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Classiques Garnier

Le bestornement des pouvoirs spirituel et temporel dans Jeanne d’Arc au Bûcher de Paul Claudel (scènes iv-vi) L’innutrition médiévale, de la satire au non-sens

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2018 – 1, n° 35
    . varia
  • Auteur : Poisson-Gueffier (Jean-François)
  • Résumé : Jeanne d’Arc au Bûcher de Claudel est une œuvre imprégnée par un imaginaire médiéval se fondant sur une érudition manifeste. Les scènes IV et VI sont représentatives de cette innutrition, sensible dans la figuration d’un monde bestorné. Le parcours conçu dans cet article tient à montrer le glissement du monde médiéval à sa subversion sous les traits d’une cour animalisée, partant à étudier les modes d’appropriation d’un matériau médiéval reconfiguré, à la fois même et autre.
  • Pages : 591 à 607
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406083221
  • ISBN : 978-2-406-08322-1
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08322-1.p.0591
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/08/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Le bestornement des pouvoirs spirituel et temporel dans Jeanne dArc
au Bûcher
de Paul Claudel (scènes iv-vi)

Linnutrition médiévale, de la satire au non-sens

Claudel est le seul écrivain vraiment sain depuis le Moyen Âge, qui soit aussi vraiment grand. Étrange et miraculeux réveil des forces dans cette France exténuée.

Pierre Drieu La Rochelle, Notes pour comprendre le siècle, 1941.

Loratorio dramatique de Paul Claudel et Arthur Honegger, Jeanne dArc au Bûcher1, bénéficie dune efflorescence de versions scéniques et semi-scéniques, de Hambourg (2014) à New York, Toulouse, Paris, Monte-Carlo (2015), avant Francfort et Lyon (2017). Cette fresque théâtrale et musicale exerce une force dattraction manifeste, tant elle demeure lune des rares fusions effectives dœuvre dart total (gesamtkunstwerk) et ménage de vertigineux contrastes, en termes de tonalités comme de mélange des sources dinspiration. La satire qui innerve le propos reprend toutes les acceptions du sens étymologique de la satura, originellement « pêle-mêle » puis « sorte de farce, satire dramatique2 ». Alan Gilbert présente ainsi lœuvre comme « a spectacular, dramatic, wonderful, bring it all together and have extravaganza3 ». Lalternance de notations objectives et subjectives dans 592ce propos liminaire restitue lirréductibilité herméneutique dun drame moderne à valeur expérimentale. Lextravagance des scènes dexaltation agreste (scène viii, « Le roi qui va-t-a Rheims ») ou carnavalesque (scène iv, « Jeanne livrée aux bêtes ») entre en résonance avec le dépouillement des ultima verba tirés de Jean, 15, 13 : « Personne na de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux quil aime » (scène xi, « Jeanne dArc en flammes »). Entre unité et éclatement, disparité des matières et clarté du tracé narratif, de lemprisonnement au bûcher, Jeanne a insufflé un spectre de lectures scéniques valorisant la lettre (Côme de Bellescize au David Geffen Hall de New York en 2015) ou lesprit (Roméo Castellucci à lOpéra National de Lyon en 2017).

Portée par Ida Rubinstein puis Marthe Keller, Sylvie Testud ou encore Marion Cotillard, Jeanne est créée le 12 mai 1938 à Bâle, sous la direction de Paul Sacher. Lœuvre est ensuite donnée en version de concert (Paris, 1943) comme en version scénique (Zürich, 1942). Si Jeanne dArc au Bûcher na pas été repensée, à linverse du Livre de Christophe Colomb, lequel fut successivement drame musical (1928), pièce radiophonique (1937-1947) et pièce de théâtre (1947), larticulation entre voix parlée, voix chantée et musique laisse le champ libre à toutes les modalités de représentation. La figure de Jeanne et la légende dorée tissée autour de sa voix et de sa geste – au sens médiéval du terme – éveillent en Claudel un mélange dattirance et de réticence : « projet biscornu4 » dont il « se sentait indigne », selon les confidences recueillies par Georges Cattaui5. « Œuvre prototype du drame musical recherché par Claudel6 », Jeanne dArc au Bûcher est dès sa genèse une gageure en termes de composition formelle, dimbrication des langages et de révérence à une figure qui « échappe de toutes parts à ce milieu fictif et fermé que constitue une œuvre dart ». En effet, « nous ne pouvons pas faire de Jeanne dArc ce que nous voulons : cest elle au contraire, la sainte jeune fille, qui fait de nous ce quelle veut et qui, par sa seule présence, nous restreint au rôle sans gloire dassistant et dintroducteur7 ». La complexité formelle et tonale de ce cérémonial scénique dément toutefois la ténuité du rôle dévolu au compositeur et à son librettiste.

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Les principales lectures de lœuvre lont abordée par le prisme de sa conception, de sa création et de sa réception, incluant un questionnement sur son hybridité : « mimodrame », « oratorio dramatique8 », « mystère », « espèce de messe9 », œuvre au moins double illustrant un dialogue fécond entre les arts, œuvre ensemencée par la guerre et le fourmillement imaginatif quelle inspire. La rencontre du langage dramatique et du langage musical semble exalter cette dernière composante, lalchimie du verbe fondant le langage du drame en une musicalité englobante : « au fur et à mesure de la réflexion musicale, Claudel, conformément à son désir, semble de plus en plus devenir lui-même musicien10 ». La prosodie particulière et le rythme oratoire quinsuffle Claudel aux rôles parlés de Jeanne et de Frère Dominique sont les vecteurs dune fusion des deux langages. Les « voix de la terre » dont Frère Dominique se fait lécho11 sont ainsi scandées et notées en valeur musicale, conférant aux accusations (« Ennemie de Dieu, Ennemie du Roi, Ennemie du Peuple ») une portée quasi-incantatoire. Le caractère novateur, inédit et moderne de cet usage de la langue12 semble avoir déplacé lintérêt dramatique de la teneur du drame à sa forme – à cet égard, le texte nest queffleuré.

