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Classiques Garnier

« Du Monde qui fet a reprendre » Les Vers du Monde anonymes du xiiie siècle

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2018 – 2, n° 36
    . varia
  • Auteur : Saviotti (Federico)
  • Résumé : Les Vers du Monde sont un poème anonyme en strophes d’Hélinand. Le but de cet article est de procurer une nouvelle édition du texte – après celle d’A. Jubinal (1842) – accompagnée d’une traduction et d’un commentaire, nécessaires pour éclaircir le sens de nombreux passages de compréhension difficile dans le ms. unique (BnF, fr. 837). L’introduction étudie le contenu et le style de l’œuvre et essaie de la situer parmi les « vers moraux » composés dans la France du Nord entre xiiie et xive siècle.
  • Pages : 23 à 48
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406089537
  • ISBN : 978-2-406-08953-7
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08953-7.p.0023
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/01/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
23

« Du Monde qui fet a reprendre »

Les Vers du Monde anonymes du xiiie siècle

Le célèbre recueil de la littérature française médiévale transmis par le ms. BnF, fr. 8371 contient, parmi ses nombreux unica, un poème anonyme en 17 strophes dHélinand auquel le copiste, à la fin de sa transcription, attribue le titre de Vers du Monde (« Expliciunt les vers du monde », fol. 209r)2. Notre connaissance de cet ouvrage repose sur lédition publiée par Achille Jubinal en 18423, dépourvue de tout appareil exégétique : le texte est assez fiable mais la plupart des fautes évidentes du manuscrit unique ne sont pas corrigées et les interventions conjecturales ni justifiées ni signalées. Soixante-dix ans plus tard, Adolf Bernhardt, dans son essai-répertoire consacré à lensemble de la production en strophe dHélinand, donne une brève description du poème, en y retrouvant linfluence puissante des Vers de la Mort hélinandiens4. Après cette contribution, les Vers du Monde ont été tout à fait négligés par la critique, malgré le jugement globalement appréciatif émis par le savant allemand sur lart 24du trouvère anonyme et sur la réussite de sa composition5. Cela justifie que lon revienne sur ce poème6 pour en proposer, dans cet article, une nouvelle édition, accompagnée dune introduction portant sur le rapport de lœuvre au contexte littéraire qui est le sien et dun commentaire synthétique servant à une meilleure intelligence du texte.

Le genre des Vers du Monde :
datation, localisation et sources

Parmi les nombreux ouvrages exploitant la strophe dHélinand, un regroupement de textes en langue doïl, assez restreint mais significatif par son homogénéité, se distingue par sa fidélité rigoureuse au modèle des Vers de la Mort. Il sagit tout dabord des imitations évidentes sinon déclarées, composées, plus dun demi-siècle après le poème hélinandien, par Robert le Clerc dArras7 et par Adam de la Halle8 ; ensuite de quatre autres poèmes moraux suivant de près le style et la rhétorique du moine de Froidmont, à savoir, selon les titres – plus ou moins conformes aux indications des manuscrits – que les éditeurs leur ont assignés, des Vers du Monde anonymes, du Despit du Monde de Watriquet de Couvin9, de lApostrophe au Cors anonyme10 et du Despisement du Cors, dû peut-être à 25un obscur Perrin la Tour11. Nous avons cru pouvoir ranger toutes ces œuvres dans un seul et même genre poétique12, sur la base du partage exclusif de lensemble des traits suivants :

Lemploi de la strophe dHélinand.

Labsence dordre rigide dans la succession logique des strophes, qui peuvent être lues comme une série de variations sur le même thème.

Lanaphore : les strophes souvrent par lapostrophe à une entité personnifiée (la « Morz », le « Monde » ou bien le « Cors »), dont la fréquence tend à diminuer au fur et à mesure que le texte sallonge. Cette apostrophe constitue le fil rouge du discours poétique, dont il détermine la tonalité globale.

Linspiration morale, exploitant le motif topique du contemptus mundi.

Nous avons dénommé les textes caractérisés par ces traits « vers moraux » en un sens à la fois global et particulier. En effet, le mot vers (toujours au pluriel selon le témoignage des manuscrits), signifiant dans ce contexte « strophes13 », identifie manifestement chaque poème comme lensemble des strophes qui le composent : cela ne fait que confirmer limportance structurelle et lautonomie de lunité strophique dans léconomie poétique de ces textes. Inauguré dans un cloître du Beauvaisis par le chef-dœuvre hélinandien vers la fin du xiie siècle, le genre des « vers moraux » a joui dune vogue remarquable au siècle suivant, et même plus tard, dans la France septentrionale. Son succès peut se mesurer par la préférence que lui ont accordée non seulement des auteurs moralisants comme Robert le Clerc dArras (son poème date des années 1266-1271)14 ou le Wallon Watriquet de Couvin (dont la 26production se situe entre 1319 et 1329)15, mais aussi un grand trouvère comme Adam de la Halle. Ce dernier, responsable – nous lavons déjà rappelé – de trois strophes « de la Mort », arrive jusquà dépasser les frontières du genre en en remployant les ressources formelles pour parler damour : les Vers dAmours dAdam (composés avant 1265-1266)16 ouvrent à leur tour la voie à un sous-genre parallèle à ceux des « vers de la Mort », « vers du Corps » et « vers du Monde17 ».

Les Vers du Monde anonymes relèvent donc de cette typologie textuelle ; leur proximité aux poèmes analogues, avant tout aux Vers de la Mort dHélinand18, ressort clairement de lanalyse des contenus et des stylèmes exploités par le poète. Limpossibilité détablir avec certitude la chronologie relative des pièces, surtout de celles dont lauteur est inconnu, ne permet pas de préciser davantage la direction des rapports – à la rigueur plus souvent « interdiscursifs » qu« intertextuels » – existant indéniablement entre les différents vers. La datation de notre poème est également indéterminable : celle, avancée par Gustav Gröber, au premier tiers du xiiie siècle19 (qui ferait certainement des Vers du Monde le premier specimen de leur genre) nest étayée par aucune donnée positive. Ce qui est certain, cest quil précède, de quelques décennies au moins, le Despit du Monde de Watriquet, puisque le ms. fr. 837 qui seul le renferme a pu être daté du quatrième quart du xiiie siècle (après 1278)20 : les nombreuses correspondances entre les deux textes devront partant être lues comme des emprunts du trouvère wallon à son prédécesseur anonyme21. Linterprétation de la présence de deux passages extrêmement proches dans les Vers du Monde (iv, v. 37-40 ; xiv, v. 160-161) et dans les Vers dAmours dAdam de la Halle (ii, v. 13-16 ; 27xiv, v. 157-158) se révèle plus problématique : en labsence de tout autre élément permettant de déterminer la direction de linfluence, nous croyons probable, compte tenu du modus operandi et du prestige dAdam de la Halle, que lanonyme ait imité et cité le grand poète, plutôt que linverse22. Cela donnerait aussi un terminus post quem tout à fait vraisemblable (1265) pour la composition du poème, qui serait ainsi à situer dans le dernier tiers du xiiie siècle. Quant à sa localisation, lanalyse linguistique des rimes et des éléments pour lesquels la responsabilité de lauteur est assurée par la prosodie démontre lappartenance de celui-ci aux régions du Nord, comme lavait déjà remarqué A. Bernhardt23. Les traits régionaux quil est possible de repérer dans les 204 vers du poème24 savèrent dautant plus significatifs que la composant « septentrionale » nest apparemment pas prédominante dans la scripta du manuscrit25

