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Classiques Garnier

Le Miracle de Théophile de Rutebeuf et la prière du clerc

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2018 – 2, n° 36
    . varia
  • Auteur : Gros (Gérard)
  • Résumé : Le douzain d’Hélinand, Rutebeuf le pratique presque aussi familièrement que sa spécialité formelle, le « tercet coué ». Dans Le Miracle de Théophile, La Prière du clerc, indissociable de La Repentance qui la précède, est écrite dans ce gabarit mais avec un mètre court, ce qui répond à un souci de nouveauté. Quant aux thèmes et motifs de cette oraison, c’est sans surprise qu’ils rappellent Gautier de Coinci, qu’on devine avoir été lecteur d’Hélinand, même s’il n’a pas pratiqué la célèbre strophe.
  • Pages : 71 à 89
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406089537
  • ISBN : 978-2-406-08953-7
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08953-7.p.0071
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/01/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Le Miracle de Théophile
de Rutebeuf et la prière du clerc

Depuis au moins Le Jeu dAdam, le texte dramatique en langue romane agence des formes poétiques diverses et si possible originales. Au Miracle de Théophile de Rutebeuf1, avec la forme (très familière à lauteur) du « tercet coué » se combinent entre autres le quatrain monorime dalexandrins et, de façon tout à fait singulière, le douzain dHélinand – en vers courts. On constate que, quelque surprenant et nouveau que soit ce dernier gabarit, sous cette forme, en ces termes, nulle part ailleurs que dans le texte du Miracle on ne retrouve, à titre de spécimen de prière et dans un recueil de chefs-dœuvre, un exemplaire de cette oraison2. À quelles fins Rutebeuf, au besoin sur commande, a-t-il ainsi composé ? La supplique en douzains dHélinand appartient à un ensemble dont on peut se demander sil est possible den reconstituer sans artifice la cohérence. Ensuite, linfluence de Gautier de Coinci qui, trois décennies plus tôt, publiait une histoire de Théophile (et toutefois na rien composé dans le gabarit dHélinand) est-elle assurée ? Quelle importance, enfin, Rutebeuf accordait-il à cette séquence de son miracle dramatique où sinverse le destin du clerc ?

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Repentance et Prière du clerc

La prière du clerc Théophile appartient à une séquence et sans doute en est-elle inséparable. Elle est précédée par les longs quatrains dun repentir dont un oubli de soi de plus de sept années3 justifie la densité, lampleur et linsistance. À lappui de cette association des deux textes, il y a dabord la scénographie : La Repentance et La Prière ont pour cadre un même et unique lieu théâtral, « une chapele de Nostre Dame4 » où, sitôt entré, le malheureux saccuse et se confesse à voix haute. Il est possible, pour transition, denvisager un déplacement du pénitent entre ce confiteor et la prière mariale, au moment où la didascalie précise : « Cest la proiere que Theophiles dist devant Nostre Dame » (v. 431). Efficace, alors, est ce long et fervent propos, poignant à la fin, puisque, juste après que le clerc sest tu, le texte indique : « Ici parole Nostre Dame a Theophile et dist » (v. 539) – faut-il en conséquence envisager une animation de la statue même, une métamorphose en personne de leffigie ?

Si lidentité de lieu réunit les deux textes strophiques, un fait codicologique et générique à la fois confirme lunité de lensemble : au manuscrit de Paris, BNF, fr. 16355, où se trouve la seconde copie, partielle, de ce Miracle6 – une copie du reste choisie, de portée édifiante et de caractère religieux –, sont conservés seulement, du folio 83rb au folio 84vb, les vers 384 à 539 de lœuvre, autrement dit La Repentance et La Prière7. On voit la parenté, lindissociabilité de ces deux improvisations confidentielles très écrites, autant dire exemplaires.

Cependant, comme il sagit, pour la première fois, dun « Miracle de Notre-Dame par personnages » (autrement dit nouvellement préparé pour la scène), et du fait même de la convention théâtrale, on attend 73de chacun des « acteurs », en temps et lieu, quil sexprime de manière originale, en fonction de son état dâme et simplement de son état. Lautonomie du propos se signale éventuellement par un changement de forme. Ici et maintenant, celui qui prie la Vierge est un autre homme que celui qui vient dimplorer miséricorde ; ou plus exactement, qui se repent devient, régénéré par son examen de conscience et si possible par la grâce, un homme nouveau. Gautier de Coinci, dont à présent Rutebeuf adapte et condense la première œuvre, lavait déclaré dans son dernier traité, LEpistele Gautier8. La pénitence vous rajeunit et détache lâme, en quelque sorte immunisée contre les dégâts voulus par le diable ; au-delà de la mort inéluctable, est bien en cause lalternative de la damnation ou du salut pour léternité :

Jetonz tout puer nostre viez oevre.

Comme serpenz, comme culuevre,

Qui sa viez roiffe jete fors, *« dépouille »

Renjonissons ammes et cors.

Par penitance qui escraffe *« écaille »

Sen viez pechié, sa viez escraffe, *« squame »

Il senjonist et renouvele

Et si fait same blanche et bele. (v. 1665-1672)

Du point de vue de la structure et du rythme, apparemment La Repentance et La Prière sont sans commune mesure. Il y a contention et tension dans le premier texte, ce discours daveu composé de douze quatrains monorimes dalexandrins. Cest la forme F dans la nomenclature dEdmond Faral et de Julia Bastin9. Les éditeurs écrivent à son sujet :

Cette forme, utilisée dans un grand nombre de pièces dinspiration variée, a beaucoup servi, spécialement lorsquil sagissait de sujets moraux : et cest ainsi quen a usé Rutebeuf dans le passage du Miracle de Théophile où le pécheur prononce sa « repentance ».

