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Classiques Garnier

Les douzains d’Hélinand dans les mystères du xve siècle

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2018 – 2, n° 36
    . varia
  • Auteurs : Doudet (Estelle), Kuroiwa (Taku)
  • Résumé : Le douzain d’Hélinand est devenu au xve siècle un simple outil, utilisé entre autres pour construire la versification des mystères. Cet article enquête sur les raisons de cette mutation. Il souligne les rôles traditionnels et les nouveaux emplois que le théâtre a donnés à cette forme. Le douzain d’Hélinand révèle les réécritures entre les pièces, éclaire les rapports de complicité et de concurrence entre leurs auteurs et permet de mieux comprendre les processus de création du théâtre médiéval.
  • Pages : 175 à 193
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406089537
  • ISBN : 978-2-406-08953-7
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08953-7.p.0175
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/01/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Les douzains dHélinand
dans les mystères du xve siècle

« Cest la proiere que Theophiles dist devant Nostre Dame » indique une didascalie du Miracle de Theophile au moment où le protagoniste sadresse à la Vierge pour éviter la damnation qui le guette1. Le jeu de Rutebeuf bascule au moment où retentissent six douzains dhexasyllabes composés sur le schéma aabaabbbabba popularisé par Hélinand de Froidmont quelques décennies auparavant. Dès le xiiie siècle en effet, sous les plumes de Jean Bodel, de Rutebeuf, dAdam de la Halle et de nombreux anonymes, la strophe hélinandienne a tissé la trame de dits à tonalité morale, rythmé les prières à la Vierge et accompagné les saluts amoureux2. Si son apparition précoce dans les jeux dramatiques na rien de surprenant, plus frappante peut-être est son utilisation continue au théâtre jusquau début du xvie siècle.

Cette stabilité a attiré lattention de la critique, ouvrant la voie aux enquêtes pionnières dHenri Chatelain et dAdolf Bernhardt au début du xxe siècle3. Mais lintérêt sest tôt émoussé chez les historiens du théâtre. Jusquà une date récente, assez rares ont été les éditions relevant la présence de douzains dHélinand dans la composition métrique des pièces, souvent laissés dans lombre des ballades et des rondeaux4. Dans 176le sillage de travaux appelant à poser un autre regard sur la versification théâtrale au xve siècle5, la présente contribution vise à suggérer quelques pistes pour tenter danalyser la présence et le rôle des douzains dHélinand sur les scènes de la fin du Moyen Âge, et plus précisément dans lart des mystères.

Avant de les aborder, il importe de rappeler les deux écueils que doit affronter lenquête : il est difficile didentifier le douzain hélinandien au sein de très longues pièces qui ne lutilisent plus comme une strophe aisément repérable6 ; il est difficile dinterpréter ses effets dans leur dramaturgie. De fait, la versification théâtrale en moyen français ne sert pas à illustrer mécaniquement des idées ; elle donne plutôt au texte une partition rythmique dont les fonctions et les significations sont variées, à linstar de la musique de film aujourdhui. Il semble donc vain de chercher à imposer un cadre dinterprétation rigide aux compositions des dramaturges. Reste que la structure aabaabbbabba na pas été mobilisée par tous ni partout. Lécriture des mystères, où elle apparaît en majorité, possède des spécificités thématiques et tonales – autorité du sujet, gravité des registres – proches de celles complaintes, prières et réflexions méditatives dont la strophe dHélinand était le véhicule privilégié aux xiiie et xive siècles. De plus, à parcourir les pièces qui en font usage, vient à lesprit lhypothèse que ces textes sont liés entre eux par de possibles récritures. Existerait-il des milieux de production et de diffusion qui auraient été plus particulièrement sensibles aux potentialités théâtrales des douzains ?

Pour creuser ces diverses intuitions, nous avons choisi un corpus détude à la fois varié et relativement restreint puisque nous avons privilégié les œuvres considérées aujourdhui comme des mystères. Composé de pièces du xve siècle, le corpus sétend des Mystères de la Passion de Semur et par Eustache Mercadé (début du xve siècle) au Mystère de saint 177Martin dAndré de la Vigne (1496). Les textes analysés sancrent dans des régions de culture différente, dune part le royaume de France, surtout les duchés dOrléans-Blois et le comté dAnjou, dautre part la principauté de Bourgogne. Il semble en effet que dans ces espaces ont fleuri les textes faisant un usage inventif du douzain dHélinand, ce qui incite à questionner à sa lumière leurs éventuelles convergences et divergences. Diverses dans leurs thématiques, les pièces sinspirent de lAntiquité (Histoire de la Destruction de Troie la Grant de Jacques Milet) comme de lactualité (Mystère du Siège dOrléans) ou sont consacrées à des vies de saints et à la Passion du Christ. Au cœur de ce corpus, les Passions étroitement liées entre elles de Mercadé, de Gréban et de Jean Michel seront abordées dans une perspective comparative, permettant dinterroger à nouveaux frais les enjeux du douzain chez le dramaturge du xve siècle qui la porté à son plein développement, Arnoul Gréban.

Le douzain hélinandien
dans le tissu métrique des mystères

Au xve siècle, perdant sa visibilité de strophe poétique, le schéma aabaabbbabba affleure désormais majoritairement au sein du vaste tissu métrique qui caractérise lécriture théâtrale des mystères. Dans certaines pièces, son usage est pourtant fort rare : seuls deux douzains enchaînés sont présents dans une tirade de la Madeleine au cours des 9572 vers de la Passion de Semur7. Dautres le mobilisent davantage, même si, vue la taille des œuvres, la présence des douzains y reste discrète : une douzaine dexemples apparaissent dans lHistoire de la Destruction de Troie la Grant, une quinzaine dans le Mystère de saint Quentin et Arnoul Gréban en propose trente-sept dans son Mystère de la Passion. Si Eustache Mercadé en développe huit occurrences au fil des 24943 vers de la Passion dArras, André de la Vigne en insère neuf dans les 10445 vers du Mystère de saint Martin. Ces chiffres relativement faibles montrent combien lutilisation 178de la forme est devenue chez les dramaturges un geste peu usuel, qui peut être considéré comme un choix.