La présente étude, marquée au sceau du médiévalisme, vise à restituer au dialogue parlé et aux interventions du chœur leur valeur intrinsèque, à ne plus les envisager comme livret mais comme texte13. Dès lors, la densité symbolique des références et les traits inhérents à lécriture claudélienne appellent un déchiffrement, prenant la forme dun dialogue de Claudel avec une matière médiévale empruntée tant à 594des œuvres littéraires (Roman de Renart, Roman de Fauvel, Bestiaires) quà limaginaire dun Moyen Âge éternel (« comme aux fêtes de lÂne au moyen âge », p. 1222). Linnutrition médiévale du théâtre claudélien se fonde sur lalternance entre une culture littéraire manifeste et une vision le cédant à la patine des siècles. Le principe de complémentarité qui préside à cette mémoire culturelle trouve une illustration frappante dans Le Livre de Christophe Colomb, qui cite des réminiscences de la Navigatio Sancti Brendani14, et dans la didascalie initiale de LAnnonce faite à Marie : « Tout le drame se passe à la fin dun Moyen Âge de convention, tel que les poètes du Moyen Âge pouvaient se figurer lAntiquité ». Le Moyen Âge claudélien est tout entier présent dans cette dialectique : une vision comme dun promontoire des temps passés, qui dégagerait un principe dunité temporel et thématique ; une vision au creux de textes médiévaux lus et ensemencés, incorporés en son œuvre propre. Le Moyen Âge constitue dès lors une réserve de motifs et de thèmes imprégnant lécriture dramatique, et correspond pour Claudel à une période délévation spirituelle et de prégnance du sacré dans le monde. Son Journal porte la marque de cet « immense effort religieux du Moyen Âge dont nous vivons encore. Une fois au moins lénorme poids de la matière avait été soulevé15 ».

Après un prologue sous le signe des « ténèbres qui couvraient la face de ce Royaume » et lénoncé des « voix du ciel et de la terre », les scènes iv, « Jeanne livrée aux bêtes » et vi, « Les Rois ou linvention du jeu de cartes », suivent larrestation de Jeanne et précèdent lintervention miraculeuse de Catherine et Marguerite. Les instances qui forment le tribunal sont alors élues, en une exhibition de liniquité et de lineptie qui régissent le procès. Après avoir nommé le Président en la personne du cochon, puis les assesseurs formant le chœur des moutons et le greffier sous les traits de lâne, la cour interroge Jeanne, inverse ses réponses (« Jeanne. – Je dis non. LÂne. – Elle dit quelle dit oui », p. 124) et conclut « violemment » par un verdict funeste : « Moriatur Stryga » (p. 1225). La scène vi, qui souvre sur le portrait charge des « illustres docteurs qui donnent des nasardes au Pape » (p. 1226), représente avec les ressources de lallégorie le cortège des vices dune aristocratie résolument dénaturée.

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Lenjeu tient à considérer le lien unissant le réinvestissement dun « matériel roulant16 » médiéval et la satire de pouvoirs spirituel et temporel bestornés. Bestorner, « tourner en sens contraire, mettre à lenvers17 » est lune des modalités de la satire – ainsi Renart le bestourné est « une satire âpre contre lavarice du roi, provoquée par lhypocrisie des moines des ordres mendiants18 ». Le point de mire est également royal dans Jeanne dArc au Bûcher, qui figure cette puissance de détournement et de retournement quest le bestornement : le haut devient le bas (« le Tigre se récuse », Cochon préside le tribunal, p. 1221), le riche devient le pauvre et le gain la perte (p. 1229). Par extension, le juste le cède à linjuste. Claudel sapproprie une conception médiévale de lordre et du désordre du monde, tout en intégrant une composante religieuse sensible dans la reprise du De Profundis : « Du fond de lengloutissement, jai élevé mon âme vers toi Seigneur19 ». Le dramaturge fait confluer les réminiscences de récits satiriques, marqués par un penchant pour la transgression du sacré, et la paraphrase biblique, faisant feu de tout bois pour tracer une ligne de partage entre « lesprit de Dieu » et le « chaos des âmes ». La relation, au sein de lœuvre dramatique, entre le Moyen Âge et la modernité est parallèlement faite dinnutrition réciproque. Claudel recompose le substrat médiéval pour figurer un univers bestorné, prêtant le flanc à la satire inhérente à la revue des estats, et se perdant à mesure dans les domaines toujours signifiants du non-sens.

