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Classiques Garnier

Tel esprit qui croyait prendre Les tempéraments du Dr Huarte, médecin et écrivain

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2018 – 1, n° 35
    . varia
  • Auteur : Brancher (Dominique)
  • Résumé : Si on appliquait à l’énonciateur de l’Examen des esprits les « diagnostics professionnels » qu’il propose, quel métier et corrélativement quel tempérament, tempéré ou intempérant, lui attribuer ? L’article montre que la singularité inclassable de l’énonciateur de l’Examen en défie les catégories médicales et les jugements esthétiques, met en contradiction le dire et le dit par la praxis d’un médecin-philosophe qui écrit en rhéteur efficace, véritable adunaton dans le système huartien.
  • Pages : 427 à 464
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406083221
  • ISBN : 978-2-406-08322-1
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08322-1.p.0427
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/08/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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TEL ESPRIT
QUI CROYAIT PRENDRE

Les tempéraments du Dr Huarte,
médecin et écrivain

En goûtant du fruit interdit, Adam se livra à une consommation aussi coupable que productive. Dun côté, la faute signa le passage du corps à la chair1, de la crase parfaite du premier homme au déséquilibre moral et humoral, état dans lequel, explique Huarte dans son Examen des esprits, il connut sa femme et engendra un homme aussi mauvais que Caïn2. Mais de lautre, cette même faute stimula linventivité des 428hommes, réveilla leur imagination3. Le péché originel est ainsi à lorigine des arts et des métiers, quil obligea lhomme à créer, par une genèse paradoxale et inverse de celle qui fit la perfection du monde : 

Si Adam et tous ses ascendans eussent vécu dans le Paradis terrestre, ils neussent point eu besoin daucun art mechanique, ny daucune des sciences quon enseigne maintenant aux Escoles ; et jusques icy elles nauroient esté ny inventées ny pratiquées4.

Nul besoin alors de tailleur pour voiler des nudités encore innocentes, de maçon pour pallier un clavier climatique mal tempéré, de théologien pour méditer sur le Christ, dont lexistence rédemptrice fût devenue inutile. Quant à la médecine, elle « eut esté pareillement superfluë », car lhomme, « immortal & exempt de la corruption & des alterations qui causent les maladies », eût mangé « du fruit de larbre de vie, qui avoit ceste proprieté de reparer tousjours de mieux en mieux nostre humeur radicale5 ».

Si, dans linterprétation physiologique de Huarte, la faute fit du corps peccamineux un corps souffrant, détruisant ce quAugustin nomme « santé de nature6 » et détraquant le tempérament, le résultat ne fut pas seulement négatif, portant en lui, à la manière dun pharmakon, la possibilité de remédier aux fragilités nouvelles de lhumanité. Avec la création de la médecine, certes, mais aussi la fabrique desprits susceptibles dassurer, par leur déséquilibre même, la maîtrise et le progrès de cet art. Le prologue de lédition expurgée de 1594 souligne ainsi la supériorité des esprits « malades ou mal tempérés », propres à une seule discipline où ils excellent, sur les mieux tempérés, médiocres en tout sans jamais briller7. Par un habile renversement, la pathologie devient condition du 429génie. Cela revient à corriger Hippocrate8 pour suivre Aristote, notamment son célèbre Problème xxx9, qui attribue les grandes actions à lexcès, de chaud ou de froid, et à saligner sur le rejet scripturaire de la complexion tiède : « Je voudrois que tu fusses ou froid ou chaud : mais parce que tu es tiede, je te rejetteray et vomiray10 ». Le projet sociétal de Huarte peut alors se comprendre comme une « tentative de salut commun par léquilibrage collectif des déséquilibres individuels11 ».

Rien détonnant donc à voir lauteur assumer joyeusement son état morbide au terme du même prologue, tout en y incluant généreusement son lecteur :

Ainsi je conclus, Curieux Lecteur, confessant ingenuëment que je suis malade et intemperé, et que vous le pourrez bien estre aussi, parce que vous estes né comme moy en une region mal temperée, et quil nous pourra bien arriver le mesme quà ces quatre hommes, qui voyant un morceau de drap bleu, jurent, lun quil est rouge, lautre quil est blanc, lautre, quil est jaune, et lautre, quil est noir ; et pas un deux ne dit la verité, parce que chacun a une maladie particuliere à la veuë12.

Ce daltonisme collectif opère la synthèse entre deux des modes du sceptique Aenésidème, cet arsenal argumentatif induisant la suspension 430du jugement par la confrontation de représentations contradictoires13. Pessimisme épistémologique, teinté de ce scepticisme actif au sein de la philosophie médicale depuis lAntiquité14, et optimisme anthropologique se mêlent donc inextricablement chez Huarte. Si lhomme, « depuis le jour de sa naissance, jusquà celuy de sa mort », nest « autre chose quune maladie continuelle » et le monde « une maison de foux [casa de locos]15 », comme le prouve Démocrite à Hippocrate, leffet en est double. Puissance de la maladie, elle permet dexacerber une faculté au détriment dune autre qui lui est contraire, partant dindividualiser chaque esprit – « la singularité humaine serait donc une maladie16 ». En donnant pour objet à limpératif du cognosce te ipsum les déficiences de la vie organique, lauteur fait du corps de chaque lecteur un lieu constitutif de lidentité. Misère de la maladie : la diversité des tempéraments produit la dissonance des opinions sans quaucun critère permette dasseoir notre science, fondamentalement « incertaine et douteuse17 », ce que récusera un chapitre rageur du médecin Jourdain Guibelet dans son 431contre-texte18. LExamen des esprits va jusquà relativiser la thèse même quil défend, en ne se donnant pas pour parole de vérité mais parole subjective et fragile : son enquête sur « les puissances et habiletez de lame raisonnable » offre « tant de doutes et argumens, quil ny a rien surquoy on se puisse fonder et arrester19 ».

Or la manière dont lauteur se représente dans le texte, sinvente comme personnage discursif, dont la « maladie » infléchirait pensée et écriture, participe-t-elle aussi de cette réflexivité critique ? Tout discours générant la figure de son énonciateur, cette dernière est-elle cohérente avec le système proposé par louvrage, ou en épouse-t-elle les paradoxes et les contradictions, lorsque la « dynamique » des tempéraments en abrase la rigidité « combinatoire20 » ? On voudrait ici interroger le manque de concordance potentiel entre le portrait de lénonciateur (en philosophe naturel, voire médecin théorique) et lindividu réel, inscrit dans lhistoire (il exerça comme praticien) ; celle aussi entre le style quil déploie (richement figuré et exemplifié) et les possibles poétiques et rhétoriques strictement circonscrits dans son livre pour chaque discipline. Si, comme le proposait autrefois Mauricio de Iriarte, on appliquait à lénonciateur les « diagnostics professionnels21 » de lExamen, quel métier et corrélativement quel tempérament, tempéré ou intempérant, lui attribuer ? On peut se fonder sur les affirmations quil fait à propos de sa propre personne, en mesurant déventuels écarts avec les données biographiques, et sur lapparence que lui confèrent le choix des mots et des arguments, 432le ton employé, ce quOswald Ducrot délimite comme le champ de lethos, dont la visée est de mieux persuader lauditoire22.

Ce double travail de figuration de soi, où lêtre de parole « prend le relais de lêtre extra-langagier23 » à travers les formes du langage et ce quil dit, soulève la question des rapports entre « style et tempérament24 ». Comme Marc Fumaroli et dautres lont relevé, Huarte joue un rôle important dans une théorisation physiologique du style, qui veut que notre condition corporelle détermine notre parole. Mais il le fait par le biais dune écriture rarement étudiée pour elle-même25, qui a sans doute contribué au succès formidable dun ouvrage posant le « problème de la séduction de certains traités théoriques26 ». Cette écriture devrait en toute logique se soumettre au principe même quelle énonce (à tel tempérament, régi par telle faculté, imagination, entendement ou mémoire, selon la répartition du chaud, du sec ou de lhumide, avec lesquels le froid se mélange diversement, correspond telle discipline ou profession, plus ou moins conciliable avec léloquence ou le talent poétique). Le fait-elle cependant ?

On cherchera à montrer que la singularité inclassable de lénonciateur de lExamen en défie les catégories médicales et les jugements esthétiques, met en contradiction le dire et le dit par la praxis dun médecin-philosophe qui écrit en rhéteur efficace, véritable adunaton dans le système huartien.

BIOGRAPHÈMES : DE LA VIE À LŒUVRE

Selon Ricardo Saez, « la véritable biographie de Juan Huarte est contenue dans son œuvre de toute une vie, lExamen des esprits pour les sciences27 ». Or il nous semble plutôt que lœuvre masque délibérément 433ce que fut réellement son producteur, ou du moins certains aspects primordiaux de son existence. Comme le suggère joliment son traducteur Vion dAlibray, dans lédition augmentée « de la dernière impression dEspagne », Huarte se serait voué à la dixième Muse, Tacita, la Muse du silence, tant il sest montré peu bavard sur lui-même et a entretenu le mystère autour de lui : « peut-estre que nostre Autheur luy-mesme estoit de ceux qui sont plus propres à immortaliser leur nom, quà faire connoistre leur personne. Du moins le Traducteur Latin tesmoigne quen voyageant en Espagne, il na jamais sceu rien apprendre dun homme si celebre par ses escrits, sinon quil estoit Medecin28. » On verra que la persona littéraire quil construit est loin de le confirmer.

Lorsque lExamen de ingenios para las sciencias paraît en 1575 à Baeza, la page de titre présente son auteur comme « el doctor Juan Huarte de Sant Juan », de même lédition expurgée de 1594, les privilèges royaux et la première traduction française de Gabriel Chappuys en 1580 (« docteur »). On peut entendre dans ce terme polysémique le « docteur, celuy qui enseigne une doctrine29 ». Ou encore, le détenteur dun grade universitaire, comme ce docteur Suarez de Tolede dont il est question dans lExamen30. Ou enfin, doctor peut équivaloir au titre de « medecin espagnol » quaffiche la traduction de Vion dAlibray. Pour excuser auprès des lectrices les audaces de lauteur lorsquil traite de la conception, ce dernier précise dailleurs : « dans ce livre, cest un Medecin qui parle », et ajoute, sans établir de solution de continuité avec sa pratique : « avec qui [ces Dames] sont obligées quelquefois de sentretenir de ces matières assez ouvertement31 ». Ambigu, le titre cristallise donc lincertitude affectant la spécialisation de Huarte, thème dont il fait pourtant son objet et son combat.

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Or, malgré les zones dombre qui entachent sa biographie, on sait que Huarte reçut une formation médicale dont il fit ensuite son métier et sa principale source de revenus, à côté dun commerce de production textile32, du moins jusquà la parution de son livre. À la différence des pérégrinations européennes de certains de ses pairs, son parcours académique demeura exclusivement circonscrit à lEspagne : après une licenciatura (licence graduée) en Art au Colegio Mayor de Baeza, récemment fondé, en 1542, par deux professeurs dorigine converse (Rodrigo López et Juan de Ávila33), il sengage, en 1552, dans des études de médecine à lUniversité dAlcalá de Henares, où il obtient le titre de doctor en décembre 1559. Linfluence, sur la pensée et la méthode de Huarte, de cette prestigieuse Université, qui contribua activement au développement de lhumanisme médical européen, a maintes fois été soulignée34. On a surtout insisté sur le profit que le jeune Huarte a pu tirer de lenseignement de trois illustres professeurs, Fernando de Mena, Cristóbal de Vega et Francisco Vallés, médecins royaux, et notamment, dans le cas de Mena et de Vallés, du roi Philippe II. Sans être bénéficiaire dun poste aussi prestigieux, Huarte dédicacera son œuvre au même monarque, dans un projet génético-politique au service de la santé de la nation tout entière, plutôt que limité à celle du souverain.

Aléas professionnels

Loin de la cour et de la chaire, son destin professionnel sera plus modeste. Après avoir pratiqué à Tarancón pendant six ans, il se trouve engagé comme médecin officiel de la ville de Baeza en 1571, puis comme médecin du Colegio Catedralíceo de la même ville de décembre 1573 à juin 1574, période durant laquelle il travaille vraisemblablement sur son manuscrit. Un certain nombre déléments biographiques indiquent 435cependant que Huarte était perçu comme un savant plutôt que comme un praticien. Ainsi, lautorisation octroyée par Philippe II le 16 février 1572 pour valider son engagement à Baeza avance dabord quil est « hombre de muchas letras », mentionne ensuite seulement la grande habileté dont il a fait preuve dans lexercice de son métier depuis août 1571, gagnant la confiance de la population35. Huarte lui-même définit un ordre de priorités où son gagne-pain représente la portion congrue : médecin de la cathédrale de Baeza, il aurait abandonné « ses devoirs » selon ses employeurs pour obtenir une licence dimprimer à Madrid, sans demander leur permission. Il proteste en arguant : « me debo a mi ciencia y Vds. a su hacienda » – la destinée de son œuvre prévaut sur tout autre engagement. Tel nest pas lavis de ses contracteurs, et le poste prend officiellement fin le 24 juin 157436. Il nhonora pas non plus le contrat conclu en décembre 1575 avec le concile de Sigüenza pour y occuper la place vacante de médecin, car il séclipse nombre de fois sans prévenir et ne donne plus signe de vie à partir du 21 janvier 157637.