Tout comme le nombre doccurrences, le privilège donné à lisométrie ou à lhétérométrie du douzain apparaît lui aussi comme un geste concerté. Un fatiste comme Eustache Mercadé fait sciemment appel à lhétérométrie : le seul douzain hélinandien de cette forme dans son Mystère de la Passion colore la réplique de Marie qui suit la Nativité du Christ aux vers 1993-2004. Elle vient soudain animer la trame régulière des octosyllabes à rimes plates et mettre en valeur laction de grâce8 :

marie a genoux :

Createur de firmament,

Roy prudent,

Tu me fay grant demonstrance

Damour, quant tu dignement,

Doulcement,

De moy a pris ta naissance

Sans ce quaulcune pesance,

Ne grevance,

Aye senti nullement.

De ma totale puissance

Et substance,

Je ten remercie humblement9.

La volonté dassocier lhétérométrie à un épisode significatif nest pas aussi nette chez Arnoul Gréban, qui paraît accorder moins dimportance que Mercadé aux douzains décasyllabiques de ce type10. Parmi les trois occurrences hétérométriques relevées dans sa Passion11, on peut certes noter une apparition au moment du baptême de Jésus (« o haulte clemence », v. 10337-10348). Mais dans la tirade de Jean-Baptiste où il 179resurgit ensuite, le douzain hétérométrique est articulé à divers schémas de rimes, un double huitain aaabaaab bbbcbbbc, des rimes plates et autres, où lon peine à détecter une quelconque mise en relief. Les deux autres exemples (« o faulse gent et nephaire », v. 28331-28342 ; « gens la plus fiere du monde », v. 28531-28542) se font encore plus discrets au fil de la longue scène des plaintes et des vitupérations contre les Juifs énoncées par les Apôtres, tissés quils sont à dautres formes12. Limportance décroissante du douzain hétérométrique chez les dramaturges de la deuxième moitié du xve siècle semble démontrer une évolution générale vers lisométrie, congruente avec les usages du schéma hélinandien dans dautres formes décriture à la fin du Moyen Âge.

Le traitement des douzains hétérométriques chez Gréban attire lattention sur un autre phénomène majeur : la juxtaposition de plus en plus courante dans le théâtre du xve siècle des douzains hélinandiens et dautres schémas métriques, qui souvent leur ressemblent. Cette annexion est déjà sensible chez Mercadé. Immédiatement après le Procès de Paradis, lors de lAnnonciation, il fait se succéder deux douzains dHélinand (« Humblement te salue, Marie », 1re journée, v. 1057-1092), puis enchaîne sur les formes particulières que sont le dizain et le quatrain double13. Cette tendance à la banalisation saccentue chez Arnoul Gréban14. Mais la meilleure preuve dune telle évolution est la Passion de Jean Michel, qui remanie lœuvre de Gréban. En effet, si le docteur angevin a considérablement diminué le nombre des douzains dHélinand dans son mystère, il a en revanche donné un essor spectaculaire à un autre douzain dallure similaire mais légèrement différente, la 180forme aabaabbbcbbc. Lancienne structure métrique ne semble plus dotée dune identité propre et cède la place à un schéma rimique plus ouvert et plus dynamique. Le succès de celui-ci a sans doute été appuyé par sa ressemblance avec le « huitain français », ababbcbc, une forme extrêmement familière à lépoque, abondamment exploitée en scène et dont le douzain aabaabbbcbbc a pu être perçu comme une version augmentée15. On peut dès lors faire lhypothèse que la logique de lécriture théâtrale, qui exige une constante progression rythmique pour soutenir lavancée des répliques au fil de très longues œuvres, la emporté sur la logique plus concentrée et close de lécriture lyrique. Ce serait lune des raisons de laffaiblissement de la structure ferme de lancienne strophe et de sa transformation en simple patron de rimes dans un tissu métrique complexe.

Est-ce à dire pour autant que le douzain hélinandien est devenu superflu aux yeux des fatistes du xve siècle ? Le premier monologue de Charles dOrléans dans le Mystère du Siège dOrléans16 montre quil est difficile de trancher aussi nettement. Lintervention du personnage est préparée par la tirade liminaire de la pièce, prononcée par Salisbury. En six douzains aabaabbbcbbc, le nouveau lieutenant général de larmée anglaise y a tracé ses grandioses plans de conquête du royaume de France, chaudement approuvés par ses lieutenants. Lorsque le tumulte des guerriers cesse sélève la prière du duc dOrléans, portée par cinq douzains doctosyllabes. Au premier abord, les accents plaintifs du Français semblent se dérouler sur le même rythme que le discours martial de lAnglais, nétait le schéma hélinandien de la quatrième strophe dOrléans. La réduction des alternances rimiques de trois à deux (de a/b/c à a/b) paraît aller de pair avec la répétition de linformation, puisque le premier tercet aab du douzain reprend simplement la nouvelle de 181lexpédition (« Or est il que adverty suis / que roy Henry a entrepris / de vouloir envoyer en France… »). Cependant lenchaînement bbabba qui suit fait basculer du constat de limpossible « resistence » au vœu dune intervention divine, seule capable dapporter « pourvoyance » aux assiégés. Il sagit du premier épisode où sesquisse, sur le rythme optatif dune prière, la mission ultérieure de Jeanne.

Analyser les procédés dinsertion des douzains dHélinand dans le tissu métrique des mystères aboutit donc à un résultat plus ou moins contrasté. Dune part, perdant la puissance structurante de strophe quils possédaient dans les dits et les jeux du xiiie siècle, ils apparaissent comme des composants métriques banalisés, voire dans une certaine mesure pénalisés par le rayonnement de formes similaires et mieux appréciées au xve siècle comme le douzain aabaabbbcbbc. Dautre part, peut-être en raison de leur raréfaction, ils semblent dotés dune capacité à faire sens. Il apparaît donc utile dobserver de plus près les situations dénonciation des douzains dans les œuvres sélectionnées pour saisir les manières dont ils participent à leur construction.

