à lui, la troisième section (voir ci-dessous).

Certaines parties du manuscrit sont restées blanches. Il sagit des colonnes ou demi-colonnes suivantes : une colonne et demie au fol. 100cd, la double page des fol. 106v-107r, et une colonne et demie au fol. 268cd. Ces blancs ne surviennent pas à des endroits anodins : les deux premiers encadrent un cahier dont le contenu diverge fort de ce qui lentoure. La double page des fol. 106-107 sépare la première section de la seconde. Enfin, le blanc du fol. 268 sépare le texte de La Folie Lancelot de celui de la Queste 12599.

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Toutes ces données sont connues ; certaines dentre elles cependant (la répartition des illustrations, les blancs, la réalisation ou non des lettrines…) forment un faisceau dindices qui appuie la relecture que nous allons à présent exposer.

Mains, sutures et trucages

Le fait le plus remarquable relatif à ce manuscrit est sans doute sa division en cinq sections25. Ces cinq unités codicologiques, de dimensions différentes, semblent organiser comme suit le contenu du manuscrit, si lon synthétise les études successives qui ont démêlé, par étapes, la complication de ce document.

Section 1, fol. 1-106

Extraits de Guiron le Courtois et du Tristan en prose. 50 lignes par colonne dans cette partie du manuscrit, zone décriture denviron 21 cm x 12 cm. Un premier scribe, le copiste A (Oddo26 ?), est responsable de la copie de la 1re section. Le contenu de cette section se distribue ainsi :

a) fol. 1-10d (cahier I) : extrait de Guiron le Courtois en français, épisode dune version particulière ; Lathuillère, § 249-25027.

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b) fol. 11a-38d (cahiers II-V) : extrait de Guiron le Courtois en italien ; le changement de langue ayant lieu à loccasion dun changement de chapitre (fol. 17b, formule dentrelacement et lettre historiée) ; Lathuillère, § 106 n. 1 et § 107 n. 3. Une lacune dun cahier sépare cette partie de la suivante.

c) fol. 39a-100 (cahiers VII-XIV) : Tristan en prose, de la séparation de Pinabel et Lancelot aux aventures de Brunor (Löseth, § 59-71). En 100c, une formule interrompt le récit et annonce le duel de Tristan et Lancelot. Mais la fin du feuillet est laissée vide ; le passage annoncé, cependant, se lit un peu plus loin au fol. 107, au début de ce qui est considéré comme la section 2.

d) fol. 101-106 : cahier XV, décrit par Fabrizio Cigni comme « florilegio epistolare », « antologia di brani a soggetto lirico-amoroso28 », soit des lettres et discours sur lamour, en dépit de toute chronologie narrative. Les lettres de Tristan, de Lancelot et de Kahédin sont données, alors quelles ne figurent pas ailleurs dans le manuscrit29. Cest ici quapparaissent divers brefs extraits étrangers au Tristan, voire à la matière arthurienne.

Section 2, fol. 107c-221 (cahiers XVI-XXXI)

Tristan en prose. 42 lignes par colonne dans cette section, zone décriture denviron 17 cm x 11 cm, aucune lettrine réalisée. Un autre copiste (copiste B) a pris en charge la transcription. Le récit sétend du duel du Perron Merlin (Löseth, § 203) à lannonce du second emprisonnement de Tristan et sa libération par Perceval (Löseth, § 282a, et la n. 2 p. 191)30.

Section 3, fol. 222-320

Folie Lancelot et Queste 12599. 50 lignes par colonne, zone décriture semblable à celle de la section 1. Reprise par le copiste A, avec un 456doute selon Fabrizio Cigni, qui propose de désigner éventuellement le copiste par A131. Le contenu se partage ainsi :

a) fol. 222-268 (cahiers XXXII-XXXVII, mais le texte sinterrompt au fol. 268c) : Folie Lancelot. Apparemment, le changement de section ne brise pas la continuité textuelle avec la section précédente. Cela se fait au milieu dune phrase : « En ceste partie dist li contes que [fol. 222a] Quant Gaheriez vit que la cose estoit a ce venue que si frere ne baoient fors a la mort de Gariet, etc.32 » (on verra pourtant plus loin, dans létude plus détaillée de cette 3e section, que lapparente continuité avec la section 2 est fabriquée après coup). Aucune lettrine réalisée dans ces feuillets.

b) fol. 269-320 (cahiers XXXVIII-XLIV) : Queste spécifique du manuscrit, séparée de la Folie Lancelot par une fin de feuillet vierge (donc plus visiblement que la Folie Lancelot ne létait de la section précédente). La dernière colonne du cahier (fol. 320d) est remplie par le décorateur. Les lettrines sont réalisées du début de cette sous-section au fol. 284v.

Section 4, fol. 321-500

(cahiers XLV-LXVIII) : Tristan en prose. Le texte prend la suite du fragment 2 et le copiste B reprend la plume. 42 lignes par colonne, zone décriture semblable à celle de la section 2, aucune lettrine réalisée. Le récit sétend du voyage des amants vers Logres jusquà larrivée de Tristan chez une demoiselle (Löseth, § 417). Le début de la section commence de la même façon que la section 3, après une formule dintroduction figurant à lextrême fin de la section précédente, à cheval sur deux feuillets. Pour le contenu de cette section, E. Baumgartner affirme que si le Tristan donné par le manuscrit suivait jusqualors V.II., il rejoint à présent V.I33. La section sinterrompt au milieu dune phrase ; il manque, entre celle-ci et la suivante, une portion considérable du Tristan (Löseth, § 418-537).

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Section 5, fol. 501-511 (cahiers LXIX-LXX)

Tristan en prose. Un fragment manuscrit portant les restes de deux colonnes décriture dépasse de la reliure entre cette section et la précédente. 42 lignes par colonne, zone décriture semblable à celle des sections 2 et 434, reprise de lécriture par le copiste A, peut-être A2 selon Cigni. Toutes les lettrines ont été réalisées. Fin du Tristan, du séjour chez Brehus à la mort des amants (Löseth, § 538-569). Le texte sinterrompt très peu avant lannonce de la mort de Tristan à la cour dArthur.

La section 3 est celle qui nous intéresse particulièrement ici. En effet, malgré certaines hésitations sur lattribution, lensemble de la tradition critique a considéré que toute la section 3 était recopiée de la même main. En réalité, il apparaît quil faille distinguer quelques changements de main supplémentaires35. Et le partage différent du manuscrit que cela implique jette une lumière toute nouvelle sur sa composition.