Il ne semble pas avoir été plus fiable pour assumer le seul engagement académique quon lui connaisse avec certitude (le doit-il au succès de son livre ?) : après avoir obtenu une équivalence de son diplôme à lUniversité de Sigüenza, il est engagé comme « catedratico » (président) à lécole de médecine le 16 janvier 1576, mais à nouveau les actes de lUniversité, quelques mois plus tard (le 12 novembre 1576), enregistrent quil a déserté son poste38. Si lon se fonde sur les archives huartiennes et les analyses des chercheurs qui les ont rassemblées, Huarte paraît donc avoir investi toute son énergie intellectuelle et ses ressources économiques 436dans la réalisation de son œuvre maîtresse, dont il finance la première édition39. Et tout laisse entendre quil se pense (ou se désire) moins praticien ou enseignant, que théoricien et savant. De fait, comme le note Mauricio de Iriarte, « il ne déclare jamais explicitement sa profession » dans lExamen et sil fait allusion à son expérience clinique, « ses observations et conclusions ne révèlent pas une intention thérapeutique mais le désir dillustrer et conforter les théories exposées40 ». Il se situe en revanche explicitement parmi les philosophes naturels (« ainsi nous autres philosophes naturels41 »), branche du savoir à laquelle il confère, dans le sillage dAristote, un très grand prestige42, tout en y réunissant Hippocrate, Platon et Galien.

Cest dans ce cadre disciplinaire quil faut comprendre ses fréquentes références à lanatomie, mode de connaissance relevant dune conception plus philosophique que pratique dans la tradition galénique. Pour Vésale, cette branche de la philosophie naturelle doit être étudiée « per se » sans souci des applications possibles43. Dans lExamen, elle permet de démontrer que la femme détient à lintérieur du corps les mêmes organes génitaux que lhomme, ou de décrire les ventricules grâce auxquels lâme raisonnable peut « discourir et philosopher » (« comme on void en lAnatomie44 »), ce qui nest pas sans conséquences subversives. Force est de constater que le cerveau de la bête brute est « composé de la mesme sorte que lhomme45 » et que « la difference de lhomme à la beste brute est la mesme qui se trouve entre lhomme ignorant et le sage46 ».

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Si lhomme est menacé dans sa prééminence ontologique, Aristote perd de sa superbe épistémologique, puisquil na jamais « ouverte la teste dun homme » pour observer la « quantité de cervelle qui est dedans47 ». Tout en sincluant parmi les philosophes naturels, Huarte instaure donc un dialogue critique avec eux. Et à lexclusion de cette unique occurrence du « nous » citée précédemment, il utilise systématiquement la troisième personne pour évoquer les membres des diverses professions, tandis que le « je » a une fonction principalement métadiscursive, scandant le texte comme une marque récurrente de la contingence du propos : « je diray icy… », « parquoy je ne fay aucun doute… », « je croyoy… » « si je demande….. je ne sçay pas que lon me pourra respondre », « quant à moy, je veux dire… », « je ne certifie pas cela du tout, pource que la raison en laquelle je me fonde est…. ». Cette mise en scène du « je » dans la rigueur de sa démarche argumentative permet de souligner loriginalité dune pensée singulière au travail, tout en y faisant participer activement le lecteur par une « constante dramatisation dialectique48 ». Telle peut-être était la condition du succès de cet ouvrage. Sa source dautorité ne repose pas sur un corpus doctrinal reconnu (la qualité du 438médecin, explique Huarte, est de ne pas « sassujettir » à la lettre des écrivains antiques, mais de se fonder sur lexpérience49), ni sur le prestige conféré par une position académique (Huarte nen occupe pas), mais sur lobservateur lui-même, dont la subjectivité surplombante transcende les catégories quil met en place en opérant, comme on va le voir, la synthèse exceptionnelle des contraires.

Un médecin qui écrit

Le livre adressé au roi est donc linstrument dun self-fashioning, notion que lon reprend ici dans un sens large à Stephen Greenblatt, pour qui les érudits de la première Modernité ont façonné leur identité et leur persona publique en obéissant à des conditions socio-culturelles bien précises50. LExamen permet au praticien espagnol daspirer à une position intellectuelle et sociale éminente, outrepassant les bornes de sa profession. Car il nest pas seulement un médecin qui pratique, voire professe, mais, élite dune élite, un médecin qui écrit. Le soin des mots concurrence la cure des rois et la verve en chaire. Sil confère la renommée à Huarte, lui assurant une forme de crédit symbolique, ses retombées pratiques auront été cependant limitées : nulle place comme médecin de cour, et un unique engagement à lUniveristé de Sigüenza, quil nhonorera pas, comme on la déjà relevé. Nul enrichissement non plus, qui le dispense, en 1588, peu avant sa mort, de louer à nouveau à Linares un moulin, un batán, pour dégraisser la laine, comme il lavait fait en 1566 à Baeza51. Peut-être faut-il y voir leffet de la censure qui frappe louvrage, mis à lindex au Portugal en 1581, puis en Espagne en 1583 et 1584, dans les catalogues de livres interdits et expurgés publiés par le Cardinal Gaspar de Quiroga52.

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Promis à une carrière foudroyante, le livre lui assure en tous les cas une place singulière sur le marché éditorial en dessinant les contours dun nouveau genre en vernaculaire. Ses illustres professeurs de lUniversité dAlcalá sétaient dédiés à la traduction ou au commentaire (même critique) des œuvres canoniques – Vega publie plusieurs importantes éditions dHippocrate et compilations de Galien53, Mena traduit et commente nombre de textes galéniques et Vallés se réfère directement aux textes grecs, méprisant les barbares traductions médiévales. À leur différence, Huarte propose un ouvrage inédit, moins représentatif (dune tradition scripturale, dominée par le latin, ou dune norme doctrinale servilement régurgitée), quinnovant. Sil sinscrit, comme ses mentors, dans le cadre du « galénisme hippocratique54 », où lexpérience clinique personnelle précède et inspire lactivité spéculative, il imprime à cet héritage, mêlé daristotélisme, une inflexion tout à fait originale, qui réside « in the practical projection he gave to this doctrinal corpus, as well as in his success in adapting it to the socio-cultural context of his time and to the specific demands for professional selection in Counter-Reformation Spain55 ».

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LE PRIVILÈGE DE LA PLUME

Huarte se considère-t-il alors comme un écrivain et quel rapport entretient-il avec son activité énonciative ? Sans se référer à lui-même directement, il revient à de nombreuses reprises, dans les premiers chapitres, sur les conditions légitimes pour prendre la plume. Lâge dabord auquel on doit écrire, « de 33 ans à environ 50 », lorsque lentendement est « le plus fort et vigoureux56 », encore que la force de lâge varie selon les individus. De fait, Huarte avait environ 46 ans lorsquil publie son unique livre, garantie dune certaine stabilité du jugement : « Celuy qui veut composer et escrire des livres, le doit faire en cet âge, et non devant ni apres, sil ne se veut retracter ou changer dopinion57 ». Les conditions matérielles, ensuite, jouent un rôle, puisque les hommes « reduits en pauvreté et misere sont venus à dire et escrire choses dignes dadmiration », mais devenus prospères, « nont rien dit ny escrit de bon », la joie humectant le cerveau et altérant lentendement58. Ce fut peut-être le cas du médecin espagnol, vivant dans un relatif dénuement.

Enfin, Huarte fait léloge de « certains esprits tant parfaits » quils nont nul besoin de maître pour apprendre à « philosopher » (ils inspirèrent à Platon lidée fallacieuse du savoir comme réminiscence). Cette qualité leur donne un droit et un privilège : « a ceux là est permis escrire des livres, et aux autres, non59 », en vertu dune qualité, linvention. La République a ici le devoir de légiférer, en interdisant à ceux à qui la créativité fait défaut décrire et imprimer des livres qui « ne font que repeter et redire60 » les grands auteurs. Suit la célèbre distinction entre les « esprits inventeurs », qui sont dits « en langue toscane, tenir du caprice, cest-à-dire dune propre fantaisie61 », et les esprits moutonniers, Huarte concluant sur lheureuse complémentarité unissant ces « deux manieres desprit62 », répandues parmi les hommes de lettres. On ne 441peut quêtre tenté de lire ici, à travers les promenades fécondes de ce type desprit « jamais en repos », avide de nouveauté, ennemi de la passivité contemplative et, ajoute la manchette, « dangereux pour la théologie63 », un autoportrait crypté de lauteur bondissant à lassaut didées inédites. Il jouirait ainsi de cette « imagination de lentendement » évoquée par Jackie Pigeaud, qui serait « celle de la chèvre64 ».

Le passage est cependant quelque peu énigmatique, introduisant de manière paratactique cette nouvelle typologie des esprits fondée sur les manières détudier, sans lassocier aux qualités exacerbant telle ou telle faculté. Surtout, telle disposition caprine suppose un « cerveau bien composé et tempéré » (ce qui exclut le profil ultra-spécialisé de lesprit dominé par lentendement ou souffrant de cette mélancolie aduste qui permet de joindre les contraires). Serait-ce donc le cas de lénonciateur huartien, jouissant de cet équilibre quailleurs il fustigeait comme le propre des esprits faibles, mais qui conditionne ici le talent scriptural ? Sil promet à son lecteur un miroir-livre (ou un speculum médical) grâce auquel il pourra identifier ses talents propres, il sagit de voir ce que reflète louvrage de son propre esprit.

Le tempérament de lénonciateur

Située au tout début du livre, la scène originelle de lExamen plonge ses racines dans lenfance de Huarte, lorsquil constate que lui et deux de ses condisciples brillent chacun dans une discipline à lécole (latin, astrologie ou dialectique), mais périclitent dans les autres. Scène mystérieuse, dabord : le narrateur se garde bien, grâce à des formules impersonnelles (« lun de ceux… », etc.) didentifier le détenteur de chaque talent. Scène fondatrice, ensuite, placée sous le signe dAristote qui situait létonnement au « fondement de toute philosophie65 » : cest parce quil est « esmerveillé » que Huarte se met « incontinent à discourir là-dessus et à philosopher », trouvant « en fin de compte que chaque science demande son esprit déterminé66 ». Ce mouvement cognitif aura révélé la nature du sien, dominé par lentendement.

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Cette faculté du sec préside aussi à lentreprise décriture, pour des raisons à la fois biographiques et géographiques : selon le Quod animi mores corporis temperamenta sequantur de Galien67, une des sources majeures de Huarte, ceux qui vivent « entre le Septentrion et la zone torride ou brulante, sont fort prudents et avisez », ce qui correspond à la situation de « nostre pays dEspagne68 ». Les Problemata du pseudo-Aristote (XIV, 15), également cités, sinterrogent sur les raisons de cette supériorité intellectuelle des habitants du Sud sur ceux du Nord, participant dune discussion antique sur le conditionnement par le climat qui fut, avant Huarte, amplement relayée par Bodin69. Lexplication climatique des différences physiques entre les peuples (cheveux, carnation, etc.) senrichit dès la fin du xve siècle du renouveau dune autre tradition qui puise dans le savoir géographique, celle de lart physiognomonique, selon lequel les traits extérieurs permettent de déceler le caractère profond, le tempérament ou lâme dun individu, et réciproquement. Nombre de publications venaient de le mettre à lhonneur en Espagne, que cela soit, en 1495, lEpilogo en medicina y en cirurgia conveniente a la salud, qui consacre la physiognomonie comme « sciencia de natura70 », ou en 1545, la traduction de la physiognomonie du pseudo-Aristote, à côté de celles de Polémon et dAdamancius, par André de Laguna71 (futur médecin de Charles Quint, il enseignera lUniversité dAlcalá de Henares où Huarte avait étudié). Fidèle à cette tradition, Huarte relève que la calvitie est le lot commun des Espagnols, « à cause du cerveau qui est chaud et sec » – comme pour 443valider cette théorie, le seul portrait dépoque quon possède de lui le présente bien dégarni72.

Plus fondamentalement, le sec est nécessaire au projet même de lExamen, où se fait, « par lentendement, anatomie de chose tant obscure et difficile73 », et qui puise abondamment dans les « textes fondamentaux de la tradition médico-philosophique antique74 ». Tout comme lexercice philosophique, la médecine théorique requiert en effet un puissant entendement, une partie demeurant réservée aux esprits seulement doués dune grande mémoire, à linstar des anatomistes et herboristes jonglant avec la taxinomie grecque et latine75. Nul ne peut donc être un médecin théorique accompli. Quant à la médecine pratique, elle est capable de « differer les hommes entre eux, et medeciner chacun de differente manière », là où lentendement ne peut « connaistre les singuliers » mais seulement les universels76. Maîtresse du kairos77, elle dépend de limagination.

