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Classiques Garnier

Introduction

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Introduction

Comme le rappelle L. Selaf dans lexcellente synthèse quil a consacrée à la question1, la strophe dite dHélinand est lune des rares formes poétiques dont on puisse prétendre connaître linventeur, en loccurrence le moine cistercien Hélinand de Froidmont, qui laurait illustrée pour la première fois, à la fin du xiie siècle, dans ses Vers de la Mort ; même si, en fait, la primauté en ce domaine des Vers de la Mort (quelle que soit par ailleurs la qualité remarquable de ce poème) nest pas certaine et que la strophe dHélinand aurait peut-être aussi bien pu sappeler la strophe du Reclus de Molliens, si une tradition critique dorénavant bien établie nen avait décidé autrement2.

Il reste néanmoins, si on laisse de côté cette question de paternité, que ces deux poètes célébrés en leur temps ont également contribué au succès exceptionnel de cette forme3, ainsi quà son association première 14avec certains traits caractéristiques, aussi bien stylistiques (abondance des apostrophes et des anaphores, par exemple) que thématiques, avec un contenu essentiellement moral et religieux. De fait, cest à partir deux que la strophe dHélinand deviendra au xiiie-xive siècle une des « formes les plus populaires de la poésie française médiévale4 », reprise dans près de quatre-vingts pièces autonomes5 par des auteurs comme Jean Bodel, Rutebeuf, qui lutilise dans pas moins de sept poèmes, Baudouin de Condé, Watriquet de Couvin ou encore Jean de Condé, sans compter de nombreux anonymes.

Mais quest-ce que la strophe dHélinand ? Un douzain doctosyllabes rimés aab/aab/bba/bba, autrement dit une forme, comme le constate encore L. Selaf, « à la fois simple et sophistiquée6 » : simple dans son recours à loctosyllabe, mètre on ne peut plus répandu ; pas si simple, parce quelle ne sappuie que sur deux rimes, qui reviennent à six reprises ; et finalement sophistiquée, par la disposition de ces rimes qui place le second sizain (bbabba) en miroir du premier (aabaab) et confère ainsi à la strophe une unité particulièrement forte. Ainsi, plus que tout autre peut-être, la strophe dHélinand est une structure close sur elle-même, qui sauf cas exceptionnel nest pas liée syntaxiquement à la strophe qui la précède ou la suit, ce qui nest pas sans conséquence – on va le voir – sur la composition des poèmes adoptant cette formule strophique.

Par ailleurs la strophe dHélinand nétait certainement pas destinée au chant, lalternance des rimes féminines et masculines, dans les compositions qui en usent, nétant sauf rares exceptions pas fixe dune strophe à lautre : cest donc lhétérogonie, et non lhomogonie, qui est de règle ici7. Par compensation peut-être, le douzain hélinandien investit dautant plus dans les ressources du langage ; cest semble-t-il lavis de 15J. Batany quand il écrit que « la strophe didactique [i. e. dHélinand] opère un double saut dans la nouveauté, par lemploi de la langue vulgaire à un niveau délibérément savant, et par lemploi du rythme versificatoire indépendamment de la musique8 ». De fait, en particulier chez ses premiers utilisateurs, Hélinand de Froidmont et le Reclus de Molliens, la strophe fournit un cadre privilégié aux tropes et autres jeux de langage, à lanaphore en particulier (dont le « Morz » à lattaque de la plupart des strophes des Vers de la Mort fournit un exemple mémorable), mais aussi à la paronomase, au polyptote (ou dérivation) et à la figure étymologique (adnominatio et interpretatio). À la fin du xve siècle, dans un Traité de rhétorique autrefois édité par E. Langlois, cest apparemment la réputation dont jouissent toujours les « vers douzains », qui sont « bien prisiés / quand de beaulx termes sont chergiés9 ».