Rien ne soppose donc à ce que les Vers du Monde relèvent de lun de ces milieux urbains artésiens et wallons qui pratiquèrent volontiers limitation du poème dHélinand pour la composition de « dits », les pièces les plus à la mode dans la deuxième moitié du xiiie siècle dans les régions du Nord : par exemple, cette illustre (mais encore trop peu étudiée en tant que foyer de production littéraire) Carité Notre Dame, autrement connue comme la Confrérie des Jongleurs et des Bourgeois dArras, pour laquelle, à une époque que lon peut croire assez proche, Robert le Clerc et Adam de la 28Halle ont vraisemblablement composé leurs Vers de la Mort respectifs26. Certes, rien ne prouve, non plus, que notre poète anonyme était, à linstar de Robert, un clerc artésien rattaché à la Confrérie. Ce qui est certain – cest laffirmation des v. 191-192 qui le démontre – cest que lauteur se présente comme un novice sengageant à sabstenir désormais de toute fréquentation mondaine en préparation du moment où il prononcera ses vœux.

Les Vers du Monde : sujet, thèmes, style

Chez Hélinand de Froidmont, le thème du contemptus mundi est un topos exploité à plusieurs reprises pour persuader les destinataires du poème de la nécessité de la repentance et de la conversion avant quil ne soit trop tard. Dans les Vers du Monde, ce thème se trouve amplifié jusquà devenir le sujet principal du discours moral du poète, qui fait du Monde une entité personnifiée, à linstar de la Mort hélinandienne. Parmi les différentes acceptions du terme que recouvre la langue de lépoque, « Monde » est ici à entendre en un sens humain et social : il se réfère selon toute évidence à ce qui a trait à la vie terrestre, corporelle et, précisément, « mondaine27 ». Cela explique le rapport étroit et presque nécessaire, à lintérieur du genre des vers moraux, entre le « Monde » et le « Corps » et, bien sûr, des deux avec la « Mort », qui en démasque définitivement la consistance éphémère ; que lon considère par exemple, dans le prototype du genre, les trois premiers vers programmatiques :

Morz, qui mas mis muer en mue

en cele estuve o li cors sue

ce quil fist el siecle doutrage… (i, v. 1-3)

Les Vers du Monde, quant à eux, sans en être vraiment hantés, entretiennent pourtant un dialogue constant avec la Mort, qui apparaît aux 29strophes ii, v, ix et surtout xv pour rappeler, de façon discrète mais constante, lhorizon de lexpérience humaine :

Mondes, la mort qui son repere

a par tout me fet ton afere

remirer plus diligaument

que ja mes ne cuidoie fere,

mes toute rien voi a fin trere

et toi plain de mauvés couvent. (xv, v. 169-175)

Au contraire, la corporalité, ou pour mieux dire la dualité âme-corps, nest évoquée explicitement quune seule fois dans le poème, et cest alors pour nier tout rapport préférentiel entre le Monde et la composante corporelle de lhomme à lencontre de son âme :

Mondes mauvés, nous sommes doi,

cors et ame, cui tas feru

a mort et de venin peü. (ii, v. 21-23)

Il est probable, à cet égard, que lauteur des Vers du Monde ne connaissait pas les deux « vers du Corps » qui, au contraire, exploitent volontiers la thématique « mondaine » ; autrement, on peut soupçonner quil aurait sans doute cédé à la tentation dinsister sur un thème aussi proche du sien. En revanche, le blâme du monde est développé, sous forme dune longue liste de chefs dinculpation, exprimés à partir dun noyau très restreint de motifs, souvent topiques, qui se trouvent réitérés sous des formes plus ou moins différentes au fil du texte. Parmi les plus significatifs, nous pouvons mentionner les suivants :

la fausseté et la tromperie du monde, qui nest quapparence (i-iii, viii, xii-xiii, xv-xvi) ;

la vanité des joies et des récompenses données par le monde (i, iv-viii, xv-xvi) ;

la nocivité du monde (ii-iv, viii, xiii), plusieurs fois décrite par la métaphore du poison ;

lhostilité du monde à lencontre de Dieu (v, x, xiii) ;

la folie de lhomme qui sadonne au monde (ii, vii, ix, xiv, xvi) ; le syntagme « fols est qui… » est peut-être la formule la plus récurrente dans lensemble des vers moraux.

30

La série daccusations au Monde trouve son origine dans lexpérience individuelle du poète, qui est rappelée à plusieurs endroits du texte (i-iii, v, xv- xvii). En particulier, tout comme chez Hélinand, le début et la conclusion du poème permettent la mise en place dun véritable cadre biographique (plus ou moins figé) qui contribue puissamment par son exemplarité à la tonalité didactique de louvrage. Cependant, lépigone introduit des nouveautés non négligeables par rapport à son modèle. Hélinand en effet se limite à ouvrir et clore son allocution par de brèves affirmations (str. i : « mas mis muer en mue », « ai changié mon corage / et ai laissié et gieu et rage » ; str. l : « de si chier morsel nai je cure, / mieuz aim mes pois et ma poree ») qui, tout en évoquant en des termes très concrets la réalité de sa vie claustrale, ne se distinguent pas, sur le plan de lexpression, des phrases qui développent la description de la Mort dans le reste du texte, où le motif biographique nest présent quindirectement dans la mention des « amis » (iv, v. 37) que la Mort est envoyée convertir. Lauteur des Vers du Monde, quant à lui, non seulement amplifie le discours sur sa propre attitude à légard du monde, jusquà en faire le sujet principal des trois premières et des trois dernières strophes (tandis quailleurs le « je » na le plus souvent quune fonction purement grammaticale), mais il met aussi en relief lincipit et lexplicit du texte par des formules marquées : dune part, la proposition de largumentum (« Du Monde… / me dueil », i, v. 1-2), qui distingue la première strophe des suivantes, où lallocution anaphorique « Mondes » est la règle ; de lautre, le « congé » au monde au premier vers de la strophe finale (« Mondes, je praing a toi congié », xvii, v. 193)28, dans laquelle sachèvent avant tout les vicissitudes de celui qui parle, désormais prêt à entrer en religion. Ainsi, à lencontre de la fluidité, du commencement in medias res et de la conclusion formellement « ouverte » des Vers de la Mort, qui donnent presque limpression dun « aveu » spontané capable de se poursuivre à linfini29, les Vers du Monde, avec leur construction fermée et symétrique décrivant une progression dans lattitude du « je » 31à légard de la vie mondaine, paraissent réinterpréter le contemptus mundi hélinandien selon lesthétique prédominante au xiiie siècle30 : celle du « dit », qui fait de la discontinuité et de la mise en scène du moi deux de ses traits distinctifs fondamentaux31.