Cette division entre théorie et pratique na rien doriginal, et traverse lhistoire des universités médiévales. Elle continue à sous-tendre lenseignement de la médecine au xvie siècle, avec une revalorisation progressive, dès la fin du xve, de la pratique, participant dun mouvement plus général qui travaille au prestige de la connaissance opérative et mécanique78. Mais Huarte établit un hiatus radical entre ces deux parties de lart (que lui reprochera Guibelet79) : « Les théoriciens errent en la mineure, et les praticiens en la majeure du syllogisme80 », démonstration logique qui 444suffit à le situer du côté des théoriciens. Si un médecin parfait relève donc quasiment de limpossible, au grand étonnement de Galien, méconnaissant les vraies causes, on est donc amené à conclure que Huarte fut aussi bon théoricien que médiocre praticien, à limage de ce savant homme « fort renommé, tant à lire, comme à escrire, argumenter, distinguer, respondre, et conclure », mais « inhabile à medeciner81 ». Lauteur espagnol semble reconduire de surcroît la hiérarchie implicite de Galien, qui jugeait la pratique thérapeutique inférieure aux investigations théoriques, lorsquil se moque de ces praticiens « ignorans », qui « avec trois ou quatre reigles de medecine quils ont aprins à lescole, savent mieux pratiquer la medecine82 ». De fait, lorsquil narre les consultations quil a menées, elles nont clairement pas pour enjeu de soigner un patient, mais de lui appliquer son système explicatif83, vrai lieu de lexpertise huartienne.

Un ouvrage savant en vernaculaire :
le deuil de la mémoire

La pléthore dentendement a des conséquences linguistiques, puisquelle entraîne lextinction de la mémoire, faculté nécessaire à la maîtrise du latin et des langues étrangères. Voilà le choix de Huarte (« et ainsi ay-je escrit en Hespagnol, pource que je sçay mieux ceste langue que nulle autre84 ») justifié par un déterminisme biologique inédit, alors que la majorité des 541 livres (dont 350 premières éditions85) publiés par des médecins espagnols entre 1475, date des premiers imprimés, et 1599, le furent en latin académique86. Font exception certains ouvrages de botanique et dhistoire naturelle centrés sur la flore des Indes orientales et occidentales87, ainsi que 445des traités danatomie et de chirurgie. Ils participent dune véritable politique nationale de promotion du castillan, amorcée dès la fin du xve siècle avec les grammaires et dictionnaires dAntonio de Nebrija, publiés sur linstigation des monarques catholiques88. Le Libro de la anothomia de Bernardino Montaña de Montserrate (1551), qui détaille l« alphabet » du corps humain, la Historia de la composicion del cuerpo humano de Juan Valverde (Rome, 1556) ou la Práctica y teorica de chirugía du chirurgien Dionisio Daza Chacón (1580) se veulent accessibles aux chirurgiens et aux non-spécialistes, ignorants du latin. Tous ces textes investissent des territoires davant-garde comme lanatomie, et leur excentricité vernaculaire, comme illustrée par léloignement géographique des flores exotiques, garantit parfois dénormes succès internationaux (Valverde).

Cest le cas également de louvrage de Huarte, dont lambition médico-philosophique rend lusage de lespagnol dautant plus détonant dans ce contexte éditorial. Comme il le constate lui-même, « toutes les sciences qui appartiennent à lentendement sont “escrites en Latin89” ». Mais pour ce traité dorthogénisme destiné, à léchelle nationale, à orienter des pères de famille et des profanes, lespagnol pouvait légitimement simposer.

Huarte ne manque pas davancer un chapelet darguments topiques : larbitraire du signe, la liberté pour chaque peuple décrire dans son idiome (les Grecs en grec, les Romains en latin, les Hébreux en hébreu et les Mores en arabe), enfin la capacité de chaque langue à « enseigner les sciences » et à « dire et declarer ce que lautre veut entendre ». Du Bellay raisonnait de même dans le fameux chapitre x (« Que la Langue Françoyse nest incapable de la Philosophie… ») de la Defense et illustration, où il sintéresse à la transposition en français des matériaux de lencyclopédie humaniste90. Mais cette revendication trouve dans lExamen une assise anthropologique autrement originale, liée au tempérament du « je » et à la température de son pays :

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La langue Latine est tant contraire à lesprit des Hespagnols, et tant propre et naturelle aux François, Italiens, Alemans, Anglois et à tous les autres qui habitent vers le septentrion : comme lon voit par leurs œuvres : car voyant un livre couché en bon Latin, nous cognoissons incontinent que lauteur diceluy est estranger, et si nous en voions un autre en language barbare et mauvais Latin, nous cognoissons quil ha esté fait par un Hespagnol91.

« Bien discourir », ou lallure de la chèvre

Or, tout barbarisant quil soit, un Espagnol privé de mémoire et dimagination mais doué de grand entendement dira « de plus grandes choses, en ses termes barbares, que ne fera un estranger en son beau Latin, lequel hors mis lelegance et netteté du parler ne dit chose qui soit excellente92 ». Philosophie et rhétorique, pensée et style, raison et passion, langage et savoir, deviennent ainsi pour Huarte des frères ennemis, par un geste de séparation qui conteste à léloquence son empire. Comme le lui reprochera Guibelet, « il pourmene les arts et les sciences dans le champ du temperament, il les loge et les separe à sa volonté, et les fait battre avec tant dinimitié quelles ne se trouveroient jamais ensemble93 ». Ce bannissement de la vaine éloquence ne compromet pas la tenue du propos, car « bien entendre » (ou « philosopher ») et « bien discourir », plutôt que « radoter et dire mille absurditez94 » vont de pair, sans quil soit besoin « des figures et fantasies qui sont en limagination et en la memoire », comme le pensent les Aristotéliciens95. Bien au contraire, laugmentation de lardeur imaginative, qui favorise la vocation des poètes, entraînerait à proportion lextinction de lentendement, qui « abomine la chaleur ».

Dans la traduction de Chappuys, « discourir » se laisse comprendre au sens logique proposé par Furetière – « tirer une consequence de quelques principes quon a posez ; ce quon attribuë à la troisiéme operation de lentendement » –, et par Nicot dans son Thresor de la langue francoyse (1606) : « discourir et cercher toutes les conjectures quil est possible ». Mais le verbe retient peut-être lécho dun sens viatique présent chez le même lexicographe : « discourir plusieurs païs ». Cette acception 447cinétique est encore plus marquée dans le verbe espagnol, discurrir. Selon le Tesoro de las dos lenguas francesa y española de Cesar Oudin96, le terme signifie aussi bien « discourir » que « courir ça et là », tandis que le Dictionario de vocablos castellanos aplicados a la propriedad latina le traduit en latin par ratiocinor (raisonner), pervago (aller ça et là, errer), volito (voleter, courir ça et là, aller et venir), ou encore vago – autrement dit aller à laventure dans une course capricieuse, manière peut-être de renouer avec limage de lesprit-chèvre, bondissant dune idée nouvelle à lautre sans salourdir dornements superfétatoires97.

448

Le style médical

Lentendement gyrovague na donc cure de la rhétorique et des affèteries séductrices du langage. Pour lauteur anti-cicéronianiste, cest linventio qui compte aux dépens de lelocutio, cet art culinaire suspect consistant, pour le poète comme pour le rhéteur, à faire « bouillir98 » les figures grâce aux tisons de limagination. À lappui de ce dualisme, Huarte produit un catalogue édifiant décrivains-Silènes, dont lœuvre présente un corps verbal monstrueux et grossier, recelant des trésors de pensées. Ainsi sexplique le « mauvais stile » dAristote, le « rude style » de Platon, tandis que saint Paul confesse : « je ne sais parler, toutefois en savoir et science, personne des apostres ne me surpasse99 ». Mais cest le style médical dHippocrate qui intéresse tout particulièrement Huarte : « voyons nous pas comme il procede aux noms et verbes ? comme il colloque mal ses dits et sentences : la mauvaise liaison de ses raisons, le peu de choses quil ha à dire, pour emplir ceux qui sont vuides de doctrine100 ? » Lentendement nécessaire à la théorie médicale se marie encore plus difficilement avec lart poétique, puisque là où abonde lesprit fait défaut limagination nécessaire pour composer des vers. Socrate, le plus sage homme du monde, est aussi incapable de versifier quil est habile à édicter des préceptes. Inversement, « le jeune homme lequel a bonne veine pour faire des vers, [] ne sçait ordinairement avec eminence la langue Latine, la dialectique, la philosophie, la medecine, la theologie scolastique, ny les autres arts et sciences qui appartiennent à lentendement et memoire101 ».

Quen est-il cependant de la pratique de la médecine ? Limagination qui permet de bien « mediciner » permet-elle de composer une poésie de qualité ? Huarte prend bien soin de rendre biologiquement impossible la figure du médecin-poète, ou du moins du bon poète, car lui fait défaut le degré nécessaire de chaleur à une production littéraire valable. Demeure la compulsion à versifier :

[] ceux que jay consideré bons praticiens, sont tous un peu adonez à lart de versifier, et nest leur contemplation trop haute, ny leurs vers merveilleux : ce qui peut advenir aussi de ce que defaut la chaleur du point que la poësie 449requiert : et si cest pour ceste raison, la chaleur doit estre telle, quelle touche un peu la substance du cerveau, sans resouldre beaucoup la chaleur naturelle102.

En sanctionnant la foncière mésintelligence entre médecine et poésie, Huarte sengage dans un débat lancé par les Invective contra medicum de Pétrarque, hostile aux prétentions poétiques des gens de lart, puis avivé, à partir de 1548, par la diffusion et les commentaires à la Poétique dAristote. Toute dignité poétique y est retirée à ceux qui « exposent en mètres un sujet de médecine ou dhistoire naturelle », en raison dun déficit mimétique : poétiser, pour Aristote, cest avant tout et exclusivement affabuler103. Plus radicale, la position de Huarte revient à condamner tout vers produit par un praticien, quelle quen soit la teneur fabulatoire. En somme, le médecin théoricien et le philosophe se passent avec profit des minauderies de léloquence, tandis que le praticien ferait mieux de résister à la tentation poétique (sans que Huarte ne dise rien de sa rhétorique). Le divorce entre art « littéraire » et médical relève dune fatalité tempéramentale retournée en avantage cognitif.

Contre-offensive dun médecin littérateur

Ironisant sur les « folles conceptions » dun Huarte qui serait guidé par limagination plus que par lentendement en établissant son strict distinguo générique, le médecin Guibelet signe la contre-offensive de la doctrine classique. Répugnant à soustraire le style au savoir et à le réduire à une causalité humorale, il en fait le fruit de la volonté et du travail104. Ce qui lindigne, cest dabord lisolement dans lequel cet Arnolphe espagnol dun nouveau genre maintient la Poésie, « seule en son empire, comme une grande Royne, ou comme un cheval vicieus 450en une escurie à part », allergique aux sciences105. Refusant de se soumettre au verdit aristotélicien et de renoncer à lidéal du poète savant, Guibelet convoque Lucrèce, Nicandre (poète médical traduit en français par Grévin et loué par Scaliger dans ses Poetices libri VII, 1561), ou encore Empédocle, « excellent Orateur, Poëte, Medecin et Philosophe », à lencontre du jugement dAristote, lui-même « bon Poete » à rebours du différend quil instaure106.

Puis cest léloquence qui fête ses retrouvailles avec le savoir. Guibelet vante le style dHippocrate décrié par son confrère espagnol. Bref, concis et obscur, il peut « comprendre beaucoup en peu de paroles » et se montre à loccasion ample et majestueux. Celse ne vante-t-il linsigne « faconde » du Grec107 ? Sesquisse une autre définition de léloquence, non pas technique pour « faire du bruit, avec beaucoup de discours et peu de sujet108 », mais art de la concision. La polémique prend un tour nationaliste, face à lesprit impertinent qui veut « mesurer tout le reste du monde au pied de lEspagne109 », et Guibelet de citer des gloires médicales françaises : Scaliger, Fernel, Duret, Riolan et Dulaurens, « for sçavans Medecins de nostre siecle, fort eloquens neantmoins en la langue Latine, et tres sçavans en la Grecque110 ».

Or le médecin dÉvreux manque dexploiter un argument de choix, la prose même de Huarte, qui, comme débordée par elle-même, trahit sa compromission avec lhumeur stylistique imaginative et dément ses propositions théoriques.

UNE PROSE DE LIMAGINATION

Angle mort de lExamen : rien nest dit des livres écrits par les prudents Espagnols en leur langue, mais lon peut réflexivement retourner le système différentiel de Huarte sur le texte qui lénonce : lauteur 451écrit en espagnol (car il na pas de mémoire) et sans les ornements et lélégance liée à léloquence latine (car il est sans imagination). Les formes discursives contredisent cependant ce diagnostic stylistico-tempéramental, comme irrésistiblement attirées par les forces brûlantes de limagination qui alimentent « cette présence chaleureuse du “Moi” » notée par Pérouse111. La poétique de limagination telle quelle est théorisée, non sans fascination, par Huarte, nest pas sans présenter des traits communs avec sa propre prose.