Univers et figures du bestornement

Lunivers de fiction est marqué par le bestornement et Jeanne dArc au Bûcher adopte, à linstar du Roman de Fauvel, « une démarche héritée des revues des états des xiie et xiiie siècles : les règles établies par les fondateurs représentent – quand elles sont évoquées – le devoir-faire 596dun ordre, une déontologie que les membres actuels nobservent plus20 ». La revue des estats du monde considère les différentes strates qui sédimentent le corps social, ce thème étant marqué par un pessimisme moral lié à labandon des règles admises. Claudel assimile ainsi, dans la représentation des nobles pervertissant le jeu de cartes, dans celle des « paysans, croquants, rustres agrestes et grossiers » qui se « réjouissent comme des païens », ou des ecclésiastiques devenus « bêtes féroces », la revue des estats et la figure du bestornement. Lordre du monde humain et lordre naturel des choses semblent concertés dans le sens dune inversion restituant lextase et la folie qui présidèrent au procès.

Le lapsus de lâne dans lépisode du jugement (« Jeanne, reconnais-tu que cest laide du Diable très puissant Notre Seigneur… », p. 1224) est révélateur de ce mundus inversus voué aux forces diaboliques, de ce jugement de la vertu par le vice. Jeanne est convaincue dhérésie (« Haeretica ! Relapsa ! », p. 1220), jugée en suppôt par des « docteurs et savants » aux noms résolument farcesques : « Malvenu, Jean Midi, Coupequesne et Toutmouillé » (p. 1226). Le nom devient un signe purement scriptural, ces personnages nétant pas incarnés dans lespace dramatique mais représentés dans lespace seul de la parole. Le jeu lettré sur lonomastique et les ressources de la musique et de la scène (paradigmes spatiaux, théâtralisation du personnage, discours théâtral) convergent en une même représentation inversée du monde. Les apostrophes du chœur à lendroit du greffier, « Hé sire Â-ne Hi-han » et « Hé sire Â-ne ça chantez », sont en ce sens redoublées par les ondes Martenot, dont les appogiatures et les intervalles vertigineux restituent le cadre médiéval de la satire, également perceptible dans larchaïsme « Et de lavoine a planté21 ».

Le bestornement, qui affecte profondément le langage, altère la représentation des personnages du drame. Linversion de lordre du monde va de pair avec une inversion du diabolique et du divin, des voix du ciel et de la terre. Le discours de Frère Dominique emblématise la perte des attributs divins au profit de défroques et de masques animaliers : « Non, Jeanne, ce ne sont pas des prêtres qui tont jugée. Quand ces 597bêtes féroces se sont réunies autour de toi, la rage au cœur et lécume aux crocs, ces prêtres, ces politiques. / LAnge du Jugement qui tient les hautes balances / Dun soufflet il a fait tomber de leurs têtes et de leurs épaules la mitre, le capuchon et le froc » (p. 1220-1221). La négation (« non, ne ») redouble la translation à valeur satirique de lanthropomorphisme au zoomorphisme – non seulement lhomme se reflète en lanimal à la manière de la fable, en une équivalence figurative des caractères et des vices, mais il sabandonne à la bestialité. En ce sens, toutes les créatures « se complètent, se commentent et sinterprètent lune par lautre22 ».

La distinction inhérente à lexercice du pouvoir judiciaire est retournée de sorte que la « tête de cochon » dont est revêtu le Président est évoquée au pluriel comme « les insignes de [sa] dignité » (p. 1222). Lassimilation de Cauchon et Cochon est subordonnée à un principe déquivalence suggérant une profonde connaissance de limaginaire médiéval. En-deçà du calembour se lit la méthode étymologique des Étymologiae dIsidore de Séville. Lorigine est vérité du mot, cest pourquoi le porc est une créature immonde (« porcus, quasi spurcus »), ce qui est immonde étant impur (« spurcus, quod sit inpurus23 »). Le phénomène de la prosthèse vocalique est à lœuvre, « linteraction entre graphie et prononciation » ayant « entraîné quelques cas dhypercorrection24 ». Claudel semble pervertir la visée heuristique de ces assimilations erronées, par esprit de fantaisie et de bouffonnerie. La réfection de Cauchon en Cochon, comme celle dIsidore de Séville de porcus en spurcus (contraction de la forme incorrecte *exporcus), sert symboliquement la représentation dun monde inversé. Le glissement sémantique (« Je mappelle Cochon ! Moi, moi. Je suis, je suis le cochon », p. 1222) manifeste la consubstantialité du patronyme et de son essence (« car par le non conuist an lome25 »). En une dissémination parodique, lanimalité par analogie du Président gagne les assesseurs et le greffier.

Le bestornement tient à lélévation au rang de praeses du cochon, après un tour dhorizon symbolique des autres animaux. Au lion, « devenu le 598roi grâce à lappui du christianisme26 », se substitue le tigre, équivalent asiatique de lours européen et du lion africain27. Si le tigre nest pas envisagé dans le diagramme que Michel Pastoureau consacre à la répartition des animaux selon les pôles du bien et du mal, de la force intellectuelle et de la force physique28, il laisse place à un infléchissement dans lordre de la taille (tigre-renard-serpent) tout en signifiant des vices irrémissibles (colère, ruse, duplicité, tempérament borné) et en conservant léquilibre hérité des fables animalières de lanthropomorphe (« le tigre se récuse », « le renard dit quil est malade », p. 1221), du zoomorphe (présent dans les interjections asinesques et porcines du chœur, « ha ! ha », « hi ! han ! », « Roin, Roin ») et de lallégorique. La tessiture instrumentale des segments qui ponctuent la nomination dun animal susceptible de présider la séance est le miroir de cet infléchissement symbolique. Le trombone, correspondant au tigre, le cède aux saxophones, figurant le Renard, puis au piccolo, évoquant le serpent29.

