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Classiques Garnier

Quelques aspects de l’usage politique de la forme épique dans la Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2018 – 1, n° 35
    . varia
  • Auteur : Lassabatère (Thierry)
  • Résumé : L’article étudie comment la Chanson de Bertrand du Guesclin mobilise les effets épiques au service de son discours et de sa structure narrative : marquage rhétorique des épisodes ; marquage rhétorique interne aux laisses, où s’opèrent des disjonctions du texte, entre ses différentes versions, suggérant la circulation autonome d’épisodes à intégrer ou non à la Chanson ; traits rhétoriques et littéraires caractérisant, pendant le long récit de la campagne d’Espagne, l’influence grandissante du genre romanesque.
  • Pages : 229 à 250
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406083221
  • ISBN : 978-2-406-08322-1
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08322-1.p.0229
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/08/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Quelques aspects de lusage
politique de la forme épique

dans la Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier

Composée par le poète Cuvelier à la gloire du connétable, peu après sa mort en 1380, la Chanson de Bertrand du Guesclin appartient à la catégorie des œuvres de littérature qui sont aussi objet dhistoire, et illustre même, compte tenu de son intention laudative et célébrative, lusage politique de la forme littéraire.

Le texte sest transmis jusquà nous par sept manuscrits recensées par Jean-Claude Faucon, auxquels lIRHT a récemment ajouté deux nouveaux témoins, et qui se rangent, pour lessentiel, en deux grandes traditions textuelles : deux regroupements autour de la version éditée par Ernest Charrière en 1839 sur la base du manuscrit BnF, fr. 850, et de celle que Jean-Claude Faucon reconstitua en 1991 en rassemblant les deux morceaux épars, le BnF, nouv. acq. fr. 993 et le ms. H250 de la Faculté de médecine de Montpellier, dun même manuscrit originel, constitué entre Paris et Normandie dans les dernières années du xive siècle – qui nous servira de référence par défaut1. Une version significative sintercale entre ces deux principales leçons du texte : le ms. BnF, Arsenal 3141. Déjà connu dErnest Charrière, qui avait transcrit en note lessentiel de ses variantes par rapport au fr. 850, le manuscrit de lArsenal se montre très proche du manuscrit Faucon sur les trois 230quarts de la Chanson, jusquaux alentours du 19 680e de ses 24 346 vers, puis sen écarte pour donner une version fortement originale2.

La dénomination de Chanson par laquelle nous désignons lœuvre de Cuvelier suit le choix de Jean-Claude Faucon, qui marque son rattachement unanimement reconnu au genre de la chanson de geste, dont elle constitue lun des derniers exemples3. Certes, cest avant tout sa « matière », centrée sur la fabrique dun héros de légende incarnant « les aspirations collectives » et une « totale adhésion à la Couronne », qui rattache lœuvre au genre de la chanson de geste4. Ce patronage littéraire inscrit demblée son héros dans lillustre lignée de Roland et de Guillaume dOrange et, coulant son récit édifiant dans un moule déjà prêt pour lui, la « vie » de Cuvelier peut ainsi puiser librement au genre épique, à ses stéréotypes comme à ses schémas narratifs : Charlemagne et ses pairs, Roland et Olivier, comme références individuelles, et les grands thèmes du genre, du motif de la croisade – dont le récit de lexpédition dEspagne livrera une nouvelle réalisation, calquée sur le modèle de Roland à Roncevaux – à celui de la faiblesse du roi – mis en scène par Cuvelier selon des rapports de protection qui rappellent ceux du roi faible et de son mentor Guillaume dOrange dans le Couronnement de Louis –, comme modèles narratifs et politiques5.

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Mais, lhésitation dErnest Charrière, parlant tour à tour de « chronique rimée », d« épopée romanesque » ou encore, citant Michelet, d« épopée chevaleresque6 », aussi bien que le constat dun Jean-Claude Faucon remarquant que sa composition « la rapproche plus de la chronique, voire du roman, que de la geste, ce qui a pu la faire qualifier longtemps de “roman7” », montrent la difficulté de la caractérisation du genre qui, pour lœuvre écrite à la louange du connétable comme pour lensemble des chansons de geste depuis les xiie et xiiie siècles, se destine de plus en plus à la lecture plutôt quà la performance orale, et souvre à linfluence dautres formes, en particulier du roman8.

Le genre de la chanson de geste nen affirme pas moins son emprise sur lécriture du poète picard. Jean-Claude Faucon repère ainsi la mise en œuvre par Cuvelier de tous les grands traits du « moule épique » de la chanson de geste, notamment formels : laisses monorimes, reprises, marques doralité, effets damplification, proverbes, registre comique9. Le rapport de la forme strophique et de ses marqueurs rhétoriques, de type « épico-lyrique », avec le contenu narratif doit faire lobjet dun examen en soi. Et, dans nos études antérieures consacrées à la malléabilité de la forme épique et à sa mise à profit pour construire une signification politique du récit, nous avions déjà cru dégager un certain nombre de règles générales de lutilisation par Cuvelier des marqueurs rhétoriques :

1. épisodes importants marqués, dans le ms. Faucon et contrairement à ce que pense son éditeur10, par des effets rhétoriques spécifiquement choisis, placés en début de laisse et relevant de larsenal rhétorique du genre de la chanson de geste : appel au public, intervention du narrateur, argument de vérité et dautorité ou mot de liaison logico-temporel (or, ainsi, en cette saison, etc.). Ces 232marqueurs rhétoriques permettent de repérer 67 épisodes principaux de la narration recoupant, à lexception de huit épisodes résiduels ne bénéficiant pas de marquage rhétorique, la quasi-totalité de la structure narrative du récit.

2. marqueurs internes aux laisses en nombre presque aussi important dans la Chanson mais nayant, sauf exception, quune fonction essentiellement lyrique et ne recoupant aucune césure narrative majeure. Un petit nombre de ces marqueurs internes correspondent à des disjonctions narratives entre les différentes versions de la Chanson.

3. fin du texte – deuxième partie de la guerre dEspagne et fin de la reconquête du royaume – caractérisée par une dilution narrative que traduisent la raréfaction des marqueurs, leur rôle essentiellement rhétorique et de moins en moins narratif, et en conséquence lallongement considérable des épisodes. Ces épisodes allongés et moins scandés par la voix du poète sont représentatifs dune ouverture de lœuvre de Cuvelier au-delà du genre épique : aventures espagnoles lointaines et exotiques, se parant des couleurs du merveilleux et de la réflexion psychologique quaffectionnent les romans ; accélération narrative des hauts faits de la reconquête qui rapproche la fin de la Chanson dune chronique11.