Art du récit

Ce sont dabord les exemples sollicités que lon peut ranger au nombre des « graces » de lorateur, sachant « user de plusieurs exemples accommodez à propos, en la matiere quil traite112 ». Pour Aristote, exemples et fables, qui agissent sur les sens, sont didactiquement plus efficaces quarguments et raisons, qui requièrent « grand entendement113 ». Le Christ le savait bien, qui usa de paraboles pour atteindre les cœurs simples, et Huarte, fort de ces illustres exemples, nhésite pas, pour convaincre les esprits moins subtils, à proposer des « histoires tres veritables114 » et des récits de cas. Fondée sur lobservation et la pratique, cette forme narrative reflète la valeur cognitive nouvelle conférée à lenregistrement de lexpérience personnelle, et connaît un développement extraordinaire dans toute lEurope à partir de la deuxième moitié du xvie siècle. On trouve ainsi un nombre impressionnant douvrages qui portent le titre dHistoriae ou dObservationes115.

Lhistoria la plus complexe de lExamen sert à prouver la remarquable aptitude des Juifs à lexercice de la médecine grâce à lautorité dun personnage royal, François ier. Malade, le monarque demande à Charles Quint (dans la réinterprétation de Chappuys) les secours dun médecin juif. Ce 452profil étant devenu rare (un décret sur la conversion et lexpulsion des Juifs fut promulgué par les monarques catholiques Fernando et Isabel en 1492), cest un converso déguisé en juif qui se rend au chevet royal, avant dêtre démasqué, et François ier finit par faire venir un patricien juif de Constantinople, qui le guérit grâce à un traitement aussi simple quefficace de lait dânesse116. Les deux intrigues sont liées par leur ambivalence : le premier médecin est un juif converti au christianisme qui feint dêtre ce quil nest plus (mais quil est peut-être encore, à en croire les théories de lhérédité que Huarte développe dans la suite du chapitre). Quant au second, il est un vrai juif dont lexpertise pourrait être feinte. Le remède populaire pourrait dénoncer son prétendu savoir, ou au contraire le confirmer, en démontrant un art heureux de la prescription qui ne sembarrasse de thérapeutiques alambiquées.

Cest du moins lopinion de Huarte. Jouant sur le terme, il valide cette « imagination » du Roi qui confère aux Juifs une « naturelle habilité de guarir et pratiquer », liée elle aussi à cette faculté. La servitude du peuple juif en Égypte engendra en effet beaucoup de « colere aduste », cette bile jaune rôtie où le brandon colérique se transforme en suie mélancolique et qui permet de joindre imagination et entendement. « Instrument de la finesse et de lindustrie », cette forme de mélancolie savère particulièrement adaptée aux « conjectures de la medecine117 ». Dans le récit, un comique de répétition renforce le trait calorifère, avec un roi « fasché de se voir toujours en chaleur » et une cour espagnole riant à gorge déployée (lhilarité étant également associée à limagination), pour conclure que « cestoit lappetit dun homme qui estoit en chaleur118 ».

Or Huarte fait surtout jouer sa propre imagination narrative, en recourant à des procédés de mise en récit et de dramatisation empruntés à la nouvelle, avec dialogues, péripéties et même scène de reconnaissance, lorsque le roi démasque le faux (vrai) médecin juif. On retrouve aussi limpératif dactualité et de véracité propre à ce genre bref, assuré par linscription forte dun « je » narrateur qui authentifie lhistoire, même si elle est apocryphe.

453

Dans lExamen, le genre théâtral nest pas en reste, avec un interlude dialogué consacré à lorigine de la noblesse, animé par deux personnages réels, le prince Don Charles et le docteur Suarez de Tolede, « Président de sa cour en Alacala de Henares119 ». Le delectare lemporte sur le docere de laveu même du narrateur, qui sexcuse de sa « digression » en ouverture et clôture de la scène. Huarte peut enfin trahir une grande accointance avec le monde périlleux des fictions, quand bien même il condamnât ces créatures superficielles « qui se gastent à lire les livres de chevallerie, Roland, Boscan, Diane de Monte-major et autres semblables, pource que toutes ces œuvres appartiennent à limagination120 ». Ainsi la méthode onomastique dun chevalier espagnol auteur de livres de chevalerie, qui découvre fortuitement le nom « naturel », quasi onomatopéique, dun de ses personnages, le géant Traquitantos, nous entraîne-t-elle dans les coulisses de la création fictionnelle, mise sur un pied dégalité avec linvention de la langue latine121.

On peut même se demander si linterprétation du péché originel proposée par Huarte ne menace pas de subsumer les énoncés de la science à un régime de fictionnalité généralisée. Car la faute aura non seulement démultiplié les opinions mais aussi les « fantaisie[s] » dont elles sont les projections intérieures. Sous la forme répétée de la restriction sceptique, Huarte insiste : « les arts et les sciences questudient les hommes ne sont que des images et des figures que les esprits ont engendré dans leur mémoire », et la Médecine, « que lentendement dHippocrate et de Galien, quune peinture qui rapportait naïvement la veritable composition de lhomme avec les causes de ses maladies et de sa guerison122 ». À la différence de lentendement divin, les représentations humaines tendent aporétiquement vers un réel qui se dérobe, en autant de grotesques foisonnantes et d« extravagances » où se gomment les frontières entre fable et vérité123.

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Travail figural

Limagination, cette puissance qui tout à la fois fascine et inquiète Huarte, est la Muse ardente de tous les arts et sciences « qui consistent en figure, correspondance, harmonie et proportion ». Pour Huarte, qui va jusquà délivrer « à chaque partie doraison son temperament », lactio et la voix, la dispositio et lelocutio, avec ses « mots excellens », ses « bonnes figures » et « ses comparaisons justes124 », obéissent aux poussées de chaleur du corps, sont littéralement concoctés dans létuve humorale. Or la prose de lExamen apparaît richement figurée – plutôt que la manifestation dun bouillonnement naturel, indépendant de toute acquisition, on peut y voir la résurgence du bagage scolaire humaniste de Huarte, obligé de passer par la Faculté des arts pour sa formation médicale. Ce trait le rapproche en tous les cas des traités médicaux contemporains, et non sans ironie de son adversaire Guibelet, qui consacrera le premier de ses Trois discours philosophiques à « la comparaison de lhomme avec le monde125 ». Cette véritable somme, profuse et encyclopédique, répertorie tous les tropes légués par la tradition médicale, philosophique et poétique pour tisser les ressemblances entre microcosme et macrocosme, et dévoiler leur gémellité naturelle.

À sa manière, lExamen témoigne aussi de lhéritage très vivace du répertoire analogique antique : sinspirant dHippocrate, il file sur deux pages le rapprochement entre la terre cultivée grâce à la semence, et lesprit cultivé grâce aux sciences126. Mais Huarte ne se 455contente pas de répéter des comparaisons devenues conventionnelles pour produire par jeu de dérivation des analogies créatrices. Les figures « mortes » ressuscitent sous limpulsion dune pratique discursive plus personnelle, qui entend bien, comme lorateur, à la fois « delecter et prouver127 ». Létude de cette liberté figurale demanderait une étude en soi, mais on peut en proposer quelques exemples, représentatifs des images très concrètes utilisées par lauteur pour dépeindre et faire comprendre les activités mentales. Sensibles et palpables, elles permettent stratégiquement de lier, et non pas de séparer, lesprit et le corps, conformément à l« extrême naturalisme corporel128 » de Huarte. Au censeur de décider si elles construisent un sens propre (la matérialité de lesprit) ou figuré (son incorporéité), théologiquement plus acceptable car ne remettant pas en cause limmatérialité de lâme raisonnable.

Le monde domestique, avec ses animaux familiers, inspire limage de lesprit caprin, opposé à la docilité moutonnière129, ou permet dexprimer limpact de la dialectique sur lesprit, semblable « aux liens et travers que lon met aux pieds dune mule, avec lesquels cheminant quelques jours, elle aprend à aller lamble130 ». Nombre de comparaisons empruntent aussi au registre des métiers : le légiste mémorisant toute la jurisprudence ressemble au « Frippier qui a dans sa boutique quantité de sayes couppez au hasard », là où « lAdvocat de bon entendement est comme le bon Tailleur qui a les ciseaux en main, et la piece de drap en sa maison131 ». Quant à la prétendue vérité fabriquée par lentendement, dont il faut se défier, elle est « toute broüillée et dispersée en ses materiaux [] comme seroit une maison quon verroit convertie en pierre, terre, charpenterie et tuilles, dont se pourroient faire autant de fautes en bastissant, quil y auroit dhommmes qui entreprendroient de la rebastir, et qui ne seroient pas pourveus dune imagination excellente132 ». La pratique analogique de Huarte rejoint ainsi un principe poétique essentiel de La Deffence, où Du Bellay conseille de sinspirer des divers arts et métiers :

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encores te veux-je advertir, de hanter quelquesfois, non seulement les sçavans, mais aussi toutes sortes douvriers, et gens mecaniques, comme mariniers, Fondeurs, peintres, engraveurs, et autres, sçavoir leurs inventions, les noms des matieres, des outilz, et les termes usitez en leurs arts, et metiers, pour tyrer de là ces belles comparaisons, et vives descriptions de toutes choses133.

Par une forme de logique réflexive, cest quand il évoque limagination, reine des figures, que lénonciateur se montre particulièrement fécond en analogies ; des analogies qui ne se veulent cependant « estranges et impossibles134 », mais fidèles aux représentations raisonnées, faisant coïncider inventivité stylistique et rigueur philosophique. Ainsi pour inspirer lorateur, la faculté incandescente doit se faire « chien veneur qui cherche et luy mette en la main sa proye et pourchas135 ». Puissance active, elle est surtout figure du scripteur, car elle écrit « en la mémoire ce quelle retourne à y lire, quand elle sen veut souvenir136 », « comme escrire quelque chose, et la retourner lire, est œuvre de lescrivain et pas du papier137 ». De cet autoportrait de lécrivain sous les traits de limagination, on est tenté de conclure que lénonciateur conjugue heureusement chaleur créatrice et raisonnements sibériens.

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ÉLOGE DU MÉLANGE
OU L
EXCEPTION HUARTIENNE

De lauteur de lExamen, Jackie Pigeaud dit avec raison quil est un « être de contradiction », privilégiant la pensée vagabonde chère à laphorisme dHippocrate138. Plus précisément, « son génie est dans les tensions et la tentative de les organiser, de les dépasser. [] Cette œuvre qui voudrait normaliser ne vit que par lexception139 », capable daccorder les contraires. Le moindre de ses paradoxes est de militer pour la spécialisation de esprits et la répartition de compétences mutuellement exclusives, tout en donnant la palme à lesprit polyvalent et encyclopédique. Au chapitre xiv, Huarte propose ainsi une hiérarchie couronnée par le tempérament idéal pour exercer la royauté, cette merveilleuse « difference desprit [] proportionnée à tous les arts140 ». On la vu prendre le contre-pied de la tradition médicale hippocratique et galénique, en dédaignant la crase idéale du tempérament modéré. Mais il réhabilite ici ce tempérament parfait, même sil est jugé presque impossible et que seuls le Christ et le roi David, qui ne fut quasiment jamais malade, en remplissent les conditions.

Dans son classement, la deuxième sorte desprit fait elle aussi entorse à la règle : le mélancolique aduste permet de réunir en un seul homme imagination et entendement rigoureux. Puis le système reprend ses droits avec la troisième catégorie, celle des hommes de grand entendement dépourvus dimagination et mémoire, qui prêcheront avec disgrâce mais diront la vérité. Enfin, tout au bas de léchelle se rencontrent les esprits de la pire espèce, les purs imaginatifs. Sur les traces de Platon, lUniversité devrait « chasser les Poëtes », car ils nont « ny esprit ni habilité à aucun genre de lettres141 ».

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Mélancolie paradisiaque

Si lénonciateur huartien relève de lexception à la règle quil fixe142, faut-il alors attribuer son génie polymathe à la mélancolie aduste ? En rupture avec lévaluation négative de la tradition, Huarte met en effet en valeur ce tempérament oxymorique, apte à réunir les facultés créatrices incompatibles et rivales, à conserver les qualités de limagination tout en récupérant les vertus de lentendement, à conjuguer la bile noire, glacée, aux incandescences de la bile jaune, et à réconcilier, mais non sans tension, Galien avec Aristote143. Froide, cette mélancolie induit de hautes qualités morales, puisque lentendement est la puissance qui « verifie si un esprit est catholique ou dépravé144 ». Chaude, elle englobe tous les traits ambigus propres au colérique : luxure, caractère vindicatif, rhétorique ingénieuse, voire démoniaque, faisant la part belle aux artifices. Ainsi le diable choisit-il le serpent pour perdre lhumanité, créature participant plus quaucune autre de cette « colere veneneuse », qui « enseigne à lame raisonnable, comme se doivent dresser les embusches et les tromperies145 ». Le diable même en devint plus ingénieux et rusé. Or Huarte valorise constamment la figure du serpent, dont les Évangiles saluent la prudence exemplaire146. Il 459finit même, dans la digression sur larbre du paradis qui conclut lédition réformée de 1594, par réhabiliter entièrement le savoir imaginatif que tout à la fois lanimal tentateur incarne et procure à lhumanité. Fruit du péché, qui « jetta » Adam « dans le soin du corps147 » en larrachant à la contemplation spirituelle, ce savoir se distingue de la sagesse propre à lentendement, en ce quil est seul capable dappréhender la contingence et de prêter assistance aux sens148. Troublé par ce passage de la Genèse où Adam apprend à voir sa nudité, Huarte prend ainsi parti dans un débat philologico-théologique ancien, où lon se demande si la ruse du serpent représente une forme de sagesse légitime, et si la faute dAdam, en modifiant le « temperament » de son « cerveau », en aiguillonnant son imagination et en le rendant « plus sçavant » comme laffirme le théologien Juan Sanchez Abulensis149, est le vecteur dune sapience utile.