Modalités dénonciation
et structuration des épisodes

Dans la longue étude quil consacre au rondeau, lInstructif de seconde rhetorique laisse entendre quil sagit dune forme appropriée aux prises de parole collectives17. Le douzain dHélinand est-il quant à lui plutôt employé dans des monologues ou dans des dialogues ? Comment structure-t-il les situations dénonciation dans lesquelles il apparaît ?

Là encore et sans surprise, les choix des dramaturges sont variés. Dans le Mystère de la Passion dArnoul Gréban, la plupart des douzains aabaabbbabba sont énoncés par un seul personnage ; néanmoins, les quelques occurrences où ils animent des dialogues montrent que leur forme symétrique est mise à profit pour équilibrer la distribution des répliques. Ils sont ainsi à plusieurs reprises partagés entre les personnages sous la forme aabaab bbabba. Cela ne vaut point pour tous les fatistes : 182Mercadé, le prédécesseur de Gréban, a plutôt privilégié un certain déséquilibre dans la répartition des douze rimes entre les interlocuteurs18.

Au-delà de ces effets rythmiques, le développement dun douzain hélinandien dans un dialogue peut attirer lattention sur le personnage qui lénonce, surtout si lépisode est répété. Le Mystère de saint Quentin attribué à Jean Molinet19 fait à deux reprises apparaître des douzains aabaabbbabba dans des scènes de dialogue qui pivotent autour du même personnage, Marcellin. Aux côtés de Maurice qui sapprête à combattre les armées ennemies, ce chrétien adresse dabord une prière à la Vierge, énonçant en alternance avec son chef les tercets dun douzain hélinandien20. Devenu évêque puis apostat, Marcellin refuse ensuite, désespéré, de parler avec deux compagnons, Claudien et Quirinus, qui le pressent de retrouver confiance en Dieu :

quirinus

A quoy passe tu la journee ?

marcellin

A maudire ma destinee.

claudien

Il est trop maudit qui Dieu hait.

marcellin

Maudit suis plus quame dampnee.

quirinus

Cesse ta douleur foursenee.

marcellin

Laissiés moy plourer a mon hait21.

Le partage du douzain se répète, mais son sens sinverse : ce qui soulignait la complicité des croyants devient le signe de lisolement du renégat.

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Plus fréquemment cependant, à lexemple de Gréban, les auteurs de mystères utilisent le douzain pour soutenir les discours énoncés par un seul personnage. Sans que cela soit systématique, la forme assume parfois un rôle de pulsation rythmique à louverture de certaines tirades. LHistoire de la Destruction de Troie la Grant de Jacques Milet illustre ce phénomène, notamment à travers les adresses prononcées par des personnages féminins, plusieurs fois ouvertes par ce douzain. Dans les premières scènes de la pièce, Polyxène salue le retour de Pâris et lance un éloge joyeux de la fière allure de son frère sur le rythme aabaabbbabba, « en soye inclinant devant luy22 ». La même construction, appuyée par une gestuelle similaire, resurgit à lissue de la pièce lorsquHélène, penchée sur le cadavre dudit Pâris, pleure sur la beauté désormais évanouie du jeune homme23.

Les textes analysés révèlent également que le douzain dHélinand, beaucoup moins exploité que les rondeaux et les ballades pour souligner les mouvements scéniques, nen a pas moins parfois été doté dune capacité à articuler les épisodes de certains mystères. Le Mystère de saint Quentin présente une scène douverture, longue denviron 270 vers, entièrement composée de douzains hélinandiens enchaînés. Ils font pénétrer au cœur du conseil de Dioclétien, où Constant Césaire, Galérien, Constantin et dautres proches de lempereur saccordent pour associer au trône le général Maximien, ennemi déclaré des chrétiens. Le rythme lancinant de leurs échanges est rompu par le Fou, qui lance une convocation burlesque, « et je voys assembler tous mes fos », sur des rimes suivies24. Cette rupture fait retomber la tension de la scène précédente tout en révélant le caractère à la fois diabolique et dérisoire du conseil impérial.

Le Mystère de saint Martin dAndré de la Vigne propose un autre exemple de structuration astucieuse, analysé naguère par Claude Thiry25. Dans un épisode central de la pièce, Martin ressuscite Hannequin le Hasardeur qui vient de se suicider, larrachant ainsi au péché mortel. 184Le geste démontre la sainteté du protagoniste et lélévation de Martin à la position dévêque de Tours dans la scène suivante est la conséquence logique de ce miracle. Cependant, comme lapprend la didascalie insérée entre les deux actions, se produit à ce moment un changement assez important dans la mise en scène. Les acteurs circulent sur laire de jeu, se déplaçant de la maison du suicidé à la salle du chapitre tourangeau ; celui qui joue Martin sécarte ; de nouveaux personnages entrent. Toutes transformations qui nécessitent un assez long interlude musical :

Pause prolixe de menestriers ; cependant sainct Martin sen retorne a son abbaye et les aultres se retirent.

le doyen de tours. – Il est avec les aultres chanoynes en ung lieu comme en ung chapitre26.

Pour rendre compréhensible la relation existant entre la résurrection dHannequin et la réputation de sainteté qui convainc les Tourangeaux délire Martin évêque, André de la Vigne utilise le douzain dHélinand. Le dialogue entre Martin et la mère du suicidé sappuie sur cette structure métrique (v. 6076-6099) ; elle resurgit immédiatement à louverture du discours prononcé par le Doyen de Tours en faveur du futur évêque (v. 6100-6111) :

le doyen

Mes freres et mes bons amys,

Desja trop de temps avons mys

de regarder a nostre eglise,

car de prelat sommes desmys.

Pour ce, ne soyons endormys

dy pourvoir par moult bonne guise.

Chascun de vous son sens aguise27

Le douzain noue par là ce que la mise en scène paraît disjoindre : la continuité rythmique quil introduit supplée la discontinuité visuelle produite par le changement de décor et lentrée dans un nouvel épisode de la vie du saint. Le mystère hagiographique prend ainsi concrètement sens – direction et signification – sous les yeux du public.