Dailleurs, malgré la proximité formelle et structurelle des deux œuvres, les éléments que nous venons dexaminer vont de pair avec dautres différences tout à fait conséquentes au niveau de lesprit et du registre. Linquiétude, lurgence et le tourment qui transparaissent des strophes du moine de Froidmont, caractérisées par laccumulation, la parataxe et un ton extrêmement varié, népargnant aucune couleur pour convaincre ses auditeurs, cèdent la place, dans les Vers du Monde, à une argumentation bien consciente des arts de la rhétorique mais attentive à éviter les accents trop élevés. Lorganisation rationnelle de la période, les comparaisons, implicites ou explicites, et les métaphores sont les expédients les plus fréquentés dans un discours qui semble conçu pour susciter lintérêt du public plutôt que lémouvoir. Lattention du lecteur moderne est particulièrement attirée par la véritable galerie dimages, très diverses et rarement banales, que lauteur crée pour rendre tangibles les vices dune entité abstraite telle que le « Monde ». En puisant tantôt dans la réalité quotidienne, tantôt dans ses connaissances littéraires et scientifiques, celui-ci décrit son interlocuteur par les métaphores suivantes :

le vent (i, v) ;

la cendre (i) ;

un calice rempli de poison (ii), une nourriture empoisonnée (iv), un serpent venimeux (xiii) ;

une voie sans issue dont lentrée est ornée de délices trompeurs (iv-v) ;

un labyrinthe (« meson Dedalu » ; v) ;

une fausse monnaie (v) ;

un vivier plain de nasses (vii) ;

un prêteur usuraire (viii) ;

le zéro arithmétique (« cyffres daugorisme » ; xiii).

32

Lanalyse des éléments structurels – strophes et rimes – ne fait que confirmer limpression dheureuse sobriété non dépourvue de finesse que nous venons de déceler dans la forme aussi bien que dans le fond du poème. Les strophes gardent lautonomie syntaxique et sémantique qui en fait, comme chez les autres imitateurs dHélinand, des unités minimales susceptibles dêtre lues isolément. Néanmoins, leur succession, visiblement loin dêtre due au hasard, contribue au développement du discours qui, tout en revenant à plusieurs reprises sur les mêmes arguments, progresse par un lent mouvement que lon pourrait dire « en spirale », accompagnant celui qui lécoute vers la conclusion prévue. Nous retrouvons des marques évidentes de ce procédé dans la pratique dune sorte de coblas capfinidas (le retour du même mot ou de la même image peut exceptionnellement remonter jusquau septième vers précédant la fin ou suivant le début des strophes concernées : par ex. « trespasses », vi, v. 66, et vii, v. 73), particulièrement évident dans la première partie du texte, notamment entre les strophes i-ii, ii-iii, v-vi et vi-vii.

Le système des rimes est plus simple que ce que le commentaire dA. Bernhardt laisse à penser32 :

i

ii

iii

iv

v

vi

vii

viii

ix

a

-endre

-oi

-ui

-ue

-oie

-oit

-asses

-ures

-age

b

-ent

-u

-iens

-u

-ens/enz

-oir

-ueil

-er

x

xi

xii

xiii

xiv

xv

xvi

xvii

a

-eur

-chiez

-vant

-i(s)me

-ert

-ere

-on

-ié

b

-oient

-er

-i(e)u

-ier

-ent

-ie

-age

Dans la majorité des strophes, les deux terminaisons, a et b, sont lune masculine, lautre féminine, comme cest généralement le cas dans les strophes dHélinand. En revanche, l« hétérogonie structurale33 » nentre pas dans les principes de composition fondamentaux du poème : en effet, les rimes féminines ne sont admises à la position 33b quà partir de la strophe xi (et deux fois seulement, aux str. xi et xvii). Quant au timbre, les terminaisons sont généralement faciles et se répètent parfois dans des strophes différentes. Aux seules strophes xi et xii la rime a est systématiquement riche34 ; ailleurs, on peut trouver épisodiquement des rimes riches (par ex. i, v. 6, 7, 10, 11 ; xvi, v. 181, 182, 185, 192), dérivatives (par ex. i, v. 1, 2, 9) ou équivoques (par ex. ii, v. 13, 22).

En conclusion, il est possible daffirmer que notre auteur tend à éviter linsistance sur les artifices de style qui marquent puissamment son modèle et, encore plus, les autres imitations de celui-ci, en nexploitant apparemment que ceux qui, lors de la performance orale, auraient pu mettre en relief certaines parties du texte sans risquer de distraire le public de son sens.

Note philologique et édition du texte

Nous avons cru nécessaire de corriger le texte aux lieux suivants, où la leçon du manuscrit unique nest pas satisfaisante pour des raisons métriques ou sémantiques :

vii, v. 74, « les » : le possessif « tes », qui contraste avec le sens du v. 75, est très fréquent dans le poème ; ici il paraît être dû à la répétition de la terminaison -tes de ladj. « cortes ».

vii, v. 81, « brasses » : la forme « brasse » fausse la rime en -asses.

x, v. 114, « et » : la lettrine « A » au début du vers ne fait pas sens et pourrait être la répétition de celle du v. 115 ; nous accueillons la correction proposée par Jubinal.

xiii, v. 145, « le » : la préposition « en » ne donne pas un sens satisfaisant ; nous introduisons larticle défini, qui semble être normal devant le numéral substantivé (« milisme »).

34

Comme le v. 144, « tels chiet qui se releveroit », devrait rimer en –ant, il est donc à considérer comme irrémédiablement corrompu. Deux cruces (†) le signalent ; le texte du ms. est enregistré, comme le sont toutes ses leçons rejetées, dans lapparat critique (en marge du texte).

Enfin, dans les trois cas suivants, lopportunité de corriger, au moins « mentalement35 », les infractions à la « déclinaison bi-casuelle », encore bien solide dans le nord du domaine doïl à lépoque de la composition du poème, a été rappelée soit par [s] (-s flexionnel à intégrer), soit par <s> (-s à effacer) : ix, v. 108, « cruel<s> » ; xi, v. 131, « tel<s> » ; xiv, v. 166, « Fol[s] ».

Pour le reste, nous nous sommes limités à reproduire le texte du manuscrit, même dans ses inconséquences graphiques, en ladaptant aux usages typographiques modernes (séparation des mots ; distinction de u/v et i/j ; marques de diérèse ; explicitation des abréviations ; ponctuation), selon les critères communément acceptés par les éditeurs dœuvres médiévales.

i. Du Monde qui fet a reprendre

me dueil, quar ainçois me vint prendre

conques eüsse entendement,

nainc puis ne me vout mon cuer rendre,

5 ainz ma fet entor lui despendre

tens, aage, sens et jouvent :

dont en grant dolor sui sovent,

quar je remir confetement

me sui lessiez a lui sozprendre

10 por ce quil mavoit en couvent.

En ses promesses na que vent

et, sil paie, nest ce fors cendre.

ii. Mondes, de toi plaindre me doi,

quar par toi engané me voi

15 par ce que je tai trop creü :

tes promesses de pute foi

mont si converti en ta loi,

mondes, queles mont deceü.

35

Mondes, tu mas si desvestu

20 quil na en moi nule vertu.

Mondes mauvés, nous sommes doi,

cors et ame, cui tas feru

a mort et de venin peü.

Fols est qui a fïance en toi.

iii. Mondes, li venins que je bui

a ton hanap, quant a toi fui,

dont tout me truis envenimé,

samble chascun plesant en lui

dusquadonc quil connoist lanui,

30 le domage et la povreté

que lame i prent, et lenferté ;

mes quant connoist ta fausseté,

adonc te het et aime autrui.

Cil qui plus se sont delité

35 en toi servir, plus ont musé,

quar servi ont ne sevent qui.

iv. Mondes, cil par a trop perdue

la connoissance et la veüe

qui en toi se fie de riens.