Nous inscrivant dans la lignée de travaux déjà effectués et cités sur cette thématique, nous nous efforcerons ici de caractériser, par lexemple, lensemble de cette mobilisation des effets de forme littéraire au service du discours. Reprenant point par point les postulats ainsi énoncés, nous approfondirons le rôle des mécanismes de marquage rhétorique des épisodes du récit ; celui des points de marquage rhétorique internes aux laisses, à partir desquels se repèrent et sopèrent parfois des disjonctions du texte, entre ses différentes versions, laissant entrevoir la circulation autonome de pans entiers de la légende du connétable, que le récit de la Chanson choisirait ou non dintégrer, comme « à la carte » ; enfin les traits rhétoriques et littéraires caractérisant, au sein des longs vers de la campagne dEspagne, linfluence grandissante du genre romanesque sur la narration.

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Forme épique et structuration narrative :
le marquage rhétorique
des grands épisodes du récit

À léchelle du poème et de son organisation structurelle, létude précise de la mise en œuvre de ces artifices littéraires propres au genre épique révèle un usage volontaire des marqueurs rhétoriques spécifiques de la chanson de geste, tout particulièrement les appels au public et marques doralité, pour structurer la narration en y signalant la plupart de ses grands épisodes. Un tel projet est « politique » au plus haut point, et dune redoutable efficacité, si lon songe que son choix volontaire se lit encore, six siècles plus tard, dans limagerie collective du bon connétable. Les épisodes qui lont façonnée, précisément à partir du texte fondateur de Cuvelier, relèvent de ce marquage rhétorique qui permet déveiller lattention du public, de dramatiser le récit et de susciter lempathie : lenfance mal-aimée et bagarreuse du héros, ses exploits lors des sièges de Rennes et de Melun, ses batailles les plus marquantes, à Cocherel, Auray et Nájera, sa nomination comme connétable, ses combats de la reconquête, enfin sa mort devant les remparts de Châteauneuf-de-Randon, autant dépisodes devenus pour nous des images dEpinal. Au total, ce sont quelque 67 séquences que permettent de repérer les marqueurs rhétoriques aux changements de laisse, sur les 75 qui constituent lensemble de la structure narrative de la Chanson. Huit césures narratives, seulement, échappent à ce marquage : elles concernent le début de la campagne normande du connétable fraîchement nommé et, plus encore, sa guerre espagnole lointaine et confuse, emplie détrangeté et de merveilleux, consacrant à la fois leffacement du marquage rhétorique et lallongement généralisé des séquences narratives qui caractérisent le récit à cet endroit.

Sans remettre en cause, pour lessentiel, leur lien avec les étapes « réelles » de la vie du héros, notre lecture doit tenir compte des choix rhétoriques et littéraires de Cuvelier, qui conditionnent la focalisation, la mise en valeur et le découpage du récit. Faut-il pour autant attribuer tous ces choix à Cuvelier lui-même ? Richard Vernier pense quil dut bénéficier dépisodes déjà constitués de la geste de du Guesclin, circulant 234sous forme orale ou écrite12. Le Lay du tresbon connestable B. du Guesclin dEustache Deschamps semble lui donner raison. Vraisemblablement composé dans les jours ou semaines qui suivirent la mort du connétable, le lai partage nombre de thèmes avec la Chanson de Cuvelier, du motif mi-héraldique et mi-prophétique de « laigle dOccident » à la comparaison aux neuf Preux du héros, qui « En monde, en terre et en mer / Fit tant quon doit le clamer / Des chevaliers père et preux » (v. 233-235) ; mais, plus encore, il décrit les tableaux principaux de la légende que Cuvelier fixera et léguera ensuite13. Son traitement du siège de Melun, au milieu de ce florilège des hauts faits partagés du connétable, renforce la thèse dune circulation, du vivant même de du Guesclin, dun certain nombre déléments déjà cristallisés de sa légende : identifié dans les deux œuvres comme le premier exploit du héros au service de la royauté, lépisode y bénéficie des mêmes caractéristiques narratives très typiques, montrant le héros payer de sa personne au point de frôler la mort,

Et li prodoms savança,

Qui a Meleun commença,

A lassault froment soffrit

Et tant de paine y souffrit

Que dillec len lapporta

Comme mort ; la se monstra

Et la fut son premier cry. (v. 73-77)

En toutes ces concordances, le Lay du tresbon connestable montre lantériorité de Deschamps sur Cuvelier, ou de façon plus vraisemblable encore, lexistence pressentie de sources communes, de thèmes déjà constitués de la légende du connétable, comme le pressentait Richard Vernier. Sous une forme ou une autre, ils devaient être connus de leur public, y connaître une circulation déjà bien affirmée ; et létude plus précise des disjonctions textuelles entre versions de Cuvelier, de certains 235effets denchâssement et denrichissement du discours, sopérant le plus souvent à partir de marqueurs rhétoriques internes aux laisses qui constituent comme les vestiges de leur présence, ancienne ou virtuelle (ex silentio), et de leur soulignement, ancien ou implicite, nous en donnera un élément de conviction supplémentaire.

Variantes et disjonctions du texte :
épisodes indépendants
dune légende « à la carte »

Une étude du même genre, du même systématisme, devrait être consacrée à ces marqueurs rhétoriques internes aux laisses, quun premier sondage permet de repérer en proportion comparable au sein de la Chanson de Cuvelier14. Ces marqueurs internes aux laisses ont un rôle essentiellement rhétorique et contribuent peu, en général, à souligner la progression narrative. Tout juste peuvent-ils servir, au sein de lépisode narratif où ils sont placés, à ramener le discours à son sujet principal – comme cet appel au public : « Seigneur, cilz connestable, qui fu Bertran appelez » (v. 28) qui clôt le laïus dune dizaine de vers présentant lauteur de la Chanson pour ramener à son héros –, à participer au séquencement interne des épisodes narratifs – comme ce vers mêlant conjonction de coordination logico-temporelle et appel au public : « Or oyez de Bertran quel coustume il prenoit » (v. 286), qui fait progresser la narration de lenfance du héros en organisant la transition de la visite de la converse porteuse dheureuse prédiction aux parodies de combat entre enfants du voisinage –, ou bien encore, au terme de quelques vers généraux et vagues dintroduction, à focaliser la narration sur son objet précis – comme ce marquage logico-temporel et dautorité qui ouvre le récit des joutes de 236Rennes : « Or avoit a ce temps, ce nous dit li escripts, / Une feste criee de jouste de hault pris » (v. 566-567).