Dans la lettre hébraïque, ladjectif arum (rusé), qui peut se lire aussi comme arom (nu), qualifie le serpent, la plus astucieuse mais aussi la plus nue des créatures (Gen. 3, 1). Or il se retrouve dans un verset contigu (2, 25), lorsquAdam et Ève découvrent quils sont nus, mais aussi « rusés », eyrom. La déclinaison change, la racine demeure. Lhumain et lophidien partagent un mode de connaissance oblique, faisant appel à la ruse et à la séduction, et qui nest pas dénué de valeur, comme létayent dautres passages de la bible hébraïque150. Doù linquiétude dun saint Augustin ou dun saint Jérôme, qui refusent de laisser au 460mal le bénéfice dune sagesse positive et préfèrent qualifier le reptile (et indirectement Adam et Ève) de « sournois » et « rusé151 ». En revanche Calvin, dans ses Commentaires sur lAncien Testament, préfère la traduction « sage », faisant de lanimal une victime de Satan. Il rappelle cependant la difficulté herméneutique : « les interprètes ne sont point daccord en quel sens le serpent est appelé cauteleux, car Moïse use dun mot par lequel les Hébreux signifient aussi bien prudent que caut. Cest pourquoi daucuns le prennent en bonne part, les autres en mauvaise152 ». Huarte dépasse cette ambivalence par un pragmatisme conciliateur qui valorise les deux formes de sagesse, en se prévalant de la parole du Christ : « soyez prudents, comme des Serpents » (sagesse de limagination), « et simples comme des Colombes153 » (sagesse de lentendement).

Dautres personnages sont les héritiers de cette colère aduste, liée au drame originel. Réinterprétée à la lumière du problème xxx dAristote, la figure tourmentée de saint Paul, que Dieu forma « avec cette colère ardente et brûlée », incarne exemplairement les tensions, inhérentes à ce tempérament154, ainsi que le peuple juif, dont lhistoire se confond avec celle de la médecine. Lhypothèse que Huarte fût lui-même un converso a longtemps hanté lhistoriographie, malgré labsence de preuves documentaires et le fait que son apologie des médecins juifs nait pas été censurée, mais elle semble aujourdhui écartée155. Dans lExamen même, son refus 461du cloisonnement disciplinaire contribue à léloigner du destin médical judaïque. Renvoyant dos à dos les experts cantonnés à leur pré carré, il ne témoigne en effet que mépris pour le médecin qui « pense avoir assez fait dentendre par les forces de son esprit ce qua dit Hippocrate et Galien », et le philosophe naturel, qui « sestime sçavant » de croire « entendre » Aristote156. Quant aux auteurs spécialisés, qui se contentent décrire « en medecine ou en quelque autre science, à peine joignent ils la cognoissance des autres lettres pour leur ayder : ils sont tous pauvres et sans fond, pource quils nont lesprit propre à tous les arts157 ».

Le déséquilibre parfait

Où faut-il donc inscrire le tempérament polyvalent de Huarte, qui met en échec sa propre méthode combinatoire, ne fait crédit quà un savoir total, et brouille enfin les limites entre les styles et les savoirs, grâce à des pratiques textuelles communes à lensemble de la culture humaniste ? « Malade et intemperé », il ne peut appartenir à la caste rarissime des esprits parfaitement tempérés dont parle Galien, appelés à gouverner, loin des travaux liés aux sciences et aux arts158. Reste cet autre moyen, mystérieux, dassembler grand entendement, grande imagination et grande mémoire, « sans que lhomme soit tempéré. Mais nature en fait si peu de ceste manière, quil ne sen est jamais trouvé que deux, de tout tant desprits que jay peu examiner159 ». À lexamen de son œuvre, où il sessaie à commenter toutes les disciplines, cest bien ce statut dexception que semble lui délivrer son détracteur Guibelet, concédant au savant Espagnol la réputation dêtre « des plus habiles en toutes sortes de professions160 ». Même éloge chez le traducteur Vion dAlibray, où lesprit de « lincomparable Autheur [] sestant signalé dans toutes les sciences et ne pouvant saccroistre quen se réfléchissant », a fait dun « coup dessay » un « chef dœuvre161 ». Cette connaissance universelle est néanmoins bornée, puisque lâme raisonnable connaît 462toutes choses « devant que de se connoistre », idée héritée dAristote, pour qui la « connaissance de soi-même nest jamais quindirecte », et « nécessairement ancrée dans lexpérience sensorielle préalable162 ». Ultime et paradoxal hommage à Aristote : celui qui voulait apprendre aux hommes à mieux se connaître163 aura choisi, ou feint, de se méconnaître.

CONCLUSION

En plaçant son investigation médico-philosophique sous le règne de lentendement, faculté essentielle au médecin théorique, lénonciateur se déporte de la vie réelle de lauteur, praticien de son métier. Or cette profession suppose une grande imagination, qui fait retour dans la poétique du livre, riche en micro-récits empruntant aussi bien à la nouvelle quau genre narratif en plein essor de lobservation médicale, ponctué de scènes dialoguées, et prolixe en figures. Si on tente de comprendre lénonciateur huartien à travers son propre livre, diverses interprétations sont possibles : on peut le situer parmi les mélancoliques adustes, à la fois chaud et froid, doué d« entendement pour trouver la verité et dune grande imagination pour la sçavoir persuader164 », joignant lintégrité de la colombe à la ruse serpentine. Ou lélever au rang de ces figures dexception, déséquilibrées par lexcès simultané et « merveilleux165 » des trois facultés, entendement, imagination et mémoire.

À laune de la pensée de lauteur, cette tentative de classification savère en réalité dune extrême difficulté, puisque Huarte propose non seulement un système souffrant des exceptions, mais le soumet à lépreuve du temps, en insistant sur linstabilité foncière du tempérament. De fait, le corps diffère tout le temps davec lui-même, transformant les opinions quil génère – selon le mot de Valéry, « je ne suis pas 463toujours de mon avis166 ». La vérité na dautre substance que celle que lentendement versatile lui délivre, et la vie intellectuelle des hommes de lettres apparaît comme une espèce dinstantanéisme où lesprit enchaîne les prises illusoires et les déprises correctrices dès lors quune nouvelle croyance vient chasser la précédente, sans critère décisif pour les départager167. Huarte défend cependant une marge de liberté et daction face au déterminisme tempéramental et stylistique, grâce à des techniques agissant sur le corps (diététique, etc.) ou aux luttes de lâme. Il tente ainsi démousser la charge hétérodoxe du traité de Galien (Quod animi mores corporis temperamenta sequantur), en conciliant une philosophie morale trop prompte à oublier les lois de la physiologie, et une médecine oubliant la responsabilité humaine168. Ainsi, la grille anthropologique des tempéraments, fortement tributaire de la nourriture et du climat dans la lignée du traité hippocratique Les Airs, les Eaux et les Lieux, a le pouvoir de déterminer des types dindividus ; mais lindividu singulier a de son côté les moyens déchapper à son type en affirmant sa différence qualitative, pas toujours réductible à une catégorie prédéfinie. Pour Huarte, cette singularité résistant à la théorisation est même réfractaire à toute saisie discursive. Elle serait connaissable, mais indicible. Comme le sait bien le praticien,

les hommes ne sont pas tant differens entre eux quils ne conviennent en plusieurs choses : ny tant conformes aussi, quil ny ait entr eux certaines particularitez de telle nature quelles ne se peuvent dire ny escrire, ny enseigner, ny recueillir, de manière quon les puisse reduire en art : mais seulement congnoistre en ceux qui les ont169.

La singularité inclassable de lénonciateur huartien se construit dans linteraction particulière entre la discipline et le tempérament quil affiche (ou laisse deviner), et le style utilisé. Si cette interaction nest jamais explicitée ou problématisée, cest que, de lavis même de Huarte, les « particularitez » ne peuvent être recueillies par lécriture. Portrait en creux donc, dun être improbable, dune figure hétérogène, qui ne commente pas le statut de son activité énonciative et qui découvre peut-être, à travers le processus décriture donnant naissance, au fur 464et à mesure, à son esprit protéiforme, des aspects delle-même insoupçonnés (Huarte ninsiste-t-il pas sur létymologie dingenio, dun verbe latin signifiant engendrer ?). Quant au rôle de lecteur que nous avons joué, lauteur la, dans une certaine mesure, prémédité dans son texte, et assigné à un tempérament propice à lexercice herméneutique : ceux qui ont imagination et mémoire sarrêtent à la lettre, car ils ont faute dentendement, seule faculté « qui peut élire de 2 ou 3 sens des lettres celuy qui est le plus véritable et catholique170 ». Mais il nest pas sûr, en bonne leçon huartienne, que nous nous y soyons totalement plié.

Dominique Brancher

Séminaire détudes françaises

Université de Bâle

1 Sur ce point, voir saint Augustin, De Genesi ad litteram, Œuvres, vol. XLIX, éd. et trad. P. Agaësse et A. Solignac, Paris, Desclée de Brouwer, 1972, xi, xxxii, 42, p. 300-301 : « Donc, dès quils eurent perdu cet état, leur corps fut affecté de cette condition maladive et mortelle, qui se trouve aussi dans la chair des animaux, et par là même connut aussi ce mouvement charnel qui pousse les bêtes à saccoupler pour que les êtres qui naissent succèdent à ceux qui meurent. »

2 J. Huarte de San Juan, LExamen des esprits pour les sciences ou sont monstrees les differences dEsprits qui se trouvent parmy les hommes, et à quelle sorte de science chacun est propre en particulier, Composé par Jean Huarte, Medecin Espagnol, Nouvellement traduit suivant lancien Original. Augmenté selon la derniere impression dEspagne. Reveu, corrigé et mis en meilleur ordre en cette derniere Edition. Premiere Partie, Paris, René Guignard, 1668, « Suitte de la preface de lauteur au lecteur », fol. ï ijr. Il sagit dune traduction, par Charles Vion dAlibray, des deux éditions espagnoles : la princeps de 1575 et la reformada de 1594. Elle relégua celle de Chappuys dans loubli. La première édition date de 1645, chez J. Le Bouc, à Paris, (pour le supplément seul, chez Paris, F. Targa, en 1634), et est suivie de huit rééditions. Voir J.-M. Losada-Goya, Bibliographie critique de la littérature espagnole en France au xviie siècle. Présence et influence, Genève, Droz, 1999, p. 299-301. Sur la manière dont Vion dAlibray a sévèrement critiqué le travail de Chappuys, voir V. Duché, « Le réexamen de Huarte : Chappuys à lépreuve de linterculturel », Réforme, Humanisme, Renaissance, 84, 2017, p. 107-118. Lédition de Chappuys nous servira de référence : malgré ses imperfections, cest elle qui a assuré la fortune de louvrage de Huarte en France et dans la perspective de notre étude, il nous semble préférable de travailler avec la langue du xvie siècle plutôt que de recourir à la traduction moderne de Jean-Baptiste Etcharren, Examen des esprits pour les sciences, Biarritz, Atlantica, 2000. Nous nous tournerons vers celle dAlibray lorsquil sagira denvisager les additions et corrections de lédition réformée de Huarte, parue en 1594.

3 Huarte, LExamen des esprits, Seconde partie, Paris, René Guignard, 1668, p. 602. Sur ce point, voir M. Mestre Zaragozà, Les enfants de la colère: anthropologie des passions et littérature en Espagne à la Renaissance, thèse de doctorat, Université Paris-Sorbonne, 2003.

