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Classiques Garnier

Les manuscrits enluminés du Tristan en prose Incidence de la polyphonie énonciative et des éléments péri-textuels sur le processus de construction du sens

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 2, n° 34
    . varia
  • Auteur : Fabre (Sylvie)
  • Résumé : En se fondant sur un corpus de manuscrits enluminés conservant le roman de Tristan en prose, cet article montre comment les éléments péri-textuels contribuent, au sein de chaque copie, à produire une configuration singulière de l’histoire narrée et à construire le sens de l’œuvre. L’étude du texte dans sa matérialité (mise en pages, relations texte-image-rubrique) révèle l’influence des formes sur le processus interprétatif et interroge le rapport à l’objet livre, à l’œuvre et à la lecture.
  • Pages : 221 à 237
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406077411
  • ISBN : 978-2-406-07741-1
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07741-1.p.0221
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 20/01/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Les manuscrits enluminés
du
Tristan en prose

Incidence de la polyphonie énonciative
et des éléments péri-textuels
sur le processus de construction du sens

La lecture nest pas une expérience de réception mais de génération du sens : elle résulte dun processus dinteraction entre le texte et le lecteur qui conduit celui-ci à construire, et non à reconstituer un sens – ce que Michael Riffaterre nomme la « production du texte » dans lesprit du lecteur1. Plus encore à propos du manuscrit, qui est toujours une création originale, quand bien même il sagit dune copie, quen ce qui concerne le livre imprimé, le sens de lœuvre nest pas tout entier contenu dans le texte, comme pré-donné, livré par les seules paroles de lauteur ou du narrateur. Il dépend aussi des éléments qui sont chargés de le mettre matériellement en valeur et qui tiennent implicitement compte de la présence du lecteur2. Pour Greimas, rappelons-le, la forme est tout aussi signifiante que la substance3. Par conséquent, le manuscrit nest pas un simple support chargé de transmettre lhistoire narrée. Il contribue également à la signifier par le moyen de lécriture, de la mise en page et de lillustration. Voilà pourquoi le manuscrit gagne à être exploré dans sa dimension pragmatique, cest-à-dire comme la mise en œuvre originale dun faisceau dindices (transcription du texte, choix graphiques, procédés de mise en page, programme iconographique…) suffisamment cohérents pour permettre au lecteur délaborer un sens. Comment lobjet-livre prévoit-il le lecteur (mise en page, rubrication, miniatures) ? Que nous raconte-t-il à propos de la réception du texte quil 222transcrit et illustre, et aussi à propos de ses conditions de production ? Nous verrons, à travers lexemple des manuscrits enluminés du Tristan en prose, que létude du manuscrit est une quête du sens qui interroge le rapport à lobjet-livre, à lœuvre et à la lecture4.

Mise en page et découpage du texte :
la relation entre l
œuvre et son public

Considéré comme lune des œuvres les plus populaires de la fin du Moyen Âge, le roman de Tristan en prose fut rédigé dans le premier tiers du xiiie siècle, peu après le Lancelot en prose, modèle quil surpasse par lampleur de la matière comme au plan des innovations. Il sagit dune œuvre immense, composée de plusieurs centaines de folios dont les versions (au nombre de quatre) sont conservées dans plus de quatre-vingts manuscrits, ce qui explique que ce roman soit resté inédit jusque dans la seconde moitié du xxe siècle, date à partir de laquelle des chercheurs du monde entier entreprirent de le faire sortir de lombre, au prix defforts considérables5. Influencés par le succès du Lancelot en prose auprès des lecteurs du xiiie siècle6, les deux auteurs, Luce del Gat et Hélie de Boron, eurent pour projet de relier lauthentique mythe des amants de Cornouailles au cycle de la Vulgate et dinsérer Tristan dans le monde arthurien7. Au plan narratif, le conte convoque donc deux univers 223originellement distincts, ce qui a pour effet de dilater le champ spatio-temporel : les royaumes de Logres et de Cornouailles sinterpénètrent, les protagonistes et leurs aventures se multiplient, incitant le lecteur à un incessant voyage dans lespace et dans le temps. Les destins de Tristan et de Lancelot sentrecroisent, se font écho, dautant que le conte suscite une rivalité au plan de lexcellence entre les deux héros – rivalité qui existe également au plan de la beauté entre les reines Yseut et Guenièvre.