De tels exemples nous en convainquent : sil nest pas de premier ordre, sil ne participe pas à la segmentation du récit en ses grands épisodes, le rôle narratif de ces marqueurs rhétoriques internes nest pas totalement et uniformément nul pour autant ; ils constituent parfois une sorte de césure de second ordre au sein du récit, à lintérieur des grands épisodes dont ils servent et scandent la progression. La preuve de ce rôle narratif occasionnel plus ou moins implicite nous est apportée par les cas de disjonction du texte qui naissent de certains dentre eux, ouvrant à de longues séquences qui se greffent comme librement et comme des épisodes indépendants, choisis comme « à la carte » et dont on se plairait presque à deviner la circulation indépendante. Ainsi le vers 18793, portant la double marque rhétorique dun dialogue entre le narrateur et son public – « Or est temps que vous die du nobille Bertrant » –, introduit, dans le manuscrit édité par Jean-Claude Faucon, la quarantaine de vers dun récit du cortège de du Guesclin dans Paris que le fr. 850 omet. Exemple inverse, une apostrophe du public en milieu de laisse du manuscrit Faucon annonce la coupure volontaire du texte (« Seigneurs, ceste matiere ne vous est alongie », v. 3453), dont les deux vers suivants donnent la mesure en précisant que « Bertrand demoura la une anee acomplie. / Quatre chasteaulx conquist, o lui sa gent prisie », et en renvoyant à un autre modèle, plus proche du manuscrit BnF, fr. 850, qui consacre effectivement, à cet endroit, 16 laisses et quelque 400 vers aux sièges de Pestivien et Trogoff (éd. Charrière, v. 3002-3434)15. Un autre épisode du même genre présente toutes les apparences de lindépendance et nornemente que certaines des versions du texte de Cuvelier – celle du ms. BnF fr. 850 (éd. Charrière, v. 633-830), mais pas celles des mss Faucon et Arsenal : cette joute improvisée contre un chevalier anglais rencontré au hasard des pérégrinations en Brocéliande, qui mêle stéréotype de roman arthurien et possible circulation autonome de la séquence. Dans le manuscrit BnF, fr. 850 où ils sont intégrés, ces deux passages bénéficient de ces mêmes marqueurs rhétoriques qui y signalent leur statut dépisode particulier. Ainsi la parenthèse guingampaise de Bertrand y est introduite par un marquage logico-temporel (« Ensement est Bertran 237à Guingamp demoure », éd. Charrière, v. 3003) replacé en début de laisse, que redouble lintervention par apostrophe du narrateur, dans le vers précédant la disjonction (« Bertran est demourez, Dieux lui doint bonne vie ! », éd. Faucon, v. 3451) ; elle se clôt par un double marquage logico-temporel et dintervention du narrateur, réparti sur deux vers (« Apres ce que Bertran à la chière hardie / Ot conquis le chastel, dont je vous signifie », éd. Charrière, v. 3431-3432). Marquage, également, pour le duel en Brocéliande, mais plus discret : réduit, en plein milieu de laisse, à une simple conjonction logico-temporelle à sa clôture (« Ainsi fu longuement Bertran o ses gens là », éd. Charrière, v. 830), suivie de lintervention du narrateur qui recolle au tronc commun des versions.

Le double enchâssement
de Cuvelier et de Hay du Chastelet

Sans pour autant conduire à la différence binaire de labsence ou de la présence, certains épisodes du texte de Cuvelier se prêtent à un jeu savant denchâssements qui, selon les versions, peut contribuer à leur donner une profondeur et une richesse de sens accrues. Ainsi en est-il, dès les premiers vers de la Chanson, de la visite dune converse inspirée qui auréole lenfance bougonne de Bertrand de ses prédictions de gloire et le révèlent à sa destinée. Cest repas de fête, jour de lAscension, lorsquune converse pénètre dans le logis des du Guesclin. Remarquant le jeune Bertrand prostré dans un coin de la salle, à lécart de la table familiale où déjeunent sa mère, ses frères et ses sœurs, la religieuse lui demande de sapprocher, le questionne, lexamine, découvre sur sa physionomie les signes de sa haute destinée. La converse demande alors à Jeanne de Malemains si lenfant est sien, nobtenant pour seule réponse quune longue plainte sur son comportement « pervers et rude » qui fait la désolation quotidienne de ses parents : désamour de son père – « Mais oncques mon seigneur vrayement ne lama » (v. 207), affirme Jeanne –, et jusquau souhait de sa mort par sa mère – « Pleüst a Dieu quil feust mors, desiré lay pieça ! » (v. 214).

Désamour parental que la religieuse détrompe en annonçant lexceptionnelle destinée qui attend le fils renié de Robert du Guesclin et Jeanne de Malemains : il montrera tant de hardiesse qu« il nara son pareil en tout le firmament, / Et li plus honnorez de tout ce tenement / Ne qui soit ou royaume de France proprement. »

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Des fleurs de lix sera honnorez telement

Quon en orra parler jusques Jherusalant (v. 240-241),

ajoute la version Faucon de la Chanson, pour accentuer le trait et marquer les esprits. Cette même version brode dailleurs autour de cet événement central tout un environnement qui concourt à la dramatisation de lépisode et à laccentuation de ses contrastes. En amont, elle plante le décor dune scène daffrontement à laquelle donne lieu le repas familial, avant larrivée de la converse : Bertrand, relégué avec les serveurs et cuisiniers, exige de prendre place au milieu de ses frères et sœurs ; mais cest alors, dans lempressement quil met à engloutir les mets, quéclatent ses manières de table déplorables, qui déclenchent aussitôt lire de sa mère et le renvoient à sa condition dexclu. Lirruption de la converse, à ce moment précis du récit, hérite de ce climat dhostilité. Bertrand tourne vers elle son ressentiment, anticipant lusuelle malveillance à son égard et répondant à ses marques dintérêt par autant de bravades et, même, de menaces :

Bien cuida que la dame luy deïst desraison

Et quelle le voulsist nonmer nice, bricon :

« Laissiez men paiz, dist il, quenfouir vous puist on !

Se vous me dictes riens qui ne me viengne a bon,

De ce bastont droit cy arez un horion ! » (v. 170-174)

Mais la douceur de la religieuse, ses prometteuses prédictions surtout, ont tôt fait damadouer lenfant rebelle, qui lui témoigne sa reconnaissance en la servant, à la table où sa mère la conviée à partager le repas : il se lève pour ôter un paon rôti des mains du maître dhôtel et le porter lui-même à linvitée. Dans son empressement à la servir en vin, sa maladresse le rattrape et il renverse. Quimporte, jamais on ne lavait vu dans daussi bonnes dispositions, remarque sa mère émerveillée : cest que « le fruit ne vault riens qui ne puet meürer » (v. 272), répond Bertrand, décochant à loccasion sa première dune longue série répliques à valeur proverbiale.

De la sorte, lenvironnement dont la version Faucon enrobe lépisode central de la prédiction de la converse exacerbe les contrastes, dramatise la scène et enchâsse encore davantage le récit dans un contexte littéraire caractéristique, celui de lépopée, au plan narratif comme rhétorique et formel. Ainsi le caractère proverbial de la réplique du jeune Bertrand 239et la composante grotesque, qui allègent la tension dramatique et permettent au héros dassurer une fonction comique consubstantielle au genre, à limage de Rainouard, stéréotype du procédé, dans le cycle de Guillaume dOrange16 : son incarnation par Bertrand culminera au moment du siège de Melun, montrant le héros tombé des remparts et tête en bas dans les fossés puis transporté sur un tas de fumier, avant que son statut de connétable nimpose de la transférer sur dautres épaules17. Nul doute que la gaucherie du jeune Bertrand, tourné en ridicule au cœur même de ce « moment de grâce » où il montre sa reconnaissance en servant le vin, constitue le premier jalon de cette longue série danecdotes grotesques qui émailleront la geste du connétable. Première réplique proverbiale et premier épisode grotesque : plus que ce trait de trivialité garantissant lauthenticité du récit quy voit Richard Vernier, lajout de la version Faucon savère une référence consciente à la rhétorique épique18.