Au sein de la 3e section, la main qui a recopié les fol. 222-268 est assez dissemblable de celle qui reprend le récit au fol. 269, soit au début de notre texte. Un aperçu sommaire permettra sans doute de sen convaincre. Lécriture est plus verticale aux fol. 222-269 que celle de la suite. Les hastes montantes (le h, le l, le b…) et descendantes (voir le p) y sont plus élancées, alors quelles dépassent parfois à peine de la ligne supérieure des minuscules à partir du fol. 269. Le dessin général est globalement moins rond dans la copie de la Folie Lancelot que dans la suite immédiate : les majuscules, en particulier, sont systématiquement anguleuses alors que le copiste des fol. 269 sq. les arrondit ; mais surtout, le maillage obtenu dans lenchaînement des jambages par le copiste de la Folie Lancelot renforce considérablement la fermeté horizontale de lécriture (voir lextrême régularité de la ligne formée par la partie supérieure des minuscules), là où celui qui lui succède, plus souple, aux jambages plus arrondis et souvent inégaux, produit des lignes plus mouvantes. Toutes ces distinctions se vérifient facilement sur la reproduction en ligne du manuscrit.

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Du point de vue du dessin des lettres individuelles, on peut indiquer, entre autres éléments, que la haste de d est très courte et assez horizontale dans les pages qui précèdent le tournoi de Camelot du fol. 269, alors que la haste du d tracé sur les fol. 269 sq. est allongée le plus souvent et orientée à 45o de la ligne décriture. Lun des deux copistes, celui du début de la Queste 12599, dessine son g minuscule avec le jambage de droite tracé en un trait, alors quil est tracé « en huit » par son confrère. Le v qui remplace parfois le u à linitiale adopte une forme variable, mais très différente : à larc étiré depuis la gauche qui allonge le v du copiste de la Queste répond un v dont le dessin commence (souvent) par un trait vertical ou tiré depuis la droite. Dans le début de la Queste, le trait du z se prolonge sous la lettre qui le précède, alors quil est en général très court dans la Folie Lancelot. Quant aux majuscules, celles dont on retrouve de fréquentes occurrences (B, C, E, G, M, Q, S) ont des dessins très distincts dun copiste à lautre. Par exemple, le B présente à partir du fol. 269 un éperon qui dépasse le jambage principal de la lettre en revenant vers la gauche, sur la ligne décriture ; dans le tracé du B sur les folios précédents, le premier jambage arrête net le retour de la plume vers la gauche, alors quen revanche, la lettre arbore un éperon ornemental à gauche du premier jambage, à la moitié de la hauteur de la lettre, qui est tout à fait absent de lécriture des fol. 269 sq. (comparer les noms Blioberis ou Boort, présents à la fin de la Folie Lancelot et au début du tournoi de Camelot). Le S (et le s rond) a des proportions inversées : la boucle du haut est en général la plus large pour le copiste de la Folie Lancelot, la plus resserrée à partir du fol. 26936. Aucun de ces traits ne saurait sexpliquer par un changement ou une reprise de plume.

Lécriture des fol. 269 sq. est celle qui ressemble fort au travail du copiste A, « Oddo », tel quil sobserve dans la première section. Il faut attribuer lautre à un troisième copiste (C)37.

Après avoir reconnu un changement de main au commencement de la Queste 12599, on en perçoit un autre au cahier suivant : lorsque le 459texte passe au fol. 277 et au cahier XXXIX, on retrouve subitement une partie des caractéristiques de lécriture des fol. 221-268. Certes, le dessin est différent pour certaines majuscules (le E, quoique variable, est moins élancé et bien plus arrondi), le copiste des fol. 277 sq. a lhabitude de tracer le I majuscule dans une position plus basse que les autres lettres (dans Il, le I part de plus bas que le l et arrive sous la ligne décriture38), la carrure de lécriture peut paraître légèrement plus tassée. Pourtant, les traits communs avec les fol. 221-268 saccusent au fil des pages, et les derniers feuillets de la Queste sont semblables à ceux de la Folie Lancelot.

Cest ce copiste C, que lon ne saurait confondre avec le copiste B39 des sections 2 et 4, qui prend en charge le reste de la Queste 12599, si ce nest que le dernier feuillet subit un traitement particulier. En effet, alors que le recto est indubitablement écrit de la même main que la Folie Lancelot, lécriture reprend au verso les traits des fol. 269-277 (voir le g droit, le d, le trait typique du ; comparer le G majuscule, le S…).

Mais au milieu du verso, le changement de paragraphe ramène la main semblable à celle de la Folie Lancelot. Or cette demi-colonne expédie sans ménagement laventure en cours de Galaad, avant que le manuscrit ne revienne au texte du Tristan dans la 4e section. On ne peut sans imprudence prétendre expliquer en détail cette brusque alternance de copistes, la facture négligée de la fin du récit. Elles laissent du moins penser quil a fallu précipiter la fin du chapitre dévolu à Galaad. Dans quel but ? La formule dentrelacement qui, sous les illustrations, clôt la colonne d, donne une réponse : adapter la fin du texte de la Queste 12599 à la fin du cahier, afin de procéder à la transition avec le Tristan.

Si cette hypothèse est exacte, elle aboutit à une conclusion notable : cela signifie que la Queste 12599 a été recopiée alors que les cahiers suivants du manuscrit préexistaient à cette opération, point qui permet de comprendre dune nouvelle façon la composition du recueil.

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La configuration de ce fol. 320 (changement de copiste au verso, puis de nouveau en milieu de colonne, miniatures qui occupent la colonne d, formule ajoutée en bas) constitue un expédient assez grossier pour assurer la cohésion de surface des sections 3 et 4. Laffirmation nest pas gratuite : on a recouru au même stratagème en dautres endroits du manuscrit. Cest le cas en effet à la fin de la Folie Lancelot. Au fol. 268c, alors que lon raconte la fin dune aventure dÉrec, le ms. BnF, fr. 12599 quitte subitement le modèle dont rend compte de son côté le ms. BnF, fr. 112, pour introduire, de façon tout à fait adventice et assez peu recherchée, lannonce du tournoi qui ouvre le texte de la Queste 12599 (Érec ne prend aucune part à ce tournoi de Camelot et napparaît même pas dans la Queste 12599). Le comble est quau moment précis où le texte abandonne son modèle, une brève lacune, quelques mots oubliés sans doute, signale le procédé40. On peut ajouter que linachèvement de la colonne témoigne peut-être du même problème de calibrage quau fol. 320 : de même que, dans ce dernier cas, on a dû raccourcir sans beaucoup de précaution, de même, dans le cas du fol. 268, on na pas pu délayer suffisamment41.