Cette dilatation de lespace et de la matière saccompagne dun dédoublement énonciatif qui témoigne du souci daccorder à la source de lestoire une authenticité et une légitimité incontestables : le roman transmet, par la voix du prosateur (« Or dist li contes… »), une parole préexistante (« li contes », la matière littéraire originelle tirée du « grant livre del latin »). Les deux instances se superposent et organisent le récit de manière conjointe, lauteur-narrateur nhésitant pas à intervenir régulièrement dans le cours des épisodes : « ensi con je vous ai conté… » Lemploi du discours rapporté a pour effet de structurer le texte sur plusieurs plans : lhistoire source est racontée une première fois dans le « grant livre del latin » dont il est question dans le prologue avant dêtre reprise par le narrateur. Pour organiser cette matière dense (plusieurs niveaux énonciatifs) et profuse (plusieurs lieux, temps, personnages, intrigues et destins tissent lhistoire globale du roman), le prosateur a recours au principe de lalternance des aventures. Le texte se tisse grâce au procédé de lentrelacement : chaque épisode est laissé en suspens pour passer à un autre, qui est à son tour interrompu et ainsi de suite. Plusieurs épisodes ont lieu au même moment dans des lieux distincts, ce qui crée lillusion de la vie8. Certes, les épisodes sont de longueur inégale mais les aventures des personnages sont séquencées de manière à ne pas lasser le lecteur et à maintenir le suspense.

Ce procédé narratif se reflète dans la mise en page. Au sein des manuscrits examinés, un effort est fait pour donner au texte lapparence dun ensemble articulé, composé de segments dont les bornes, les extrémités, sont à la fois nettement séparées (bouts de ligne, espaces) et reliées les unes aux autres au moyen déléments conjonctifs tels que la rubrique, la lettrine, linitiale ornée ou la miniature. Les acteurs du livre manuscrit 224manifestent ainsi le souci dassurer la cohésion matérielle du texte et de faciliter la lecture. Il sagit de déterminer à lavance les conditions et les modalités de réception du texte, autrement dit de « prévoir le lecteur9 ». Le texte littéraire ne résulte pas dune énonciation ancrée au seul niveau de lélaboration du manuscrit. En dautres termes, tout nest pas dit à ce moment-là. En lisant, le lecteur est amené à produire, à faire naître, une ultime version du texte. Cette situation dénonciation ne se caractérise pas par lémergence de lénoncé-manuscrit mais par celle de lénoncé-lecture, qui constitue le point de rencontre entre la stratégie déterminée en amont par le prosateur et les acteurs de la fabrication du livre manuscrit dune part, et la conscience du lecteur dautre part. Le lecteur est ainsi amené à opérer un débrayage, cest-à-dire quil lui faut rejeter le je-ici-maintenant de la lecture pour accéder au non je-non ici-non maintenant de la fiction. La mission des acteurs de la mise en forme du texte est donc de favoriser ce transfert du lecteur dans lailleurs de la fiction.