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Soutenir des discours, peindre des personnages

Peut-on pour autant considérer que ce douzain singulier est resté au xve siècle ce quil paraissait être en ancien français : une forme-sens, attachée à des énoncés et à des valeurs spécifiques, surgissant dans des contextes particuliers ? Les historiens de la littérature ont souvent remarqué quau xiiie siècle, sous linfluence des Vers de la mort, les poèmes en douzains à deux rimes exprimaient en majorité des méditations morales et pénitentielles. Les prières et les dits dédiés à la Vierge, les Voies de lau-delà si populaires au xive siècle ont très fréquemment utilisé le douzain dHélinand, forme alors associée au stylus gravis et aux énonciations solennelles28. Assez claire dans les écritures des xiiie et xive siècles, cette caractérisation tonale a-t-elle perduré dans les productions dramatiques du xve siècle et continue-t-elle à expliquer lemploi du douzain, comme la parfois suggéré avec précaution la critique29 ?

Il convient demblée dobserver une certaine prudence face à lhypothèse de cette continuité. Elle est certes plausible et labsence de référence aux Vers de la Mort dans les arts de rhétorique commentant le douzain au xve siècle ne signifie pas que leur héritage stylistique a été tout à fait oublié. Néanmoins, les exemples précédemment cités montrent que le schéma métrique, désormais inclus dans de vastes compositions spectaculaires, sy est vu doté denjeux qui dépassent une orientation thématique particulière. Si le douzain hélinandien a pu apparaître à certains fatistes comme une forme-sens, cela ne signifie pas quil a été le marqueur dun style bien reconnaissable ou laccompagnement illustratif de tel ou tel thème, mais plutôt quil a été utilisé comme ce que les 186analystes actuels des spectacles appellent un « embrayeur30 », cest-à-dire en tant que composant formel capable dinteragir souplement avec toutes les dimensions du jeu dramatique et de créer des effets de sens à leur contact. Nous avons déjà analysé certaines de ces dimensions, le soutien rythmique des répliques, larticulation des épisodes, auxquelles on peut ajouter la caractérisation de certains rôles et de certains types de discours.

Le genre de discours que soutient le douzain est peut-être le lieu où lhéritage dHélinand de Froidmont demeure le plus sensible. Dans le sillage des Vers de la mort, encore nombreuses sont au théâtre les plaintes individuelles qui se déploient à partir de la scansion circulaire des rimes ab : larmes dHélène devant le cadavre de Pâris dans la Destruction de Troie ; lamentations de Nathalie, femme dAdrien, dans le Mystère consacré à ce saint en 1485, où apparaissent les deux seules occurrences de ce schéma dans la pièce31. Par ailleurs, les douzains surgissent fréquemment dans les prières adressées à Dieu par les protagonistes des mystères évangéliques et hagiographiques : Charles dOrléans devant la menace anglaise dans le Siège dOrléans ; saint Marcellin demandant laide de la Trinité contre les armées adverses dans Saint Quentin ; saint Didier élevant son âme vers Dieu pour obtenir son soutien au début de la pièce dont il est le héros32. Dautres prières sont plutôt des actions de grâce, à linstar du dialogue déjà cité entre saint Martin et la mère dHannequin le Hasardeur. Chaque interlocuteur adresse à lautre un douzain au schéma identique, la Bourgeoise pour bénir le saint qui a ressuscité son fils, Martin pour attribuer son acte à la puissance divine :

la bourgeoise

Homme plain dumble affection,

De grant sanctiffication,

Bien doibs louer vostre bonté

quant de ma tribulacion

jay heu letifficacion

et en joye mavez bouté.

Si prye la divinité

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et la tres haulte Trinité,

pour toute satisfacion,

quelle vous doinct joye et santé

et pour plus grant bienheureté,

des haulx cieulx la possession !

sainct martin

Ayez commemoracion,

par digne contemplacion,

du grant bien que Dieu vous a faict ;

luy seul la colaudacion

de ceste relevacion

en doibt avoir de cueur parfaict.

Louez le par dit et par faict,

car de luy vient ce noble effect

et ceste pregoracion.

Doncques, se de vostre forfaict

comme devant vous ay reffaict,

Servez le dumble entencion33.

De nombreux discours émaillés par le douzain hélinandien sont de fait traversés par un mouvement délévation vers lau-delà ou le sacré. Elle peut notamment se manifester par un don de prophétie. Cette expérience intime est partagée par Siméon apercevant lenfant Jésus aux portes du Temple dans la Passion dArras et par la mère de Quentin avertie par un rêve du prochain martyre de son fils ; tous deux utilisent alors le schéma aabaabbbabba34.

Cependant lart théâtral na pas restreint lemploi de ce patron aux discours pénitentiels et aux prières. Dans certaines œuvres, on observe un élargissement de son usage. Le douzain y apparaît notamment dans des adresses collectives qui exaltent les valeurs unissant une communauté combattante. Deux pièces où la guerre et la question de la survie dun état occupent une place majeure, le Siège dOrléans et la Destruction de Troie, lutilisent par exemple dans des tirades qui appellent à la levée de troupes et à la réunion de conseils politiques : sur ce rythme, la voix de Penthésilée rassemble la compagnie des Amazones, celle de Jeanne incite larmée royale à attaquer Beaugency35. De même, Priam, Agamemnon 188et Charles VII convoquent tour à tour leurs alliés pour décider de la stratégie face à lennemi : « or ça, seigneurs, il mest advis », « barons, dictes vostre sentence36 ».