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Et dajouter :

Mais dans quatre pièces quil a écrites tout entières selon ce type lon reconnaît plus particulièrement lintention de propagande : peut-être le dur martellement des quatre dodécasyllabes du quatrain lui a-t-il semblé favorable pour imprimer sa conviction et ses formules dans lesprit des auditoires même les plus simples10.

Ces cinq – et non « quatre » – pièces de Rutebeuf sont, dans lordre de la publication : Le Dit des cordeliers (25 strophes), Des Jacobins (16 strophes), La Vie du monde (43 strophes), Le Dit de Pouille (15 strophes) et La Voie de Tunes (34 strophes)11.

Pour résumer et le dire en un mot, La Repentance est un dit en alexandrins « sentencieux12 ». À titre de confirmation, sur le ton (et la solennité dintention) de ces strophes : au Miracle de Théophile, cest aussi dans cette forme quaura été rédigée, par Satan, la « lettre commune13 » statuant sur le sort de Théophile14, à savoir ce texte en quatre strophes lu par lévêque au peuple à la fin de lœuvre15.

Après plus de sept années de fourvoiement moral et religieux, La Repentance arrive enfin, mieux vaut tard que jamais : voici venue lheure des comptes, et lafflux des regrets accablants. Que dimages, de métaphores accumulées pour dépeindre une conscience obsédée par son abjection jusquà légarement ! De proche et proche la paronomase enferme le malheureux dans loutrance avec laquelle il saccuse. Il va de soi que le quatrain monorime et le nombre de lalexandrin se prêtent à cette surabondance qui dénigre et qui juge avec lucidité.

Par exemple, au même quatrain, sur chans, rente et char :

Sathan, plus de set anz ai tenu ton sentier ;

Maus chans mont fet chanter li vin de mon chantier ;

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Molt felonesse rente men rendront mi rentier,

Ma char charpenteront li felon charpentier. (v. 404-407)

Ou bien, encore en un même quatrain, sur ors et mors (mais chacun des couplets mériterait dêtre cité) :

Ors sui et ordoiez doit aler en ordure ;

Ordement ai ouvré, ce set cil qui or dure

Et qui toz jours durra : sen avrai la mort dure.

Maufez, com mavez mors de mauvese morsure ! (v. 416-419)

Paronomase et rime équivoquée, la recherche du timbre par composition lexicale, dérivation, etc., lopiniâtre exploration du fonds sémantique, lalliance du son et du sens, enfin la visée du propos rapprochent, au moins dans cette occurrence où le clerc se repent, le présent usage du quatrain monorime avec la fameuse annominatio que le prédécesseur Gautier de Coinci, cherchant la similitude en usant de la diversité des rimes autour dun noyau de sens, ne se privait pas demployer en conclusion partielle ou totale de ses Miracles16. Il nest pas étonnant que la même sorte de recherche rhétorique persiste plus loin, comme on le verra bientôt, dans la Prière à Notre-Dame.

Série de quatrains et douzains dHélinand

Cependant, recueilli dans lun ou lautre des manuscrits (lun plus luxueux que lautre) hébergeant lœuvre de Rutebeuf, Théophile évidemment relevait aussi du théâtre à lire. Or douze quatrains monorimes dalexandrins, le volume de La Repentance, ce sont, à bien calculer, 48 vers – ou encore, évidemment, 96 hémistiches. Au demeurant, dans le second témoin (partiel) de lœuvre, le manuscrit BNF, fr. 1635, la copie de cette Repentance consiste en douze huitains dhexasyllabes : entre Repentance et Prière, les deux textes successifs, semble simposer delle-même une correspondance au point de vue du mètre. Admettons toutefois que lobservation nest 76pas décisive, étant donné que, dans ce manuscrit, la page comporte deux colonnes. Il faudrait se demander néanmoins si les habitudes décriture à lépoque présentent ordinairement ou non sur deux lignes lalexandrin.

Certains de ces hémistiches ont une terminaison féminine. Lorsque cest le cas, en première moitié de vers, Rutebeuf pratique toujours la césure épique17. Ainsi, par leur nature comme par leur disposition, ces hémistiches annoncent et préfigurent les hexasyllabes féminins – majoritaires – dans La Prière en douzains dHélinand qui suit.

Ajoutons que dans lalexandrin le quadrimètre apparaît, plus ou moins frappé, fréquemment18 : ce sont quatre fois trois syllabes, comme la strophe dHélinand compte, avec la disposition des rimes, quatre « quartiers », qui sont des tercets ; pour le dodécasyllabe il peut sagir, à partir dun rythme dominant, dun schéma, tout à fait inconscient probablement, délaboration, fondé sur une cadence bien assimilée.

Dautres affinités quon peut rapporter aux proportions du premier poème et, pour le second, à lunité strophique, apparentent Repentance et Prière. La Repentance comprend autant de strophes que la strophe dHélinand de vers. Il serait aventuré de solliciter à lexcès la numérologie ; du reste la douzaine de quatrains ne se partage pas en « quartiers ». Cependant on sait la portée spéculaire du douzain à rimes entrelacées : linversion du schéma des rimes au second sixain satisfait à la notion de reflet, de réflection, de réversibilité, de nécessaire évolution.