À ce premier enchâssement mis en œuvre par la version Faucon, quil a jusquici fidèlement suivie, Hay du Chastelet en ajoute un second, que lon ne retrouve dans aucune des versions manuscrites de la Chanson parvenues jusquà nous, ni dans aucune de leurs transcriptions en prose du moment19. Le premier biographe de du Guesclin, qui écrit presque trois siècles plus tard, semble superposer son propre environnement à celui du manuscrit Faucon. Il incruste la visite révélatrice de la religieuse au cœur même dune révélation antérieure : le songe prémonitoire de la mère de Bertrand. Le récit quil livre commence ainsi par ce rêve de Jeanne de Malemains à peine mariée et pas encore mère, dune boîte de 240pierres lui appartenant, contenant le portrait de son époux et le sien, et ornée de trois diamants, trois émeraudes et trois perles, enfin un unique diamant tellement brut quil semblait un caillou. Un lapidaire auquel elle aurait demandé de lôter lui aurait, au contraire, recommandé den prendre soin : lessuyant régulièrement, sur son conseil, elle eut en effet limpression quil embellissait jusquà devenir le plus beau des joyaux. Hay du Chastelet donne plus loin linterprétation du songe, quil place dans la bouche de la converse, organisant ainsi sa fusion avec le récit de Cuvelier. Il rapporte un entretien privé entre les deux femmes, au terme de la fameuse journée de lAscension déjà contée par la Chanson, au cours duquel Jeanne de Malemains aurait confié son rêve à la religieuse, qui lui en aurait en retour livré le sens, où « le diamant brut qui lui avoit semblé estre devenu si merveilleux signifoit son fils aisné, quelle verroit un jour grand et illustre si elle prenoit soin de son éducation20 ».

Malgré la suspicion légitime à légard des anecdotes ajoutées par Hay du Chastelet, que nappuie aucune source vérifiable du xive siècle, il est possible que Richard Vernier ait raison de considérer que, plutôt que de son imagination, lépisode du songe puisse provenir dune légende contemporaine de Cuvelier et que le poète picard aurait rejetée comme peu vraisemblable21. Un détail du texte de Cuvelier vient même appuyer cette intuition : le poète fait bien mention, dans des termes semblables, dune discussion privée entre la converse et la mère du jeune Bertrand, mais interrompt volontairement son discours, dérobant au public un prolongement dont il sous-entend pourtant lexistence et la connaissance :

La dame apres disner la converse menoit,

En sa chambre a privé son afaire monstroit ;

Ne say que li dona, a tant men tairay coit. (v. 276-278)

Outre ces vers qui semblent renvoyer à un épisode connu mais dérobé, la structure du texte de la Chanson, à cet endroit, invite elle aussi à lhypothèse dun branchement laissé vide, voire dune suppression identique à celle de lépisode guingampais. « Or oyez de Bertran quel coustume il prenoit » (v. 286) : ce vers, déjà évoqué, planté en plein milieu de laisse, use de la rhétorique de lappel au public pour mieux 241relancer la narration et lorienter vers son épilogue où lenfance de Bertrand bascule dans ses années dapprentissage des jeux de combat et du commandement. Branche morte retirée du tronc de la narration de Cuvelier, nest-ce pas là le signe dun nouvel enchâssement dont Hay du Chastelet aurait pu, on ne sait par quel miracle, retrouver ou reconstituer la trace ?

Syncrétisme des sources :
la version emboîtée de la prise de Mantes

Avec le récit de la prise de Mantes, le texte du seul Cuvelier, en ses variantes, nous donne un autre exemple de double enchâssement du récit qui permet daccueillir, dans la version Faucon, une tradition textuelle enrichie de lévénement, organisant la fusion de sources historiques distinctes, complémentaires, que le tronc commun de la Chanson ignore.

Alors que le héros assiège la tour puissante de Rolleboise, dont la garnison navarraise harcèle en permanence les populations voisines, arrive sur les lieux un personnage que le texte dote dune importance énigmatique : « Guillaume de Lannoy lappeloient sa gent » (v. 3950), « monseigneur Guillaume de Lannoy et sa gent » (v. 3960), insiste le poète. Cest de ce personnage clé, que seul Cuvelier nomme, que jaillit linitiative de la prise de Mantes, son stratagème et la part la plus âpre de sa réalisation. Le stratagème réplique celui de la prise de Fougeray, une quinzaine dannées plus tôt, basé sur la dissimulation et la surprise, avec Guillaume de Lannoy dans le rôle de du Guesclin et des bûcherons transformés en vignerons : « A loy de vignerons en a .xxx. vestis. / Bien sambloient vignerons demourans ou païs / Qui doient labourer es vignes du pourpris » (v. 3981-3983)22. Lattaque est prévue à laube, pour profiter à plein du sommeil des habitants : « Encor ne sera pas li conmun tout levés » (v. 4003). Technique habituelle des routiers, qui profite de la moindre vigilance du guet et de la démobilisation des forces endormies de la ville, le plan est mis à exécution. Au petit matin, profitant du moment où, pour laisser passer des Mantois menant leurs bêtes au pré, la ville a abaissé son pont-levis, les faux vignerons se présentent au regard du guet, dont leur accoutrement trompe la vigilance : « Ce sont cil vigneron de la nostre contree / Qui en place venront pour gaigner leur journee » 242(v. 4050-4051). Cest alors que les intrus passent à lattaque ; envoyés en premier groupe, dix faux vignerons – dabord quatre, bientôt renforcés de six autres, saccordent toutes les versions – abordent les gardiens et, sortant leurs armes dissimulées, les maîtrisent, bloquant le pont baissé avant dalerter les autres complices du commando aux aguets :

Et vous .iiii. des nos qui la ont fait entree,

Et puis sen revint .VI., sont la porte combree.

Chascun isnellement a traite son espee,

En pou de temps y vint toute li assemblee.

Li uns ot un cornet dont loeuvre fu plevee,

Con dit turelurete ; maintenant fu sonnee,

Et Guillaume en a bien la voix escoutee.

Lors sont mis au chemin courant de randonnee,

Et li vigneron ont commencié la merlee.

Aux bourgois ont donné mainte grande colee,

Dont ont prins a crier conme gent effraiee,

Et crioient : « Traÿ ! Sont la ville estonnee ! » (v. 4058-4070)

Cest alors que Bertrand intervient, comme convenu, chargeant par le pont paralysé à la tête de ses troupes et investissant tous les quartiers de la ville. Lépilogue de cette conquête éclair est celui de nombre de prises de villes : cris et pleurs de femmes serrant contre elles leurs enfants, fuites épouvantées à travers les champs environnants, scènes de pillage sur lesquelles Bertrand ferme les yeux, jusquà la reddition de la dernière résistance ennemie (v. 4099-4113).