Cet exemple appelle à prêter attention à une possible caractérisation des personnages par les schémas métriques quils emploient. Henri Chatelain et Adolf Bernhardt avaient déjà noté que les énonciateurs des strophes dHélinand dans le théâtre du xve siècle sont souvent les protagonistes des jeux. Cette tendance est évidente sous les plumes de Mercadé et de Gréban. Dans leurs Passion respectives, seuls les proches de Jésus parlent à travers cette forme37. De fait, limmense majorité des énonciateurs du douzain au théâtre sont des figures positives, voire héroïques et saintes : Jeanne dArc, Charles VII et Charles dOrléans dans le Siège dOrléans ; Adrien, Didier, Martin, les compagnons de Quentin et leurs alliés dans chacun des Mystères éponymes ; une figure rédimée comme la Madeleine dans la Passion de Semur, etc.38

Un autre point intéressant est limportante proportion, parmi ces utilisateurs, de rôles féminins. Il y a peut-être là un infléchissement de lusage poétique de la strophe hélinandienne depuis lancien français. Du xiie au xive siècle, les poèmes lyriques, les dits, les prières, les récits spirituels qui sont développés sur son schéma sont en général énoncés par des voix masculines qui, fréquemment, sadressent à une femme, la 189Vierge. Sur les tréteaux du xve siècle, cest elle-même qui dit des douzains à deux rimes. Dans la Passion de Mercadé, Marie est constamment celle qui les récite ou celle devant qui on les récite, de son échange avec Gabriel (« humblement te salue, Marie », v. 1057-1092) aux encouragements que lui adresse saint Jean au pied de la Croix (« Dame, aultre maniere tenez », v. 16884-16895). Deux Annonciations en douzains dHélinand, celle de lAnge saluant la Vierge et celle du disciple promettant la Résurrection à la mère éplorée, encadrent ainsi le drame du Fils.

Lappétence des personnages féminins pour le douzain aabaabbbabba peut être expliquée par une certaine permanence de ces traditionnelles tonalités plaintives ; par les types de discours où il intervient, comme, on la vu, les complaintes et les prières ; enfin, par les attitudes codifiées que cette structure métrique accompagne parfois, la révérence courtoise ou le corps ployé par la douleur. Ces détails convergent pour suggérer que le schéma de douze vers a pu encore apparaître comme un vecteur démotions sur les scènes du xve siècle. La construction de la première tirade de Madeleine dans la Passion de Semur est assez significative à cet égard. Commençant par se plaindre sur des rimes suivies (« Lasse moy ! commant trouveray / quil me puist conseil donner / et en droit chemin ordonner », v. 4805-07), Madeleine prend ensuite à témoin le public de son passé sulfureux et de son repentir en enchaînant deux douzains aabaabbbabba (v. 4814-4838), suivis dun sizain aabaab :

magdalena primo

Lasse ! con me va mallement !

Que deviendray ? je vous demand,

Bonnes gens. Las, povre chetive,

qui tant ay vescu laidement

et esté tres longuement

en pechier encline et active39.

Le rythme redevient ensuite suivi pour énumérer les péchés commis et dire lespérance dans le Christ, que Madeleine part alors quérir. Ce faisant, le personnage articule les thématiques pénitentielles autrefois associées à la strophe dHélinand à la puissante communication émotionnelle qui caractérise le théâtre en moyen français, incarnée ici au féminin.

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Des douzains et des hommes

Les dramaturges qui ont exploité au xve siècle les ressources théâtrales du douzain dHélinand, Eustache Mercadé, Arnoul Gréban, Jacques Milet ou encore André de la Vigne, étaient tous des fatistes attentifs au rôle moteur de la versification dans la composition de leurs spectacles. Nous souhaiterions interroger in fine la manière dont leur emploi des douzains dHélinand met en perspective les relations dinnutrition, dhéritage ou de compétition qui ont pu exister entre ces hommes, leurs œuvres et les cultures théâtrales où elles se sont inscrites.

Ce composant métrique est en effet loin davoir été exploité par tous les auteurs de mystères au xve siècle et la grande variété de ses rôles chez ceux qui lont employé met dautant plus en valeur les convergences de leurs pièces. Exhorter aux rassemblements guerriers et à la tenue de conseils politiques sur le rythme abbabbabbabba est par exemple un phénomène relevé dans le Mystère du Siège dOrléans et lHistoire de la Destruction de Troie la Grant. Or les deux œuvres, conçues à quelques années dintervalle, appartiennent au même espace orléanais. Lexistence dune culture théâtrale locale est ici plausible. Le cas dAndré de la Vigne est plus complexe. Bien quil prenne la plume plusieurs décennies plus tard sur linvitation dune municipalité bourguignonne, il rédige lensemble du Mystère de saint Martin non pas sur la trame habituelle doctosyllabes à rimes plates, mais sur un enchaînement de huitains à rimes croisées plus original, que le Siège dOrléans est lune des rares pièces conservées à avoir expérimenté auparavant. André de la Vigne fait également un usage quantitativement et qualitativement assez important de douzains dHélinand, choix qui nest pas sans rappeler les styles du Siège dOrléans et de la Destruction de Troie. Lauteur du Saint Martin, ancien secrétaire de Marie dOrléans, était-il familier de lart théâtral dans ce duché40 ? Ou a-t-il conçu son Mystère à lintersection de deux modèles quil paraît bien maîtriser, la composition versifiée des mystères orléanais et celle des mystères bourguignons ? Les territoires de Bourgogne ont en effet été eux aussi le lieu dune floraison de pièces mobilisant le douzain hélinandien, tels que les Mystères de saint Didier et de saint Quentin, tous deux rédigés 191au cours de la décennie 1480. Même si les relations suggérées par les douzains sont, il faut lavouer, des indices bien ténus pour retracer des réseaux dinfluence, lhypothèse que lart dramatique du xve siècle sest nourri de telles circulations mérite au moins dêtre posée.

La relation dinnutrition est beaucoup plus assurée entre Eustache Mercadé, Arnoul Gréban et Jean Michel, auteurs de trois Passions majeures au fil du xve siècle. Là encore, leur approche des douzains dHélinand révèle leur vision assez différente du geste de réécriture.