Ces douze strophes de La Repentance illustrent le caractère térébrant du remords, et pas seulement : elles exposent le désespoir dun malheureux qui na pas cessé de croire, ou vient à résipiscence après un long oubli. Cest ainsi quau poème, en fait de structure, on discerne, avec un échange espéré, deux parties égales, la seconde offrant compensation définitive à la première, comme on devine ou soupçonne un renversement, un changement, voire une révolution à la charnière des deux sixains dans le douzain dHélinand. Cest, dans cette Repentance, au septième quatrain – juste au commencement de la seconde moitié – quon voit sourdre au sujet de lâme un impossible souhait : « Nos demander la Dame quele ne soit dampnee » (v. 409).

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Paronomase à lappui, ce souhait se présente et se développe à la strophe suivante (en son second distique) avec des douceurs de mirage :

Sor mosoie baillier a la douce baillie,

Gi seroie bailliez et mame ja baillie. (v. 414-415)

Ce souhait, au douzième et dernier quatrain, se confirme et se justifie, la foi, ou le retour à la foi – la vérité même de Théophile, daprès son nom –, donnant au malheureux la hardiesse de tenter linouï, demander pardon, quelle que soit lindignité dont il saccuse, à la Vierge Marie :

Je nos Dieu ne ses saintes ne ses sainz reclamer,

Ne la tresdouce Dame que chascuns doit amer.

Mes por ce quen li na felonie namer,

Se je li cri merci, nus ne men doit blasmer. (v. 428-431)

Chaque fois, depuis le renversement de perspective opéré dans cette Repentance, et non sans réticence et retenue, Théophile parle doser. Voilà ce quau fil des Miracles de Notre-Dame, et même avant un Gautier de Coinci, la notion de hardiesse, et, pourquoi pas, de prouesse, avec la redéfinition (cléricale) du « preudomme », est devenue : cet idéal accessible, espéré, de rédemption promise à tout un chacun. Loin dénumérer, fastidieux, ses manquements, Théophile (à la manière dun Roland dans la Chanson éponyme) évidemment vient de sen tenir à ce péché majeur, une trahison sans circonstance atténuante et propre à son état. Lui qui savait, en tant que clerc, et nétait nullement innocent, sest jugé impardonnable et méritant lenfer mieux que personne ; en tant que clerc aussi, plus que personne il est porté à dépasser linexorable, à croire en lefficacité de Notre-Dame. Une telle condition comporte à la fois de la grandeur et de la misère. Il va de soi que derrière laventure légendaire dun Théophile, on peut apercevoir ou même identifier tout auteur angoissé par la gravité de la parole, éventuellement tourmenté par sa réussite semant le mal et précipitant la damnation. Rutebeuf se laisse entrevoir, en profil perdu, dans lombre du clerc failli. Pour en finir avec cette esquisse de formule en miroir où sillustre la dynamique de La Repentance : en somme, au point de vue de la thématique morale, en termes chrétiens, lenvers du désespoir est ce désir éperdu de labsolution. La Repentance annonce La Prière avec une espèce de nécessité.

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Au point de vue psychologique et dune certaine façon, cest un pénitent à bout de souffle qui sest livré, mais exempt maintenant de panique et, sinon tout à fait apaisé, assuré du moins dune espérance retrouvée. Lutilité de la prière est ainsi démontrée delle-même. Elle se fonde sur la conviction que lavenir meilleur est probable. Après quen homme lige il a cerné lerreur de son engagement vassalique et lentorse à la foi, Théophile aspire avec un sentiment durgence au changement : projeter un nouvel hommage, cest rejeter le dommage ancien. Lobéissance vassalique implique une orientation nouvelle.

Au texte théâtral, en même temps, le propos saccompagne du geste si même il ne saccomplit par lui. En son attitude telle quon limagine, à genoux et mains jointes, le priant, à la fois suppliant et obligé, réunit dans une même gravité solennelle hommage et prière. Ainsi, lors du passage à loraison, la réduction du mètre et la fraîcheur du propos se justifient aussi par létat moral et régénéré du suppliant. La suzeraine est en effet sans exemple ici-bas. Théophile naffirmait-il pas, dans le quatrain final de La Repentance, quamer Marie promet le contraire de lamer ? En privilège incomparable, il appartient à la Vierge Marie dêtre tenue pour la suzeraine universelle – « Notre-Dame » est bien le titre qui partout se propage – et dêtre chantée, puisque son amour est toute douceur, au rebours de toute affection dici-bas, comme la fine fleur de la féminité. Dès le premier mot de La Prière, inaugurant son propos, ce monologue qui finit en dialogue ou du moins réussit à le susciter, le suppliant sadresse à la Roÿne. La hardiesse de lapostrophe est autorisée par la bienveillance de Notre-Dame. Elle est en effet laffabilité même (on nose recourir au terme de « bénévolence ») et saccommode à ce titre dune chaleureuse familiarité ; cest ainsi que dans le second manuscrit, le vers initial de La Prière est : « Sainte Marie belle19… » Y aurait-il dans le cœur de ce clerc des linéaments ou souvenirs de fine amor lyrique ?

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Rigueur formelle et variation thématique

Il semblerait cependant quavec cette innovation du mètre court, le maniement du gabarit par Rutebeuf soit strict, ici, plutôt rigoureux. Voilà qui justifie pleinement, et même illustre à merveille ce quécrivaient Edmond Faral et Julia Bastin sur la netteté de structure de ce douzain20 :

Dans la strophe du type E4 (strophe dHélinand), lon peut, daprès la combinaison des rimes, distinguer deux parties, chacune de six vers ; et de fait, chez Rutebeuf comme chez ses devanciers et ses contemporains, lon remarque généralement une coupe forte après le sixième vers. (…) Si la coupe est ordinaire, lexplication sen trouve dans le processus de linvention poétique : lauteur, en présence dune forme métrique compliquée, a divisé la difficulté ; il a arrangé lexpression de sa pensée de manière à en enfermer un premier élément, formant un tout grammatical, dans la première partie de la strophe et un second élément dans la seconde partie. Ce quon saisit donc ici, cest, sur le vif, lopération de lécrivain adaptant sa rédaction avec le plus de commodité au cadre de la formule strophique.