Grâce au codex, les scribes et les peintres offrent au conte le moyen dexister matériellement (ils disposent en cela dun pouvoir faire et dun savoir faire qui procèdent de ce quEmmanuël Souchier nomme « lénonciation éditoriale10 »), chacune des transcriptions réalisées actualisant le texte de manière singulière. Les choix éditoriaux effectués par les acteurs de la fabrication du livre (structuration de la page, forme, taille, place et composition des images) contribuent à la mise en forme des virtualités signifiantes de lhistoire racontée et orientent le sens de lœuvre en faveur dune interprétation particulière. De cette polyphonie énonciative résulte, pour chaque manuscrit produit, une configuration spécifique, une lecture originale du roman. La rubrique, par exemple, nest pas juste un ensemble dinformations destiné à guider le peintre dans sa composition. Au plan de la lecture, elle fournit aussi une description synthétique du chapitre à venir (titre) et de la miniature qui laccompagne (légende). Cette insertion hétérogène au tissu narratif – tracée le plus souvent à lencre rouge – fait par conséquent figure dinstance énonciative à part entière dans la mesure où elle vient doubler 225la voix du prosateur : elle agit comme une strate intermédiaire entre le narrateur qui porte le récit (auquel elle renvoie parfois de manière directe par le biais de formules telles que « …comme sensuit », « …ainsi comme vous orres ») et le lecteur.

Par conséquent, et même sil semble en constituer la voix légitime, le prosateur nassume pas seul lhistoire narrée : celle-ci se trouve également prise en charge par lensemble des mains et des consciences qui collaborent à la réalisation du manuscrit. Le lecteur peut même estimer que ce sont dabord les acteurs éditoriaux tels que le scribe et lenlumineur qui racontent lhistoire de Tristan dans la mesure où avant dêtre lu, le texte est dabord vu. En outre, lacte même de lecture ne revient-il pas à faire la distinction entre ce que nous voyons et la façon dont nous linterprétons, dans une sorte de dialectique du visible et du lisible ? Quoi quil en soit, le récit tel quil est présenté dans les différentes copies de lœuvre ne résulte pas exclusivement de lagencement opéré par le prosateur – qui est une instance « énoncive » et non la véritable instance énonciative du texte11 – mais dun processus éditorial complexe auquel prennent part une multiplicité dintervenants. Cest pourquoi lœuvre ne doit pas être envisagée en elle-même (en tant que pur produit de lesprit) mais en situation, cest-à-dire comme le résultat de la conjugaison des outils et du savoir-faire humains12. Lécriture du texte ne passe pas uniquement par les mots de la langue, elle dépend aussi de la matérialité du support et de ce que celui-ci implique en termes de choix calligraphiques et iconographiques. Tel quil se donne à lire, le texte se trouve pris dans une forme qui le fait entrer dans lespace public13. En dautres termes, lœuvre naît des manuscrits qui la font exister.

Dans une perspective hjemlslevienne, le manuscrit correspondrait à la forme de lexpression (organisation des signes graphiques et des 226éléments péri-textuels, mise en page du texte, répartition et construction des images) tandis que le récit se situerait sur le plan de la forme de la substance (articulation des thèmes, découpage en épisodes, agencement des scènes)14. Or, nous ne pouvons appréhender la matière littéraire proprement dite – ou la substance – quau travers de la forme sémiotique quest le manuscrit. En associant forme de lexpression et forme de la substance, lobjet-texte présuppose lexistence dune matière quil rend perceptible, parce quen mesure dêtre saisie. Lincidence la plus notoire – du moins à première vue – des éléments péri-textuels tels que la lettrine, la rubrique et/ou la miniature, est sans aucun doute la lisibilité. Cest-à-dire que ces éléments contribuent à faire du texte un contenu intelligible dans lequel lœil du lecteur parvient à progresser sans fatigue ni lassitude. La miniature apparaît en effet comme une image insérée dans une image plus vaste – celle de la page – dont font également partie le texte, les lettrines, les bouts de lignes, mais aussi les espaces et les marges ainsi que tout ce qui sy joue (notes ou scènes marginales)15. Si mettre en page revient à faire entrer un monde dans un espace clos, alors le Tristan en prose est une œuvre qui, en raison de sa longueur et de sa complexité narrative, nécessite une mise en folio particulièrement soignée et rigoureuse, sous peine dégarer le lecteur dans les maintes voies du récit et de lui faire perdre le fil de lestoire.