Il est indéniable que Gréban doit énormément à son prédécesseur arrageois, dautant que, comme lui, il a composé sa Passion en réponse à la commande dune ville septentrionale, Abbeville. Pourtant, comme lillustrent le fameux Procès de Paradis et la structure tétralogique donnée à son œuvre, le « notable bachelier en théologie » a en réalité moins emprunté à Mercadé des citations textuelles que des principes décriture41. Ainsi du douzain aabaabbbabba, que Mercadé utilise encore nettement comme un marqueur stylistique de gravité. Lintérêt de cette forme na pas échappé à Gréban ; même sil en fait par ailleurs une utilisation originale, il continue à lexploiter dans des épisodes thématiquement importants, tout en confiant sa récitation à des adjuvants du Christ. En ce sens, lœuvre dArnoul Gréban simpose comme une synthèse assumée entre lhéritage de principes stylistiques anciens et de nouvelles expérimentations formelles42.

La réécriture se manifeste de manière très différente entre Arnoul Gréban et Jean Michel. Ce dernier a remanié lœuvre de Gréban pour une représentation qui a eu lieu en 1486, plus de trente ans après la première représentation attestée de lœuvre de Gréban (1455), et dans le cadre urbain différent quétait la ville dAngers. Or si, parmi les cinq occurrences du schéma hélinandien insérées dans la Passion dAngers, trois sont presque identiques aux rôles que leur donne la Passion de 192Gréban43, un discours présentant le douzain est énoncé par un personnage inattendu, Judas44. Ce changement assez drastique demploi va de pair avec la primauté donnée par Jean Michel à la forme concurrente aabaabbbcbbc, qui accentue la dissolution de la structure héritée du xiiie siècle. Autrement dit, Jean Michel a préféré emprunter à Arnoul Gréban des citations textuelles plutôt que des principes décriture, du moins en ce qui concerne le douzain dHélinand.

Conclusion

Partir en quête du douzain aabaabbbabba dans les jeux théâtraux du xve siècle paraît au premier abord confronter lenquêteur au paradoxe dune permanence assurée au prix dune apparente disparition. La strophe close qui structurait poèmes et dits composés dans le sillage dHélinand de Froidmont saffaiblit en effet jusquà devenir en scène une simple forme métrique, affleurant discrètement dans les amples compositions versifiées des mystères. Ce paradoxe est pourtant compréhensible si lon accepte lidée que lart théâtral du xve siècle a mis le douzain dHélinand en tension, en le plaçant sous le double signe de la conservation et de la transformation. À nen pas douter, les fatistes de mystères ont été sensibles à danciennes caractéristiques de la forme, en particulier son rôle de marqueur du stylus gravis et sa relation à certains genres de discours, par exemple les prières ou les plaintes méditatives. Mais ils ont aussi diversifié les usages du douzain, lintégrant dans des dialogues et dans des tirades, le faisant articuler par des femmes comme par des hommes et prononcer par des personnages généralement valorisés, avec de possibles exceptions. En somme, de modèle de composition, le douzain dHélinand est devenu au théâtre un composant, souplement intégré à loutillage versificatoire des dramaturges.

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Plutôt que de définir cette transformation en termes négatifs, qui souligneraient la perte dautonomie dune forme littéraire devenue format rythmique, il nous a semblé plus pertinent de lapprocher par une idée sous-jacente à lensemble de cette enquête et qui est empruntée, avec un anachronisme consenti, aux historiens de la communication, y compris artistique : la remédiation45. Est dite remédiation la réutilisation dans une nouvelle forme dexpression de divers éléments qui faisaient fonctionner dautres formes, antérieures ou contemporaines, désormais guettées par lobsolescence. Lélément « remédié » conserve son efficacité, mais il est redéployé dans un nouveau système qui en exploite des aspects jusqualors peu mis en valeur. Si lautorité de la strophe hélinandienne a certes été érodée par son passage en scène au xve siècle, le douzain abbabbabbabba étant juxtaposé à des schémas plus dynamiques, les fatistes en moyen français ont aussi mis au jour certaines de ses potentialités, comme sa capacité à impulser des discours et à articuler rythmiquement des épisodes. Mais surtout, lusage varié que certains dramaturges ont fait de cet outil permet aujourdhui de reconstituer des réseaux dauteurs et dœuvres, grâce à lobservation, dans le tissu même des textes, de leurs choix singuliers. Or, à lencontre des écritures narratives dont les remaniements, du xiiie au xve siècle, sont désormais bien étudiés, les analyses sont encore rares sur le phénomène de réécriture au théâtre, en particulier en ce qui concerne le remploi métrique et stylistique. À cet égard, le douzain dHélinand, schéma moins visible que dautres formes fixes mais porteur dune longue histoire, offre à lenquêteur une voie daccès à la fabrique de lœuvre théâtrale au xve siècle.

Estelle Doudet

Université Grenoble Alpes

Institut universitaire de France

Taku Kuroiwa

Université du Tohoku

1 Rutebeuf, Le Miracle de Théophile, dans Œuvres complètes, éd. M. Zink, Paris, Le Livre de Poche / Garnier, 2005, p. 568, tirade p. 568-574, v. 432-539. Sur ce passage, voir la contribution de Gérard Gros au présent dossier.

2 Voir « Douce dame, salut vous mande », Lettres damour du Moyen Âge, les Saluts et Complaintes, sous la dir. de S. Lefèvre et H. Uulders, Paris, Le Livre de Poche, 2016, p. 366-375.

3 H. Chatelain, Recherches sur le vers français au xve siècle, Paris, Champion, 1907, p. 113 ; A. Bernhardt, Die Altfranzösische Helinandstrophe, Münster, Aschendorff, 1912, p. 115-123.

4 Voir par exemple lédition moderne du Mystère du roy Avenir de Jean du Prier, où apparaissent à quatre reprises des strophes dHélinand, non signalées dans lintroduction, à la différence des rondeaux et ballades : Le Mystère du roy Avenir, éd. A. Meiller, Genève/Paris, Droz, 1970, p. xxiii. On peut noter par ailleurs quOmer Jodogne identifie quelquefois le douzain aabaabbbcbbc comme douzain dHélinand dans son édition critique de la Passion dAngers de Jean Michel : voir Jean Michel, Le Mystère de la Passion (Angers 1486), éd. O. Jodogne, Gembloux, Duculot, 1959, p. 163, v. 11825-11848 (deux occurrences) et p. 220, v. 15612-15647 (trois occurrences).