Tel est le récit de la prise de Mantes selon le tronc commun de toutes les versions. Lhistoire ne sarrête pas là, toutefois, car le texte de Cuvelier joue, ici encore, de ses variations entre versions distinctes et du jeu des enchâssements dépisodes que lune rajoute à lautre – celle des manuscrits Faucon et Arsenal à celle du manuscrit BnF, fr. 850. Premier ajout de la version Faucon/Arsenal, lintervention dune charrette arrêtée dans sa course au moment de franchir le pont et utilement mise à profit par les assaillants pour empêcher les portes ne se referment :

Une chareste estoit sur le pont arestee,

Quil cuidoient aler hors de Mante la fremee.

Mais des bons vignerons fu tantost destelee,

Et par ce ne pot on en celle matinee

Lever le pont, qui fu dune oeuvre charpentee,

Ne la porte fremer ; la y ot grant criee. (v. 4071-4076)

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La seconde variante de texte ajoutée par la version Faucon/Arsenal est à peine plus longue, mais dune autre conséquence pour la structure et la logique du récit. Elle joue de lenchâssement dun récit complémentaire au sein du récit principal, permettant la superposition de deux traditions textuelles de lévénement. Là où le manuscrit BnF, fr. 850 sen tient au stratagème des trente faux vignerons conduits à laube devant les murs de Mantes par le mystérieux Guillaume de Lannoy, ceux de Jean-Claude Faucon et de lArsenal ajoutent deux courts extraits dune dizaine de vers chacun qui encadrent le cœur de lépisode en modifiant assez profondément son sens. Dans cette version allongée, le récit fait précéder lattaque des trente vignerons dune ruse supplémentaire, cette fois attribuée à Bertrand du Guesclin lui-même. On y apprend que, sur son conseil, trente infiltrés se faisant passer pour des hommes darmes du roi de Navarre ont pris chambre en une auberge de Mantes la veille de lattaque, afin de pouvoir prêter main forte aux assaillants :

Seigneurs, a celui temps dont je vous signifie,

Par le conseil Bertran et lautre baronnie,

Avoit entré en Mante une chevalerie,

.xxx. glaives ou plus de gent bien abilie

Qui orent fait entendre de la ville prisie

Qui estoient au roy qui Navarre maistrie.

Touz furent ostellé en une hostellerie ;

Ce quil prindrent paierent de monnoie forgie

Et menaçoient fort le duc de Normendie.

La furent atendant Bertran et sa mesgnie,

Guillaume de Lannoy et sa bachelerie. (v. 4017-4026)

Ouvert par un appel au public (« Seigneurs ») doublé dune intervention du narrateur (« je vous signifie »), lajout donne lieu, au vers suivant son terme, à un nouveau marquage, à la fois logico-temporel (« Or ») et de mise en scène du lien public-narrateur (« je vous die »), qui rehausse le retour au groupe des vignerons et à la mise en œuvre de son stratagème. Linsertion na coûté quune dizaine de vers, mais elle a préparé, avec la plus grande efficacité, un effet décho, un système denchâssement du récit, qui enrichit et modifie considérablement la narration. Une seconde insertion similaire, dune seconde dizaine de vers situés au terme de la surprise du guet de Mantes par le commando des faux vignerons de Guillaume de Lannoy, referme en effet lenchâssement 244préparé quelques vers plus haut, en contant lintervention de ces trente infiltrés qui se portent au secours des assaillants et se rassemblent au cri de « Lannoy », véritable signal de ralliement : « Les .xxx. glaives dont devant fis devisee / Avec la gent Guillaume se midrent la journee, / Et crioient “Lannoy” conme gent aduree » (v. 4079-4081).

Ces deux variantes de texte, qui apparaissent comme greffées au tronc commun de lensemble des versions renvoient à deux traditions textuelles indépendantes de lévénement, dont on trouve lécho dans des sources bien distinctes du texte de Cuvelier : des chroniques en loccurrence. Ainsi, lépisode de la charrette savère très proche de la Chronique des quatre premiers Valois, écrite dans les années 1390 et qui conte : « Et au matin, comme la porte fut ouverte et les gardes nestoient pas encoires tous venuz, les Bretons saillirent sur le pont comme une charette yssoit de de la ville et coururent sus aux gardes de la porte, et gaingnierent la porte, et de plain front coururent parmi la ville. Ceux de Mante furent ainsi soupprins23. » Le texte y souligne lemploi caractéristique de la ruse en la qualifiant d« embûche » organisée par le futur connétable, dont les premiers rôles sont distribués à lavance parmi ses proches : tandis quOlivier de Mauny, Roland de la Chesnaye et quelques autres mèneront un commando destiné à maîtriser lentrée de la ville, du Guesclin conduira en renfort le gros des troupes. Où lon retrouve, déguisements de vignerons en moins, ce scénario de surprise des Français embusqués, les traditionnelles scènes de pillage qui cloront la prise de la ville, mais aussi, spécificité de la seule version Faucon/Arsenal, le rôle de cette charrette dont le passage sur le pont-levis est mis à profit pour lattaque surprise des Français embusqués. Le récit nous propose également une candidature plus crédible au rôle joué par Guillaume de Lannoy chez Cuvelier en la personne dOlivier de Mauny, cousin et proche compagnon de Bertrand, qui avait récemment co-dirigé avec lui le siège de Molay-Bacon.

Lautre rapprochement textuel éclaire quant à lui lenchâssement relatif aux infiltrés de la veille, et il est fourni par la Chronique de Jean Froissart. Lauteur valenciennois insiste, pour sa part, sur le rôle de Jean ier le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France, comme envoyé express du dauphin Charles auprès de Bertrand du Guesclin pour hâter et durcir 245les opérations engagées sous sa houlette sur les bords de la Seine. La stratégie arrêtée par les deux chefs, la seule possible, est la dissimulation : « Si consillièrent entre yaus que messires Boucicaus, lui centime de chevaus tant seulement, chevauceroit devant et venroit à Mantes, et feroit leffraé, et diroit à chiaus de le ville que cil de Roleboise le cacent et que il le laissent [entrer] ens. Se il y entre, tantost il se saisira de le porte, et messires Bertrans et se grosse route tantost venront ferant batant, et entreront en le ville et en feront leur volenté24 ». Le plan est mis à exécution, Boucicaut et les siens se dirigeant, une fois entrés, vers lhôtel où tous se désarment ostensiblement jusquà larrivée du gros de la troupe. Le récit de Froissart nous livre ici un double rapprochement avec celui de Cuvelier : en offrant un substitut au Guillaume de Lannoy du poète picard et en proposant un déroulement qui étaye la version complexe de la Chanson, celle des manuscrits Faucon et Arsenal, et qui cite, lui aussi, lenvoi dun groupe dinfiltrés dans un hôtel de la ville.