Le titre de la scène iv, « Jeanne livrée aux bêtes », relève de lamphibologie tant lillusion théâtrale joue de ces traits – lhomme fait la bête et la bête gît en lhomme. Les assesseurs portant « têtes de mouton » reflètent un instinct grégaire au service dun accomplissement inexorable de lédit royal (« Fiat voluntas Regis Nostri », p. 1225). Cette inversion de lhumanité à lanimalité va de pair avec un renversement de Jeanne, « fille de Dieu » devenue « Inimica Regis et totius generis humani ! » (p. 1225). Les « juges dépouillés comme des forçats » reçoivent la « coiffure » animale « qui leur est appropriée » (p. 1221) quand Jeanne est nommée « hérétique, sorcière, relapse, cruelle » (p. 1225). Les domaines du juste et de linjuste, de la sainteté et de la damnation redessinent les fondements du monde sublunaire, et ce à travers un usage de la langue empreint des principes de lécriture et de limaginaire médiévaux. Le bestornement inclut ainsi en un même geste les personnages et lordre naturel du monde.

Le mundus inversus est particulièrement perceptible dans le thème du « jeu de cartes » qui structure la scène vi du drame, et dont les accents néoclassiques évoquent le ballet Jeu de cartes de Stravinsky (1937). Le 599discours des valets, qui tient apparemment de la contradiction, prend sens à la lumière du bestornement et révèle le jeu politique auquel se livrent « ces prêtres, ces politiques » (p. 1221) : « Regnault de Chartres. – Jai perdu ! Je veux dire que jai gagné ; Bedfort. – Jai gagné, je veux dire que jai perdu ». La réversibilité et partant léquité des gains et des pertes évoquent un « procès politique, évidemment : pour fonder la légitimité de lenfant Henri vi, il est nécessaire de détruire en ses assises, spirituelles, magiques, la légitimité de Charles vii30 ». Non seulement le monde de Jeanne dArc au Bûcher inverse le mal en bien et le bien en mal, mais il dérègle la nature et la définition du bien et du mal, désormais conçus comme deux valeurs équivalentes – sur le mode de linversion et de la variante, les valets sécrient : « Jai gagné, je veux dire que jai perdu » et « Jai perdu, but I am a winner all the same » (p. 1228). Retouche corrective (figure de lépanorthose présente dans le syntagme « je veux dire ») ou résolument adversative (« but »), le principe déquivalence seul prévaut : « Guillaume de Flavy. – Jai perdu et jai de largent plein les poches ; Jean de Luxembourg. – Jai gagné et jai de largent plein les poches ».

Les scènes iv à vi présentent ainsi limage dun monde tout entier bestorné, duquel sexhale la satire du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, parallèlement à lécriture du martyre, Claudel songeant « à ce passage des Psaumes où linnocent persécuté sécrie : “Les taureaux gras se pressent autour de moi ; on dirait quils veulent se repaître de ma chair31” ». Dans un mouvement inverse de lécriture, lépure du martyre répond au foisonnement de la satire.

Épure du martyre
et foisonnement de la satire

Le lapsus de lâne (« Diable très puissant Notre Seigneur ») introduit le tournant satirique que prend le drame dès la fin de la scène iii. Linvective du praeses (« quels idiots ! »), sinscrit dans la satire de limpéritie des milieux cléricaux, dont le Roman de Renart et les fabliaux se font 600très largement lécho32. Dans la branche vi du Roman de Renart, une connaissance très incertaine du latin est le vecteur dun jeu comique autour de traductions infidèles : « fable » devient en latin faba (« fève »), selon le prêtre du Breuil, avec tout le potentiel scatologique que porte ce transfert33. Dans Jeanne dArc au Bûcher, à la trivialité de la satire répond, en un contrepoint révélateur, lépure de la parole et des actes de Jeanne, réduite à une voix certes ténue mais fermement assise dans ses exclamations : « Je lavoue ! (…) Je dis non » (p. 1224). Cest pourquoi lon ne saurait accorder à lhypothèse « relativement facile » (sic) selon laquelle « Jeanne ne peut plaider face à ses juges. Jeanne na pas “un organe” suffisant : Jeanne est sans défense34 » un crédit propre à rendre compte de cette parole prise dans les rets dun réquisitoire accablant, tout en emblématisant par là même sa sainteté.

Lunivers de fiction qui procède de cet entrelacement burlesque de voix conjuguant variation et répétition, est teinté des tumultes de la satire, « unanimement considérée au Moyen Âge comme un projet poétique dont la visée est avant tout éthique35 ». Cest dans cet esprit que Paul Claudel aborde la satire des instances cléricales et des détenteurs du pouvoir temporel, fondamentalement indissociables dans un cadre médiéval. Lécriture exhibe, à travers les « défroques, les masques et les coiffures » des serviteurs (p. 1221), lartificialité et la dimension fondamentalement discrétionnaire dun dispositif judiciaire en forme de farce tragique. La représentation du mundus inversus est ainsi la première étape dun jugement à la fois satirique et essentiellement ludique.