5 Voir notamment D. Smith, X. Leroux et T. Kuroiwa, « Formes fixes, futilités versificatoires ou système de pensée ? », Vers une poétique du discours dramatique médiéval, éd. X. Leroux, Paris, Champion, 2011, p. 121-142 et, des mêmes, « De loral à loral : réflexions sur la transmission écrite des textes dramatiques au Moyen Âge », Médiévales, 59, 2010, p. 17-39.

6 Même si les études précises manquent encore sur ce point, les douzains hélinandiens semblent beaucoup moins fréquents dans les pièces brèves, farces et sotties. Malgré leur présence dans certaines moralités, par exemple Le Concile de Basle (1434), nous les étudierons ici essentiellement dans les mystères, où ils sont le plus fréquemment utilisés.

7 Les douzains des v. 4814-4837 font suite à des rimes suivies et sont prolongés par un sizain aabaab : La Passion de Semur, éd. P. T. Durbin, introduction et notes L. Muir, Leeds, Leeds Medieval Studies, 1981, p. 135.

8 Les autres occurrences du douzain octosyllabique régulier dans cette œuvre apparaissent plutôt au sein de schémas métriques variés ; La Passion dArras, éd. J.-M. Richard, Paris, Picard, 1893, p. 23, v. 1993-2004, p. 46, v. 3987-3998, p. 51, v. 4373-4384, p. 138, v. 11833-11844, p. 196, v. 16884-16895.

9 La Passion dArras, p. 23, v. 1993-2004.

10 La première occurrence appartenant à cette catégorie apparaît au moment du baptême de Jésus (Arnoul Gréban, Mystère de la Passion, éd. O. Jodogne, Bruxelles, Académie des Sciences de Belgique, 1965-1983, t. I, p. 140, v. 10337-10348), les autres au fil des plaintes des Apôtres (t. I, p. 379, v. 28331-28342 et p. 381, 28531-28542). Gréban emploie les douzains décasyllabiques pour la prière de Jésus à la Cène (t. I, p. 244, v. 18341-18352) et pour la plainte sur la mort du Christ (t. I, p. 374, v. 27927-27938).

11 Arnoul Gréban, Mystère de la Passion, v. 10337-10348, v. 28331-28342 et v. 28531-28542.

12 Quelques pièces de la fin du xve siècle échappent néanmoins à cette règle, telle que le Mystère de saint Didier, attribué à Guillaume Flamang et daté de 1482, où sont utilisés deux douzains hétérométriques enchaînés : La Vie et passion de monseigneur sainct Didier, éd. J. Carnandet, Paris, Téchener, 1855, p. 367.

13 Un dizain aabaabbaba (v. 1093-1102), un quatrain double ababbcbc (v. 1103-1110).

14 Par exemple, le long monologue de Madeleine enchaîne plusieurs formes (ababbcbc, aabaabbbcbbc, aabaabbccb et rimes plates) ; il est difficile de discerner la raison du choix dun douzain dHélinand (v. 13787-13798) dans cet ensemble. En revanche, la tirade illustre bien lopposition entre rimes plates et « rithmes croisiees », cest-à-dire toutes les autres combinaisons rimiques, qui fonde le fonctionnement de la versification théâtrale à cette époque. LInfortuné et Pierre Fabri désignent en effet par « rithmes croisiees » dautres schémas que le quatrain abab, par exemple le sizain aabaab : voir LInstructif de la seconde rhétorique, éd. E. Buron, O. Halévy et J.-C. Mühlethaler dans La Muse et le Compas, dir. J.-C. Monferran, Paris, Garnier, 2015, p. 95-97, v. 776-836 et Pierre Fabri, Le Grand et vrai art de pleine rhétorique, éd. A. Héron, Rouen, 1889-1890, t. 2, p. 32.

15 « Quand il est isolé, le sixain semble navoir pas toujours de valeur littéraire ; en particulier dans le Saint Quentin, on passe aussi facilement du cinquain aabab ou ababb au sixain aabaab ou aababb quon était passé du quatrain abab aux deux formes du cinquain que nous venons de citer. Il y a là un élargissement de phrase qui se prête à lexpression dun sentiment grave, dune idée sérieuse, et on ne le rencontre pas dans la bouche des personnages bouffons []. » (Chatelain, Recherches sur le vers français, p. 118). Daprès un examen rapide, lemploi par Jean Michel du douzain aabaabbbcbbc dans la Passion dAngers semble confirmer cette remarque.

16 Le Mystère du Siège dOrléans, éd. G. Gros, Paris, Le Livre de Poche, 2002, tirade de Salisbury, p. 45-48, v. 1-72, puis monologue de Charles dOrléans, p. 48-52, v. 297-356 ; la 4e des cinq strophes est un douzain hélinandien, v. 333-344.

17 LInstructif, p. 98-107.

18 Arnoul Gréban, Mystère de la Passion, par exemple t. I, p. 51, v. 3461-3472, p. 332, v. 24745-24756 ; Eustache Mercadé, La Passion dArras, p. 12, v. 1069-1080. Il arrive aussi que Gréban fragmente un douzain hélinandien entre quatre pasteurs (ex. p. 78, v. 5606-5617).

19 Le Mystère de saint Quentin, éd. H. Chatelain, Saint-Quentin, 1909, 1re journée p. 1-3, douzains dHélinand v. 33-152.

20 Mystère de saint Quentin, 2e journée p. 78, v. 4878-4901, 2 strophes, la 2e énoncée tour à tour par les personnages.

21 Mystère de saint Quentin, 2e journée, p. 134, v. 8280-8303, 2 strophes, chaque personnage énonce un tercet de la 1re et du premier sizain de la 2e, puis dit tour à tour un vers du dernier sizain ; citation v. 8298-8303.

22 Jacques Milet, LIstoire de la Destruction de Troye la Grant, transcription E. Stengel, Marburg/Paris, 1883, p. 55, v. 3042-3053.