Cependant, déliée de la musique, la strophe dHélinand nen conserve pas moins une dimension lyrique (au sens non étymologique) en se trouvant volontiers associée à une « tonalité plaintive », quil sagisse dune « perte personnelle » (par exemple dans les Congés arrageois) ou dune « lamentation générale sur le déclin des mœurs ou la condition humaine10 » ; plus largement, elle convient aussi à toute espèce de discours relevant de la prière ou de la litanie, ce qui va souvent de pair avec le didactisme religieux dont sont porteurs nombres de poèmes en strophes dHélinand.

Essentiellement lyrique ou didactique, le douzain ne se prête donc guère à la narration, à quelques rares exceptions près, dont la plus notable est certainement la Voie dEnfer et de Paradis de Jean de Le Mote, qui relate sous la forme dun songe et en 386 strophes les pérégrinations de son auteur vers lEnfer puis le Paradis11. En dehors de ces quelques 16cas, la strophe dHélinand, close sur elle-même et autonome, comme on la dit, constitue la véritable unité de composition du poème, dont la longueur peut ainsi se révéler très variable : dune seule strophe, comme dans le Dit de la pomme de Baudouin de Condé, aux 2495 strophes du Mirour de lOmme de John Gower, et encore le poème est-il inachevé12… Sans sarrêter à ces extrêmes, on peut tout de même relever la différence entre, dune part, des poèmes relativement courts, ne dépassant pas une quinzaine de strophes (comme cest le cas notamment de tous ceux qua composés Rutebeuf) et dautre part des poèmes longs, voire des poèmes-fleuves, atteignant et même dépassant, parfois très largement, les cinquante strophes13. Parmi la quinzaine de textes concernés se trouvent dailleurs « les poèmes hélinandiens les plus populaires14 », cest-à-dire les mieux diffusés (au moins une dizaine de manuscrits connus, et jusquà plus de soixante-dix pour Jean Chapuis), preuve peut-être que la strophe dHélinand était une forme plutôt associée, à limitation là encore du modèle offert par ses deux « inventeurs », aux compositions longues : à la suite des Vers de la Mort dHélinand de Froidmont (50 strophes) et du Roman de Charité et du Miserere du Reclus de Molliens (respectivement 242 et 273 strophes dans lédition dA.-G. Van Hamel), on signalera ainsi le Regret de Notre Dame de Huon le Roi de Cambrai (276 strophes dans lédition dA. Langfors15), les Sept articles de la foi attribués au Moyen Âge à Jean de Meun mais peut-être de Jean Chapuis (135 strophes dans sa recension longue et majoritaire16) ; ou encore – dont le succès fut bien moindre – les Congés de Baude Fastoul (58 strophes17), les Vers de la Mort de Robert le Clerc dArras (312 strophes dans lédition dA. Brasseur 17et R. Berger18), LÉcole de foi (262 strophes) et le Trésor de Notre Dame (87 strophes) de Brisebarre19. Cest donc un des traits propres aux poèmes en strophes dHélinand, comme le constate encore L. Selaf, que « le caractère aléatoire de la longueur des compositions20 », non seulement dun poème à lautre, mais aussi dans un même poème, suivant les manuscrits qui le conservent : même si on peut lobserver dans la plupart des textes cités ci-dessus, dans la mesure bien sûr où ils sont conservés dans plus dune copie, on retiendra peut-être comme exemple le plus notable de cette « mouvance » le cas des Vers de la Mort de Robert le Clerc dArras, connus par trois manuscrits où le poème compte tantôt 312, tantôt 221, tantôt seulement 54 strophes. Comme le montre bien aussi le Mirour de lOmme de John Gower, inachevé en dépit de ses 2495 strophes, de nombre de poèmes en strophes dHélinand on peut dire quils sont, à proprement parler, interminables, toujours susceptibles dêtre prolongés, ou inversement raccourcis (comme cest le cas semble-t-il pour la recension courte des Sept articles de la foi), puisque ce nest pas tant le poème, on la dit, qui constitue lunité de composition que la strophe elle-même.