4 LExamen des esprits, « Suitte de la preface de lauteur au lecteur », fol. [ï iijv].

5 LExamen des esprits, fol. ï iiijr.

6 LExamen des esprits, fol. Ïv.

7 LExamen des esprits, fol. ï iijr-v : « [] un homme qui auroit le cerveau sec, y excelleroit beaucoup plus, quun autre qui lauroit sain et fort temperé [] parce que selon lopinion des Medecins, ceux qui sont mal temperez, surpassent en beaucoup dactions, les mieux temperez. Cest pour cette raison que Platon a dit, que cest un miracle de trouver un homme dun esprit excellent, qui nait quelque manie []. Ainsi est-il besoin que lhomme sçache quelle est son infirmité et son intemperie, et à quelle science elle répond en particulier (ce qui est le sujet de ce Livre) parce que dans cette science il trouvera la vérité, et dans les autres, il ne fera que des jugements extravagants. Les hommes temperez [] ont une capacité pour toutes les sciences, en un degré de mediocrité, sans quils y excellent jamais : mais ceux qui sont intemperez ne sont propres quà une seule, laquelle sils viennent à rencontrer, et quils y estudient avec soin et diligence, ils se doivent asseurer dy faire des merveilles. »

8 Voir LExamen des esprits, chap. v, « Où lon fait voir le grand pouvoir qua le temperament de rendre lhomme prudent et de bonnes mœurs », p. 72-73, où Huarte discute de la valeur du bon tempérament : « Cest pourquoy Hippocrate a dit. Si la grande humidité de leau, et lexcessive secheresse du feu sont temperées dans le corps, lhomme sera tres-sage. Plusieurs Medecins neantmoins ont examiné ce temperament à cause de la grande reputation de lAutheur, et ont trouvé quil ne respondoit pas tant à ce quHippocrate promettoit : au contraire, ils jugent que ceux qui lont, sont des hommes foibles et de peu de vigueur, et qui ne tesmoignent pas dans leurs actions tant de prudence, que ceux qui sont mal temperez []. Ces medecins desapprouvent la complexion temperée, dautant quelle affoiblit et abbat les forces des puissances, et quelle est cause quils nagissent pas comme ils devroient. »

9 Sur ce texte, voir LHomme de génie et la mélancolie, Paris, Rivages, 1988, qui comprend le Problème xxx, 1 du pseudo-Aristote, avec traduction, présentation et notes de J. Pigeaud.

10 LExamen des esprits, p. 14. La citation vient dApocalypse 3, 16.

11 Mestre Zaragozà, Les enfants de la colère, p. 325.

12 LExamen des esprits, « Suitte de la preface de lauteur au lecteur », fol. ï ijv.

13 Présenté par Sextus Empiricus dans ses Hypotyposes pyrhoniennes, il se trouve très vite diffusé dans toute lEurope renaissante grâce à la « Vie de Pyrrhon » de Diogène Laërce. Selon le deuxième mode, une chose peut apparaître dune manière à un individu, et dune autre à un deuxième, en vertu de la différence de leur constitution humorale ou de leur âme, tandis que selon le quatrième mode, létat de lobservateur (par exemple quil soit sain ou malade) peut également produire des représentations opposées. Voir Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, introduction, traduction et commentaires par P. Pellegrin, Paris, Seuil, 1997, livre I, 14 [79-90], p. 99-105 ; [100-117], p. 111-119.

14 Sur lintroduction du scepticisme en Espagne, voir S. Pastore, « Doubt in Fifteenth-Century Iberia », After Conversion : Iberia and the Emergence of Modernity, éd. M. Garcia-Arenal, Leyde, Brill, 2016, chap. x, p. 283-303 ; M. K. Read, Juan Huarte de San Juan, Boston, G. K. Hall & Co., 1981, chap. iii, « The Flight of Doubt », p. 35-46. Pour lintrication entre scepticisme et médecine, particulièrement les courants « empirique » et « méthodique », voir J.-P. Pittion, « Scepticism and Medicine in the Renaissance », Scepticism from the Renaissance to the Enlightenment, éd. R. H. Popkin et C. B. Schmitt, Wiesbaden, Harrassowitz, 1987 p. 103-132 ; N. Siraisi, « Medicine, Physiology and Anatomy in Early Sixteenth-Century Critiques of the Arts and Sciences », New Perspectives in Renaissance Thought : Essays in the History of Science, Education and Philosophy, éd. J. Henry et S. Hutton, Londres, Duckworth, 1990, p. 214-229 ; S. Pender, « Examples and Experience : On the Uncertainty of Medicine », The British Journal for the History of Science, 39, 1, 2006, p. 1-28.

15 LExamen des esprits, fol. [vv-vir ; fol. gr]. Le médecin Jourdain Guibelet reproche à Huarte dignorer que ces lettres sont apocryphes, Examen de lExamen des esprits, Paris, Vve J. de Heuqueville et L. de Heuqueville, 1631 p. 371.

16 F. Azouvi, « Médecine et philosophie chez Huarte de San Juan », Revue de Métaphysique et de Morale, 31, 3, 2001, p. 399-405, ici p. 411.

17 LExamen des esprits, fol. [ï ijv].

18 Guibelet, Examen de lExamen, chap. xxx, « De la Medecine. Si elle est une science douteuse, incertaine, et fondee seulement sur conjectures », p. 480 sq. Huarte revendique lautorité de Galien, selon qui « la philosophie et la medecine sont les sciences les plus incertaines quayent les hommes » (Anacrise ou parfait jugement et examen des esprits propres et naiz aux sciences… composé en espagnol par M. Jean Huart, Docteur… et mis en françois… par Gabriel Chappuis, Lyon, F. Didier, 1580, fol. 77v). Si Huarte revendique lautorité de Galien, son adversaire est en réalité plus fidèle à lantiscepticisme foncier du médecin grec (voir I. Maclean, « The “Sceptical Crisis” Reconsidered : Galen, Rational Medicine and Libertas Philosophandi », Early Science and Medicine, 11, 3, 2006, p. 247-274).

19 Anacrise, fol. 77v.

20 J. Pigeaud, « Fatalisme des tempéraments et liberté spirituelle dans lExamen des esprits de Huarte de San Juan », La Mélancolie dans la relation de lâme et du corps, Littérature, Médecine, Société, 1, 1979, p. 115-159.

21 El doctor Huarte de San Juan y su Examen de Ingenios. Contribución a la historia de la psicología diferencial, Jerarquía, Aldus, Santander, 1939, p. 51.

22 Le Dire et le Dit, Paris, Minuit, 1984, chap. viii, p. 200-201.

23 Voir S. Junod, Agrippa dAubigné ou les Misères du Prophète, Genève, Droz, 2008, p. 24.

24 M. Fumaroli, LÂge de léloquence : Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de lépoque classique, Genève, Droz, 2002 [1980], p. 127.

25 Fumaroli la juge même « confuse et sans grand talent » (ibid.).

26 Pigeaud, « Fatalisme des tempéraments », p. 115.

27 R. Saez, « Préface » à la traduction de J.-B. Etcharren, Juan Huarte de San Juan, Examen des esprits pour les sciences (1575), Biarritz, Atlantica, 2000, p. x.

28 LExamen des esprits, seconde partie, Notes, fol. [Ee ijr].

29 C. Oudin, Tesoro de las dos lenguas francesa y española. Thresor des deux langues françoise et espagnolle, Paris, Marc Orry, 1607, fol. d4. Voir aussi Dictionario de vocablos castellanos aplicados a la propriedad latina : en el qual se declara gran copia de Refranes vulgares reduzidos a latinos y muchas phrases Castellanas con las que en Latin les corresponden sacadas de Ciceron y Terencio y otros…, Salamanque, J. et A. Renaut, 1587, rubrique Dotor : « doctor : Dicendi artifex : Magister : Praeceptor : Interpres. Cic. ». En revanche, le dictionnaire polyglotte dA. Calepino traduit le latin doctor par enseñador, en français par « docteur, maître, enseigneur » (Dictionarium, quanta maxima fide ac diligentia…emendatum multisque partibus cumulatum. Adjectae sunt latinis dictionibus hebraeae, graecae, gallicae, italicae, hispanicae et germanicae…, Paris, J. Macé, 1578, p. 398).

30 Anacrise, fol. 250r : « Le PR. Où avez-vous estudié ? LE DOCT. A Salemanque, monseigneur. LE PRINC. Estes vous Docteur passé à Salamanque ? ».

31 LExamen des esprits, seconde partie, Notes, fol. [Ee iiijv].

32 Il loue dès 1566 à Baeza un batán, un moulin à fouler la laine pour enlever la graisse et la location dun autre moulin juste avant sa mort, en 1588, montre la continuité de ce commerce. Voir J. Virués-Ortega, G. Buela-Casal, M. T. Carrasco-Lazareno, P. D. Rivero-Dávila, R. Quevedo-Blasco, « A systematic archival inquiry on Juan Huarte de San Juan (1529-1588) », History of the Human Sciences, 24, 5, 2011, p. 21-47, ici, p. 41.

33 Voir R. Sàez, « La Baeza del siglo xvi y su imborrable presencia en la obra de Huarte de San Juan », Huarte de San Juan, 1, 1989, p. 81-95, ici, p. 92.

34 J. Arrizabalaga, « Juan Huarte en la medicina de su tiempo », Juan Huarte au xxie siècle, éd. V. Duché-Gavet, Anglet, Atlantica, 2003, p. 65-98, ici, p. 70. Pour un contexte médical plus général, voir le collectif Medical Cultures of the Early Modern Spanish Empire, éd. J. Slater, M. López-Terrada, J. Pardo-Tomás, Farnham – Burlington, Ashgate, 2014.

35 Pour ce document, voir Iriarte, El doctor Huarte, p. 49 ; « A systematic archival inquiry », p. 30.

36 Libro de autos capitulares de la iglesia y muy reverendos Señores personas y canónicos de la Santa Iglesia de Jaén residentes en Baeza (1573-1580), actas referentes al proceso de despido del Dr Juan Huarte de San Juan, Baeza, 7 mai 1574 – 24 juin 1574. Cité dans « A systematic archival inquiry », p. 30.

37 Libro de Actas del Concejo de Sigüenza, años 1567-1581 referentes al Dr Juan Huarte de San Juan. Cité dans « A systematic archival inquiry », p. 31.

38 El Dr Juan de San Juan es nombrado catedrático de medicina de la Universidad de Sigüenza. Cité dans « A systematic archival inquiry », p. 32. Selon R. Sanz, il aurait enseigné une année à lUniversité de Huesca (1569-1570), mais aucune archive ne vient létayer (J. Huarte, Examen de ingenios para las ciencias, « Prólogos, sumarios y preparación », Madrid, La Rafa, 1930, p. i-l). Voir aussi F. J. Sanz Serrulla, « El doctor Huarte de San Juan, médico y catedràtico en Sigüenza. Aspectos biogràficos inéditos », Anales Seguntinos, 1.3, 1986, p. 309-313.

39 Primer contrato de impresión de Juan Huarte de San Juan en la imprenta de Juan Baptista de Montoya, 30 septembre 1574. Cité dans « A systematic archival inquiry », p. 33.

40 Iriarte, El doctor Huarte, p. 50-51.

41 Anacrise, fol. 21r.

42 J. Arrizabalaga, « Huarte de San Juan and the Inquisitorial Censorship in Philip IIs Spain », La médecine dissidente. Hétérodoxie et modernité, éd. D. Brancher et A. Carlino, à paraître.

43 Galien, De anatomicis administrationibus, II, 284-285, et préface de Vésale dans le De humani corporis fabrica, Bâle, Oporinus, 1543. Sur cette question, voir A. Carlino, La fabbrica del corpo, Turin, Einaudi, 1994.

44 LExamen des esprits, p. 167.

45 LExamen des esprits, p. 168.

46 LExamen des esprits, p. 170. Pour limpact de Huarte chez les libertins français, voir G.-A. Pérouse, LExamen des esprits du docteur Juan Huarte de San Juan : sa diffusion et son influence en France aux xvie et xviie siècles, Paris, Les Belles Lettres, 1970, p. 61 sq. Pour limpact de Huarte chez les libertins espagnols, voir J. Villanueva, « Remarques à propos de lhistoriographie sur le libertinisme espagnol du xviie siècle », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, en ligne, p. 1-18, ici, p. 9-10.

47 Sur lenseignement de lanatomie à lUniversité dAlcalá où Huarte a étudié, voir A. I. Martín Ferreira, El humanismo médico en la universidad de Alcalá (Siglo xvi), Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá de Henares, 1995 ; et surtout A. Martínez-Vidal et J. Pardo-Tomás, « Anatomical Theatres and The Teaching of Anatomy in Early Modern Spain », Medical History, 49, 2005, p. 251-280, ici, p. 259-260, « Alcalá ». On ne sait quand la chaire danatomie fut établie, mais limpulsion fut sans doute donnée à larrivée dun disciple de Vésale, Pedro Jimeno, qui a pu initier Huarte à lart de la dissection à partir du début des années 1550. En 1559 est promulguée une licence royale assurant lUniversité dêtre fournie en cadavres de condamnés et dindividus décédés à lHôpital. On sait par ailleurs quun des professeurs de lauteur de lExamen, Vallés, utilisait des préparations anatomiques dans ses classes comme stratégie pédagogique, tandis quil a pu rencontrer le médecin anatomiste Andrés de León, spécialiste des maladies accompagnées de fièvres et de blessures, à lhôpital de la Conception à Baeza, face auquel il habitait. Rien ne vient cependant le prouver, la documentation conservée étant postérieure. Sur ce point, voir C. Benoit, « Présences de Juan Huarte de San Juan à Baeza », Juan Huarte au xxie siècle, p. 23-36, ici, p. 31.