40 Tes une voie sanz issue :

lentree est paree et vestue

de delices, plaine de fiens,

dorgueil, de beuban, cest li biens

que tu fes savorer les tiens ;

45 covoitise i est maintenue

et toute chose qui est niens.

Mondes, tu pais cels que tu tiens

dune vïande qui les tue.

v. Mondes, cil qui a toi savoie,

50 quant connoissance le ravoie

daler au chemin de salu,

il nen puet issir, ainz forvoie

quar il ne puet trover la voie.

36

Tu es la meson Dedalu :

55 puis con ert en toi embatu,

a paines en ert on issu.

Les tiens paies fausse monoie ;

he ! Diex, tant en ai receü,

je criem que je nen arde ou fu

60 avoeques cels que Diex renoie.

vi. Mondes, qui bien te connistroit

et qui tres bien tesgarderoit,

tes oevres et tes paiemenz,

nule fiance en toi navroit,

65 quant qui te sert, il se deçoit.

Ausi trespasses comme venz :

i est uns hon de si grant sens,

si plains davoir et de parenz

que nului riens ne priseroit ;

70 ci est si viex et si pullenz

que chascuns li vuide les renz

nis uns chiens ne laprocheroit.

vii. Mondes, je di que tu trespasses

et que cortes sont les espasses les] tes

75 con a en toi de joie avoir.

u es uns viviers plains de nasses

por prendre les chetives lasses

dames, qui nont mestier davoir,

mes amors les fet encheoir,

80 maugré reson, a recevoir

ce que par mi les cors leur brasses. brasses] brasse

Mondes, tu les fez en ton oir

de longue vie par espoir,

nis croire ne vuelent leur faces.

viii. Mondes, en toi na fors paintures,

durtez, tribulacïons sures,

mes de ce es plains jusquen lueil.

Les tiens fez prester a usures

37

por avoir les envoiseüres

90 en qui len envelope orgueil.

Tels a pou de pain de mestueil

et mendie sus autrui sueil

en mauvés dras plains de coustures,

qui plus list de joie en droit fueil,

95 que cil qui ont par ton acueil

robes, chevaus et couvertures.

ix. Mondes, je voi que li plus sage

devienent tuit fol par lusage

que tu leur fez acoustumer.

100 Il ne ten chaut de lor domage :

tu leur fez paier le musage,

tant les fez aprés toi aler

quel mont dorgueil les fez monter ;

et la lor fez les iex crever

105 a covoitise et a outrage,

si quil nen sevent ravaler.

Mes qui la mort i puet trover,

il en paie cruel<s> ostage.

x. Mondes, tu taus Nostre Seigneur

110 ce quil racheta de la fleur

et du fruit de virginité.

Hé, laz ! con vez ci grant doleur

quant len voit vaintre le meneur !

Et Celui qui tout a crïé Et] A

115 a Len ore si adossé,

si en despit, si en viuté,

con ne li veut porter honeur :

il samble con ne li set gré

de ce quil ouvri son costé

120 por nous toz remetre en valeur.

xi. Mondes, con ce est granz meschiez

de ce que tu as tant des chiez

de Sainte Yglise, qui bien voient

38

quil na en toi fors que pechiez ;

125 et sest chascuns si atachiez

a toi quil naiment ne ne croient

fors toi, dont maint example envoient

a cels qui bien se garderoient !

Mes quant len voit de toi tachiez

130 cels qui enseignier nous devroient,

je sai bien que tel<s> te fuiroient

qui atent ore tes marchiez.

xii. Mondes, hardiement me vant

que cil qui te voient devant

135 sanz toi par derriere esgarder

ne se vont nient apercevant

comment tu les vas decevant,

si quil ne sen sevent garder.

Mondes, tu les fez arester

140 en tes delices desirrer ;

mes qui voudroit aller avant

et espresseement garder

quel on te puet en fin trover,

† [] † -ant.] tels chiet qui se releveroit

xiii. Mondes, nus ne puet le milisme le] en

de tes faussetez metre en rime

en romanz nen latin nen griu.

Tu es serpenz qui envenime,

tu es li cyffres daugorisme

150 qui ne fet fors tolir le lieu

dautre figure, cest de Dieu.

Na Pere Ihesu Crist le pieu

qui troveroit maint cuer benime

en lieu amoreus et soutiu,

155 qui ore en sont rude et eschieu

con sil fussent de paienime.

xiv. Mondes, len seut dire en apert

que qui a chetif seigneur sert,

39

il en atent chetif loier.

160 Mondes, cil qui a toi sahert

jose bien dire quil se pert

quar, de quanque toz pues paier,

ne porroies mie apaier

.j. cuer par qoi son desirrier

165 neüst a couvoitier ouvert.

Fol[s] se fet en toi herbregier :

cuers ne si puet rassasïer,

ne cuns gloutons en vuit desert.

xv. Mondes, la mort, qui son repere

170 a par tout, me fet ton afere

remirer plus diligaument

que ja mes ne cuidoie fere ;

mes toute rien voi a fin trere

et toi plain de mauvés couvent.

175 A maint homme dones sovent

espoir de vivre longuement

en joie, sanz avoir contrere,

a cui la mort est en present

par viellece ou par sentement,

180 ne por ce ne sen veut retrere.

xvi. Mondes, plain de corruptïon

te voi, dabominacïon :

trop est faus qui en toi se fie !

Les tiens jues de trahison

185 par ta vaine promecïon

dont ame nest fors esvuidie.

Mondes, cil qui plus estudie

en toi, et plus fet grant folie :

len ni aquiert se paine non

190 et sest par tant lame perie.

Por ce istrai de tabeie

tant quaie fet profectïon.

xvii. Mondes, je praing a toi congié.

40

Se pieça teüsse eslongié

195 jeüsse fet mon avantage,

nes que se jeüsse songié

mes desirs que tu mas paié :

nen truis en moi fors quarrierage,

famine, acroissement de rage.

200 Or voi, quant connois mon domage,

comment tu mas le dé changié !

Or vueil issir de ton servage

et corre a mon droit heritage

que Diex ma fet et esligié.

Traduction

Conçue pour éclaircir autant que possible le sens du poème, notre traduction séloigne parfois de la lettre du texte, lorsque cela nous a paru opportun pour rester compréhensible. Nous avons, cependant, essayé de traduire vers à vers et signalé par des points dinterrogation les passages qui ont résisté à nos efforts exégétiques.

I. Du Monde qui est digne de reproche

je me plains, car il vint me saisir avant

que je nen eusse conscience,

et, depuis, il na jamais voulu me rendre mon cœur ;

il ma même fait gaspiller autour de lui

mon temps, ma vie, ma raison et ma jeunesse :

cest pourquoi souvent un grand chagrin me tourmente,

car je cherche attentivement comment

je me suis laissé surprendre par lui

puisquil mavait donné sa parole.

Dans ses promesses il ny a que vent

et, sil paie quelque chose, ce nest que cendre.

II. Monde, je dois me plaindre de toi,

car je vois que tu mas trompé

41

puisque jai trop eu confiance en toi :

tes promesses de mauvaise foi

mont rendu si fidèle à ta loi,

Monde, quelles mont abusé.

Monde, tu mas tellement dépouillé

quil ne me reste aucune vertu.