Tous les éléments de la classification des jeux de Roger Caillois36 apparaissent, à commencer par alea, désignant les jeux de la chance et du hasard, représentés par le jeu de cartes. Le masque induit ladoption 601dun jeu mimétique montrant lhomme sous la semblance de lanimal (mimicry nommant le simulacre), agôn dune multitude animale empreinte de symboles évoquant ineptie et « diabolie37 », vertige dun jeu provoquant « un état organique de confusion et de désarroi » (ilinx). Il est ainsi une tension constitutive, dans la scène vi, entre lordre dun jeu concerté (ludus) et le chaos (paidia) émanant de propos marqués par une solution de continuité – Claudel intègre à dessein des réminiscences de récitations latines qui, paradoxalement, révèlent la sainteté de Jeanne : dans les tonitruants « Hic haec hoc ! Hic haec hoc ! Hic est Joanna peccatrix » (p. 1220) résonne le « Ecce homo » de Jean, 19, 5. Si lénoncé ludique des figures animales pressenties pour présider la cour (« le tigre | le renard | le serpent | mais alors38 ? ») migre dun pupitre à lautre dans le sens dun noircissement de la tessiture (soprano, alto, ténor, basse), le ludus initial le cède à une « fantaisie incontrôlée », trouble dont les interrogations inquiètes de Jeanne portent la marque : « Cest vrai que je faisais tant de mal ? Cest vrai que vous la détestiez tellement, votre pauvre Jeanne ? » (p. 1220).

Parallèlement, la scène vi, « Les Rois ou linvention du jeu de cartes », établit un ensemble de règles qui, transgressées ou échappant à lesprit de logique et de suite, montre une cour déréglée, aux tractations impénétrables. Claudel conçoit un mythe des origines correspondant au « jeu de cartes quun roi fou à inventé » (p. 1226)39. Lallégorie des figures royales (Bêtise, Orgueil, Avarice, Mort), péchés capitaux intégrant une composante funeste, est investie dune forte charge satirique qui semble emprunter à la première partie du Roman de Fauvel, laquelle dénombre les estats cléricaux et laïcs conquis par Fauvel, créature incarnant par acronyme la Flatterie, lAvarice, la Vilenie, la Variété, lEnvie et la Lâcheté. Les noces symboliques de la Mort et de la Luxure, dans la scène vi de Jeanne dArc au Bûcher (« Et voici maintenant sa compagne et très fidèle épouse, celle qui partage son lit (…) Sa majesté la Luxure ! », p. 1227), peuvent être lues comme une réminiscence des noces de Fauvel et Vaine Gloire, auxquelles prennent part Fornication, Adultère, Excès, Ribaudie et Querelle, entre autres figures40. La mention de la couche 602semble reprendre le motet « Thalamus puerpere », intégré dans lévocation du festin des noces de Fauvel : « Thalamus puerpere / Thronus Salomonis / Pressus est caractere / Nove Babilonis41 ». Limaginaire et le symbolisme de la scène et du motet saccordent parfaitement, dans lévocation de la « loi » et limage du « troupeau » perverti : « Quomodo cantamibus / Subi niqua lege ? / Oves, qui attendimus ? / Lupus est in grege42 ! ». Linnutrition médiévale est dès lors manifeste dans cette migration dun usage médiéval de la satire à un pastiche semé de signes relevant de la modernité. La satire du pouvoir spirituel sexerce au seuil de la scène vi, dans une ironie perçue comme telle en contexte, au regard de la scène iv : « LÉglise, les prêtres, tout ce quil y a au monde de respectable et de capable et de savant » (p. 1225). Par-delà linterrogation inquiète (« Explique-moi, frère Dominique, quest-ce que jai fait ? », ibid.), labsence de lèse-majesté ou de révolte spirituelle laisse le champ libre à la sainteté.

Le modèle hagiographique est parallèlement prégnant dans la mention éparse de « lélue de Dieu », de « la sainte de Dieu » et de la « fille de Dieu », ce dernier trait lassimilant à un analogon du Christ. En un martyre salvateur, « il faut que Jeanne comme jadis ses sœurs dans larène de Rome soit livrée aux bêtes ! » (p. 1221). Le foisonnement des paroles latines et françaises, animales et humaines, singulières (Président, Greffier) et plurielles (les assesseurs), se résout dans lunicité radicale de Jeanne, qui « nest pas le jeune être héroïque dont les minutes du procès de Rouen nous ont décrit la passion. Ou plutôt cest lhéroïne dun autre procès dont nous-mêmes avons vu, après la Grande Guerre, la conclusion, je veux dire le procès de béatification. Cest la Jeanne dArc éternelle » (p. 1240). Les scènes iv et vi sont ainsi fondées sur une tension continue entre le zéro et linfini, lune et la multitude, mais aussi entre la satire et lhagiographie, le réquisitoire qui pèse et qui pose, et lévanescence dune parole dores et déjà dun autre ordre. Ce monde formé sur des pôles contradictoires est porteur dune tension si vive que le sens demeure en suspens, jusquà intégrer dans lécriture le non-sens de la fatrasie.