Répartition et composition des images :
la stratégie textuelle

Comme cela a été stipulé au début de cet article, lénonciation du Tristan en prose procède de deux débrayages successifs. En premier lieu la situation dénonciation initiale est niée au profit dune illusion énonciative. Dans le texte, celui qui dit « je » nest pas le véritable énonciateur : il sagit dun simulacre énonciatif visant à faire surgir un énoncé de type narratif (« Que vous diroie-je ? », « Ensi con je vous ai conté… »). 227À ce débrayage énonciatif sajoute un débrayage de type énoncif16 qui correspond aux moments où la voix du prosateur disparaît derrière celle du conte afin dimmerger le lecteur dans le monde tristanien : les formules introductives (« En ceste partie dist li contes que… », « Ce dist li contes que… ») ou conclusives (« Atant se taist li contes… », « Or se taist li contes… ») délimitent les différentes unités narratives sur le plan spatio-temporel, rendant apparentes les articulations entre les épisodes.

Le fait que les miniatures figurent le plus souvent en tête de chapitre – autrement dit à cet endroit précis où lhistoire narrée sefface derrière la voix du conteur et où le récit indique quil est en train de se faire – ne doit rien au hasard. Michèle Perret avait déjà noté la performativité des formules introductives ou conclusives qui commencent et clôturent la séquence narrative dans les romans en prose. Elle avait également observé leffacement progressif des adverbes temporels « atant » et « or » situés en première position au profit de « ci », qui ne désigne que lui-même dans lespace du manuscrit. Cette montée de « ci », de nature spatiale, en première position saccorde avec limportance de plus en plus grande donnée au livre comme support matériel du texte et avec le passage dune réception auditive à une réception visuelle du texte littéraire, en sorte que la localisation spatiale acquiert de plus en plus dimportance dans la structuration du texte17. Par conséquent, loin de sapparenter à un ornement purement esthétique dont le rôle se bornerait à agrémenter la lecture, limage est au contraire un élément signifiant visant à mettre en valeur les changements structurels qui sopèrent dans le récit. Telle une balise, elle aide le lecteur à se repérer et à circuler au sein de la page et, plus largement, à lintérieur du texte manuscrit, dont elle marque les césures et les enchaînements.

Dans le Tristan en prose, laction progresse selon un principe linéaire : le récit se présente comme une successivité orientée vers lavenir. La plupart du temps, la miniature renvoie à lépisode qui sera développé dans le chapitre quelle annonce par sa présence – selon un ordre logique de lecture – et non à celui qui précède, ce qui montre à quel point limage nest pas conçue comme une illustration de ce qui vient dêtre dit mais comme une énigme soumise à la sagacité du lecteur. Ce dernier est incité 228à se projeter dans le texte à venir afin de trouver les éléments nécessaires à sa résolution, surtout si le manuscrit ne comporte pas de rubrique. Par ailleurs, en attirant lattention sur elle, la miniature invite le lecteur à suspendre momentanément sa lecture, ce qui avalise la séparation entre les deux blocs de texte (séquences narratives ou parties de chapitre) situées de part et dautre de son point dancrage. Même lorsquil sagit dune initiale historiée, limage contraint le lecteur à faire une pause plus marquée que pour la seule lettrine ou la seule rubrique. Son pouvoir de captation est tel que lillustration peut être assimilée à un signe de ponctuation propre au texte dans son ensemble, cest-à-dire au système global que constitue le manuscrit.