23 Destruction de Troie, p. 320, v. 20275-20286.

24 Mystère de saint Quentin, 1re journée p. 3, v. 153.

25 C. Thiry, « Pour faire… misteres bien limitez : observations sur la versification du Mystère de saint Martin dAndré de La Vigne », « Pour acquerir honneur et pris ». Mélanges de moyen français offerts à Giuseppe Di Stefano, éd. M. Colombo Timelli et C. Galderisi, Montréal, CERES, 2004, p. 423-435.

26 Andrieu de la Vigne, Le Mystère de saint Martin, éd. A. Duplat, Genève, Droz, 1979, p. 393.

27 Mystère de saint Martin, v. 6100-6106.

28 On peut en prendre pour exemples, entre autres, Li Loenge Nostre Dame de Robert le Clerc dArras (éd. A. Brasseur, Genève, Droz, 2013) ou La Voie dEnfer et de Paradis de Jean de le Mote, récemment analysée par S. Menegaldo, Le dernier ménestrel ? Jean de le Mote, une poétique en transition (autour de 1340), Genève, Droz, 2015, p. 242-257 sur la strophe dHélinand dans cette œuvre.

29 L. Selaf, « La strophe dHélinand : sur les contraintes dune forme médiévale », Formes strophiques simples, dir. L. Selaf, P. Noel Aziz Hanna, J. van Driel, Budapest, Akademiai Kiado, 2010, p. 73-92 : « on peut soupçonner que la motivation dutiliser cette forme spécifique était le ton solennel, tragique ou majestueux que les auteurs voulaient assurer à linsertion strophique, déclamée par un personnage du drame. » (p. 78). Nous nous accordons au caractère prudent de cette hypothèse.

30 Nous empruntons la notion dembrayeur aux analyses de la vectorisation dans les arts du spectacle développées entre autres par Patrice Pavis (Lanalyse des spectacles, Paris, Nathan, 1996), mais sans appliquer strictement une grille dinterprétation mal adaptée aux réalités théâtrales du xve siècle.

31 « Las, que feray je, desolee ? », deux douzains hélinandiens : Le Livre et mistere du glorieux seigneur et martir saint Adrien, éd. É. Picot, Mâcon, 1895, p. 118, v. 6112-6135.

32 Siège dOrléans, v. 333-344 ; Saint Quentin, v. 4878-4901 ; Saint Didier, v. 227-238.

33 André de la Vigne, Mystère de saint Martin, p. 392-393, v. 6076-6099.

34 Passion dArras, v. 4373-4384 ; Saint Quentin, v. 14785-14796.

35 Destruction de Troie, v. 20902-20925, Penthésilée énonce deux douzains incitant au combat : « Lors les damoiselles de Panthasilee despouilleront leurs vestements et prendront leurs armeures et puis dit : Galienne, ma doulce amie, / prenez lestandart, je vous prie… » ; Siège dOrléans, v. 17392-17414, deux strophes prononcées par Jeanne pour prendre Beaugency, non incluses dans lédition de G. Gros.

36 Destruction de Troie, v. 6647-6658, Priam ouvre le conseil des Troyens par une strophe dHélinand précédant un douzain aabaabbbcbbc ; v. 11291-11302, Agamemnon ouvre le conseil des Grecs par un douzain aabaabbbcbbc suivi par une strophe dHélinand. Les deux occurrences sont construites selon la double logique de renversement rythmique et de lien thématique déjà remarquée dans cette pièce. Dans le Siège dOrléans, v. 14872-14883, Charles VII prononce un douzain pour lancer le débat sur le sacre à Reims, strophe non incluse dans lédition de G. Gros.

37 Les énonciateurs du douzain sont, entre autres, dans ces deux pièces : chez Mercadé, lAnge Gabriel, Marie, Siméon, Jésus et saint Jean ; chez Gréban, le Prologueur, lAnge Gabriel, Marie, Joseph, les Bergers, saint Jean-Baptiste, Madeleine, Jésus, Adam, Ève, Marie-Salomé, saint Jean, saint Jacque Alphey, saint Pierre, saint Jean lÉvangéliste, Barthélemy, saint Thomas, saint Simon, saint Mathieu, saint Jacques et saint André.

38 Lune des exceptions dans le corpus étudié est Marcellin lapostat dans le Mystère de saint Quentin ; néanmoins, ses deux emplois de la strophe dHélinand sont une prière énoncée avant son reniement de la foi chrétienne puis lexpression amère de son repentir. Jean Michel, remanieur de la Passion de Gréban, sécarte lui aussi de cette tendance générale, comme on le verra plus loin.

39 La Passion de Semur, p. 135, v. 4814-4819.

40 Sur cette hypothèse, voir Thiry, « Pour faire… misteres bien limitez ».

41 Divers procédés de récriture chez Gréban ont été étudiés par Darwin Smith, « Arnoul Gréban et lexpérience théâtrale ou luniversitaire naissance des mystères », Vers une poétique du discours dramatique, éd. Leroux, p. 185-224.

42 Gréban exploite plus abondamment que Mercadé la juxtaposition et la semi-juxtaposition des douzains dHélinand, en variant souvent le nombre de syllabes. Une telle recherche des effets sonores est à mettre en lien avec un raffinement des rimes plus accentué dans la Passion dAbbeville que dans celle dArras : voir T. Kuroiwa, « Les rimes dans la Passion dArras et dans le Mystère de la Passion dArnoul Gréban : un essai de contribution aux études comparatives », Sens, Rhétorique et Musique. Études réunies en hommage à Jacqueline Cerquiglini-Toulet, éd. S. Lefèvre et al., Paris, Champion, 2016, t. 1, p. 405-419.

43 Jean Michel, Le Mystère de la Passion, p. 25, v. 2052-2063 (saint Jean-Baptiste lors du baptême de Jésus), p. 273, v. 19260-19271 (Jésus lors de la Cène), p. 398, v. 27180-27191 (Notre-Dame aux pieds du Christ crucifié).

44 Jean Michel, Le Mystère de la Passion, p. 64, v. 4837-4848, p. 370, v. 25355-25390 (juxtaposés).

45 Sur cette notion, voir J. David Bolter et R. Grusin, Remediation. Understanding New Media, Cambridge (MA), MIT Press, 1999.