Pour sen tenir aux poèmes longs, tous les textes que nous venons de citer présentent dindéniables similitudes sur le plan du contenu : dinspiration nettement religieuse, de portée à la fois didactique et édifiante, ils brassent plus ou moins les mêmes thèmes, autour des états du monde, du mépris du monde (contemptus mundi), du péché, des articles de la foi, de la pénitence, de la mort et des fins dernières, etc., ce qui en fait, en somme, autant de « sermons en vers », pour utiliser une dénomination que lon trouve notamment sous la plume de J.-Ch. Payen21. Cependant, si lon constate bien un tropisme religieux dans les poèmes en strophes dHélinand, en particulier chez les plus longs et les mieux diffusés 18dentre eux, parmi lesquels toujours ceux dHélinand de Froidmont et du Reclus de Molliens, la forme nest de fait pas réservée à ce domaine, comme peuvent en témoigner par exemple le Conte damour de Philippe de Rémi22 ou les différents Vers damour attribués à Adam de la Halle, Nevelot Amion et Guillaume dAmiens23, que rapproche une commune thématique amoureuse, ou plus largement la classification autrefois établie par A. Bernhardt, qui illustre bien la possibilité dassocier le douzain hélinandien à des sujets qui nont rien dexclusivement religieux24.

Peut-on considérer, néanmoins, que les poèmes composés en strophes dHélinand, quels que soient leur contenu et leur longueur, appartiennent à un genre particulier ? On pourrait en effet ladmettre, me semble-t-il, à la condition de préciser, comme le fait L. Selaf, quil sagit dun genre « formel, comme le sonnet25 », cest-à-dire un genre qui se réduit essentiellement à une forme : plus précisément, ce qui était au départ et dans la phase ascendante de son développement ce quon pourrait appeler, pour parler comme Henri Meschonnic, une « forme-sens », une forme qui en elle-même signifiait une certaine tonalité, en loccurrence « plaintive », ou un certain type dénonciation, essentiellement associés au domaine religieux, est devenu au fil du temps et succès aidant une forme « à tout faire », un peu comme le sonnet, justement, mais qui contrairement à ce dernier sest peu à peu diluée dans la multitude des formules strophiques en usage à la fin du Moyen Âge, sans parvenir à préserver son identité – de ce point de vue, on pourrait en quelque sorte considérer la strophe dHélinand comme un sonnet qui na pas réussi.

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Suivant un ordre grosso modo chronologique, cest cette évolution, de la strophe en elle-même et dans ses rapports avec dautres formes strophiques, que nous invitons le lecteur à parcourir, en commençant par la période dépanouissement de la strophe dHélinand, au xiiie et xive siècle, qualors on retrouve aussi bien dans de courts poèmes anonymes comme le Despisement du monde ici édité par F. Saviotti que dans une composition fleuve comme le Mirour de lOmme de Gower (F. Yeager), ou encore sous forme dinsertions lyriques dans le Perceforest (L. Selaf) ; chez des auteurs connus ou moins connus, de Rutebeuf (G. Gros) à lhypothétique Jean Chapuis (J.-M. Fritz) en passant par le Clerc de Vaudoy (M.-G. Grossel) ; avant le progressif recul de son usage au xve siècle, qui néanmoins la met encore à contribution dans les domaines lyrique (L. Tabard) ou théâtral (E. Doudet et T. Kuroiwa), et sa disparition définitive au xvie siècle (S. Menegaldo)26.

Silvère Menegaldo

Université de Tours – CESR

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Bibliographie indicative

Principales compositions en strophes dHélinand

Baudouin de Condé, Les Vers de droit

Dits et contes de Baudouin de Condé et de son fils Jean de Condé. Tome Ier. Baudouin de Condé, éd. A. Scheler, Bruxelles, Devaux, 1866.

Brisebarre, Trésor de Notre Dame

Poème du xiiie siècle en lhonneur de la Vierge, éd. A. Henry, Mons, 1936.

Le Clerc de Vaudoy, Dit des droits

Les Dits du Clerc de Vaudoy, éd. P. Ruelle, Bruxelles, Presses universitaires de Bruxelles, 1969.