La présence de tels dispositifs engage à examiner de plus près les charnières du manuscrit, où sont articulées des unités textuelles ou codicologiques distinctes. Le cahier XV, par exemple, celui qui constitue une sorte danthologie amoureuse et clôt la première section du manuscrit en scindant le matériau arthurien, nest pas transcrit par la même main que les fol. 1-100, contrairement à ce que lon a écrit jusque-là. Nous 461retrouvons en effet lécriture du copiste C, celui de la Folie Lancelot et de la plus grande partie du texte de la Queste.

De même, il convient de se pencher de près sur la reprise du Tristan après ce cahier XV. On note que lécriture du copiste B, si typique, ne se reconnaît pas demblée au fol. 107. En réalité, trois écritures se succèdent au cours de ce qui apparaît comme un travail de faux-monnayeur : lune analogue à celle du copiste C aux fol. 107-10842, puis une écriture analogue à celle du copiste A pour le seul fol. 10943 – seul un examen très attentif permet sa réattribution, car le copiste sest manifestement efforcé de faire ressembler son écriture à celle des feuillets qui suivent, et ce notamment au verso du fol. 109, soit la même double page que le fol. 110. Après quoi seulement sinstalle lécriture qui transcrit le reste de la section 2 et la totalité de la section 4. Or le fol. 110 commence un nouveau cahier (XVII)44, alors que le cahier XVI est totalement atypique, composé de trois feuillets (fol. 107-109)45. Lexplication qui vient naturellement est que le cahier XVI constitue un raccord élaboré par les copistes A et C pour joindre le texte des feuillets précédents à celui du Tristan tel quil commence au fol. 110. Comme dans les cas précédents, ce raccord laisse des traces : si ses auteurs ont bien adopté une mise en page à 42 lignes décriture (contrairement aux 50 lignes des feuillets qui précèdent), en revanche la réglure est toujours bien visible sur tous les feuillets de la section 2, sauf précisément les 107-109, où lon ne peut plus percevoir son tracé, indice dune confection différente et probablement pas simultanée.

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Découpage et collage

Quelles conclusions retirer de ces observations ? La première est quil faut revoir légèrement la délimitation des unités codicologiques qui sous-tendent les descriptions du manuscrit élaborées jusquà présent : il y a quelques ajustements à opérer, quelques divisions à retracer et quelques raccords à signaler.

La seconde, cest que lon peut proposer un scénario de la conception du manuscrit un peu différent de ceux qui ont été avancés par les précédentes descriptions. Il est manifeste que les copistes A et C ont travaillé en collaboration étroite, ce que prouvent lalternance de leur rôle au sein de la Queste 12599 et surtout les changements de main rapprochés qui sopèrent aux fol. 99-109 (surtout 107-109) et 320 du manuscrit. En revanche, il ny a aucune trace dinteraction entre eux et le copiste B.

Transcrites par deux copistes différents, les sections 1 et 3 sont également composites du point de vue textuel (Guiron, Tristan, anthologie fragmentaire dune part ; Folie Lancelot et Queste de lautre) et originales dans leur contenu (épisode particulier de Guiron au début, bilinguisme rarissime, épisodes particuliers ou rares du Tristan, fragments arthuriens inconnus, Folie Lancelot à un seul autre témoin, Queste particulière). Ajoutons que les incohérences du manuscrit, en ce qui concerne lordre des épisodes ou leurs contradictions (récit relatif à Perceval, double Pentecôte du Graal, désordres chronologiques…), impliquent toujours des passages recopiés par les copistes AC contre des passages recopiés par le copiste B.

À côté, les sections 2 et 4, pour leur part, sont de la même main (à partir du fol. 110) et donnent tout du long le Tristan. Elles constituent un document plus banal, et il semble évident quelles ne relèvent pas du même projet éditorial. Il faut dailleurs corriger le propos tenu par E. Baumgartner sur la version du Tristan donnée par cet ensemble : il na pas même la particularité de passer de V.II. à V.I. dune section à lautre, en ce sens quil ne donne pas « du début jusquau f. 500 le texte des manuscrits de V.I46. » : le récit de larrivée des amants en Logres 463est tout à fait conforme au texte abrégé de V.II., et cest ainsi que lont classé les éditeurs de cette partie du texte47. De même, Fabrizio Cigni mentionne à tort lapparente contradiction entre le refus de raconter le voyage des amants vers Logres à la fin de la section 2 et le contenu du début de la section 4 : ce dernier est bel et bien la version drastiquement abrégée que lon trouve dans les manuscrits de V.II. et qui justifie lavertissement du narrateur48. Il y a donc une parfaite continuité non seulement de contenu, mais aussi de version entre la fin de la section 2 et le début de la section 4.

On peut aller plus loin. La section 2 (à partir du fol. 110) est en tous points semblable à la section 4 (copiste, mise en page, etc.) ; diverses raisons exposées ci-dessus permettent de croire quà la transcription de la section 3 et de la section 1 (et, partant, de la section 5 également) préexistaient les sections 2 et 4. Il faut considérer une proposition que ne font que suggérer, semble-t-il, Emmanuèle Baumgartner49 et Fabrizio Cigni50 : les sections 2 et 4 étaient à lorigine un unique document, distinct du ms. BnF, fr. 12599, un manuscrit incomplet du Tristan qui a été tranché en deux afin de servir de matériau de base à la compilation mise en œuvre par les copistes A et C.