Aspects formels et motifs narratifs
dune contamination : le romanesque exotique
de la « croisade » espagnole

Les développements précédents ont montré le rôle des marqueurs rhétoriques dans la construction du récit : segmentation en épisodes par les marqueurs de début de laisse ; rôle de certains marqueurs internes aux laisses comme points de disjonction du récit, où sintègrent comme « à la carte » des épisodes de la légende du connétable ayant une existence, une raison dêtre et, sans doute, une diffusion propres et indépendantes. Cette prégnance des marqueurs dans la segmentation du récit se relâche cependant, dans la seconde partie de la Chanson, avec le récit de lexpédition en Castille.

Laventure espagnole est un élément central de la carrière de Bertrand du Guesclin, dans sa dimension réelle, imaginaire et symbolique. Après les campagnes militaires anti-navarraise et bretonne de lannée 1364, qui lont vu occuper, avec des fortunes diverses, un rôle prééminent 246dans la conduite de grandes batailles, lexpédition de Castille menée de 1365 à 1370 pour évincer le roi Pierre ier le Cruel au profit de son frère adultérin, Henri de Trastamare, achève de linstaller dans un rôle de chef de guerre, exerçant durablement et au nom de la puissance royale un commandement militaire élargi. Malgré sa longueur et son positionnement central (10 000 des 24 000 vers de la Chanson, dans la version Faucon, dont ils occupent le centre exact), malgré limportance tout aussi centrale de son discours, qui vise à légitimer laction guerrière de Bertrand du Guesclin au regard des critères de la guerre juste et de son caractère artificiel de croisade, la ligne narrative apparaît souvent brouillée, par les nombreux linéaments dont le poète a le secret, par ses interférences entre théâtres dopérations, enfin par sa longueur même. Elle est également brouillée par la malléabilité et la variabilité de la forme littéraire à cet endroit du récit. On a évoqué, précédemment, la volonté de Cuvelier duser des artifices spécifiques du genre épique pour marquer sa narration et segmenter son récit. Pourtant, lexamen de cette segmentation rhétorique du récit montre aussi une importante disparité entre les différentes grandes « sections » de lœuvre de Cuvelier : alors que les quelque 7500 vers que le poète consacre au récit des premiers exploits de son héros jusquà sa défaite à Auray sont scandés en 29 séquences narratives clairement délimitées, dont la plupart sont introduites par un marqueur rhétorique saisissant lauditoire, laventure espagnole se caractérise par une dilution narrative que traduit la raréfaction des marqueurs, leur rôle essentiellement lyrique et de moins en moins associé à larticulation du récit doù, en conséquence, lallongement considérable des épisodes. Ainsi, malgré ses 6000 vers, la première campagne espagnole est découpée en 16 séquences seulement, dont moins des deux tiers (11 sur 16) bénéficient à leur entame dun effet de style épique. Pour la seconde campagne, même constat, avec ses 3000 vers répartis entre 7 séquences, dont 6 délimitées par des marqueurs rhétoriques. Seule la période intermédiaire, moment de pause ramenant le récit en Aquitaine et en France, renoue avec ses caractéristiques initiales (8 séquences, toutes signalées par un marqueur épique, pour 2000 vers). Ainsi, alors que tout le début de la Chanson, jusquà Auray, sarticule en séquences narratives de lordre de 260 vers, en moyenne, celles de la campagne castillane sallongent jusquà 375 à 430 vers, bénéficiant au surplus de repères épico-lyriques plus épars. La dernière phase du récit de Cuvelier, 247celle de la reconquête du royaume, subira le même sort (6000 vers pour 16 séquences dont 14 marquées) : effet de contamination, sans doute, du style épique de la chanson de geste par des éléments romanesques, venus de cette Espagne lointaine, un peu exotique et en partie rêvée, ou par une accélération narrative aux allures de chronique, avec la reconquête. Tout comme la fin du poème aux allures de chronique, la description par Cuvelier de laventure espagnole de du Guesclin témoigne de cette caractéristique stylistique de la littérature épique depuis le xiie siècle : son ouverture aux influences venues dautres genres, notamment du roman, de la chronique également25.

Cette influence du roman apparaît également au recensement des thèmes, motifs et autres images, qui parcourent le long récit des campagnes de Castille. Jean-Claude Faucon a relevé nombre de références littéraires émaillant le récit espagnol de Cuvelier et qui relèvent du genre du roman : ainsi les moqueries envers le héros, quil rapproche de Gauvain dans Perceval ou de Lancelot dans Le Chevalier de la charrette – même si ce motif, on la évoqué, nest pas non plus étranger à lunivers de la chanson de geste26. Mais cest avant tout sa coloration exotique qui donne au récit de la campagne espagnole lessentiel de sa dimension romanesque. À commencer par le portrait haut en couleur, proche de limpie et du diabolique, de Pierre le Cruel et des attributs dont il est environné. Ainsi cette table merveilleuse dont Cuvelier nous dit que « trestoute estoit dor, en trois aloit ployant / A charnieres dor fin », sertie « De pierres precieuses, de perles dOrient / [] et de maint dyamant », émaillée de représentations azur et sinople « de Rolant, / De touz les .xii. pers, dOlivier le poissant », affrontés au roi sarrasin Marsile de la Chanson de Roland27. De même que cette escarboucle magique que Pierre convoie partout avec lui, lanterne magique qui « rendoit clarté par nuyt a jour faillant » (v. 10099), qui accompagne le roi et sa suite en errance au milieu de la forêt profonde de Cordoue, peuplée dune faune étrange et bigarrée de « Mainte beste sauvage, [] / Ours, lyons et serpens » (v. 10188-10189) et grâce à laquelle « Veoit on aussi cler qua miedi sonnant » (v. 10626) au cœur des landes arides de Séville. 248Le cheval maure que le Cruel montera au moment des derniers affrontements, est également chargé dexotisme et de maléfique. Supérieur à tous les autres par sa rapidité, il est dune apparence physique étrange, alliant les contraires et parée des couleurs du Mal :

Le cheval roy dan Pierre fu de telle façon

Quil ot les .iiii. piés aussi blans que coton,

Et sot la teste noire entour et environ,

Et la queue plus rouge que nest feu de charbon,

Et sot les yeux plus jaunes que cuivre ne laiton. (v. 15611-15615)28

Chargée de romanesque, également, cette aventure rocambolesque, totalement inventée et sans équivalent dans dautres sources, qui montre le même Pierre Ier esseulé, abandonné de ses plus fidèles, capturé par un capitaine de bateau quil essayait de convaincre de lembarquer vers des terres moins hostiles, pour être finalement racheté et délivré par un marchand juif29.