Les Congés dArras (Jean Bodel, Baude Fastoul, Adam de la Halle), éd. P. Ruelle, Bruxelles/Paris, Presses Universitaires de Bruxelles / Presses Universitaires de France, 1965.

Hélinand de Froidmont, Vers de la Mort

Les Vers de la Mort par Hélinant, moine de Froidmont, éd. F. Wulff et E. Walberg, Paris, SATF, 1905.

Hélinand de Froidmont, Les Vers de la Mort. Poème du xiie siècle, trad. M. Boyer et M. Santucci (dap. léd. Wulff et Walberg), Paris, Champion, 1983.

Hélinant de Froidmont, I versi della morte, trad. C. Donà (dap. léd. Wulff et Walberg), Milano, Luni, 1988.

Huon le Roi de Cambrai, Li Regres Nostre Dame, éd. A. Langfors, Paris, Champion, 1907.

Jean de Le Mote, La Voie dEnfer et de Paradis. An unpublished poem of the fourteenth century, éd. sister M. Aquiline Pety, Washington, The Catholic University of America Press, 1940 (reprint New York, AMS Press, 1969).

John Gower, Mirour de lOmme

The Complete Works of John Gower. The French Works, éd. G. C. Macaulay, Oxford, Clarendon Press, 1899.

Le Miroir de lâme

« Il Mireoirs de lame (ms. 12594, Fds. fr. della Biblioteca Nazionale di Parigi) », éd. A. M. Babbi, Quaderni di lingue e letterature, 2, 1977, p. 247-271.

Philippe de Rémi, Conte damour

Œuvres poétiques de Philippe de Rémi, éd. H. Suchier, Paris, SATF, 1884-1885, t. II, p. 233-254.

Reclus de Molliens

Li Romans de Carité et Miserere du Renclus de Molliens, poèmes de la fin du xiie siècle, éd. A.-G. Van Hamel, Paris, Vieweg, 1885.

21

Robert le Clerc dArras, Les Vers de la Mort, éd. et trad. A. Brasseur et R. Berger, Genève, Droz, 2009.

Watriquet de Couvin, Dits de Watriquet de Couvin, éd. A. Scheler, Bruxelles, Devaux, 1868.

Études critiques

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Bernhardt Adolf, Die altfranzösische Helinandstrophe, Münster, 1912.

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22

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Saviotti Federico, « Une ponctuation rythmique ? Le cas des octosyllabes hélinandiens », Ponctuer lœuvre médiévale, éd. C. Le Cornec et V. Fasseur, Droz, 2016, p. 135-147.

Seláf Levente, Chanter plus haut. La chanson religieuse vernaculaire au Moyen Âge (essai de contextualisation), Paris, Champion, 2008, p. 59-89.

Seláf Levente, « La strophe dHélinand : sur les contraintes dune forme médiévale », Formes strophiques simples / Simple Strophic Patterns, éd. L. Seláf, P. Noel Aziz Hanna et J. Van Driel, Budapest, Akadémiai Kiadó, 2010, p. 73-92.

1 L. Selaf, « La strophe dHélinand : sur les contraintes dune forme médiévale », Formes strophiques simples / Simple Strophic Patterns, éd. L. Selaf, P. Noel Aziz Hanna et J. Van Driel, Budapest, Akademiai Kiado, 2010, p. 73-92, ici p. 73 (texte également consultable en ligne). Voir aussi, du même auteur, Chanter plus haut. La chanson religieuse vernaculaire au Moyen Âge (essai de contextualisation), Paris, Champion, 2008, p. 59-89.