Les quinze manuscrits examinés se montrent plutôt unanimes en ce qui concerne le découpage en chapitres pour la partie du texte étudié, même si lon voit des familles se dessiner18. Pour autant, toutes les unités narratives ne sont pas pourvues dune image. Dune part parce que les manuscrits offrent très souvent moins de miniatures quil nexiste de chapitres (mss. Paris BnF fr. 100 et Vienne ÖNB 2537), et dautre part parce que le roman de Tristan compte des faux entrelacements (le narrateur fait croire que laventure sarrête alors quelle continue) et des digressions : le narrateur relate une histoire qui appartient à un temps antérieur et quil insère dans le cours du récit principal (excursus). En fonction des copies, ces excursus sont ou ne sont pas signalés par une illustration, ce qui constitue aussi un marqueur dappartenance à telle ou telle famille de manuscrits. Toutefois, un excursus qui nest pas annoncé par une image peut malgré tout faire lobjet dune mise en image au chapitre suivant ou (plus rarement) précédent. Dans le ms. Paris BnF fr. 100, alors que lépisode consacré à la fondation de labbaye de Gaunes débute au § 80 du tome I, limage consacrée au combat entre le roi Boorth de Gaunes et le géant apparaît au § 86 (fol. 202v), cest-à-dire au commencement du chapitre suivant. La grande majorité des manuscrits signale toutefois lexcursus au moyen dune image, même si celle-ci nen illustre pas le contenu et réfère à un épisode du récit principal. Lintérêt accordé (ou non) à un épisode ne modifie pas nécessairement lorganisation syntaxique du manuscrit.

229

Au sein de ce mode de présentation qui consiste à placer limage en tête de chapitre pour avertir le lecteur dun changement et qui semble faire consensus au sein des manuscrits examinés, il existe parfois des décalages, des écarts, notamment lorsque limage apparaît à plusieurs reprises. Cest ce que nous observons dans les mss. Paris BnF fr. 100, fr. 97, fr. 102 et Genève BPU fr. 189 (famille B), où la miniature intermédiaire (I, § 27 et 49) sert de toute évidence à faire une pause au milieu dun ensemble narratif qui a pu être jugé trop long. Mais la structuration du récit nest pas toujours la seule explication. Dans le ms. Paris BnF fr. 334 (famille A) nous remarquons que les épisodes consacrés à la composition et aux échanges de pièces lyriques (III, § 929, 932, 933 et I, § 151, 154, 163, 165) ont été plus abondamment illustrés que dans les autres copies du Tristan : après la miniature douverture du chapitre, deux autres images viennent ponctuer le récit, appuyant par leur présence, comme par leur contenu, le crescendo dramatique de laction19. Ainsi, bien que presque tous les manuscrits enluminés du Tristan en prose illustrent la scène du chant mortel et/ou la tentative de suicide de la reine Yseut (III, § 929), aucun ny consacre, à linstar du ms. Paris BnF fr. 334, trois miniatures successives (fol. 149r, 150v, 151r). Même constat à propos de lépisode relatant la composition et la transmission du lai mortel de Kahédin (I, § 151-165), qui compte également deux images supplémentaires (fol. 184r, 185v) au sein de lunité narrative en cours, en plus de la miniature inaugurale placée en tête de chapitre (fol. 183r)20.

En prolongeant lépisode, en étirant le fil du récit, ces insertions répétées – qui distinguent très nettement le ms. Paris BnF fr. 334 des autres copies du roman, y compris à lintérieur de la famille A – accentuent la tension psychologique. Il sagit de faire prendre conscience au lecteur de lémotion ressentie par le protagoniste. Cette stratégie est corroborée par la forme et la structure de lillustration : linitiale historiée donne limpression que la voix du personnage jaillit à linstant même où la pièce lyrique apparaît sous sa forme écrite, comme si cétait limage elle-même 230qui racontait lestoire. Au plan thématique, le contenu des miniatures privilégie la composition et la transmission des lais, la forme lyrique se révélant particulièrement apte à exprimer le mal daimer dont souffrent les héros tristaniens21. Parce quelles apparaissent à des endroits moins conventionnels du texte, dont elles brisent la continuité, ces images intermédiaires valorisent les scènes les plus édifiantes de lœuvre : celles où se nouent et se dénouent les drames individuels, qui sapparentent toujours à des moments de crise intérieure. Le ms. de Paris BnF fr. 334 laisse deviner une sensibilité aux thèmes de lamour et du chant lyrique qui contraste avec les orientations dun bon nombre dautres copies, plus enclines à accentuer les combats et laspect chevaleresque du roman22.