En dautres termes, avec le moule que ce gabarit constitue pour lexpression poétique, il ne convient pas de mettre la forme en tutelle du propos, mais de conformer lexpression au gabarit que définit avec une espèce dimmuabilité sa structure : il sagit bien, pour reprendre le titre dun bel essai publié naguère par Robert Guiette, Dune poésie formelle21.

Au vrai, les éditeurs citent pour exception les strophes iv et IX de cette Prière (en précisant, pour ce dernier cas, si ce nest pour les deux exemples : « douteux »). Admettons en effet que la pertinence de la coupe entre sixains (car il y a coupe) est assurée par le sens de la phrase et le mouvement du propos monologué plus que par la syntaxe22. Ajoutons que dans les « Poésies personnelles », sous la plume de Rutebeuf et moyennant son talent, le gabarit du douzain dHélinand se présente autrement assoupli, diversifié, transformé presque originalement23. Tout 80au plus observe-t-on, dans cette Prière, entre tercets, dans un même sixain, quelque effacement de la coupe, et par conséquent un peu de souplesse ou de fluidité, par exemple aux vers 464-465 de la troisième strophe24, aux vers 512-513 de la septième25, et aux vers 524-525 du huitième douzain26 : dans ces exemples lenjambement vient du cours de la phrase en son développement syntaxique de construction simple27.

Dans cette Prière, observant avec application le schéma prosodique à maîtriser, mais non moins tendue vers la nouveauté, probablement voit-on se fortifier – dans une forme où leffet dinsistance, avec la brièveté du mètre et lidentité de la rime, sert lexemplarité – cette attitude spirituelle et morale assimilable à laudace des humbles (en effet, se repentant après tant de prépondérance et demportement, cest une cure dhumilité quaccepte Théophile) : à savoir prier la Vierge en implorant ses grâces. Ainsi, ne sachant à quel saint se vouer, quand tout, sauf lespérance improbable en ce monde mais non dans lautre, est perdu, le malheureux, inquiet, prie Notre-Dame. La confiance est plénière au point que la promesse de vie éternelle et de joie inouïe (du moment que le personnage y croit) devient certitude. On passe au second sixain (de la strophe initiale) dune vérité générale et dobservation commune à la demande particulière ; la conviction du salut pour le dévot de Notre-Dame est rendue par le mode indicatif au futur. Au nom dune propriété de cette roïne, pucelle et dame à la fois, cest-à-dire une « vertu », rendue par la métaphore en somme primordiale de la fontaine, une « source » aussi généreusement quantifiée que délicatement qualifiée – saine et donc régénérante au demeurant – Théophile adresse à la suzeraine un souhait aussi déterminé que pressant, comme le passage au tutoiement en fait foi :

Qua vous son cuer amaine

Ou pardurable raine

Avra joie novele.

Arousable fontaine

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Et delitable et saine

A ton Filz me rapele ! (v. 438-443)

Voilà qui, peut-être, au nom de la fraîcheur affective en ce moment propice, et sous le signe dune certaine innocence, explique le choix de la brièveté, pour un mètre mimant et inspirant liesse et spontanéité.

Il faut cependant au clerc déchu, détourné voilà bien longtemps du surnaturel supérieur, traverser des strates épaisses de séparation pour renouer le dialogue, et simplement pour attirer lattention de linterlocutrice quon sait être aussi bien dame dindulgence que femme de caractère. Il est vrai que Théophile, offrant maintenant ses services à la suzeraine, oriente autrement son hommage, explicitement, rêvant dailleurs de susciter un acquiescement :

Dame, or te faz hommage :

Torne ton douz visage. (v. 486-487)

Avec des variantes dimages et de motifs dont il nest pas plus ignorant que parcimonieux, Théophile persévère dans sa demande : il la justifie au nom de la miséricorde de la Vierge, ou bien flétrissant, par la sincérité de son repentir, sa propre indignité. Par le partage en deux sixains, la strophe se prête particulièrement, de façon réitérée, à cette structure : expression de la louange ou regret de lindignité, puis demande de réhabilitation. Pour envisager maintenant la Prière dans sa totalité, Rutebeuf, en définitive, applique à cette neuvaine et dun bout à lautre un art de la variante.

La raison dinvoquer la Vierge est évidemment le privilège de lIncarnation, soutenu par le mystère de la virginité perpétuelle, et mérité aussi par un abandon sans limite ni réticence à la volonté de Dieu : Notre-Dame en tant que mater Dei est bien de tradition lavocate du genre humain, tenue pour infaillible dans lobtention du salut. Cet argument, le malheureux clerc lénonce et le réitère avant de formuler et de répéter sa quête. Or, nétait la nouveauté de la forme (en particulier, nonobstant la gravité du sujet, le mètre bref), on se lasserait de linsistance du plaignant. Mais Rutebeuf, en bon disciple des troubadours, procède, y compris dans la formulation de lidée, par variations. Le clerc appuie sa demande sur lincomparable statut de Notre-Dame entre les saints et saintes, et par conséquent sur lécoute quElle sait pouvoir 82attendre du Juge, Dieu son Fils : aussi la louange est-elle simplement la reconnaissance dun état de fait ; la juste mesure, en loccurrence, exige lhyperbole. Rutebeuf, partageant le propos entre louange et demande, emploie plusieurs registres ; entre autres celui du surnaturel chrétien quil accommode (en bon clerc) à la mode classique :

Dame de charité

Qui par humilité

Portas nostre salu,

Qui toz nous a geté

De duel et de vilté

Et denferne palu,

Dame, je te salu !