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Fabrizio Cigni souligne le caractère générique des formules dentrelacement identiques employées à la fin des sections 2 et 3, signe de la collaboration de copistes qui savaient « ben poco del contenuto del testo affidato a unaltro51 ». Mais lidentité de ces deux formules sexplique ici autrement : le manuscrit du Tristan a été scindé à un endroit opportun, à un endroit où lon pouvait procéder facilement à une suture, en prenant soin de procéder à une suture équivalente à la fin de linsertion. La continuité des sections 2 et 4 nest pas que dordre narratif, elle est exacte au mot près ; mettons bout à bout les fol. 221v et 321r, et il semble clair que la formule du premier introduisait originellement au second. Nous retrouvons la forme originale du manuscrit fragmentaire utilisé par les compilateurs, et nous joignons deux fragments, mais aussi deux morceaux de phrase complémentaires, écrits de la même main :

Tant fist puis par fin estovoir quil issi de cele prison et prist le roi March son oncle et lemprisona, et puis sen vint ou reaume de Logres molt envoisement, entre lui et madame Yselt. Et qui cest conte voldra veoir apertement, si prende le livre de monseignor T. que len apele le grant hestoire [] Et tout fust il ensint sanz doute que je vous pramis ça arriere en mon livre a conter vos en quel maniere Perchevaux de Gales vint a cort, si ne le vos ai je pas conté, ainz le vos ai laissié a conter, por ce que messire Robert de Borron le devise en son livre, mes je vos tornerai a autre chose qui apartient a cestui livre meimes, que je ne vos porroie mie laissier par raison sanz ma matere corrompre. / En ceste partie dist li contes que (section 2, fin)

[Quant Gaheriez vit… (section 3, début) [] Mes atant leisse ore li contes a parler de Galaaz, et retorne a parler de monseingnor Tristans por conter partie de ses aventure. (sic) / En ceste partie dist li contes que (section 3, fin)]

quant T fu venuz de Cornaille ou reame de Logrez, si com il en menoit avec lui madame Yselt et il ot trové Lanceloth dou Lac, et en cela venue… (section 4, début)

En recopiant la même formule en bas du verso du fol. 320, les copistes A et C (cest ce dernier qui écrit la formule, en loccurrence) imitaient le fol. 221 et maquillaient leur insertion.

On trouvera un indice supplémentaire dans le début du fol. 222, reproduit ci-dessus : contrairement à la version que donne le ms. BnF, fr. 12599, les mots Quant Gaheriez, etc., nétaient pas introduits, 465dans le texte qui a probablement servi de modèle, par une formule dentrelacement52. En laissant la majuscule à Quant, le copiste C a trahi (une nouvelle fois) lartifice de la continuité quil prétendait maintenir. On voit que le début de la section 4, en revanche, ne porte pas de majuscule.

Lhypothèse selon laquelle les copistes A et C auraient retravaillé ensemble un manuscrit du Tristan déjà existant et auraient donc dû, pour assurer des jonctions dune certaine fluidité, se soumettre à dimportantes contraintes matérielles liées à lespace disponible dans les cahiers quils rajoutaient, explique à notre avis au mieux la contrainte de finir la Queste au fol. 320v, la bizarrerie du texte du fol. 268v ainsi que les désordres remarquables des fol. 100-10953.

Si lon accepte lensemble des éléments présentés jusquici, voici une synthèse de la situation.

Un manuscrit incomplet du Tristan, sans décoration et sans lettrines, consistant en les actuels fol. 110-221, puis 321-500, plus au moins quelques feuillets perdus, tombe dans les mains dune équipe comprenant au moins les copistes A (Oddo ?) et C (et les éventuels A1 et A254), peut-être dirigée par Oddo. On décide de le recycler et non seulement de le compléter, mais de létoffer : on recopie une partie du début du Tristan (celle qui demeure à partir du cahier VII), précédé dune sorte dintroduction guironienne ; on tâche de ménager un raccord entre ce début et le texte à rejoindre en recopiant le début du 466chapitre manquant (fol. 107-109), en adoptant soudain la même mise en page (42 lignes par colonne) et en adaptant jusquà lécriture, après une bifurcation brutale (fin des aventures de Brunor, fol. 100d) et un étrange cahier « lyrique » (fol. 101-106)55. Au point où est évoqué le rôle de Perceval dans la libération de Tristan, et où les copistes savaient peut-être que manquaient des épisodes qui parlaient de Perceval et de ses frères, on a inséré le texte de la Folie Lancelot, qui ressemble tant à une partie du Tristan. On a fait suivre cette partie, pour des raisons plus difficiles à déterminer, par la quête du Graal spécifique des fol. 269-320. Et la section 5, quant à elle, est clairement un ajout destiné à achever le Tristan incomplet dans le document de départ (42 lignes, comme les sections 2 et 4, et non 50, comme les deux autres sections où intervient le même copiste).

Par rapport à la description habituellement admise, depuis Fanni Bogdanow jusquà Claudio Lagomarsini, on enregistre donc les modifications suivantes : a) le copiste principal du Tristan na pas travaillé avec les autres ; b) son texte préexistait à la copie des trois autres sections ; c) au moins deux mains ont collaboré pour réaliser ces dernières ; d) il faut revoir le découpage entre unités codicologiques entre la section 1 et la section 2, et considérer les fol. 107-109 comme faisant partie de la première ; e) la Queste 12599 constitue à certains égards une unité codicologique, séparée quelle est de ce qui suit et précède par des changements de main, la constitution des cahiers, linitiation dune série de lettrines, la présence à ses extrémités dune illustration et dun blanc (peut-être destiné à recevoir, lui aussi, une illustration).

La composition du manuscrit paraîtrait à présent plus exacte si elle était présentée comme suit :

Section 1, fol. 1-100 : Guiron, Tristan, copiste A.

Section 1bis, fol. 101-106 : anthologie amoureuse, copiste C.

Section 1ter, fol. 107-109 : Tristan, début de lépisode du Perron Merlin, raccordé en amont à la fin de la section 1 et en aval au 467début de la section 2 ; copistes C et A. Préparé pour ressembler matériellement à la section 2.

Section 2, fol. 110-221 : Tristan, copiste B.

Section 3, fol. 222-268 : Folie Lancelot, copiste C. Section 3bis, fol. 269-320 : Queste 12599, copistes A puis C, puis A et C au verso du dernier feuillet.

Section 4, fol. 321-500 : Tristan, copiste B, suite immédiate de la section 2 : les deux sections étaient un même manuscrit du Tristan avant le travail des copistes A et C.

Section 5, fol. 500-501 : Tristan, copiste A, fragment ajouté pour clore le Tristan incomplet et ainsi le manuscrit.

On trouvera en annexe un tableau récapitulatif plus exhaustif.

Lieu et date de composition du manuscrit

Nous conclurons par quelques remarques nouvelles sur les indices de datation du manuscrit. Le texte du ms. BnF, fr. 12599 présente un passage du Guiron traduit en pisan. Est-il lœuvre dun de ces « copistes prisonniers » originaires de Pise et retenus à Gênes après la bataille de la Meloria en 128456 ? Il est difficile de savancer sur ce point. Mais les parties les plus originales du document donnent des indices précieux sur son élaboration. En effet, le texte de la Queste 12599 fait allusion parfois très précisément aux Prophéties de Merlin.