48 G.-A. Pérouse, « Lhomme qui écrivait lExamen des esprits », Juan Huarte au xxie siècle, p. 11-22, ici, p. 15. Du même auteur, voir encore « Montaigne et le Dr Huarte avec un mot sur Pierre Charron », En filigrane des Essais, Paris, Champion, 2008, p. 215-230, ici, p. 223 : « Lauteur de lExamen ne cesse dinterpeller son lecteur, de le prendre à partie, dappeler son attention, de le mettre en garde, de prévenir ses réponses, de lui promettre des lumières sur ce qui le préoccupe. »

49 Anacrise, fol. 172v : « Les medecins aussi ne sassujetissent à la lettre : pource que si Hippocrate et Galen et les autres graves auteurs de ceste faculté, disent et affirment une chose, et lexperience et raison monstrent le contraire, ils ne sont tenuz de les suivre, pource quen la medecine lexperience ha plus de force que la raison : et la raison, plus que lautorité. »

50 S. Greenblatt, Renaissance Self-Fashioning : From More to Shakespeare, Chicago-Londres, University of Chicago Press, 1980.

51 « A systematic archival inquiry », p. 29 et 35.

52 J. de Almeida, Catalogo dos livros que se prohibem nestes reynos e senhorios de Portugal, Lisbonne, António Ribeiro, 1581 ; G. de Quiroga, Index et catalogus librorum prohibitorum, Madrid, Alfonso Gómez, 1583 ; Gaspar de Quiroga, Index librorum expurgatorum, Madrid, Alfonso Gómez, 1584. Cité par J. Arrizabalaga, « Huarte de San Juan and the inquisitorial censorship ». Sur la censure des livres scientifiques en Espagne, voir J. Pardo Tomás, « Censura Inquisitorial y Lectura de Libros Científicos. Una Propuesta de Replanteamiento », Tiempos Modernos, 9, 2003-2004, p. 18. Sur la posture « subversive » de Huarte, voir G.-A. Pérouse, « Brève note sur l“hétérodoxie” du Dr Juan Huarte de San Juan », Les fruits de la dissension religieuse, fin xve-début xviiie, éd. M. Clément, Saint-Étienne, Publications de lUniversité de Saint-Étienne, 1998, p. 59-63.

53 Voir J. Hernández, « Cristóbal de Vega, Catedrático de la Facultad de Medicina de la Universidad de Alcalá (1545-1557) », Universidad Carlos III de Madrid, Repositorio institucional e-Archivo, p. 3-18, ici, p. 8-10. Vega publie son premier livre, Liber prognosticorum Hippocratis (1551), à Lyon, ville quil privilégie, avec Venise, pour ses publications. En 1553, il publie un commentaire extensif du De differentia febrium de Galien et en 1554, une compilation de tout ce que le médecin grec a pu dire de luroscopie dans ses écrits, Commentarius de urinis. Sur son livre le plus original (Lyon, 1564), imprégné du Methodo medendi et des Aphorismes de Galien, ainsi que des Epidemies dHippocrate, voir encore J. Hernández, Cristóbal de Vega (1510-1573) y su Liber de arte medendi (1564), Valence, Universidad de Valencia, 1997.

54 J. M. López Piñero, Ciencia y técnica en la sociedad española de los siglos xvi y xvii, Barcelone, Península, 1979, p. 346.

55 J. Arrizabalaga, « Huarte de San Juan and the inquisitorial censorship ». Voir aussi R. Mandressi : « Dicho de otro modo, la originalidad reside más en el Proyecto que en los elementos medicos-filosóficos que le dan soporte », « The Best Physicians on Earth. The “People of Israel” in Examen de ingenios by Juan Huarte (1575) », Anuario Colombiano de Historia Social y de la Cultura, 43, 2, 2016, p. 59-87, ici, p. 71.

56 Anacrise, fol. 13v. Manchette : « En quel âge on doit escrire ».

57 Ibid.

58 Anacrise, fol. 65v.

59 Anacrise, fol. 74r.

60 Anacrise, fol. 73v.

61 Ibid.

62 Anacrise, fol. 75v.

63 Anacrise, fol. 75r.

64 Pigeaud, « Fatalisme des tempéraments », p. 137.

65 Métaphysique, I, 2, 982b ; voir aussi Platon, Théétète, 155b. La citation est de Montaigne, Essais, éd. P. Villey, Paris, PUF, 1992 [1924, 1965], « Des boyteux », III, 11, 1030.

66 Anacrise, fol. 5v.

67 Pour une traduction moderne, voir Galien, LAme et ses passions : les Passions et les erreurs de lâme. Les Facultés de lâme suivent les tempéraments du corps, trad. V. Barras, T. Birchler, A.-F. Morand, Paris, Les Belles Lettres, 1995.

68 Anacrise, fol. 130v.

69 Trois de ses textes les plus importants en font mention : La Méthode de lHistoire (1566), Les six Livres de la République (1576) et Le Théâtre du monde naturel (1596). Isidore de Séville le précède sur cette voie. Sur la manière dont Bodin accueille les données antiques sur la théorie des climats, voir M.-D. Couzinet, Histoire et méthode à la Renaissance : une lecture de la Methodus de Jean Bodin, Paris, Vrin, 1996, p. 167.

70 Il sagit dune traduction en espagnol du Fasciculus Medicinae, compilation dont Johannes de Ketham possédait un manuscrit, publiée à Pampelune, chez Arnaldo Guillén de Brocar, où le traité 8 est consacré à la physiognomonie. Pour dautres traités physiognomoniques, voir encore G. Rioux, Lœuvre pédagogique de Wolfgangus Ratichius, 1571-1635, Paris, Vrin, 1963, p. 259, note 120.

71 Physiognomonicis liber I. Andrea Lacuna interprete (Paris, 1535). Voir M. Porter, Windows of the Soul. The Art of Physiognomy in European Culture 1470-1780, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 123.

72 Une copie par Rodriguez Ginés de ce portrait de Brù a été éditée dans la revue Vida Vasca : Industria, comercio, arte, literatura, 1940, p. 187.

73 Anacrise, fol. 77v.

74 Par exemple Les Airs, les Eaux et les Lieux dHippocrate, le Problème xxx du pseudo-Aristote et la lettre à Damagète du pseudo-Hippocrate. Voir Pigeaud, « Fatalisme des tempéraments », p. 116.

75 Anacrise, fol. 198r.

76 Anacrise, fol. 199r. Voir lensemble du chap. xii, « Comment se prouve quune partie de la theorique de Medecine appartient à la mémoire, lautre partie à lentendement, et la pratique à limagination ».

77 Pour Galien, le propre nom du médecin est « Inventor occasionis » (Anacrise, fol. 204v).

78 I. Maclean, Logic, Signs and Nature in the Renaissance : The Case of Learned Medicine, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 29 sq., 1.5.1 ; p. 68-69, 3.1.1 ; N. Siraisi, « Giovanni Argenterio and sixteenth-century medical innovation, between princely patronage and academic controversy », Osiris, 2d series, 6, 1990, p. 161-180.

79 Examen de lExamen, chap. xxi, « De la Theorie et de la Practique de la Medecine » : « Pour estre bon Medecin, il faut estre tout, et sçavoir tout ce qui depend de sa profession » (p. 494). À ses yeux, Huarte discourt dune profession « à laquelle il ne cognoist rien ».

80 Anacrise, fol. 201r.

81 Anacrise, fol. 194v ; fol. 195v.

82 Anacrise, fol. 196r.

83 Voir par exemple Anacrise, fol. 203r.

84 Anacrise, fol. 118r.

85 Le chiffre diffère selon López Piñero, Ciencia y técnica, p. 118-120 : de 1475 à 1600, 366 œuvres de médecine auraient été publiées comme première édition, et 69 en philosophie naturelle. Cité dans R. Carew, The Examination of Mens Wits, éd. R. G. Sumillera, Londres, The Modern Humanities Research Association, 2014, p. 25, note 59.

86 L. S. Granjel, La medicina española renacentista, Salamanque, Université de Salamanque, 1980, p. 60-61. La fin du siècle (1565-1599) fut particulièrement productive avec 276 œuvres, soit plus de la moitié des œuvres recensées pour toute la période (p. 59). Granjel note aussi que beaucoup dauteurs nont publié quun livre.

87 C. de Acosta, Tractado de las drogas y medicinas de las Indias orientales, 1578 ; N. Monardes, Historia Medicinal de las cosas que se traen de nuestras Indias Occidentales, publiée en trois parties, en 1565, 1571 et 1574.

88 Sur ces auteurs et le mouvement de vulgarisation médicale en espagnol, voir B. Okholm Skaarup, Anatomy and Anatomists in Early Modern Spain, Farnham, Ashgate, 2015, chap. « Early Modern Spanish Anatomy and “La polémica de la ciencia española” ». Plus généralement, sur la conception de la langue espagnole et du latin chez Huarte, voir E. Torre, Ideas Lingüisticas y Literarias del Doctor Huarte de San Juan, Séville, Publicationes de la Universidad de Sevilla, 1977, p. 88-93.

89 Anacrise, fol. 129r.

90 J. Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue françoyse et LOlive, éd. J.-C. Monferran, Genève, Droz, 2007, p. 108. Sur ce chapitre, voir T. Cave, Cornucopia. Figures de labondance au xvie siècle, Paris, Macula, 1997, p. 86-103.

91 Anacrise, fol. 128v.

92 Anacrise, fol. 131v.

93 Guibelet, Examen de lExamen, p. 362.

94 Anacrise, fol. 101v.

95 Anacrise, fol. 84r.

96 Voir aussi la rubrique Discurso : « cours, discours, espace ».

97 Cette dimension viatique du raisonnement qui chemine, soulignée par la citation dun adage dHippocrate (Animae deambulatio, cogitatio hominibus [Épidémies VI, v, comm.11], Anacrise, fol. 75r), nest pas une simple image. Elle sancre très concrètement dans la topographie des ventricules du cerveau, fondamentale pour la théorie médicale de lépoque qui spatialise les fonctions mentales. Comme le souligne Huarte, « le cerveau a besoin de quatre ventricules, afin que lame puisse discourir et raisonner : lun doit estre assis au costé droict diceluy : le second, en lautre costé : le troisiesme, au milieu de ces deux, & le quatriesme en la derniere partie du cerveau » (Anacrise, fol. 31r). Au chap. v, lauteur espagnol revient sur ces localisations : « quant aux trois petis lieux ou ventres de devant, je croy que Nature les a fayt pour discourir & philosopher » (Anacrise, fol. 59v), le quatrième ventricule situé à larrière de la tête servant ici seulement à la coction et conversion des esprits vitaux en esprits animaux. Mais il remet alors en cause les présupposés de la psychologie des facultés, héritée de la tradition théologico-médicale du Moyen Âge, qui distribue imagination, entendement et mémoire dans des ventricules séparés, et soustrait limagination au processus rationnel en vertu dune hiérarchisation à la fois topographique et morale : sur cette tripartition, voir W. Sudhoff, « Die Lehre von den Hirnventrikeln in textlicher und graphischer Tradition des Altertums und Mittelalters », Archiv für Geschichte der Medizin, 7, 1914, p. 149-205, 151-154 ; H. A. Wolfson, « The Internal Senses in Latin, Arabic, and Hebrew Philosophical Texts », Harvard Theological Review, 27, 1935, p. 69-133. Tout comme Fernel (voir Fernel, Physiologia, 1555, V, viii et G. Castor, La Poétique de la Pléiade. Étude sur la pensée et la terminologie du xvie siècle, trad. Y. Bellenger, Paris, Champion, 1998, p. 211), Huarte préfère se rallier à la théorie galénique, selon laquelle les trois pouvoirs mentaux se trouvent dans chaque ventricule en proportions plus ou moins égales. Et se référant au De Anima dAristote, il considère même que lâme ne pense jamais sans image, resolidarisant cogitation et imagination en faveur dune conception matérialiste de lâme : une puissance « ne peut exercer son office sans laide de lautre » (Anacrise, fol. 60v). Au modèle statique, spatialisant strictement les étapes du processus cognitif, se superpose un modèle dynamique et interactif, où la mémoire « monstre et offre les figures et phantasies » (Anacrise, fol. 60r) à lentendement, dont la puissance, chez le philosophe, est souveraine. Le trajet des esprits animaux qui « discourent » (dans le sens de parcourir) le cerveau permet à lhomme de « créer du sens » et de discourir à son tour, à partir dimages progressivement triées et dématérialisées qui constituent lobjet de la connaissance. Sur le chevauchement de deux modèles, statique et dynamique, voir M.-L. Demonet, « Le lieu où lon pense, ou le désordre des facultés », Ordre et désordre dans la civilisation de la Renaissance, éd. G.-A. Pérouse et F. Goyet, Saint-Étienne, Publications de luniversité de Saint-Étienne, 1996, p. 25-47.

98 Anacrise, fol. 148r.

99 Anacrise, fol. 136v.

100 Anacrise, fol. 135v.

101 Anacrise, fol. 105v. Sur le talent poétique selon Huarte, voir M.-L. Demonet, « La poésie spontanée et son explication médicale », Juan Huarte au xxie siècle, p. 137-167.