Ton salu ma valu,

Jel sai de verité ;

Gar quavec Tentalu28

En enfer le jalu

Ne praingne merité. (v. 468-479)

Le douzain, strictement, se partage entre apostrophe et demande, entre la reconnaissance des pouvoirs inimaginables de Notre-Dame et la pétition propre à détourner lépouvante et la perdition : dune part, la louange préliminaire est explicitée par deux propositions relatives (dont la seconde occupe entier le deuxième tercet) ; la pétition personnelle est dautre part inaugurée par une rupture, avec cette intervention du moi disant « Dame, je te salu », où lorant, plus ou moins, paraphrase en son commencement lAve Marïa ; puis ce second sixain développe avec originalité le souhait déchapper à la terreur de lenfer, éveillée dailleurs avec cet enferne palu qui clôt le premier sixain mais qui suscite aussi la référence classique de Tentalu.

Concédant la parole au clerc, lauteur recourt avec un peu de science à la semblance. Il exalte en effet la précellence de la Vierge avec une comparaison dordre physique toute de transparence et de lumière, la verriere ou verrine, à savoir le « vitrail », que le rayon de soleil traverse 83sans le détériorer. Limage empruntée, commentée, modifiée maintes fois, est propre à faire entendre – en quelque sorte scientifiquement, moyennant une analogie où lEsprit Saint est figuré par le rayon – lIncarnation virginale29 :

Si comme en la verriere

Entre et reva arriere

Li solaus que nentame,

Ainsinc fus virge entiere

Quant Diex, qui es ciex iere,

Fist de toi mere et dame.

Ha ! resplendissant jame,

Tendre et piteuse fame,

Car entent ma proiere,

Que mon vil cors et mame

De pardurable flame

Rapelaisses arriere. (v. 492-503)

Cette semblance du vitrail est ailleurs attestée dans lœuvre de Rutebeuf telle quelle nous est parvenue : on la rencontre dans cette Chanson de Nostre Dame (v. 37-45), où la présentation du symbole, analogue à celle quon lit dans La Prière du clerc Théophile, amène, à la faveur dun contre-rejet habile, en un quintil de pentasyllabes, un chant litanique et presque une définition de la virginité perpétuelle de Marie :

Si com hom voit le soloil toute jor

Quen la verriere entre et ist et sen va,

Ne lempire tant i fiere a sejour,

Ainsi vos di quë onques nempira

La vierge Marie :

Vierge fu norrie,

Vierge Dieu porta,

Vierge laleta,

Vierge fu sa vie.

Dans les Neuf Joies, attribuées sans certitude indiscutable à Rutebeuf (et du reste rangées sous la rubrique des « Poèmes dattribution douteuse » par Michel Zink30), limage de la verrière intègre et translucide 84est associée, dans une sorte de « Vie de la Vierge » (v. 173-176), à la péripétie de lAnnonciation (par conséquent de lIncarnation), la première des « Joies ».

Dans ce douzain de La Prière inauguré par limage de la verriere, il est superflu dinsister à nouveau sur le partage en sixains. Presque pléonastique est cependant limage précieuse, lumineuse et pure, à lorée du second sixain, qualifiant Marie de resplendissant jame, alors que se fortifie le contraste en son honneur, cette gemme lumineuse entre toutes illustrant une personne – tendre et piteuse fame, écrit Rutebeuf – accessible entre toutes à la pitié : le poète évoque une qualité permanente et dont le caractère exceptionnel explique une expression quasi redondante, alors que la pierre précieuse, en puissance, annonce et contient la théorie des images à venir, de lumière intérieure et de salut.

Rutebeuf et Gautier de Coinci

Au détour de cette oraison, se laisse discerner, à ce quil semble, un discret hommage au maître, ou à lun des principaux maîtres : Gautier de Coinci. Micheline de Combarieu, voilà plusieurs décennies, procédait à la comparaison minutieuse de laction du diable (autant dire : lessentiel) aux deux Miracles en langue vernaculaire31, lun narratif amplement sous la plume du moine-écrivain, le second cursivement dramatique et presque syncopé dans le montage dun Rutebeuf32 inaugurant la catégorie du Miracle marial pour la scène et, certainement en loccurrence, œuvrant sur commande.

Il y a, dès la deuxième strophe, en charnière des sixains, cette notion denchantement dont, au dam de lhomme, use le diable afin de le détruire en lensorcelant, tandis que le suppliant attend de la Vierge quelle le délivre de ce charme :

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En vostre douz service

Fu ja mentente mise*, *« Je me suis, naguère, appliqué »

Més trop tost fui temptez.

Par celui qui atise

Le mal, et le bien brise,

Sui trop fort enchantez.

Car me desenchantez,

Que vostre volentez

Est plaine de franchise, *« Nest que générosité »

Ou de granz orfentez

Sera mes cors rentez *« Ou de la misère même sera doté mon corps »

Devant la fort justice. (v. 444-455)

Inutile dinvoquer, en charnière aux sixains, la commodité de cette rime grammaticale par antinomie, tandis que leffet de sens gagne en force. Au cours de son Théophile, avant Rutebeuf, le moine-auteur, à propos du Juif qui livre le clerc au diable et pour évoquer son savoir ésotérique et funeste, en un mot sa maîtrise du sortilège, employait le terme, péjoratif vraisemblablement, denchanterie33. Mais, dès le premier de ses poèmes lyriques (et donc à lorée de son œuvre), attestant la conversion spirituelle et justifiant, en conséquence, louvrage de contrafacture, Gautier déplorait la puissance, à présent dépassée, de cet enchantement :

Amors, qui seit bien enchanter,

As pluisors fait tel chant chanter

Dont les ames deschantent.