Monde méchant, nous sommes deux,

corps et âme, que tu as blessés

à mort et rassasié de poison.

Il est fou celui qui a confiance en toi.

III. Monde, le poison que jai bu

à ton calice, lorsque jétais des tiens,

et qui ma entièrement empoisonné,

semble agréable à tous ceux qui lavalent

jusquà ce quils éprouvent la peine,

le dommage et la misère

que lâme en retire, et la maladie ;

mais quand ils connaissent ta fausseté,

alors il te haïssent et aiment quelquun dautre.

Ceux qui se sont amusés le plus

à ton service ont le plus gaspillé leur temps,

car ils ne savent pas qui ils ont servi.

IV. Monde, il a complètement perdu

la raison et la vue,

celui qui a tant soit peu confiance en toi.

Tu es une voie sans issue :

parée et revêtue de délices

à lentrée, mais jonchée dordures,

dorgueil et darrogance, à savoir les biens

que tu fais goûter aux tiens ;

la convoitise y réside

ainsi que tout ce qui ne vaut rien.

Monde, tu nourris ceux que tu retiens

avec une nourriture qui les tue.

V. Monde, celui qui prend ta direction,

42

alors que la raison lui rappelle

daller sur le chemin du salut,

il ne peut sen sortir et se perd même,

car il narrive pas à trouver la voie.

Tu es la maison de Dédale :

dès quon est tombé sur toi,

difficilement pourra-t-on sen sortir.

Tu paies les tiens dune fausse monnaie ;

hélas, Dieu ! jen ai tant reçu

que je crains de brûler dans le feu

avec ceux que Dieu répudie.

VI. Monde, celui qui te connaîtrait bien,

en considérant de très près

tes œuvres et tes récompenses,

naurait aucune confiance en toi,

puisque celui qui te sert sabuse.

Tu es fugace comme le vent :

considérons un homme dune sagesse si grande,

si entouré de biens et de proches

quil nenvierait rien à personne ;

le voici devenu si vieux et si repoussant

que tout le monde sécarte de lui (?)

et que pas même un chien ne sen approcherait.

VII. Monde, je dis que tu es fugace

et que les moments de jouissance

que lon trouve en toi sont courts.

Tu es un vivier plein de nasses

qui capturent les pauvres et malheureuses

dames qui nont pas besoin dargent ;

mais cest lamour qui les fait condescendre

à recevoir contre raison

ce que tu provoques dans leur corps.

Monde, tu en fais de tes héritiers (?)

par lespoir dune longue vie,

et elles ne veulent même pas croire à (la vue de) leurs visages.

43

VIII. Monde, en toi il ny a que fausses apparences,

peines et tourments certains :

tu en es plein jusquaux yeux.

Aux tiens tu prêtes à intérêt

pour obtenir les réjouissances

dont se nourrit lorgueil.

Celui qui na quun peu de pain de méteil

et demande laumône devant la porte des autres,

vêtu de guenilles toutes raccommodées,

il en a plus appris sur la joie en lisant le bon livre

que ceux qui obtiennent grâce à ton accueil

vêtements, chevaux et housses.

IX. Monde, je vois que les plus sages

deviennent tous fous à cause des habitudes

que tu leur fais prendre.

Tu ne te soucies pas de leur dommage :

tu leur fais gaspiller leur temps

et les conduis à ta suite jusquà ce

quils montent sur le mont dorgueil ;

là-haut tu leur fais crever les yeux

par convoitise et démesure,

si bien quils ne sont plus capables de redescendre.

Mais celui qui y trouve la mort

en paie un pénible tribut.

X. Monde, tu enlèves à Notre Seigneur

ce quil racheta de la fleur

et du fruit de virginité.

Hélas, quelle grande douleur

que de voir le moins digne lemporter !

Et Celui qui a tout créé,

on La maintenant renié

de façon si méprisante et ignoble

quon ne veut plus lui rendre honneur :

il semble quon ne lui sait gré

davoir ouvert son côté

pour tous nous rétablir dans notre valeur.

44

XI. Monde, quel grand malheur

que tu comptes parmi les tiens beaucoup de chefs

de la Sainte Église qui, bien quils ne voient

en toi que péché,

te sont pourtant tous si liés

quils naiment ni ne croient

quen toi et en montrent de nombreux mauvais exemples

à ceux qui plutôt se méfieraient !

Mais puisque lon voit souillés de toi

ceux qui devraient être nos guides,

je sais bien que ceux pour qui le commerce avec toi

est maintenant inévitable te fuiraient.

XII. Monde, sans hésiter je me tiens pour assuré

que ceux qui te voient de face

sans te regarder aussi de dos

ne saperçoivent aucunement

de la manière dont tu les trompes :

aussi ne sont-ils pas en mesure de se défendre.

Monde, tu les fais sarrêter

au désir de tes délices ;

mais en voulant continuer la marche

pour voir expressément

quel peut être ton véritable aspect,

[].

XIII. Monde, personne ne peut mettre en vers

le millième de tes mensonges,

en français, en latin ou en grec.

Tu es un serpent venimeux,

tu es le zéro en arithmétique

qui ne fait que prendre la place

dun autre chiffre : Dieu.

Même Jésus Christ, Notre Père, le pieux,

ne trouverait pas beaucoup de cœurs bienveillants

dans un lieu damour et de raffinement, (?)

car maintenant ils sont devenus grossiers et hostiles

45

à limage des païens.

XIV. Monde, on a lhabitude de dire ouvertement

que celui qui sert un mauvais maître

en reçoit un mauvais salaire.

Monde, celui qui sattache à toi

jose bien dire quil se perd

car, pour autant que tu puisses tous les payer,

tu ne pourrais jamais satisfaire

un cœur de façon à ne pas ouvrir

son désir à la convoitise.

Seulement un fou se fait héberger par toi :

le cœur ne peut y être rassasié,

pas plus quun glouton dans un désert absolu.

XV. Monde, la mort qui est chez elle

partout me fait examiner

ta conduite plus attentivement

que je navais encore jamais songé à le faire ;

mais je vois que tout tend à sa fin

et que tu es plein de mauvaises promesses.

Tu donnes souvent à beaucoup dhommes

lespoir de vivre longtemps

dans la joie, sans rencontrer dobstacle,

eux pour qui la mort est une pensée obsédante

à cause de la vieillesse ou de mauvais pressentiments,

et qui, malgré cela, ne veulent pas y renoncer.

XVI. Monde, je te vois plein

de corruption et dabomination :

il est trop fou, celui qui a confiance en toi !

Tu tamuses à trahir les tiens

par ta vaine promesse

qui ne fait que dépouiller complètement lâme.

Monde, celui qui sattache le plus

à toi commet aussi la folie la plus grande :

lon ny obtient que souffrance

et même, pour cela, la ruine de son âme.

46

Cest pourquoi je sortirai de ton abbaye,

jusquà ce que jaie prononcé mes vœux.

XVII. Monde, je prends congé de toi.

Si je tavais déjà depuis longtemps quitté,

jen aurais tiré profit,

de même que si javais vu en rêve

laccomplissement des désirs que tu mas satisfait :

je nen trouve en moi que procrastination,

disette et colère montante.

Je vois maintenant, en reconnaissant mon dommage,

comment tu as modifié le résultat de mon dé !