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La tentation du non-sens
et de la fatrasie

Le fatras, dont le domaine ne saurait être circonscrit à un poème de onze vers, « vise à libérer la langue de sa fonction obvie – communicationnelle et rationnelle43 ». Les ressources du langage sont mises à contribution dans le cadre dune parole dépourvue, ou en marge, de tout ancrage référentiel : « le non-sens fatrasique est pur : il procède par simple juxtaposition de désignations incompossibles. Il ne rejette pas le code, mais constitue un anti-code, à laide des éléments mêmes et des lois du code imposé44 ». La première des Fatrasies dArras suffit à manifester, par la présence des antithèses, la valeur « incompossible » du discours poétique : « Biau tans de pluie et de vent / Et cler jor par nuit oscure / Firent un tornoyement45 ». Suivant cette perspective, « le langage est rendu à son autonomie, à ce qui peut paraître comme une autonomie46 ». Claudel restitue lesprit de la fatrasie, conçue moins comme horizon du drame que comme tentation préservant léquilibre souverain du non-sens absolu et du renversement satirique de lépisode du jugement. Lextravaganza qui définit Jeanne dArc au Bûcher procède de cette alternance de sens et de non-sens, le texte semblant explorer nombre de voies, en un compendium de procédés inhérents à lécriture médiévale.

Le non-sens fatrasique est un signe participant à la représentation du chaos qui, historiquement et symboliquement, caractérise le procès. Dans le texte de la conférence de Bruxelles consacrée en 1940 à la pièce, Claudel restitue avec un sens aigu du portrait charge latmosphère « impitoyable » du procès, mené avec « tous les instruments de la haine anglaise et de la rancune cabochienne ». Dans le collège délétère des « politiques » et des « théologiens », il distingue « les uns bouffis de science, crevant dimportance et de suffisance, les autres desséchés par labstraction, rongés par le vinaigre de la critique ou confits dans une 604espèce de miel empoisonné47 ». Par le jeu des antithèses qui structure leur évocation, Claudel marque le déséquilibre constitutif dune posture et dune parole à laquelle, entre indigence et excès, le sens fait défaut. Le latin est lunique vecteur dune apparente déconstruction fatrasique du sens. Il obscurcit plus quil néclaire, retire au texte sa dignité, alors même quil devrait en être le garant.

Le bilinguisme français-latin contribue ainsi à altérer le sens et la cohérence du discours choral, alternant formules dautorité (« Hic est Joanna peccatrix », p. 1220), trivialités latinisées (« Ecce magnis auribus / Adventatit Asinus », p. 1222), énoncés performatifs (« Pecus, quid dicis ? », p. 1224), pléonasmes archaïques (« Morte moriatur ! », p. 1225) et latin macaronique. Langue de lÉglise et du christianisme, instrument de civilisation, le latin est lobjet dun double infléchissement. Comme signe extérieur délévation de la pensée, au regard de la langue vernaculaire, il se voit réduit à des emplois mineurs ; abstraction faite de sa prééminence comme lune des trois langues sacrées avec le grec et lhébreu, Claudel use de la romana lingua comme dune grammaire désarticulée. En-deçà de cette variété à valeur farcesque et ludique, se lit la tentation de la fatrasie, forme médiévale dont létymologie (farsura, « action de bourrer, de farcir ») rend compte dune modalité décriture sensible dans la scène iv, véritablement farcie de latinismes adventices. La fatrasie nen est pas moins quune tentation, Claudel disséminant dans léloge du Chœur (p. 1222) les éléments dune préfiguration du drame. À cet égard, « Sternutatio ejus splendor ignis » (p. 1222)48 comporte la mention du feu qui sera le « vêtement de noces » de Jeanne (p. 1241). La contiguïté de la splendeur et de léternuement partage dun point de vue purement formel létrangeté du « Formaige de grue / Par nuit esternue / Sor labaie dun chien49 », mais prend sens dans limage du feu. Les apparences du fatras caractérisent également la comparaison « Sicut lilium inter spinas, ita formosus iste inter cucullos50 ». Le capuchon ecclésiastique et le lys royal séclairent en contexte par-delà une configuration du langage a priori déconcertante.

La réminiscence du « Troisième intermède » du Malade imaginaire inscrit enfin le texte dans un usage du latin macaronique, et emblématise 605le caractère bouffon de lintronisation du porc : « dignus, dignus, dignus est praesidare in nostro praeclaro corpore ! » (p. 1222). Le passage de lordre des médecins à lordre des bourreaux, de la guérison à la mort, rend lambivalence dun discours tremblé – au sens musical – entre farcesque et tragique. Ce sens de la transgression des tonalités est particulièrement présent dans léloge de Porcus : « Quis enim dedit nobis patatas ? Ceciderunt stellae de caelo et factae sunt pro nobis patatae » (p. 1222). La réitération des patatas procède à une reductio ad absurdum du Pater Noster (« donne-nous aujourdhui notre pain de ce jour »), le pain porteur dune dimension référentielle se doublant de résonances eucharistiques – les étoiles deviennent trivialement des patates, en un ravalement des corps célestes. La mention des étoiles et des patatas forme un point de jonction entre pouvoir temporel (la Justice exercée par Cochon) et pouvoir spirituel (Cochon analogon du Seigneur prodigue en nourritures terrestres).

La polyphonie énonciative, entre un chœur épris de révérence et lincongruité de sa teneur verbale, inclinent léloge de Porcus vers la figure du diasyrme, ou faux éloge saisi dans la continuité et la logique dune dérision conservant la mémoire des errements du juge Bridoye dans le Tiers Livre. La tentation de la fatrasie et lesthétique de la farce – ne serait-ce que dans lalternance dactes répétés (variantes de la formule « tous se lèvent et saluent », p. 1223sq) – restitue une démence représentative dun ludus scriptural qui sacrifie à limpératif du placere, tout en emblématisant lélévation spirituelle de Jeanne.