Je ne veil mais chanter tel chant,

Mais por celi novel chant chant

De cui li angle chantent.

Chantez de li, tuit chanteür.

Senchanterez lenchanteür

Qui sovent nos enchante.

Se de la mere Dieu chantez,

Tous enchantanz iert enchantez.

Buer fu nez qui en chante34.

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Voici maintenant la huitième et pénultième strophe de La Prière ; elle ne déroge à lensemble ni par la netteté de la construction, ni par lart de la variation :

En vilté, en ordure,

En vie trop obscure

Ai esté lonc termine ;

Roïne nete et pure,

Quar me pren en ta cure

Et si me medecine.

Par ta vertu devine

Quadés est enterine,

Fai dedenz mon cuer luire

La clarté pure et fine,

Et les iex menlumine,

Que ne me voi conduire. (v. 516-527)

Le partage entre sixains, et mieux même, en quartiers, est net (avec cette fluidité, relevée déjà, du troisième au dernier). Limage prévaut, témoin lévocation de cette obscurité morale où longtemps aura duré le plaignant ; le motif était déjà contenu en germe dans cette exclamation de resplendissant jame évoquée plus haut pour illustrer les prestiges de Marie. La structure spéculaire est dune netteté rare en ce douzain : le noyau consiste dans les soins désirés, presque acquis, de la Vierge, et le contraste entre létat présent du patient et la cessation de sa cécité spirituelle et morale. Ce contraste, rejeté aux extrémités, supposant évolution jusquà la guérison, joue sur la gamme des images opposant noirceur et lumière, une lumière offerte au pécheur et renouvelable toujours. Au demeurant, LAve Maria Rutebeuf, dans sa paraphrase de la prière usuelle et, du reste, juste après avoir rappelé lhistoire de Théophile, en parle succinctement dans lun de ses « tercets coués » :

Gracïa plena estes toute :

Qui ce ne croit, il ne voit goute

Et le compere. (v. 73-75)

Ainsi, lordure du péché soppose à la pureté pérenne et foncière de la Vierge ; au nom de cette netteté (supposant aussi la bienveillance 87inépuisée de la mère du Christ), le clerc attend de la Vierge Marie quelle le medecine (tel est le maître-mot, final, au premier sixain). Rutebeuf au demeurant ne craint pas de rappeler à Notre-Dame – intercesseur, intermédiaire, et par conséquent obtenant de son Fils les miracles et ne les faisant pas – [s]a vertu devine35 : en peu de mots, conformément dailleurs à la foi populaire, cest beaucoup lui attribuer. Notre-Dame laura par conséquent, selon le vœu le plus cher de ce malheureux, pris en [s]a cure. On reconnaît un motif employé, somptueusement développé, après Gautier de Coinci36, dans La Mort Rutebeuf37 ; et naturellement se confirme ici la correspondance entre le sort du clerc ayant la scène pour tribune et le repentir sans désespoir du malheureux auteur.

Pour en finir, on sait dautre part à quel point Gautier le prédécesseur aimait achever ses textes narratifs en bouquets de feux dartifice – en travaillant lannominatio, donc en filant le jeu de mots pour des conclusions partielles ou définitives. En ces temps-là, dhumilité sacerdotale (et de vacance du droit) quant à la propriété littéraire, un tel procédé propre à aiguiser la virtuosité, pouvait dailleurs passer pour une marque de fabrique, une sorte de signature indélébile, inimitable du moine apposant sur lobjet fini le label de lexcellence. Rutebeuf paraît avoir non seulement retenu la leçon, mais souhaité la renouveler au dernier douzain de sa prière, en jonglant à sa manière avec les homophones, employés à certaines formes verbales, à toutes fins choisies : preer (« piller ») / proier (« prier »), puis veer (« défendre ») / veoir (« voir »). Ce qui donne :

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Li proieres qui proie

Ma ja mis en sa proie ;

Pris serai et preez :

Trop asprement masproie.

Dame, ton chier Filz proie

Que soie despreez ;

Dame, car leur veez,

Qui mes mesfez veez,

Que navoie a leur voie.

Vous qui lasus seez,

Mame leur deveez,

Que nus daus ne la voie38.

En dautres termes, Rutebeuf use du procédé rhétorique en espérant pouvoir contrer le danger par lantidote, neutraliser le mal par son remède, opposer à Satan Notre-Dame. Au demeurant, la situation reste préoccupante au point daffoler, dans une solitude un peu hallucinée, le suppliant, témoin ce glissement, au septième vers, du nombre singulier au pluriel à lévocation des présences prédatrices qui menacent le malheureux. Mais, avec lappui de sa conviction, la force de son repentir et la liberté de sa foi, Théophile, ainsi désolé, sait pouvoir être consolé. Au passage on relève preez/despreez en parallèle (en second timbre de rime) à la fin de chacun des premiers tercets. De même, (autrement disposés), riment ensuite entre le septième vers et le onzième veez et deveez : ce nest plus la rime enchantez/desenchantez, antithèse rhétorique entendue comme antidote moral ; ici, telle est la valeur perfective de la préfixation que linvitation formulée comme précédemment au mode impératif suggère et paraît susciter, avec la notion dintensité, limparable réparation attendue de Notre-Dame. À lévidence, en fait dannominatio, Rutebeuf avait été bon lecteur de Gautier : cependant, à bien lapprécier, sa pratique du procédé, moins heureuse que celle du maître peut-être, comporte, dans le présent contexte, encore inquiet, moins de jubilation verbale et de sémantique triomphale quà la fin des Miracles narratifs.