Brehus sans Pitié est lié à Morgue et à Sibile (fol. 270d, éd. § 12)57 ; cest un souvenir des Prophéties (voir le texte donné par Anne Berthelot, 468p. 277)58. Il a été désarçonné par Alixandre lOrphelin (fol. 270b, éd. § 8 ; voir éd. Berthelot, p. 282)59. Les chevaliers du tournoi de Camelot fuient devant Lancelot, ce qui, comme la poursuite du combat par Palamède (fol. 273c, éd. § 28), rappelle ou prolonge un moment du tournoi de Sorelois développé par les Prophéties (voir éd. Berthelot, p. 186). Palamède mentionne une blessure que lui a infligée autrefois Karados (fol. 274d, éd. § 35 ; voir éd. Berthelot, p. 264). Saphar apparaît et contrecarre laction de Brehus (fol. 276b, éd. § 41), évoquant la succession des deux personnages dans un passage des Prophéties (voir éd. Berthelot, p. 282-283). Des plaisanteries de Dinadan adressées à Ségurant le Brun (fol. 281b, éd. § 65) et à un moine avec qui il dîne (fol. 283a, éd. § 74), moqués pour leur appétit et assimilés à des loups, démarquent celles quil adresse à Galehaut lors du tournoi de Sorelois (voir éd. Berthelot, p. 198). Quand Dinadan renvoie sèchement Lancelot à ses déboires avec Claudas (fol. 283b, éd. § 76), il agit comme dans les Prophéties (voir éd. Berthelot, p. 198-199 et 202). En 270b sq. (§ 8 sq.), lapparition dun « Châtelain de Doivre », qui vit dans les environs de Vincestre, rappelle un personnage du tournoi de Sorelois (voir éd. Berthelot, p. 172)60. En outre, le copiste du ms. BnF, fr. 12599 recopie une forme Doivre (pour Dovre) qui semble le gêner (var. Coivre), et cette graphie le relie à la partie du ms. BnF, fr. 350 qui lutilise également (voir au fol. 405a de ce dernier manuscrit).

Il apparaît donc que le texte, postérieur aux Prophéties de Merlin, a été conçu dans un milieu peu éloigné de celui qui a vu circuler les Prophéties peu après leur écriture, et notamment un document de la même tradition que le ms. BnF, fr. 350.

Pour ce qui concerne la date, les Prophéties de Merlin, situées avec certitude dans les années 1270, donnent donc un terminus a quo indiscutable sur la composition de la Queste 12599 et, partant, sur le travail réalisé par les copistes A et C. Le ms. BnF, fr. 12599 est unanimement daté du dernier quart du xiiie siècle, au plus tard un petit nombre dannées après 1300. Le rapport entre la Queste 12599 et les Prophéties de Merlin 469confirme cette date : en gardant à lesprit que le manuscrit du Tristan qui constitue les sections 2 et 4, était antérieur à lassemblage définitif, du moins le travail de copie et de réorganisation de léquipe d« Oddo » a-t-il nécessairement pris place dans le dernier quart du xiiie siècle, alors que les Prophéties de Merlin ont déjà commencé à circuler.

Damien de Carné

Université de Lorraine

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Annexe

471

1 E. Baumgartner, Le « Tristan en prose ». Essai dinterprétation dun roman médiéval, Genève, Droz, 1975, p. 67.

2 Cest à ce titre quil a été étudié par P. Zanotti, « Frammento dantica volgarizzamento di Girone il cortese », Il Poligrafo Veronese, Vérone, Antonelli, t. 2, avril, mai et décembre 1834 ; Fr. Palermo (éd.), Il Febusso et Breusso, Florence, 1847, p. xcvii-clxxxiii ; A. Limentani, Dal Roman de Palamedés al cantari di Febus-el-Forte : Testi francesi e italiani del Due e Trecento, Bologne, Commissione per i testi di lingua, 1962, p. cv-cvii, et R. Lathuillière, Guiron le Courtois. Étude de la tradition manuscrite et analyse critique, Genève, Droz, 1966, surtout p. 74-77 (description du manuscrit ; voir aussi § 242, p. 466-467 pour lépisode de Ségurant le Brun comparable à celui du ms. BnF, fr. 12599 ; voir ci-dessous n. 7).

3 Voir F. Bogdanow (éd.), La Folie Lancelot. A hitherto unidentified portion of the Suite du Merlin contained in MSS B.N. fr. 112 and 12599, Tübingen, Niemeyer, 1965. Le ms. BnF, fr. 12599 est un des deux seuls, avec le ms. BnF, fr. 112, à conserver ce texte, dont par ailleurs une partie de la version du ms. BnF, fr. 757 du Tristan en prose (dite V.I.) est très proche : voir le récit des enfances de Perceval dans lédition de ce dernier manuscrit, Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit fr. 757 de la Bibliothèque nationale de Paris), dir. Ph. Ménard, Paris, Champion, t. 2, éd. N. Laborderie et Th. Delcourt, 1999.

4 Lexistence de textes « post-Vulgate », cest-à-dire réécrivant des parties de la Vulgate du Lancelot-Graal, et donc de « génération » postérieure, ne fait pas de doute (La Suite du Roman de Merlin, éd. G. Roussineau, 2e édition, Genève, Droz, 2006 ; La Version Post-Vulgate de la Queste del Saint-Graal et de la Mort Artu, éd. F. Bogdanow, Paris, SATF, 5 vol., 1991-2000, voir notamment lAvant-propos au t. 1, p. 1-26 sur les derniers témoins retrouvés). En revanche, que ces textes aient été le fruit dun projet décriture global et aient constitué ou tenté de constituer un « cycle post-Vulgate » (voir La Version Post-Vulgate, éd. Bogdanow, lIntroduction, p. 29-59 pour un dernier état de la conception de ce « roman du Graal » selon léditrice) nest pas unanimement admis. On ne présente donc pas comme certaine lappartenance de la Folie Lancelot au « cycle post-Vulgate ».

5 E. Löseth, Le Roman en prose de Tristan, le roman de Palamède et la Compilation de Rusticien de Pise. Analyse critique daprès les manuscrits de Paris, Paris, École Pratique des Hautes Études, 1890, réimpr. Genève, Slatkine, 1974, aux § 291a (fin)-299a, p. 216-231. Une édition de ce texte a été préparée par nos soins ; sa publication est prévue aux éditions Honoré Champion, sous le titre de Queste 12599.