2 Pour la datation précise des Vers de la Mort, entre 1193 ou 1194 et 1197, cf. Les Vers de la Mort par Hélinant, moine de Froidmont, éd. F. Wulff et E. Walberg, Paris, SATF, 1905, p. xiii et p. xv. Cette discussion sur la date de lœuvre est suivie dune autre (p. xxvii-xxxi) sur la situation respective dans la chronologie dHélinand et du Reclus de Molliens, auteur dont A.-G. Van Hamel, p. clxxxi-clxxxiv de son édition (Li Romans de Carité et Miserere du Renclus de Molliens, poèmes de la fin du xiie siècle, éd. A.-G. Van Hamel, Paris, Vieweg, 1885), propose de situer les œuvres plutôt vers 1185-1190 que vers 1225-1230 – datation haute aujourdhui abandonnée, sans raison évidente. Cette discussion a justement pour enjeu la paternité de la strophe dHélinand, et cest là à mon sens que le raisonnement faiblit, les éditeurs, qui veulent donner la primauté à Hélinand, usant darguments aussi convaincants que lâge (soi-disant trop avancé) du Reclus pour exclure quil puisse être linventeur dune forme nouvelle, ce qui les conduit à penser que cest lui qui sinspire dHélinand et non linverse, et ipso facto à rejeter la datation haute de lœuvre du Reclus de Molliens.

3 La base Jonas de lIRHT (consultée en juillet 2018) recense 37 témoins manuscrits des Vers de la Mort et 53 des œuvres (Roman de Charité et/ou Miserere) du Reclus de Molliens.

4 Selaf, « La strophe dHélinand », p. 74.

5 On peut trouver la liste de ces 79 textes en consultant le Nouveau Naetebus. Poèmes strophiques non lyriques en français des origines jusquà 1400 (mis en ligne par L. Selaf), qui met à jour « lancien Naetebus », autrement dit G. Naetebus, Die nicht-lyrischen Strophenformen des Altfranzösischen, Leipzig, Hirzel, 1891. Jentends par pièces autonomes celles qui sont exclusivement composées en strophes dHélinand, mais il faut compter aussi tous les cas, comme dans le Miracle de Théophile ou la Pauvreté Rutebeuf par exemple, où cette forme apparaît au milieu dautres.

6 Selaf, « La strophe dHélinand », p. 74.

7 Selaf, « La strophe dHélinand », p. 74 : « le poème dHélinand et ceux qui reprennent sa forme sont presque tous hétérogoniques, le genre des rimes étant indifférent » ; or « lhétérogonie est un signe très probable du fait que les poèmes de cette forme nont pas été chantés ou interprétés avec accompagnement musical ». Quelques cas dhomogonie sont néanmoins signalés p. 86.

8 J. Batany, « Un charme pour tuer la mort : la strophe dHélinand », Hommage à Jean-Charles Payen. Farai chansoneta novele, Caen, Centre de Publications de lUniversité de Caen, 1989, p. 37-45, citation p. 37-38.

9 Recueil dArts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 259.

10 Selaf, « La strophe dHélinand », p. 80.

11 Selaf, « La strophe dHélinand », p. 77, note 10, qui ne cite que deux exemples de textes partiellement narratifs, le Livre du miracle de Basqueville de Jean Petit et la Vie de sainte Catherine dÉtienne Lanquelier, auxquels il faut donc ajouter le poème de Jean de Le Mote. Sur ce dernier, je me permets de renvoyer à S. Menegaldo, Le dernier ménestrel ? Jean de Le Mote, une poétique en transition (autour de 1340), Genève, Droz, 2015, p. 203-259.

12 Le poème de Gower peut se lire dans The Complete Works of John Gower. The French Works, éd. G. C. Macaulay, Oxford, Clarendon Press, 1899 ; présentation détaillée p. xxxiv-lxxi de lintroduction.

13 Cinquante strophes, cest la longueur (dans la plupart des manuscrits) des Vers de la Mort dHélinand de Froidmont, qui peut fournir un point de repère utile, tout en étant dailleurs discutable, étant donné quun certain nombre de pièces, tels les Congés de Jean de Bodel (45 strophes dans lédition de P. Ruelle), parce quelles en comptent un peu moins, ne seront pas évoquées ici.