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Conclusion

Au fond, de tout temps le théâtre aura captivé par le « coup » du même nom. Puisquil sagit dun lieu de la parole, intéressant dans la mesure où cette parole devient action, Rutebeuf confirme la dynamique habituelle au genre, en attestant la réponse inouïe du surnaturel, en quoi consiste le miracle. Autrement dit, sa foi démontre la légitimité de la prière, ce monologue enregistré par linvisible, exaucé, moyennant la qualité de la pénitence et, de la part du suppliant comblé, la patience dans la durée. Peut-être y avait-il donc, aux yeux de Rutebeuf, une convenance particulière de la forme dramatique avec le thème de la prière efficace. Alors lillusion théâtrale, acceptée comme une catégorie de la merveille est évidemment édifiante. Il est probable quau cœur de cette réussite miraculaire, le gabarit dHélinand, à vers courts et donc en sa fraîcheur nouvelle, avec linstauration dun échange entre laspiration du pécheur et le reflet du divin dans lâme humaine, était particulièrement indiqué pour assurer finalement comment, par le truchement bienveillant de Notre-Dame, on recouvre cette notion dune créature voulue par son Créateur à sa ressemblance.

Gérard Gros

Université dAmiens

1 Le Miracle de Théophile de Rutebeuf a été édité à maintes reprises. Signalons notamment : Rutebeuf, Le Miracle de Théophile, éd. G. Frank, Paris, Champion, 19492 ; Œuvres complètes de Rutebeuf, éd. E. Faral et J. Bastin, Paris, Picard, 1959-1960, t. II, p. 167-203 ; Rutebeuf, Le Miracle de Théophile, éd. et trad. J. Dufournet, Paris, GF-Flammarion, 1987 ; Rutebeuf, Œuvres complètes, éd. et trad. M. Zink, Paris, LGF/Garnier, 20012, p. 531-583.

2 Voir K. V. Sinclair, French Devotional Texts of the Middle Ages. A Bibliographical Manuscript Guide, Greenwood Press, Wesport, 1979, p. 160-161, no 3602.

3 V. 404 (dans La Repentance) : « Sathan, plus de set anz ai tenu ton sentier ».

4 V. 383 : « Ici se repent Theophiles / et vient a une chapele de Nostre Dame et dist ».

5 Sigle C dans lédition Faral-Bastin dune part, et dautre part dans celle de Zink.

6 Cette copie est insérée entre Cest de Brichemeir (fol. 83ra-83rb) et (Ci encoumence) Li diz des beguines (fol. 84rb).

7 Dans les « Notes critiques » ajoutées à son édition du miracle, Grace Frank reproduit intégralement cette séquence du manuscrit (Le Miracle de Théophile, éd. Franck, p. xvii et p. 31-36).

8 Gautier de Coinci, Les Miracles de Nostre Dame, éd. V. Frederic Koenig, Genève, Droz, 1955-1970. LEpistele Gautier (2630 vers), autrement intitulée (dans la présente édition) De la misere domme et de fame et de la doutance quon doit avoir de morir, est publiée au tome IV, p. 439-543, juste après lÉpilogue de lœuvre.

9 Œuvres complètes de Rutebeuf, éd. Faral et Bastin, t. I, p. 203. Voir aussi G. Naetebus, Die nicht-lyrischen Strophenformen des Altfranzösischen, Leipzig, Hirzel, 1891, p. 56-91 (note des éditeurs).

10 Œuvres complètes de Rutebeuf, éd. Faral et Bastin, t. I, p. 204.

11 Ce sont successivement, dans lédition Faral-Bastin, les pièces A, K, S, W et Z (t. I, p. 229, 313, 389, 435 et 461).

12 Le mot est de Jennifer Dueck : voir son article « Lart de Rutebeuf : le texte dramatique et ses fonctions », Florilegium, 18/2, 2001, p. 93-111, ici, p. 96, 98 et 108.

13 Voir les v. 640-641, qui ouvrent le texte : « A toz cels qui verront ceste lettre commune / Fet Sathan a savoir… ».

14 Michel Zink, Œuvres complètes de Rutebeuf, p. 533, après Faral et Bastin : « (…) le document récupéré par la Vierge et dont lévêque donne lecture à la fin de la pièce est une lettre commune du diable, et non la charte rédigée et signée par Théophile ».

15 V. 640-655. Cette forme métrique et strophique occupe au total un peu moins du dixième de lœuvre.

16 Dans le seul « Miracle de Théophile » de Gautier, voir les vers 581-588 (sur cointe) et 2077-2092 (à partir de cors) ; mais le conteur use, dès le préambule, du même procédé : v. 1-12, sur pors. Voir Les Miracles de Nostre Dame, éd. Koenig, t. I, p. 50-51, 85-86 et 174-176.

17 Ainsi, aux vers 387, 389, 395, 402, 406, 409, 420, 426, 428 et 429 (presque, en moyenne, un cas par strophe). Ultérieurement aussi, dans les quatre quatrains de la lecture à laquelle se livre lévêque : v. 643, 650, 651, 654 et 655, soit, en moyenne, plus dune césure épique par strophe ; cest beaucoup.