Cet exotisme qui trahit linfluence du genre romanesque nentrave en rien le caractère épique de lœuvre de Cuvelier, exemple de cette fertilisation croisée dont Catherine Gaullier-Bougassas a montré la prégnance au Moyen Âge central et tardif30. Tout entouré de romanesque quil peut être, le personnage de Pierre est aussi, selon plusieurs auteurs, celui qui revêt la dimension épique la plus importante au sein de la Chanson de Bertrand du Guesclin : Alain Labbé considère même quil y représente le « seul véritable héritier du héros épique, ce que du Guesclin nest en aucune manière31 ». Cest cependant avec le motif mauresque que la Chanson, tout à la fois, touche à un exotisme romanesque et atteint sa saveur épique maximale. Lintervention des maures donne libre champ à un imaginaire empli de fils de sultan, ce « filz du roy qui fu Bel Marin gouvernans » (v. 17181), défait et occis au nom de la foi chrétienne, agrémenté de récits de pèlerins revenant des lieux saints et nourri, comme dans quelque rêverie proustienne, de noms de pays : Orblois, Orbrie, ou 249autres graphies corrompues, autant déchos et de réminiscences confuses de « ces pays imaginaires dOrient aux noms devenus méconnaissables », nous rappelle Jean-Claude Faucon, de royaumes, de villes ou de ports dont la littérature et ses chansons de geste tardives ne transmettent plus quun nom détaché de sa réalité et inclinant au rêve32. Lexotisme romanesque saccommode cependant très bien de références et renvois parallèles au style épique le plus fondamental, illustré notamment par la référence à la Chanson de Roland. Ici encore, comme pour le personnage de Pierre le Cruel, les combats de du Guesclin contre les maures, qui clôturent laventure espagnole du héros, sonnent selon Richard Vernier comme un écho des prouesses de Roland, et constituent la matière la plus essentiellement et typiquement épique de lœuvre, ajoute Alain Labbé33.

Conclusion

En définitive, au terme de ce panorama, la longue et tardive Chanson de Cuvelier nous semble illustrer bien des grands constats et questionnements de la recherche récente sur les caractéristiques littéraires de la chanson de geste. Elle montre, en premier lieu, limportance des marqueurs rhétoriques, caractéristiques de lécriture épico-lyrique, dans la structuration du récit, mais aussi leur effacement progressif au profit dune narration plus continue, moins scandée et aux contours structurels moins affirmés, plus ouverte aux thématiques romanesques de lexotisme, du merveilleux et de la psychologie personnelle34. Elle témoigne de la mise en œuvre, à partir dun tronc commun bien partagé, dépisodes indépendants insérés comme « à la carte » dans telle ou telle version, constituant des disjonctions du texte enracinées, le plus 250souvent, en des points de marquage rhétorique internes aux laisses – ou, du moins, devenus internes, et comme vestige de leur ancienne présence, au rabotage des passages supprimés. Ces variantes, comme dautres que nous avons pu étudier plus en détail dans dautres articles, sont bien souvent le fruit dune véritable intention politique35. Les épisodes dont elles jouent semblent jouir dune vie propre et parallèle, hors du texte principal, qui font penser à ces phénomènes bien attestés, dans lhistoire de la chanson de geste, de superposition dun fonds légendaire ou dune structure ancienne de nature distincte36 : ainsi la rencontre avec le chevalier anglais en Brocéliande, le double enchâssement de la prise de Mantes montrant des connivences avec les chroniques du temps, lenrichissement de lépisode de la converse et jusquà son supplément par Hay du Chastelet, bien plus tard et peut-être sur la foi dune tradition orale, mais auquel le texte de Cuvelier semble bien ouvrir par une allusion voilée. Une telle hypothèse renvoie par là-même, en le soulignant, au rôle implicite ou réel de loralité dans le processus de création ou de modification de la chanson : bien que le principe de la genèse de lessentiel du texte par un acte écrit de poète fasse peu de doute, plus encore pour une œuvre écrite à la fin du xive siècle, il est possible que certains de ses enrichissements et de ses variantes doivent beaucoup à la transmission orale, y compris sur des durées importantes37 ; et, même réduite à un effet de simulation au service de lesthétique et de la structuration du récit, la voix du jongleur continue de vibrer sous la plume du poète Cuvelier, tel lécho des chants de ménestrels à la solde du connétable ayant, un peu partout, loué sa gloire38.

Thierry Lassabatère

LAMOP (Paris I-CNRS)

1 Voir Chronique de Bertrand du Guesclin par Cuvelier, trouvère du xive siècle, éd. E. Charrière, Paris, Firmin Didot, 1839, 2 tomes ; Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier, éd. J.-C. Faucon, Toulouse, Éditions universitaires du Sud, 1990-1991, 3 tomes. Pour la tradition manuscrite de la Chanson, voir t. 3, p. 311-348, ainsi que T. Lassabatère, « Le mythe littéraire de Bertrand du Guesclin : écriture, diffusion et lecture des œuvres de Christine de Pizan et ses contemporains », Désireuse de plus avant enquerre… Actes du vie colloque international sur Christine de Pizan, éd. L. Dulac, A. Paupert, C. Reno et B. Ribémont, Paris, Champion, 2008, p. 87-101, en particulier p. 89 et p. 95-98. Les ajouts de lIRHT sont les manuscrits : Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin – Preussischer Kulturbesitz, Hamilton 226 et New Haven, Yale University Library, 0990 (base Jonas).

2 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 338 et T. Lassabatère, « Le connétable, la guerre et la paix : la geste de Bertrand du Guesclin dans les miniatures du manuscrit BnF, Arsenal 3141 », Images et pouvoirs. Actes du colloque de Nanterre (5-6 décembre 2014), éd. L. Scordia, F. Lachaud et F. Collard, à paraître. Voir aussi T. Lassabatère, Du Guesclin. Vie et fabrique dun héros médiéval, Paris, Perrin, 2015, p. 399-410 et 428-429.

3 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, p. 3-4 ; D. Boutet, « Lépique au Moyen Âge », Histoire de la France littéraire. Naissances, Renaissances (Moyen Âge – xvie siècle), éd. F. Lestringant et M. Zink, Paris, PUF, 2006, p. 850-873, ici p. 864 ; C. Gaullier-Bougassas, Les Romans dAlexandre. Aux frontières de lépique et du romanesque, Paris, Champion, 1998, p. 39. Fr. Suard, Guide de la chanson de geste et de sa postérité littéraire (xie-xve siècle), Paris, Champion, 2011, parle tour à tour de « chanson de geste dactualité » (p. 264), d« intermédiaire entre chanson de geste et chronique » (p. 274) ou encore dun texte « très proche de la chronique » (p. 301), « qui se présente comme une chronique » (p. 311).

4 Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 65-67. Voir aussi Boutet, « Lépique au Moyen Âge », p. 864 : genre choisi par Cuvelier pour « propager une idéologie du service de la couronne au profit de la dynastie française ».

5 Voir A. Labbé, « Un ennemi de lintérieur : le roi mécréant. Pierre le Cruel dans la Chanson de Bertrand du Guesclin », La Chrétienté au péril sarrasin, Senefiance, 46, 2000, p. 205-220, ici p. 113 ; T. Lassabatère, « Poétique et politique du genre : quelques aspects de la construction dun mythe dans la Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier », LŒuvre littéraire du Moyen Âge aux yeux de lhistorien et du philologue, éd. L. Evdokimova et V. Smirnova, Paris, Garnier, 2014, p. 99-113 ; Lassabatère, Du Guesclin, p. 158-162 et 340-350.