14 Selaf, « La strophe dHélinand », p. 83.

15 Huon le Roi de Cambrai, Li Regrés Nostre Dame, éd. A. Langfors, Paris, Champion, 1907.

16 Sur ce texte, qui peut se lire dans la vieille édition Méon du Roman de la Rose par Guillaume de Lorris et Jehan de Meung, Paris, 1814, t. III, p. 331-395 mais qui na pas encore bénéficié dune édition critique, voir surtout la contribution de J.-M. Fritz au présent dossier.

17 Se lit dans Les Congés dArras (Jean Bodel, Baude Fastoul, Adam de la Halle), éd. P. Ruelle, Bruxelles/Paris, Presses Universitaires de Bruxelles / Presses Universitaires de France, 1965.

18 Robert le Clerc dArras, Les Vers de la Mort, éd. et trad. A. Brasseur et R. Berger, Genève, Droz, 2009. Voir aussi, usant dune forme comparable, Robert le Clerc dArras, Li Loenge Nostre Dame, éd. et trad. A. Brasseur, Genève, Droz, 2013.

19 Je prépare une édition de ces deux textes, conservés seulement, pour le premier dentre eux, dans le BNF, fr. 576, ainsi que dans le BNF, fr. 994, le Bruxelles, KBR, 11244-11251 et un manuscrit des archives de Namur pour le second (le texte de ce dernier manuscrit, acéphale, et donc sans nom dauteur, a déjà donné lieu à une édition par A. Henry dans Poème du xiiie siècle en lhonneur de la Vierge, Mons, 1936). On pourra aussi se reporter à A. Thomas, « Jean Brisebarre, trouvère », Histoire littéraire de la France, Paris, Imprimerie nationale, t. XXXVI, 1927, p. 35-66, ici p. 44-48.

20 Selaf, « La strophe dHélinand », p. 83.

21 J.-Ch. Payen, Le motif du repentir dans la littérature française médiévale (des origines à 1230), Genève, Droz, 1968, p. 489 et suivantes.

22 Le Conte damour (55 strophes, en tenant compte dune lacune de dix strophes dans le manuscrit) peut se lire dans Œuvres poétiques de Philippe de Rémi, éd. H. Suchier, Paris, SATF, 1884-1885, t. II, p. 233-254. Même si on a limpression davoir affaire à lun de ces textes exprès conçus pour déjouer toute tentative de classification, on y notera limportance de la tonalité plaintive, à laquelle on peut certainement associer le choix de la strophe dHélinand.

23 Sur ces trois derniers textes, voir F. Saviotti, « Les Vers damour de Nevelot Amion, fragments dun discours amoureux, entre lyrique et littérature didactique », La chanson de trouvères. Formes, registres, genres, éd. M.-G. Grossel, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2012, p. 199-214. Voir aussi, du même F. Saviotti, lédition toute récente des Vers dAmours dArras, Adam de la Halle et Nevelot Amion, Paris, Champion, 2018, à compléter par R. Crespo, « I Vers dAmours di Guillaume dAmiens », Cultura neolatina, 57, 1997, p. 55-101 ; ces deux éditions remplaçant celle plus ancienne dA. Jeanroy, « Trois dits damour du xiiie siècle », Romania, 22, 1893, p. 45-70.

24 Voir A. Bernhardt, Die altfranzösische Helinandstrophe, Münster, 1912 et Selaf, « La strophe dHélinand », p. 76.

25 Selaf, « La strophe dHélinand », p. 87.

26 Le parcours que nous proposons, bien trop rapide, se veut aussi une invite à poursuivre la recherche dans dautres directions, qui à vrai dire ne manquent pas. Pour ne suggérer que quelques pistes, outre satteler à lédition des nombreuses pièces encore inédites que recense A. Bernhardt, il vaudrait certainement de sintéresser, par exemple, à lusage qui est fait de la strophe dans lœuvre de Guillaume de Diguleville (cf. le relevé de Bernhardt, Die altfranzösische Helinandstrophe, p. 35-36, 67-68 et 80-82), ou encore dans celle de Jean Meschinot, qui lemploie dans les Lunettes des Princes et ailleurs.