Je veux désormais mémanciper de ton service

et courir vers le juste héritage,

que Dieu a préparé et acheté pour moi.

Notes de commentaire aux vers

I, 8. La conjonction « quar » pourrait être une innovation de copiste (répétition des v. 2 et 14, même voyelle finale que « remir ») au lieu de « quant », lorsque : le sens temporel paraît ici plus satisfaisant.

I, 11. Voir Watriquet de Couvin, Despit : « En tes promesses nest que vens » (vi, v. 62).

I, 12. Voir Watriquet de Couvin, Despit : « Mondes, tu ne paies que cendre » (v, v. 55). La rime « sozprendre » : « cendre » (avec les plus communs « prendre » et « rendre ») se trouve aussi dans lApostrophe au Cors : « et sil te veut apres sousprendre / remembre toi que tu es cendre » (xvi, v. 190-191).

II, 10. Les conséquences de laction du Monde à la fois sur le corps et sur lâme sont parmi les aspects des Vers du Monde dont se rappellera Watriquet : « Mondes, tu fais le cors quasser / en pechié et soi mespasser, / dont sans respasser lame quasses » (Despit, viii, v. 94-96).

III, 1-3. La métaphore du poison (voir aussi iv, v. 48, et xiii, v. 148) est récurrente dans les vers moraux, depuis Hélinand (Vers, l, v. 589-590 : « Hé, Dieus ! por quest tant desiree / joie charneus envenimee ») : voir lApostrophe au cors (iii, v. 25 : « Cors desloiaus, de venin plains ») et le Despit de Watriquet de Couvin (v, v. 49 : « Mondes faus et dort venim plains »).

IV, 5. Limage de la porte qui introduit au Monde semble avoir influencé Watriquet : « Mondes, na pas bien lueil ouvert / qui safie en ta porte ouverte » (Despit, iv, v. 45-46).

IV, 37-40. Un rapport intertextuel indéniable relie ces vers à un passage des Vers dAmours dAdam de la Halle, comme le démontre lidentité de la rime a (-ue), de la structure syntaxique et du vocabulaire employé : « Amours, tu mas chiere vendue / ta counisance et ta venue ; / pour voir es li Vaus Perilleus, / plains damertume et sans issue » (ii, v. 13-16).

V, 54-56. À notre connaissance, la « maison Dedalu » – à savoir le labyrinthe mythologique de Dédale – apparaît seulement une autre fois dans la littérature française du xiiie siècle, chez Richard de Fournival, qui en fait une métaphore de lamour : « Cest la maison Dedalu / u a se devise / set cascun entrer, / et tout i sont detenu, / car en nule guise / ne pueent 47trouver / ne assener / par u lentree fu » (RS 760, v. 25-32 ; éd. Y. G. Lepage, Lœuvre lyrique de Richard de Fournival, Ottawa, Éditions de lUniversité dOttawa, 1981, xv). Pourtant, le rapport de notre poème avec cette chanson est improbable : en effet, la présence de la même image, au siècle suivant, dans des œuvres de genre aussi différent que les Sept articles de la foi de Jean Chapuis (voir Le Roman de la Rose par Guillaume de Lorris et Jehan de Meung, éd. M. Méon, Paris, Didot, 1814, t. iii, p. 353, v. 560) et la ballade anonyme En la maison Dedalus du ms. de la Jean Gray Hargrave Music Library (University of California, Berkeley), paraît confirmer quelle devait faire partie de limaginaire de lépoque.

V, 57. Lhémistiche « fausse monoie » se trouve chez Hélinand : Vers, vi, v. 6 (voir aussi « denier faus », Vers, xiv, v. 9).

VI, 67-72. La deuxième partie de la str. vi paraît exemplifier le caractère éphémère du Monde (affirmé au v. 66) par la description dun homme satisfait de sa vie mondaine – si nous comprenons bien, le « grant sens » (grande sagesse, v. 67) serait à entendre ironiquement – qui devient un vieillard misérable et abandonné de tous. Le substantif « renz » (< hring : voir FEW, xvi, 240) signifie litt. rang, ligne de soldats : bien quelle ne semble être attestée quau sens très concret de rompre les rangs (voir G. Di Stefano, Nouveau dictionnaire historique des locutions, Ancien Français – Moyen Français – Renaissance, Turnhout, Brepols, 2015, t. ii, p. 1494b), la locution (li) vuider les renz signifie vraisemblablement ici (le) quitter, sécarter (de lui). Je tiens à remercier Silvère Menegaldo de mavoir suggéré cette interprétation.

VII, 76. Voir Hélinand de Froidmont : « Tu as tramail et roiz et nasse / por devant le haut homme tendre » (Vers, xx, v. 237-238).

VII, 78. Dans lédition de Jubinal, la séparation des mots donne une leçon inacceptable : « dames » pour « dames ». Cette strophe parle incontestablement de dames, non pas d’‘âmes.

VII, 79. Le verbe « encheoir » vaut évidemment condescendre (« a recevoir », v. 80), quoique cette acception ne soit attestée quà partir du moyen français (voir FEW, ii, 26b).

VII, 81. « Bracier », litt. fabriquer de la bière, prend souvent le sens, figuré et génériquement négatif, de faire, provoquer (TL, i, 1107 ; voir, par ex., le Despisement du Cors, xiv, v. 168).

VII, 82. La leçon du ms. « entonoir », entonnoir, reproduite telle quelle par Jubinal, nest pas acceptable. La leçon correcte sobtiendrait par la séparation des mots : « en ton oir » (héritier : pour lemploi figuré du substantif « oir », voir Robert le Clerc, Vers, cclviii, v. 3096, « li hom cui pecié fait son oir », et n.), sopposant au « droit heritage / que Diex ma fet et esligié » (xvii, v. 203-204) qui clôt le poème. Si le sens global du v. paraît assez évident (« tu leur lègues ton héritage », donc « tu les associes à toi »), linterprétation des rapports logiques et syntaxiques entre « les », « en » et le sing. « oir » nest pas aisée. À cet égard, il nest pas à exclure que le texte du ms. puisse être corrompu : la mémoire du v. 79 (dont le deuxième hémistiche, « les fet encheoir », est tout à fait semblable à celui du v. 82) aurait pu provoquer la modification de la leçon originaire, qui resterait pour nous insaisissable.

VIII, 87. La formule « jusquen lueil » est répertoriée dans TL (xi, 9 : ce vers y est cité) mais sans traduction.

VIII, 88. Le prêt « a usure » est deux fois évoqué par Hélinand : Vers, xxxii, v. 380, et l, v. 595.

VIII, 91-96. La mention de la quantité de « pain » et de la qualité des « dras » comme éléments pour distinguer les riches des pauvres paraît dénoncer un emprunt à la str. xliii des Vers dHélinand : « Li mieuz vestu et li plus cras / çaus a peu pain et a peu dras… » (v. 505-506).

IX, 103. Pour la métaphore du « mont dorgueil », voir par ex. Le Dit de la Panthère, v. 631-640 : « Orgueil se maine haultement, / et Humilitez bassement ; / por tant puet estre comparee / Humilitez a la valee. / Par le mont aussi, sans mesprendre, / puet on le mont dOrgueil entendre ; / honnie soit tele montaigne ! / Nulz ni monte qui ne sen plaigne. / Qui le mont dOrgueil velt monter / entre les folz se peut conter » (Nicole de Margival, Le Dit de la Panthère, éd. B. Ribémont, Paris, Champion, 2000, p. 62).