6 Chronique, éd. Charrière, introduction, t. 1, respectivement p. ii, viii et iv.

7 Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 39 et 66-67.

8 Voir D. Boutet, La Chanson de geste, Paris, PUF, 1993, p. 14-16 et Gaullier-Bougassas, Les Romans dAlexandre.

9 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 39-71, « Le moule épique ». Sur le grotesque, voir J.-C Faucon, « La dérision, arme politique dans la Chanson de Bertrand du Guesclin », Burlesque et dérision dans les épopées de lOccident médiéval, éd. B. Guidot, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 333-349 et T. Lassabatère, « Entre histoire et littérature : le personnage de du Guesclin au crible de la théorie des trois styles », Centaurus. Studia classica et mediaevalia, 7, 2010, p. 180-192.

10 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 41.

11 Voir Lassabatère, « Poétique et politique du genre », p. 100-103. Voir aussi Lassabatère, Du Guesclin, p. 17-18, 265-267 et 505-517 (« Annexe I »). Sur la dimension psychologique dans la Chanson, voir Labbé, « Un ennemi de lintérieur », qui parle d« investigation psychologique » (p. 112-113) et d« intériorité spirituelle » (p. 114).

12 Voir R. Vernier, The Flower of Chivalry. Bertrand du Guesclin and the Hundred Years War, Woodbridge, Boydell, 2003, p. 211.

13 Voir Eustache Deschamps, Lay du tresbon connestable B. du Guesclin, lai 313, Œuvres complètes dEustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, Didot, 1878-1903, 11 tomes, ici t. 2, p. 324-335. Étrange silence au moment de « maudire lannée » (v. 307), labsence de référence à la mort du roi, le 16 septembre suivant, peut en donner un terminus ante quem. Une solution (moins probable) serait de lier le lai aux célébrations du connétable à Saint-Denis, en 1389, inversant le rapport chronologique entre le lai et la Chanson de Cuvelier (mes remerciements à Yvonne Vermijn pour cette suggestion).

14 Un recensement sur les 4200 premiers vers permet de repérer 24 marqueurs qui ne sont pas des césures narratives : v. 28, 286, 566, 630, 1210, 1380, 1482, 1557, 1713, 2072, 2428, 3068-3069, 3124, 3161, 3453, 3459, 3495, 3503, 3600, 3619, 3726, 3734, 3902, 4027 et 4114. Tous sont situés en plein cœur de laisse à lexception de deux vers en début de laisse (v. 1482 et v. 4114) et de trois positions remarquables (fin de laisse, v. 3068-3069 et v. 3902, ou deuxième vers, v. 1713), à comparer, sur la même portion de texte, à environ 20 marqueurs en début de laisse et faisant césure.

15 Voir Lassabatère, Du Guesclin, p. 162-164.

16 Voir par exemple Boutet, « Lépique au Moyen Âge », p. 870 et Lassabatère, Du Guesclin, p. 78-79.

17 Voir Lassabatère, « Entre histoire et littérature » et Du Guesclin, p. 155-158 et 349-350.

18 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 24.

19 La version dérimée de Jean dEstouteville reprend les moindres détails des mss Faucon et Arsenal de Cuvelier (Histoire de Messire Bertrand du Guesclin connestable de France… Escrite en prose lan M.CCC.LxxxviI. à la requeste de Messire Jean dEstouteville, capitaine de Vernon sur Seine, éd. C. Ménard, Paris, Sébastien Cramoisy, 1618, ici p. 7 et p. 4-7 pour lensemble de lépisode). Les deux enchâssements sont absents de lautre version en prose, commanditée par Marie de Bretagne dans les années 1390, que ce soit dans son format court (Chronique de du Guesclin, collationnée sur lédition originale du xve siècle et sur tous les manuscrits, éd. F. Michel, Paris, Méquignon-Havard et Bricon, 1830, p. 36-37) ou long (BnF, fr. 1984, fol. 4v). Pour lidentification des versions en prose de la Chanson et de leurs témoins, manuscrits ou imprimés, voir Y. Vermijn, Chacun son Guesclin : la réception des quatre versions de lœuvre de Cuvelier entre 1380 et 1480, Mémoire de Mastère, Université dUtrecht, 2010.

20 P. Hay du Chastelet, Histoire de Bertrand du Guesclin, Paris, Charles de Sercy, 1666, p. 7.

21 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 22. Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 12 sétonne que Cuvelier ne le cite pas.

22 Voir Lassabatère, Du Guesclin, p. 96 et Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 41, pour le rapprochement topique avec le Charroi de Nîmes, que renforce, ici, le déguisement de vigneron.

23 Chronique des quatre premiers Valois, éd. S. Luce, Paris, Renouard, 1861 p. 139.

24 Chroniques de Jean Froissart, t. 6, éd. S. Luce, Paris, Renouard, 1876, § 511, p. 102.

25 Voir Gaullier-Bougassas, Les Romans dAlexandre. Segmentation détaillée dans Lassabatère, Du Guesclin, p. 505-517 (« Annexe 1 »).

26 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 79.

27 Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 10086-10096. Voir également t. 2, p. 79.

28 Voir L. Moal, « Irrationnel et surnaturel dans les guerres dEspagne (1365-1370) », Le Feu et la folie. Lirrationnel et la guerre (fin du Moyen Âge – 1920), éd. L. Vissière et M. Trévisi, Rennes, PUR, 2016, p. 135-150.

29 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 16003-16129.

30 Voir Gaullier-Bougassas, Les Romans dAlexandre, p. 149-172. Voir aussi Suard, Guide de la chanson de geste, p. 108-110.

31 Labbé, « Un ennemi de lintérieur », p. 103.

32 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 17179-17214 et t. 2, p. 117-118 (mort du fils du roi de Banû Marin) ; t. 1, v. 16202-16432 et t. 2, p. 114 (récits de pèlerins) ; t. 2, p. 114-115 (fantaisie onomastique du poète).

33 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 135 et Labbé, « Un ennemi de lintérieur », p. 113, n. 26.

34 Voir par exemple Boutet, La Chanson de geste, en particulier p. 86, 162, 167-168, 177, 182, 187, 187, 230-231, 236-237 et D. Boutet, « La voix : mirage et présence de loralité au Moyen Âge », Histoire de la France littéraire. Naissances, renaissances (Moyen Âge – xvie siècle), éd. Lestringant et Zink, p. 193-212, ici p. 204-205.

35 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 43-44, 229, 234, 253.

36 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 58-62, 68, 70 et « Lépique au Moyen Âge », p. 869.

37 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 66, 68, 70.

38 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 15-16, 65-77, 86, 251, 257 et « Lépique au Moyen Âge », p. 850. Sur les ménestrels à la solde de du Guesclin, voir Lassabatère, Du Guesclin, p. 75-76.