102 Anacrise, fol. 175v.

103 Aristote, Poétique, I, 1447 a-b 17, trad. M. Magnien, Paris, Le Livre de poche, 1990, p. 102. Voir aussi 1451 b-27-29 : « le poète doit être poète de fables plutôt que de vers, dautant quil est poète en raison de limitation et quil compose des actions ». Sur cette question, voir D. Brancher, Équivoques de la pudeur. Fabrique dune passion à la Renaissance, Genève, Droz, 2015, « La Médecine dans le débat sur la poésie de la nature », p. 516 sq.

104 De même la sagesse sobtient par un travail assidu qui dessèche le cerveau, et non par les qualités innées du tempérament sec. Voir Examen de lExamen, chap. xxi « De limaginative et des sciences qui luy appartiennent. Si limaginative est contraire à lentendement et à la memoire. De la grande science dHomere. De leloquence dHippocrate, de Platon, dAristote, de Virgile, de Ciceron ». Sur ce médecin dÉvreux, on connaît très peu de choses, comme en témoigne la notice que lui consacre P. Dandrey dans son Anthologie de lhumeur noire : écrits sur la mélancolie dHippocrate à lEncyclopédie, Paris, Gallimard, 2005.

105 Examen de lExamen, p. 363.

106 Examen de lExamen, p. 365-367.

107 Examen de lExamen, p. 370.

108 Examen de lExamen, p. 373.

109 Examen de lExamen, p. 374.

110 Examen de lExamen, p. 375.

111 Pérouse, « Lhomme qui écrivait », p. 16.

112 Huarte, Anacrise, fol. 152v ; fol. 135v.

113 Anacrise, fol. 153r.

114 Anacrise, fol. 49r.

115 Sur cette notion, voir les articles fondamentaux de N. G. Siraisi, « Girolamo Cardano and the Art of medical Narrative », Journal of the History of Ideas, 52, 4, 1991, p. 581-602 ; et de G. Pomata, « The Uses of Historia in Early Modern Medicine », Historia, Empiricism and Erudition in Early Modern Europe, éd. G. Pomata et N. G. Siraisi, Cambridge (Mass.) – Londres, The MIT Press, 2005, p. 105-146 ; « “Observatio” ovvero “Historia”. Note su empirismo e storia in età moderna », Quaderni Storici, 31, 1996, p. 173-198.

116 Anacrise, fol. 206v-208r. Sur cet épisode et les liens entre expertise professionnelle et identité religieuse, voir S. Kimmel, « Tropes of Expertise and Converso Unbelief : Huarte de San Juans History of Medicine », After Conversion, chap. xii, p. 336-357 ; Mandressi, « The Best Physicians on Earth », p. 59-87.

117 Anacrise, fol. 211v.

118 Anacrise, fol. 207r.

119 Anacrise, fol. 249v.

120 Anacrise, fol. 123v.

121 Anacrise, fol. 133v. Sur la fortune de ce nom dans la littérature postérieure, et les analogies avec Don Quichotte, voir lédition de Guillermo Serés, Huarte de san Juan. Examen de ingenios, Madrid, Cátedra, 1989, p. 420-421, note 77.

122 LExamen des esprits, chap. i, p. 6.

123 Ibid. : « [] pour tirer une copie qui revienne bien à loriginal, il est besoin dassembler un nombre infiny desprits qui travailleront long temps, et apres tout ne conceveront et ne produiront que mille extravagances ».

124 Anacrise, fol. 147r : « Tout ce qui est dit bonne figure, bon propos et suject, qui est bien compris et deduit, depend des graces de limagination, comme les faceties, louanges, broquards, figures et comparaisons » ; fol. 157r : « les bonnes proprietez de nature que doit avoir lorateur parfait, viennent pour la plupart de la bonne imagination, et aucunes de la memoire. » Voir encore fol. 152v.

125 Guibelet, Trois discours philosophiques. De la comparaison de lHomme avec le Monde. Du Principe de la generation de lHomme. De lHumeur Melancholique, Évreux, Antoine Le Marié, 1603.

126 Anacrise, fol. 7v. Voir aussi : « On doit prendre les mesmes soins pour faire que la semence humaine se rende feconde et polifique [sic] quont les jardiniers pour les graines quils veulent garder ; ils attendent quelles soient meures et seches ; car sils les recueillent de la plante, devant le temps et le point necessaire, lannée daprès, ils auront beau les semer, elles ne pousseront aucun fruict. Cest pourquoy jay remarqué quaux lieux où Venus sexerce beaucoup, on fait moins denfans, que là où lon use de plus de continence » (LExamen des esprits, seconde partie, p. 349-350).

127 Anacrise, fol. 147v.

128 J. Arrizabalaga, Huarte de San Juan and the inquisitorial censorship.

129 Anacrise, fol. 75v.

130 Anacrise, fol. 8v-9r, image reprise en fol. 193r.

131 LExamen des esprits, seconde partie, p. 298-299.

132 LExamen des esprits, seconde partie, p. 306.

133 Du Bellay, La Deffence et Illustration, chap. xi, p. 166.

134 Anacrise, fol. 148r : « La chaleur [est] linstrument par lequel limagination exerce son office, pour ce que ceste qualité esleve les figures et les fait bouïllir : et pourtant se descouvre tout ce que lon peut voir en icelles : et sil ny a rien plus à considérer, limagination est contrainte, non seulement de composer une figure qui saccorde avec les autres, mais aussi de joindre celles qui sont estranges et impossibles selon lordre de nature, de maniere que dicelles il vient à faire des montagnes dor et des bœufs qui volent. » Dotée dune créativité qui saffranchit de limpression sensible, et met à mal lesthétique de la mimésis, limaginatio selon Huarte sapproprie ainsi la liberté inventive que la tradition réservait à la phantasia. Sur la théorie de limagination de Huarte, voir C. Müller, Ingenio y Melancolia, Una Lectura de Huarte de San Juan, Madrid, Biblioteca Nueva, 2002, chap. vi, 2, « Las teorias antiguas de la imaginacion y la imaginativa de Huarte », p. 113-116.

135 Anacrise, fol. 148r.

136 Anacrise, fol. 88r.

137 Anacrise, fol. 89v.

138 Sur cet aphorisme, « La pensée est promenade », voir Pigeaud, « Fatalisme des tempéraments », p. 151-152 ; p. 137.

139 Pigeaud, « Fatalisme des tempéraments », p. 140.

140 Anacrise, chap. xiv, fol. 164r.

141 Anacrise, fol. 351r.

142 Anacrise, fol. 164r : « il ny a toutesfois reigle tant generalle en tous les arts, qui nait quelque exception ».

143 « La difficulté est plus grande [par rapport à Aristote], quand on vient à considerer que la melancholie est un humeur gros, froid, et sec, et la colere de substance delicate, et de temperament, chaud et sec : et ce neantmoins la melancholie est plus propre à lentendement que nest la colere », si lon entend par mélancolie cette forme bien particulière quest la « colere brûlee. » (Anacrise, fol. 81v-82r). Sur lambiguïté doctrinale entre colère et mélancolie et la mélancolie aduste chez Huarte, voir Müller, Ingenio y Melancolia, chap. iv, « La melancolia en el Examen de los espiritus », p. 53-75, et plus particulièrement IV.2. « Melancolia y colera » ; Müller, « Le mélancolique et la réflexion sur lesprit chez Huarte de San Juan. Tempérament et facultés de lâme dans le galénisme de la Renaissance espagnole », Gesnerus, 59, 2002, p. 187-197.

144 Anacrise, fol. 140r. Voir aussi : « Pour moy, je croy que la froideur est celle qui importe le plus à lame raisonnable pour conserver ses vertus en paix [], parce que, comme dit Galien, il ny a point de qualité qui affoiblisse tant la faculté concupiscible et lirascible comme la froideur, ny qui réveille tant la faculté raisonnable, au dire dAristote [] » (LExamen des esprits, p. 73-74).

145 LExamen des esprits, p. 213-214 ; Anacrise, fol. 106v. En revanche, la colombe ignore la colère, qui est linstrument privilégié de malice et astuce. Voir aussi la lettre dHippocrate à Damagète, ou Démocrite voudrait anatomiser les hommes rusés comme il la fait avec le renard, le serpent et le singe (Anacrise, fol. 96v-97r).

146 Le Christ sadresse à ses disciples : « Je vous envoye comme brebis au milieu des loups, soyez donc avisez comme serpens, et simples comme colombes » (Anacrise, fol. 230r). La sainte Écriture loue « la prudence et le sçavoir du serpent et de la fourmy, avec lesquelles, toutes bestes quelles soient, lhomme qui est dépourveu desprit, nest point comparable. » (LExamen des esprits, p. 23).

147 Huarte cite ici Nemesius, De la nature de lhomme (LExamen des esprits, seconde partie, p. 599).

148 Mestre Zaragozà, Les enfants de la colère, p. 722 sq. Voir la « Digresión sobre el árbol vedado del Paraíso », qui clôt lédition de 1594, après le chap. xxii, « Qué diligencias se han de hacer para conservar el ingenio a los niños después de estar formados y nacidos » (éd. Serés, Examen, p. 715-723).

149 LExamen des esprits, seconde partie, p. 597.

150 Pour un usage positif du mot, voir Proverbes, 14, 15 ; 14, 18 ; 22, 3 = 27, 12. Le mot hébreu pour serpent, nahach, exprime en soi cette ambivalence. La racine nahoch signifie en effet « deviner, supposer », au sens davoir lintuition de quelque chose de caché. Joseph retrouvant la coupe quon laccusait davoir volée dit à ses frères : je suis menahech – « je serpentine, je devine » (Genèse, 44, 15). Sur ce passage, voir A. La Coque et P. Ricœur, Penser la Bible, Paris, Seuil, 1998, respectivement « Lézardes dans le mur » (p. 19-56) et « Penser la création » (p. 57-102) ; C. Westermann, Genesis 1-11, ein Kommentar, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener Verlag, 1974 ; P. Trible, God and the Rhetoric of Sexuality, Philadelphie, Fortress Press, 1978.

151 Saint Jérôme loue la traduction grecque dAquila et Theodotion, qui proposent panourgon, « sournois, mauvais » (Saint Jeromes Hebrew Questions on Genesis, trad. et comm. C. T. R. Hayward, New York, Oxford University Press, 1995, p. 32, 23, 3 : 1). Pour saint Augustin, qui ignore lhébreu, la question se pose en termes de sémantique latine : le mot sapiens peut-il être employé en sens négatif (in malo) pour sappliquer au serpent ? En définitive, il loue les manuscrits qui préfèrent astutior à la traduction usuelle, prudentissimus ou sapiens, fidèles à lesprit plutôt quà la lettre du passage (De Genesi ad litteram, « I. Considérations sur lorigine et le mystère du Mal », II, 4, p. 235-237).

152 Commentaires sur lAncien Testament. Le Livre de la Genèse, t. I, éd. A. Malet, P. Marcel, M. Reveillaud, Genève, Labor et Fides, 1961, p. 63.

153 LExamen des esprits, seconde partie, p. 606.

154 Sur la figure de saint Paul dans lExamen des esprits, voir Pigeaud, « Fatalisme des tempéraments », p. 132-133.

155 Voir J. L. Peset, « La críticas a la Universidad de Juan Huarte de San Juan », Las universidades hispánicas : de la monarquía de los Austrias al centralismo liberal, vol. I, éd. L. E. Rodriguez-San Pedro Bezares, Salamanque, Université de Salamanque, 2000, p. 390-391. Voir cependant lEncyclopaedia Judaica, vol. IX, deuxième édition, Détroit etc., Thomson Gale, 2007, p. 575 : « The Theory of his Converso identity is based on the fact that his surname is found among Navarrese Judaizers ». Pour un état des lieux sur la question et une riche bibliographie, voir Sumillera, The Examination, p. 338-340.

156 Anacrise, fol. 273r-v.

157 Anacrise, fol. 271v.

158 Anacrise, fol. 283r.

159 Anacrise, fol. 295v.

160 Cité par Vion dAlibray, LExamen des esprits, « Au Lecteur », fol. [biiijr]. Chez Guibelet, Examen de lExamen, on trouve : « tant estimé des meilleurs esprits de toutes sortes de professions » (épître à Monseigneur François de Pericard, évêque dEvreux, fol. [ã ijv]).

161 LExamen des esprits, « Au Lecteur », fol. [biijr – fol. biijv].

162 F.-X. Putallaz, La connaissance de soi au xiiie siècle : de Matthieu DAquasparta à Thierry de Freiberg, Paris, Vrin, 1991, p. 91.

163 Voir lépître au Roy de Vion dAlibray : « La plus haute connoissance pour un homme, cest de se connoistre soy-mesme, et la plus importante pour un Prince, cest de connoistre ses sujets. Ce Livre enseigne lun et lautre » (LExamen des esprits, fol. [ã ijV]).

164 LExamen des esprits, p. 286.

165 Anacrise, fol. 71r : cest une « chose merveilleuse » que de posséder les trois facultés.

166 P. Valéry, Cahiers, éd. J. Hytier, Paris, Gallimard, 1957, tome I, p. 87.

167 Voir LExamen des esprits, seconde partie, p. 306-307.

168 Voir Pigeaud, « Fatalisme des tempéraments », p. 123.

169 Anacrise, fol. 196r-v.

170 Anacrise, fol. 140r.