6 Voir Löseth, Analyse, p. 480, n. 1 de la p. 64. La note est cependant imprécise, et lon se reportera de préférence à F. Cigni, « Guiron, Tristan e altri testi arturiani. Nuove osservazioni sulla composizione materiale del ms. Parigi, BnF, fr. 12599 », Studi Mediolatini e Volgari, 45, 1999, p. 31-69, voir aux p. 45-47.

7 Les avis divergent sur lorigine de cet extrait. Voir N. Koble, « Un nouveau Ségurant Le Brun en prose ? Le Manuscrit de Paris, Arsenal, MS 5229, un roman arthurien monté de toutes pièces », Le Romanesque aux xive et xve siècles, éd. D. Bohler, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, p. 69-94 ; E. Arioli, Ségurant ou le Chevalier au Dragon. Roman arthurien inédit (xiiie-xve siècle), Paris, Académie des Inscriptions et Belles Lettres (Histoire littéraire de la France no 45), 2016 (daprès une thèse de lÉcole nationale des Chartes soutenue en 2013), p. 30-31 ; Cl. Lagomarsini, « Le cas du compilateur compilé : une œuvre inconnue de Rusticien de Pise et la réception de Guiron le Courtois », Journal of the International Arthurian Society, 3, 2015, p. 55-71. Quoi quil en soit, le personnage de Ségurant, du lignage des Bruns, appartient prioritairement, si lon peut dire, à lintertexte guironien.

8 Des poèmes que lon retrouve uniquement dans le ms. BnF, fr. 24400 ornent les statues mortuaires de Tristan et Yseut (fol. 511). Voir Löseth § 550, la n. 8.

9 R. Trachsler, Clôtures du cycle arthurien, Genève, Droz, 1996, p. 233.

10 Outre les contradictions, le texte du manuscrit recourt plus abondamment que les autres à lautorité de Luce del Gast et à celle de Robert de Boron. On en trouvera un panorama dispersé dans lanalyse de Löseth et, à la suite de ce dernier, dans Baumgartner, Le « Tristan en prose », p. 91, n. 14 (les mentions ne sont pas exhaustives ; des renvois du ms. BnF, fr. 750 se retrouvent aussi dans le BnF, fr. 12599). Du reste, les p. 63-67 sont consacrées à la description critique du contenu du manuscrit.

11 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 40 et le renvoi n. 21 à Limentani, Dal Roman de Palamedés, p. ciii-civ.

12 Le Roman de Tristan en prose, éd. R. Curtis, t. 3, Cambridge, Brewer, 1985, p. xiv-xv et xli. Pour lensemble des spécificités du manuscrit dans la tradition manuscrite (en général partagées avec le ms. BnF, fr. 750), voir les p. xxx et xxxix-xliii, ainsi que dans le t. 2 de lédition, Leiden, Brill, 1976, les p. 46-49 (pas de description des manuscrits dans cette édition).

13 Voir G. Paradisi et A. Punzi, « La tradizione del Tristan en prose in Italia e una nuova traduzione toscana », Actes du XXe Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes, dir. G. Hilty, Tübingen, Francke, 1993, t. 5, p. 321-338 ; M.-J. Heijkant, La tradizione del Tristan in prosa in Italia e proposte di studio sul « Tristano Riccardiano », Nijmegen, Katholieke Universiteit, 1989 ; D. Del Corno-Branca, Tristano e Lancillotto in Italia. Studi di Letteratura Arturiana, Ravenna, Longo, 1998.

14 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 39-40. Le passage rédigé en italien sétend sur les fol. 17b-38d.

15 Voir F. Zinelli, « I codici francesi di Genova e Pisa : elementi per la definizione di una scripta », Medioevo Romanzo, 39, 2015, p. 82-127. Dans léd. Bogdanow, létude de la langue du ms. BnF, fr. 12599 occupe les p. xxxviii-xlviii. Sur les difficultés dappréhension et de définition du « phénomène franco-italien », voir M. Barbato, « Il franco-italiano : storia e teoria », Medioevo Romanzo, 39, 2015, p. 22-51.

16 Voir supra n. 6. Outre les contributions déjà mentionnées jusquà présent, il faut signaler des descriptions ou commentaires relatifs à ce manuscrit dans : Fr. Avril et M.-Th. Gousset, Manuscrits enluminés de la Bibliothèque Nationale de France, I, Manuscrits dorigine italienne, t. 2, xiiie siècle, Paris, Bibliothèque Nationale, 1984, p. 19-20 ; M. Longobardi, « Frammenti di codici in antiquo francese dalla Biblioteca Comunale di Imola », Mélanges Roncaglia, Modène, Mucchi, 1989, t. 2, p. 727-759, la p. 750 ; F. Cigni, « Manoscritti di prose cortesi compilati in Italia (sec. xiii-xiv) : stato della questione e prospettive di ricerca », La Filologia romanza e i codici, éd. S. Guida et F. Latella, Messine, Sicania, 1993, t. 2, p. 419-441, aux p. 431-434 et 438-439, et « Mappa redazionale del Guiron le Courtois in Italia », Modi e forme della fruizione della « materia arturiana » nellItalia del sec. XIII-XV, Milan, Instituto lombardo di scienze e lettere, 2006, p. 85-117 (les p. 93 et 97 sq.) ; Il Tristano panciatichiano, éd. Gl. Allaire, Cambridge, Brewer, 2002, p. 20 ; N. Morato, Il ciclo di « Guiron le courtois ». Strutture e testi nella tradizione manoscritta, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2010, p. 12. La description du manuscrit fait lobjet dune très efficace synthèse (malgré des inexactitudes sur son contenu) dans Cl. Lagomarsini, Les Aventures des Bruns. Compilazione guironiana del secolo XIII attribuibile a Rustichello da Pisa, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2014, p. 53-55 et 76-77 ; léditeur se heurte pourtant au problème de la délimitation et de la description de la Queste des fol. 269-320.

17 Le manuscrit est consultable dans une très bonne définition sur la bibliothèque numérique de la BnF, Gallica. Il y porte le titre malavisé (repris probablement de Paulin Paris) de « Dernière partie du roman de Tristan, attribuée à LUCE DU GAST et ÉLIE DE BORON », alors que le roman y est bien plus largement représenté. Ce titre devient, lorsque le fichier est récupéré, « Compilation arthurienne comprenant une traduction partielle en italien de Guiron le courtois [Français 12599] », titre que la disparition de la mention du Tristan rend au moins aussi mauvais.