Conclusion

Comme laffirme Paul Claudel dans une conférence prononcée à Bruxelles, « le sommet de la vie de Jeanne dArc, cest sa mort » (note p. 1514). Paradoxe suprême, que de privilégier les ultima verba sur la geste de la sainte, quand « Jeanne au-dessus de Jeanne » est « Flamme au-dessus de la flamme », la vierge nétant pas une « grande flamme elle-même ? » (p. 1241). Les scènes iv et vi de Jeanne dArc au Bûcher présentent symétriquement une densification symbolique de lépisode du jugement, devenu morceau de bravoure combinant plusieurs traits 606propres à la littérature et à la civilisation médiévales, telles que les a assimilées Claudel. Le principe dual inhérent au théâtre claudélien, qui mêle « Moyen Âge de convention » et réminiscences précises, est à lœuvre dans loratorio. Le cadre médiéval est investi dune portée non seulement référentielle, mais aussi symbolique et morale. La satire en est le fondement, parallèlement à lexaltation dune parole sacrée. La dialectique du sublime et du trivial accuse ainsi lhéritage de Victor Hugo et de William Shakespeare.

Le jugement, dont Georges Duby a certes convenu quil comportait des questions trop complexes pour une « pauvre enfant » (p. 1241), devient à la manière du livre de frère Dominique ce « paquet de mots que ces Limousins sur la terre ont ficelé dans le latin du Fouarre » (p. 1219). Lopacité est au principe du discours des juges, cest pourquoi Claudel semble lavoir retournée au profit du projet hagiographique. La satire emprunte conjointement des directions opposées, au non-sens du procès lui-même répondant la tentation du non-sens, sensible dans un discours tout à la fois concentré et profus. Lesthétique du drame entrelace la fête de lâne, le régime allégorique du Roman de Fauvel, la satire cléricale héritée du Roman de Renart, le thème du bestornement, tout en intégrant des références à la littérature renaissante et classique au service de la parodie et du pastiche. Dans cette poétique du drame résolument extravagante, Claudel note en sens agile un discours fuyant, ouvert à des tonalités qui coexistent, se complètent et se confrontent.

Jeanne dArc au Bûcher constitue ainsi un jalon de premier ordre dans lédification claudélienne dun imaginaire médiéval. La distance parcourue depuis LAnnonce faite à Marie laisse percevoir une approche désormais décomplexée des signes évoquant lépoque médiévale. De fait, la lettre de Claudel à Darius Milhaud du 31 octobre 1931 déplore les « projets de décor de Jouvet » : « je voudrais que le Moyen Âge, comme le dit mon texte, ne fût pas indiqué trop lourdement, mais par un détail spirituel et sobre51 ». La spiritualité prend une ampleur et un souffle renouvelés, la sobriété le cédant à lextravagance du propos. Le « Moyen Âge chrétien », dont Claudel est « un dernier descendant, délégué dans notre temps52 » ne cesse daccompagner lémergence de son œuvre, mais cette innutrition va sintensifiant et se diversifiant. Le monde 607de la matière et celui de lesprit entretiennent un dialogue fécond, et cest précisément des marginalia et trivia que Jeanne retire son potentiel hagiographique. Lalternance entre la nudité inquiète et sainte de la parole de Jeanne et le foisonnement du discours de la justice rejoint en ce sens limage renaissante des « grotesques », figures dornementation au confluent du cappriccio, règne de la bigarrure et du joyeux désordre, et de la terribilità53.

Jean-François Poisson-Gueffier

Centre dÉtudes du Moyen Âge (EA 173)

Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3

1 Lédition de référence est la suivante : Paul Claudel, Jeanne dArc au Bûcher, Théâtre, volume II, édition revue et augmentée, textes et notices établis par J. Madaule et J. Petit, Paris, Gallimard, 1965, p. 1217-1242. En certains cas, la partition (Arthur Honegger, Jeanne dArc au Bûcher, oratorio dramatique, Paris, Salabert, 1998) pourra être envisagée en complément du texte dramatique, sous lintitulé « partition dorchestre ».

2 F. Gaffiot, Dictionnaire Latin-Français, Paris, Hachette, 2000, art. « Satura », p. 1396.

3 « Honeggers Joan of Arc with Alan Gilbert », site internet du New York Philharmonic, vidéo du 22 janvier 2014.

4 P. Claudel, Lettre à son fils Henri du 24 septembre 1934, Lettres à son fils Henri et à sa famille (1924-1954), Lausanne, LÂge dHomme, 1990, p. 122-123.

5 Entretiens sur Paul Claudel, éd. G. Cattaui, Paris-La Haye, Mouton, 1968, p. 51.

6 P. Lécroart, Paul Claudel et la rénovation du drame musical, Sprimont, Mardaga, 2004, p. 266.

7 Claudel, Théâtre, II, p. 1516-1517.

8 Claudel, Théâtre, II, p. 1518.

9 Claudel, « 4 janvier 1951 », Théâtre, II, p. 1530.

10 A. Beretta, Claudel et la mise en scène : autour de lAnnonce faite à Marie, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2000, p. 220.

11 Honegger, partition dorchestre, p. 33.

12 Le sprechgesang, qui se place à la jonction de la parole et du chant et constitue un enrichissement des techniques musicales dans la musique du xxe siècle (Schönberg, Berg, Zimmermann, Berio, Stockhausen…), relève dun champ dinvestigation parallèle. Le sprechgesang vise à conférer au mot une valeur intrinsèquement musicale, le procédé auquel recourt Claudel accorde au propos un souffle oratoire.