48

X, 109-110. Si limage de la « fleur de virginité », représentant la Vierge (qui sera explicitement invoquée par Watriquet de Couvin : Despit, iii, v. 36, et x, v. 119), est assez courante au Moyen Âge (et jusquà lépoque moderne), celle du « fruit de virginité » est beaucoup moins fréquente. En référence au Christ, elle apparaît par ex. chez le cistercien Aelred de Rievaulx (« De fructu virginitatis eius melius est silere quam dicere, quia nihil inde digne dicere possumus… » : voir Aelredi Rievallensis Sermones i-xlvi. Collectio Claraevallensis prima et secunda, éd. G. Raciti, Turnhout, Brepols, 1989, xxxix, De annuntiatione domini 5, 65-66).

XI, 132. « Qui » vaut « cui ». Pour « atendre », « mit sächl. subj. » (ici « tes marchiés », le commerce avec toi), voir les ex. donnés par TL, i, 632.

XII, 133. « Hardiement », anc. pic. sans hésiter (FEW, xvi, 155b).

XIII, 152. « Ihesu Crist » reçoit parfois lappellatif de « père » dans les textes médiévaux (voir TL, vii, 741), surtout dans les chansons de geste (D. Kullmann, « “Pere Jhesu”. Überlegungen zu einer theologisch bedenklichen Ausdrucksweise in den Chansons de geste », Literatur : Geschichte und Verstehen. Festschrift für Ulrich Mölk zum 60. Geburtstag, éd. H. Hudde, U. Schöning, F. Wolfzettel, Heidelberg, Winter, 1997, p. 221-238). En sappuyant sur les rares occurrences latines (sermons, hymnes et autres textes liturgiques), Dorothea Kullmann démontre que lemploi littéraire de cette appellation à partir du xiie siècle serait à relier à la posture du Christ dans la liturgie de la Passion, que le renforcement, sur le plan socio-politique, des liens de parenté au détriment des rapports féodaux et la propagande pour la Croisade auraient contribué à diffuser (p. 236-238).

XIII, 154. La référence de lexpression « lieu amoureus et soutieu » (lieu damour et de raffinement ?) nest pas évidente dans ce contexte.

XIII, 155. La leçon « qui » du ms. est à interpréter « qui[l] » ; le pronom sujet de 3e pers. plur. ne peut que se référer ad sensum au sing. – mais logiquement plur. – « maint cuer » (v. 153).

XIV, 158-159. Pour le proverbe (introduit, comme cest souvent le cas pour les expressions parémiologiques insérées dans des œuvres littéraires, par la formule « len seut dire que… », v. 157) « qui a chetif seigneur sert / il en atent chetif loier », présent dans le répertoire de J. Morawski (Proverbes français antérieurs au xve siècle, Paris, Champion, 1925, no 1986), voir Thesaurus Proverbiorum Medii Ævi, t. ii, p. 244 (« Dienen », § 8.11.4).

XIV, 160-161. Voir Adam de la Halle, Vers dAmours : « Amours, nen puet aler sans perte / ki en ton service saherte » (xiv, v. 157-158).

XV, 180. Lantécédent de « en » est « espoir » (v. 176).

XVII, 201. Limage de dés signifiant les aléas du destin auquel lhomme est immanquablement soumis apparaît chez Hélinand (Vers, xv, v. 176-177 : « Si aport dez de deus et das / por vos faire jeter del mains » [cest la Mort qui parle]) ; elle est ensuite systématiquement reprise par les auteurs de vers moraux (Robert le Clerc, Vers, xxxvii, v. 440, lxiv, v. 765, cxxxv, v. 1616, cxliii, v. 1705 ; Apostrophe au Cors, xvi, v. 181-183 ; Despisement du Cors, xii, v. 140-144). Pour lemploi du champ métaphorique du jeu – notamment des dés – dans les poèmes en strophe dHélinand, voir M. Margani, « I dadi della Morte : metafore del gioco nella letteratura francese medievale », « Mort suit lhomme pas à pas ». Représentations iconographiques, variations littéraires, diffusion des thèmes. Actes du xviie Congrès international Danses macabres dEurope, éd. A. Benucci, M.-D. Leclerc et A. Robert, Reims, Université de Reims Champagne-Ardenne, 2016, p. 233-247.

Federico Saviotti

Università di Pavia

1 Ce ms. a retenu lattention de nombreux chercheurs et a été lobjet de plusieurs contributions portant sur différents aspects de sa structure ou de son contenu : voir, entre autres, L. Borghi Cedrini, « Per una lettura continua dell837 (Ms. fr. Bibl. Nat. di Parigi) : il Departement des livres », Studi testuali, 3, 1994, p. 115-166 ; O. Collet, « “Encore pert il bien aus tés quels li pos fu” (Le Jeu dAdam, v. 11) : le manuscrit BnF f. fr. 837 et le laboratoire poétique du xiiie siècle », Mouvances et jointures. Du manuscrit au texte médiéval, éd. M. Mikhaïlova, Orléans, Paradigme, 2005, p. 173-192 ; S. Lefèvre, « Le recueil et lœuvre unique. Mobilité et figement », Mouvances et jointures, éd. Mikhaïlova, p. 203-228. Cependant, une description satisfaisante de ce livre, dont le principe constitutif paraît être la brevitas des pièces (Lefèvre, « Le recueil et lœuvre », p. 206), manque toujours. Pour la datation et la localisation du recueil, voir plus loin.

2 Le même intitulé est repris par la rubrique en écriture cursive ajouté tardivement en-dessus de la première ligne du texte (« Les vers du monde », fol. 208r).

3 Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux et autres pièces inédites des xiiie, xive et xve siècles, éd. A. Jubinal, Paris, Pannier, 1839-1842, t. ii, p. 124-133.

4 A. Bernhardt, Die altfranzösische Helinandstrophe, Münster, Aschendorff, 1912, p. 11-13. Pour le texte du poème dHélinand : Les Vers de la Mort par Hélinant, moine de Froidmont, éd. F. Wulff et E. Walberg, Paris, Didot, 1905.

5 « Nach meinem Dafürhalten, haben wir es hier mit einem begabten Dichter zu tun » (Bernhardt, Die altfranzösische, p. 13). La seule référence ultérieure aux Vers du Monde se trouve, à notre connaissance, dans un autre répertoire critique de la littérature didactique et morale : C. Segre, « Le forme e le tradizioni didattiche », Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, vi/i, Heidelberg, Winter, 1968, p. 63.

6 Nous lavons déjà fait, marginalement, dans une contribution précédente, dont nous reprenons ici quelques arguments et à laquelle nous renvoyons pour tout renseignement complémentaire sur les œuvres mentionnées dans le prochain paragraphe : F. Saviotti, « Le “rendite della morte” : i vers morali in strofa dHélinand », Rivista di storia e letteratura religiosa, 47, 2011, p. 237-255.

7 Robert le Clerc dArras, Les Vers de la Mort, éd. A. Brasseur et R. Berger, Genève, Droz, 2009.

8 Adam de la Halle, Œuvres complètes, éd. P.-Y. Badel, Paris, Librairie générale française, 1995, p. 412-415.

9 Au. Scheler, Dits de Watriquet de Couvin, Bruxelles, Devaux, 1868, xiv, p. 155-162.

10 K. Bartsch, La langue et la littérature françaises depuis le ixe siècle jusquau xive siècle : textes et glossaire, précédés dune grammaire de lancien français par A. Horning, Paris, Maisonneuve & Leclerc, 1887, c. 547-554.