18 § 172, p. 452, dans le texte de V.I. (Tristan 757, t. 5, éd. Chr. Ferlampin-Acher, Paris, Champion, 2007, où le récit finit au § 174), correspondant aux § 86 et 139 du texte de V.II. (t. 9, éd. L. Harf-Lancner, Genève, Droz, 1997, où le récit se termine au § 143). Il est raisonnable de penser que le manuscrit sachevait peu après, comme le Tristan.

19 Voir A. Derolez, The Palaeography of Gothic Manuscript Books, From the Twelfth to the Early Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 102 sq.

20 Au nombre de 77 ; on en trouve la liste dans la description de Lathuillère, Guiron, p. 75, et dans Avril et Gousset, Manuscrits enluminés, p. 20.

21 Voir Avril et Gousset, ibid.

22 Ibid.

23 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 63-64. Voir aussi Cigni, « Manoscritti di prose cortesi », p. 434 : « Alla luce di quanto detto, sono molti gli elementi che autorizzano ad attribuire alla Toscana occidentale la scrittura di almeno tre parti di questo codice. » La décoration a été mise en rapport avec celle du ms. Escorial L.II.B par F. Zinelli, « Tradizione mediterranea e tradizione italiana del Livre dou tresor », A scuola con Ser Brunetto, éd. I. Maffia Scariati, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2008, p. 35-92, voir la reproduction p. 89, et les p. 48-49. Le rapprochement des représentations du maistre, figuré dans ces deux manuscrits « a mezzo busto », « in atto di indicare il testo con lindice della mano destra mentre stringono un libro nella sinistra », paraît évident.

24 En quelques endroits (ainsi aux fol. 46d-47b), certaines sont complétées à lencre marron.

25 Encore ignorée de Lathuillère (Guiron, p. 75-77), cette configuration est mise en évidence par Bogdanow (La Folie Lancelot, p. l-li). Ces « sections » sont dhabitude appelées « fragments » dans la bibliographie.

26 Les fol. 63 et 71 portent au recto la mention « Oddo », peut-être précédée dun m. Plusieurs voix saccordent pour y deviner le nom du copiste qui était en charge de cette partie, à la notable exception dAvril et Gousset. Le m en tout cas pourrait être labréviation de maistre ou magister (Cigni, « Guiron, Tristan », p. 60).

27 Le fol. 1 du manuscrit est très mutilé. La pièce qui en constitue le recto est presque complètement illisible ; en revanche, les deux pièces du verso se laissent déchiffrer. Voici, avec quelques approximations possibles, le texte lisible du fragment de la col. b, dont les lignes sont entières : « li conpaingnons as armes [] li IIII (?) chevalier, si sen esi fors tot primiers Lyanor et Danainz li Ros et messire Lac et Li Bons Chevaliers Sens Peor et [] VI.M. homes a chevalz, si se fierent ens en la grant presse, si comencent li quatre conpaingons a faire darmes trop durement, si donoient esenple de bien faire a tos lé chevaliers de lor partie. Ensint est arestés la » [fin du fragment]. Il sagit donc dun moment antérieur du tournoi raconté dans les feuillets suivants (Lyanor napparaît guère que dans ce tournoi dans lensemble des textes du Guiron, daprès lIndex de Lathuillère, Guiron, p. 567).

28 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 42-43.

29 La correspondance des deux héros, qui est reproduite aux fol. 101-103, ne figure pas dans le cours des aventures de Brunor dans la version quen donne le manuscrit. Quant aux déboires amoureux de Kahédin, ils font partie de la longue part du récit écartée par la narration à partir du fol. 100, entre les aventures de Brunor et lépisode du Perron Merlin.

30 Cette partie du texte contient, dans la version quen donne ce manuscrit, de nombreuses allusions à Robert de Boron.

31 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 62.

32 On note la présence de la majuscule à Quant, point sur lequel il faudra revenir. Gaheriez désigne ici celui que lon connaît dhabitude (et plus loin sur le même feuillet) sous le nom de Guerrehet.

33 Voir Le « Tristan en prose », p. 66.

34 Mais « lievemente più lunga la colonna nella parte 5, 17,3 cm » au lieu de 17,2 auparavant (Cigni, « Guiron, Tristan », p. 62, n. 79).

35 Le manuscrit a été numérisé en 2009 en haute définition, ce qui permet un important grossissement. Les écritures étant petites, il nest pas étonnant que les différences de mains que nous allons exposer aient échappé aux critiques jusquici.

36 Comme souvent, ces traits sont plus (le tracé du g) ou moins (le dessin des majuscules) systématiques ; un même copiste utilise des dessins de lettres différents parfois dans la même colonne (le copiste de la Folie Lancelot connaît aussi des v horizontaux et des d obliques).

37 Il nest pas le copiste A1 de F. Cigni : A1 est très proche de A, peut-être identifiable à lui, et est considéré par F. Cigni comme le copiste de lensemble de la section 3.

38 Mais, bien quil lemploie beaucoup moins, le copiste de la Folie Lancelot connaît aussi cet usage, par exemple au fol. 250d, première ligne.

39 Son écriture se reconnaît tout au long des deux fragments qui lui sont attribués : très horizontale, caractérisée par des espacements entre jambages, lirrégularité de la justification à droite, la courbure systématique du jambage du d, la démesure de ses v initiaux ou en deuxième lettre de paragraphe, ainsi que les longs traits horizontaux dans les lettres de bout de ligne ; voir de bons spécimens au fol. 219a.

40 « [268c] Quant ele a dite ceste parole, elle sen ist fors del paveillon sanz prendre congié a cels qui leienz estoient, ne unques ne volt remanoir por parole que len li die. Et quant ele les a si esloingniéz quil [lacune, et fin de laccord avec BnF, fr. 112] si est il remés com tuz esbaïz. Misire Blioberis e Sagremor le Desreé et Boorz le reconfort et disoit que la Damoisele Laide estoit venue por lui gabber. Missire Blioberis voloit metre Erec en autre parlement et disoit que grant tornoiament devoit estre a Chamalot devant trois jors la Pentecoste, et disoit se il voloit venir au tornoiement, que il voloit chevauchier a la maitin. Erec li respont : “Par aventure poroit il avenir que je veroit, que ge ai a complir une mee besogne.” Tuit cel jornee tenoient parlement de Erec et de la Damoiselle Laide. Mes atant lesse ore li contes a parler de Erec et des chevaliers des paveillons et retorne a parler del roi Artus, si com il est venus a Chamalot. » Si ce court paragraphe a été spécialement écrit pour fluidifier la composition du manuscrit, alors il a très probablement pour auteur le copiste lui-même.