13 Telle est au demeurant la perspective adoptée par Arthur Honegger, reflétée dans ses Écrits, textes réunis et annotés par H. Calmel, Paris, Champion, 2000, p. 709 : « Une des plus grandes joies de mon existence fut davoir pour “librettiste” – si tant est que les meilleurs poèmes de Jeanne dArc au Bûcher et de la Danse des Morts soient des livrets – Paul Claudel ».

14 Claudel, Théâtre, II, p. 49.

15 Claudel, Journal, t. 1, « 22 mars 1920 », Paris, Gallimard, 1968, p. 860.

16 G. Paris, Manuel dancien français : la littérature française au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1888, p. 48. Cette expression désigne lensemble des thèmes et motifs qui « se retrouvent ailleurs sous dautres noms » dans la littérature médiévale.

17 FEW, vol. 13/2, p. 69.

18 A. Serper, Rutebeuf poète satirique, Paris, Klincksieck, 1969, p. 126.

19 Honegger, partition dorchestre, p. 7.

20 J.-Cl. Mühlethaler, « Laudatio temporis acti et translatio studii : apogée et déclin dans la satire médiévale (xiiie-xive siècles) », Apogée et déclin, éd. Cl. Thomasset et M. Zink, Paris, Presses de lUniversité de Paris-Sorbonne, 1993, p. 198.

21 Honegger, partition dorchestre, p. 76.

22 Claudel, « Les trois premiers jours de la Genèse », Le poète et la Bible, I, Paris, Gallimard, 1998, p. 10.

23 Isidore de Séville, Étymologiae, respectivement 12, 1, 25 et 9, 1, 25.

24 C. Nicolas, « De létymologie pour lœil à létymologie pour loreille : lexemple de la prosthèse vocalique dans les Étymologies dIsidore de Séville », Revue de philologie, de littérature et dhistoire anciennes, 2, 2008, p. 333.

25 Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, éd. Ch. Méla, Paris, LGF, 1990, v. 562.

26 M. Pastoureau, « Quel est le roi des animaux ? », Le monde animal et ses représentations au moyen-âge (xie-xve siècles), Actes du xve congrès de la Société des historiens médiévistes de lenseignement supérieur public, Toulouse, 1984. p. 142.

27 M. Pastoureau, LOurs. Histoire dun roi déchu, Paris, Seuil, 2011, p. 2.

28 Pastoureau, « Quel est le roi des animaux ? », p. 142.

29 Honegger, partition dorchestre, p. 51.

30 G. et A. Duby, Les procès de Jeanne dArc, Paris, Gallimard, 1973, p. 8.

31 Claudel, Conférence sur Jeanne dArc au Bûcher, Théâtre, II, p. 1521.

32 D. Buschinger, « La critique du clergé dans le roman animalier au Moyen Âge », Senefiance, 37, 1995, p. 79-89.

33 Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., Paris, Gallimard, 1998, p. 228, v. 423-429.

34 J. Deramond, « Les voix de Jeanne au bûcher », Jeanne dArc en littérature, Actes du colloque dOrléans, Le Porche. Bulletin de lAssociation des amis de Jeanne dArc et Charles Péguy, 32, 2010, p. 92-99, ici p. 95.

35 F. Mora, « Entre physique et éthique : modalités et fonctions de la transmission des savoirs dans le Commentaire sur lÉnéide attribué à Bernard Silvestre », La transmission des savoirs au Moyen Age et à la Renaissance, éd. P. Nobel, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2005, t. I, p. 35.

36 R. Caillois, Les jeux et les hommes : Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1967 (1re éd. 1958), passim.

37 Le terme est emprunté à Cl. Reichler, La diabolie, la séduction, la Renardie, lécriture, Paris, Minuit, 1979.

38 Honegger, partition dorchestre, p. 50-51.

39 P. Brunel, « Jeux de cartes », Revue des lettres modernes, 180-182, 1968, p. 29.

40 Le Roman de Fauvel, éd. A. Strubel, Paris, LGF, 2012, p. 538 et suivantes.

41 Roman de Fauvel, p. 556 : « Le lit de laccouchée, / Le trône de Salomon / Portent la marque / De la nouvelle Babylone ».

42 Ibid. : « Comment pourrons-nous chanter / Sous une loi inique ? / Brebis, quécoutons-nous ? / Le loup est au sein du troupeau ! »

43 P. Zumthor, Langue et techniques poétiques à lépoque romane (xie-xiiie siècles), Paris, Klincksieck, 1963, p. 168.

44 Ibid.

45 Poésies du non-sens, tome 1, Fatrasies, éd. M. Rus, Orléans, Paradigme, 2005, Fatrasies dArras, no 1, v. 7-9.

46 P. Zumthor, Langue, Texte, Énigme, Paris, Seuil, 1975, p. 78-79.

47 Claudel, Théâtre, II, p. 1521.

48 Littéralement : « Ses éternuements fréquents ont la splendeur du feu ».

49 Fatrasies dArras, no 6, v. 1-3.

50 Littéralement : « À linstar du lys parmi les épines, celui-là est beau parmi les capuchons ».

51 Claudel, Correspondance avec Darius Milhaud, Paris, Gallimard, 1961, p. 191.

52 E.-M. Landau, « Claudel en Allemagne », Entretiens sur Paul Claudel, p. 254.

53 A. Chastel, La Grottesque, Paris, Gallimard, 1988, p. 31.