11 A. Långfors, « Li despisemens du cors (Bibl. Nat. fr. 25.462) », Romania, 40, 1911, p. 566-570. La seule mention du nom de Perrin la Tour se trouve dans la rubrique du ms. BnF, fr. 25462 (fol. 178r) qui en fait lauteur du dit Du Mesdisant, précédant le Despisement du Cors dans le recueil : cest pour cette raison que léditeur des deux pièces avance, quoique de façon très prudente, la possibilité que leur auteur soit le même.

12 Voir aussi Les Vers dAmours dArras (Adam de la Halle et Nevelot Amion), éd. F. Saviotti, Paris, Champion, 2018, p. 82-83.

13 Pour la polysémie de vers dans la langue médiévale – selon le cas, « vers », « poème » ou bien « strophe » – voir P. Bourgain, « Quest-ce quun vers au Moyen Âge ? », Bibliothèque de lÉcole des Chartes, 147, 1989, p. 231-282.

14 Voir Robert le Clerc, Les Vers de la Mort, p. 74.

15 Voir « Watriquet de Couvin », Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Âge, éd. G. Hasenohr et M. Zink, Paris, Fayard, 1994.

16 Voir Les Vers dAmours, éd. Saviotti, p. 31-32.

17 Le sous-genre des « vers dAmour » a connu un succès rapide et non moindre que celui des autres, si lon considère limitation du poème dAdam par son concitoyen Nevelot Amion et par lamiénois Guillaume le Peintre avant la fin du siècle.

18 A. Bernhardt (Die altfranzösische, p. 13) semble croire notamment que la dernière strophe des Vers de la Mort a servi de modèle pour lauteur des Vers du Monde. Cependant, il ny a pas de correspondances textuelles évidentes qui peuvent supporter cette lecture et la même affinité peut se retrouver entre les Vers du Monde et dautres passages de lœuvre hélinandienne.

19 G. Gröber, Grundriss der romanische Philologie, ii/1, Strasbourg, Trubner, 1888, p. 696. Cette datation est reprise par Bernhardt, Die altfranzösische, p. 11-13.

20 Voir Lefèvre, « Le recueil et lœuvre », p. 205.

21 Pour le détail de ces reprises, voir plus bas, les notes de commentaire aux vers.

22 Voir Les Vers dAmours, éd. Saviotti, p. 111.

23 Bernhardt, Die altfranzösische, p. 11.

24 À la liste de Bernhardt, on ajoutera les indices suivants : 1) fŏcu > « fu » (v. 59 ; Ch.-Th. Gossen, Grammaire de lancien picard, Paris, Klincksieck, 1970, § 25, p. 78) ; 2) rime -ens/enz : indépendamment de la notation -s ou -z, laffaiblissement de lélément dental devant -s (t + -s > [s] ; Gossen, Grammaire, § 40, p. 94) permet de faire rimer « paiemenz » (< pacamentu + -s, v. 63), « venz » (< ventu + -s, v. 66), « parenz » (< parentes, v. 68), « pullenz » (< *putulentu + -s, v. 70) et, sans doute, « renz » (< renditas, v. 71) avec « sens » (< sensu, v. 67) ; 3) pron. suj. de 2e pers. sing. : « t » (< te, v. 40 ; Gossen, Grammaire, § 64, p. 123, n. 1) ; 4) emploi du verbe « (soi) aherdre », sattacher : « sahert » (v. 160 ; il sagirait dun mot régional picard-champenois : voir Ch.-Th. Gossen, « Les “mots du terroir” chez quelques poètes arrageois du Moyen Âge », Études romanes du Moyen Âge et de la Renaissance offertes à Jean Rychner, éd. A. Gendre, Ch.-Th. Gossen et G. Straka, Strasbourg, Klincksieck, 1978, p. 183-195).

25 Doù les divergences entre les chercheurs qui se sont penchés sur létude du ms. fr. 837 quant à lorigine (francienne ? normande ? septentrionale ?) de son copiste unique (voir Lefèvre, « Le recueil et lœuvre », p. 205). Dailleurs, on ne peut pas sempêcher de remarquer quaucune des hypothèses avancées na été étayée par un dépouillement systématique des textes transcrits dans le recueil. Les tentatives de localisation de celui-ci à partir de la sélection et de lorganisation de son contenu (telle celle, arrageoise, que suggère quoique prudemment Collet dans « “Encore pert il bien” », p. 191-192) ne paraissent pas davantage fiables.

26 Il est à notre avis probable que même les Vers dAmours aient été conçus dans et pour la Confrérie (voir Les Vers dAmours, éd. Saviotti, p. 98-99).

27 Voir T. Matsumura, Dictionnaire de français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2016, p. 2276 : vie du siècle. Il est à remarquer quHélinand nutilisait en ce sens que le mot « siecle » (par ex. : « Que vaut quanque li siecles fait ? / Morz en une eure tot desfait », Vers, xxviii, v. 1-2), qui en revanche manque au vocabulaire de lauteur des Vers du Monde.

28 Il convient de remarquer que, malgré lemploi commun de la strophe hélinandienne, notre texte ne démontre aucun rapport évident avec le genre arrageois des « congés », dont le thème prédominant est celui de la séparation du sujet de ses amis et concitoyens.

29 Voir, à propos de la simplicité calculée de la composition hélinandienne, M. Zink, « Rythmes de la conscience. Le noué et le lâche des strophes médiévales », La conscience de soi de la poésie. Poésie et rhétorique, éd. O. Bombarde, Paris, Lachenal et Ritter, 1997, p. 59-62.

30 Watriquet de Couvin, un demi-siècle plus tard, suivra cet exemple dans son Despit du Monde.

31 Voir J. Cerquiglini-Toulet, « Le clerc et lécriture : le “voir dit” de Guillaume de Machaut et la définition du dit », Literatur in der Gesellschaft des Spätmittelalters, éd. H. U. Gumbrecht, Heidelberg, Winter, 1980, p. 151-168.

32 « Die Reime sind häufig reich und leoninisch, auch homonyme sind anzutreffen » (Bernhardt, Die altfranzösische, p. 13).

33 Voir L. Seláf, « La Strophe dHélinand : sur les contraintes dune forme médiévale », Formes strophiques simples / Simple Strophic Patterns, éd. L. Seláf et al., Budapest, Akadémiai Kiadó, 2010, p. 73-92, aux p. 86 et 88.

34 Il faut pourtant remarquer que la faute intéressant le dernier mot de la strophe – dans le ms. nous lisons « releveroit », mais cette forme fausse manifestement la rime – nassure pas quant à la terminaison « riche » du vers 144, qui demeure tout de même statistiquement probable.

35 Lidée de « correzioni mentali, proposte al lettore e non imposte al testo » est développée, bien que dans un cadre différent du nôtre, par C. Segre, « La critica testuale », XIV Congresso Internazionale di Linguistica e Filologia Romanza, éd. A. Varvaro, Napoli, Macchiaroli, 1978-1981, t. i, p. 493-499, à la p. 496.