18 V. 386, 387, 393, 396, 397, 399, 411, 414, 415, 417, 420, 424, 426, 427, 428 et 430 – soit un nombre un peu plus élevé que celui des strophes.

19 Paris, BNF, fr. 1635 (sigle C), fol. 84ra ; voir Le Miracle de Théophile, éd. Franck, p. 33.

20 Œuvres complètes de Rutebeuf, éd. Faral et Bastin, t. I, p. 210.

21 Dune poésie formelle en France au Moyen Âge, Paris, Nizet, 1972.

22 Pour les strophes iv et ix, voir, infra, la citation des vers 468-479 et celle des vers 528-539.

23 Voir essentiellement le deuxième et le cinquième douzain de La Mort Rutebeuf, v. 13-26 et 49-60, Œuvres complètes de Rutebeuf, éd. Faral et Bastin, t. I, p. 575-576 et 577 : le propos mérite une étude particulière, qui sera publiée autre part.

24 V. 462-465 (bba/b) : « Ci avra dure verve / Sainz que la mors nenerve, / En vous ne se marie / Mame qui vous enterve ».

25 V. 510-513 (bba/b) : « Trop ai eü espace / Destre en obscure trace ; / Encor mi cuident traire / Li serf de pute estrace ».

26 Voir, infra, la citation des vers 516-527.

27 Dans les deux premiers cas, cest à la faveur du sujet postposé que sefface la coupe ; dans le troisième cas, cest plus simplement de complément dobjet direct quil sagit.

28 Rutebeuf aime bien ces noms de diables – ou de pseudo-diables – se terminant sur le timbre le plus aigu (ou le plus sourd ?) de notre système vocalique : par exemple, un peu plus loin dans le Miracle (v. 561-566), lorsque Notre-Dame fait mine de le chasser de sa chapelle, Théophile proteste et tente de la fléchir en ces termes, employant, comme du reste son interlocutrice, le « tercet coué » : « Ja mes ne finirai de brere ! / Virge, pucele debonere, / Dame honoree, / Bien sera mame devoree, / Quen enfer fera demoree / Avoec Cahu. »

29 Voir G. Gros, « La semblance de la verrine. Description et interprétation dune image mariale », Le Moyen Âge, 97, 1991, p. 217-257, spécialement p. 231-234.

30 Œuvres complètes, éd. Zink, p. 999.

31 M. de Combarieu, « Le diable dans le Comment Theophilus vint à penitance de Gautier de Coinci et dans le Miracle de Theophile de Rutebeuf », Le diable au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1979 (Senefiance no 6), p. 155-182.

32 Évoquant la rédaction de ce Miracle, Michel Zink, sans incriminer nullement une quelconque maladresse de lauteur, remarquait (Œuvres complètes, éd. Zink, p. 533) : « Les transitions sont abruptes ou absentes ».

33 V. 159-165 (et précisément pour le terme à la rime du vers 162) : « En la vile un gïu avoit / Qui tant dengien et dart savoit, / Dentreget, de fantosmerie, / De barat et denchanterie / Que devant lui apertement / Faisoit venir a parlement / Les anemis et les dyables. »

34 Les Miracles de Nostre Dame, éd. Koenig, t. I, p. 24, v. 1-12. Traduction : « Amour, qui sait bien enchanter, / Fait à la plupart chanter un chant / Dont les âmes déchantent. / Je ne veux plus chanter ce chant : / Je chante un chant nouveau pour celle / De qui les anges chantent. // Chantez pour elle, tous chanteurs ! / Vous enchanterez lenchanteur / Qui souvent nous enchante. / Si vous chantez la mère de Dieu, / Tout ensorceleur sera ensorcelé : / Bienheureux qui en chante ! »

35 À sen tenir à la sagacité des éditeurs du Miracle, il ny a pas ici, dans le manuscrit, de variante autorisant à corriger ta vertu devine en la vertu devine, ce qui, conformément au dogme, restaurerait la fonction de médiatrice de la Vierge.

36 Voir par exemple G. Gros, « Hommage à la chirurgienne : étude sur un nom de la Vierge et sur une pratique, dans les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci », à paraître.

37 Œuvres complètes de Rutebeuf, éd. Faral et Bastin, t. I, p. 573-578, v. 49-60 (cinquième douzain) : « Je sai une fisicïenne / Que a Lïons ne a Vïenne / Non tant com touz li siecles dure / Na si bonne serurgïenne. / Nest plaie, tant soit ancïenne, / Quele ne nestoie et escure, / Puis quele i vuelle metre cure. / Ele espurja de vie oscure / La beneoite Egyptïenne : / A Dieu la rendi nete et pure. / Si com est voirs, si praigne en cure / Ma lasse darme crestïenne. » Traduction : « Je connais une doctoresse / Telle quà Lyon non plus quà Vienne / Ni si loin que le monde sétende / Il ny a meilleure chirurgienne. / Il nest de plaie si vieille quelle soit / Quelle ne nettoie et assainisse / Dès lors quelle veut y mettre ses soins. / Elle purifia dune vie ternie / La bienheureuse Égyptienne / Pour la rendre à Dieu nette et pure. / Comme cest vrai, quelle prenne soin / De ma pauvre âme chrétienne. »

38 V. 528-539. Traduction : « Le prédateur qui pille / Ma déjà pour butin : / Je serai pris et pillé ; / Il me torture trop âprement. / Dame, prie ton cher Fils / Que je sois délivré ; / Dame, défendez-leur, / Vous qui voyez mes méfaits, / De me faire suivre leur voie. / Vous qui siégez là-haut, / Refusez-leur mon âme, / Quaucun deux ne la voie. »