41 Il semble envisageable que la colonne d, restée entièrement vierge, ait été prévue pour recevoir une décoration analogue à celle du fol. 320 – ainsi peut-être que pour les autres colonnes restées blanches ?

42 Outre le dessin des majuscules, on note, entre autres traits, le g en huit, qui redevient g droit à partir du fol. 109.

43 Élargissement de ses v initiaux déjà longs, aération des lignes, allongement de certaines barres horizontales en fin de ligne (amort, col. c), abréviation de Tristan par.t. Mais les différences intimes de tracé distinguent sans peine les deux écritures une fois quelles ont été repérées : globalement, lécrasement général du module et la rectitude des jambages à partir du fol. 110 ; dans le détail, la forme du h, du d, du g, du q, de la boucle du p, de la note tironienne… Le copiste C, aux fol. 107-108, avait peut-être, lui aussi, forcé un peu son style, en arrondissant et allongeant un peu ses v initiaux.

44 Le recto du feuillet est assez érodé et jauni, comme sil sétait trouvé longtemps exposé à lair et à la lumière.

45 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 47.

46 Le « Tristan en prose », p. 66.

47 Dans lédition de V.I., t. 3, éd. J.-P. Ponceau, Paris, Champion, 2000, p. 9, et dans lédition de V.II., t. 5, éd. D. Lalande et Th. Delcourt, Genève, Droz, 1992, p. 18 : le manuscrit appartient « plutôt à une “deuxième version” avec Queste courte, par opposition à la “deuxième version” normale avec Queste longue » ; voir p. 16-17 pour la distinction entre les mss BnF, fr. 12599 et BnF, fr. 757, et p. 19 pour le rattachement à ABCD (manuscrits dits de V.II.).

48 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 53 (« ecco vanificato lavvertimento che avvamo trovati giusto alla fine della parte 2, f. 221 »). Cette précaution du narrateur, qui fait apparaître ici le nom de Robert de Boron, existe sous de multiples formes dans la tradition de V.II., voir les variantes de la version V.II. du Tristan, t. 4, éd. J.-Cl. Faucon, p. 384 et surtout Löseth § 282, p. 186-191 pour une vue densemble.

49 Baumgartner, Le « Tristan en prose », p. 66 : « Le fragment 4 est donc, en dépit de lindication qui clôt le fragment 3, la suite directe du fragment 2 qui est, rappelons-le, de la même écriture. [] Il suffit donc déliminer le fragment 3 et de rapprocher 2 et 4 pour retrouver un fragment dun seul tenant, et relativement étendu, du Tristan en prose. » Mais elle considère que la formule finale du fol. 320 est de la main du « copiste du fragment 4 » (ibid.) : pour elle, les copistes A et B ont donc travaillé ensemble à recopier lentièreté du manuscrit.

50 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 59, parle d« inserimento » des sections 2 et 4, mais cela semble être au sens narratif et non au sens matériel. Il évoque la « mancata corrispondenza tra fascicolazione e sezioni testuali » à propos des formules dentrelacement de la fin des sections 2 et 3 mais, si je comprends bien son propos, paraît en faire une preuve du travail conjoint des copistes A et B (p. 62).

51 Ibid., la n. 78.

52 Voici le texte de léd. Bogdanow : « “– Nous vouldrions tuit mieulx estre detrenché quil nen morust, car il nous a touz honnis, car autrement navrions nous ja mais joye”. Quant Guerrehees vit que la chose estoit a ce venue, etc. » (La Folie Lancelot, p. 6, l. 247-249 ; léditrice a mal placé le début du fol. 222). On voit là encore un signe que la formule du fol. 221 devait adresser au texte du fol. 321 et se prolonger par lui.

53 Pour mémoire : interruption des aventures du Chevalier à la Cotte Mal Taillée (fol. 100) pour revenir rapidement au Perron Merlin, qui est le texte à rejoindre ; double page laissée vierge aux fol. 106-107, car un trop grand espace était laissé disponible pour combler le début manquant du chapitre du Perron Merlin, ce qui a fait commencer au verso du fol. 107 ; jeux décriture, à tout le moins de mise en page, sur les fol. 107-109.

54 Les indications présentées en ce sens par Fabrizio Cigni (« Guiron, Tristan », à la fin de larticle) sont intéressantes. Cela dit, au sein même des premières dizaines de feuillets, certains dessins de lettres changent, certains traits varient quelque peu. La question ne sera pas tranchée ici. Pour ce qui nous concerne, il faut comprendre la mention du copiste A (et celle du copiste C, dailleurs), comme la désignation du « type décriture A » (et du « type C »), sans que lon ose se déterminer avec une certitude totale sur le nombre de mains individuelles qui ont effectivement participé à la copie.

55 Peut-être mal placé (erreur de reliure, comme le suggère lanalyse de Löseth, p. 61, n. 1 ?) mais peut-être inséré là pour des raisons dramatiques – lattente du combat formidable du Perron Merlin – et/ou pour résonner avec la discussion amoureuse des deux champions damour – « Me sire Tristan, que vos semble damors ? », dit Lancelot à lissue du combat, fol. 109d.

56 Lagomarsini, Les Aventures des Bruns, p. 76 ; sur ce phénomène, voir F. Cigni, « Copisti prigionieri (Genova, fine sec. XIII) », Mélanges Valeria Bertolucci Pizzorusso, Pise, Pacini, 2006, t. 1, p. 425-439.

57 Pour faciliter la consultation, nous donnons aussi les références de lédition en cours de publication.

58 Les Prophesies de Merlin, éd. A. Berthelot, Cologny/Genève, Fondation Martin Bodmer, 1992.

59 Ce rapprochement a été effectué également par Arioli, Ségurant, p. 9.

60 « Endementriers [] avint que uns chevaliers vint devant le Haut Prince et dist : “Sire, uns chevaliers sui de Wincestre ? Li quens de Douvre menvoie a la court le roi Artu, et li mande certainement que li Saisnes en vienent a oust a Wincestre. []” ».