Par conséquent, loin dêtre anodine, la mise en page participe au contraire du contrat de lecture, qui peut se définir comme la prise en compte du lecteur et de sa manière de lire23. Le manuscrit doit en effet donner au lecteur les moyens de croire à lexistence du monde quil est chargé de faire exister. Il doit susciter chez lui lenvie de poursuivre la lecture tout en garantissant que celle-ci navance pas au hasard, de façon à lui permettre dhabiter le manuscrit. La mise en page vise à la conversion dun faire savoir (transmettre un contenu narratif, faire connaître une histoire) en un faire croire (susciter ladhésion du lecteur à une manière singulière de raconter cette histoire afin de lui permettre de construire une signification, une représentation)24. De ce point de vue, chaque manuscrit instaure et anticipe stratégiquement – en fonction de la façon dont il modèle la matière littéraire – une expérience de lecture capable de révéler les potentialités sémantiques de lœuvre. Selon les copies, des sensibilités différentes sexpriment. Les choix effectués (place, forme, structure des images, programme iconographique, composition scénique) 231influencent la manière de lire du lecteur en fonction des codes visuels qui sont les siens25. Elles sont les traces de la stratégie mise en œuvre par lensemble des parties prenantes et correspondent à lexpression dune subjectivité énonciative éditoriale qui, en prenant en charge le texte et sa diffusion, propose une configuration inédite du roman.

Réflexivité énonciative
et modulations du sens

De la même façon que le récit contient des indices de la présence du narrateur, dont la voix se superpose à linstance narrative quest le conte, le manuscrit contient des traces de lénonciation dont il est le produit et qui ressortissent aux choix éditoriaux effectués par les acteurs de sa fabrication. Cest la raison pour laquelle le manuscrit livre en réalité deux histoires : le Roman de Tristan dune part et le regard porté sur ce contenu narré – qui en constitue une sorte de pré-lecture – dautre part26. Si ce sont souvent les mêmes endroits du texte qui appellent linsertion dune miniature (à savoir le début dun nouveau chapitre), il semble que certains épisodes aient davantage retenu lattention que dautres, comme par exemple la tentative de suicide de la reine Yseut dans le jardin du château (III, § 929) ou bien la joute de Kahédin contre son propre père, le roi Hoël de Petite Bretagne (I, § 140). Néanmoins, tous les manuscrits ne développent pas le même programme iconographique (en dehors, bien sûr, des phénomènes de copie), car les peintres nont pas toujours insisté sur les mêmes aspects, ou sur les mêmes moments, de lépisode sélectionné.

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Au plan de la lecture, linterprétation de lépisode varie selon le traitement iconographique dont celui-ci a bénéficié27. Ainsi, la scène au cours de laquelle la reine Yseut tente de mettre fin à ses jours a fait lobjet de compositions résultant de choix narratifs qui influent sur la configuration du sens : soit laccent est mis sur la composition du lai et le déchirement intérieur de la reine (il sagit alors damplifier la tension et de signifier limminence du danger à venir : la reine veut mourir, car elle ne peut plus vivre), soit il porte sur le geste fatal et lintervention in extremis du roi Marc (qui incarne, de par son statut, la sagesse et la justice) : il est alors question de représenter un acte qui contrevient au sens commun (la reine peut mourir, mais elle doit vivre). En somme, tantôt le lecteur tremble pour la reine, tantôt il éprouve de la pitié à son égard. Le peintre du ms. Genève 189 opte quant à lui pour la scène qui suit immédiatement lintervention du roi Marc, livrant une composition focalisée sur la déception de la reine Yseut, qui manifeste son courroux de ne pas être parvenue à accomplir son geste28.

Dans la séquence qui relate la folie de Tristan (I, § 168-183) les illustrations insistent soit sur la déchéance et létat de vulnérabilité du héros, soit sur ses extraordinaires capacités physiques, considérablement décuplées par la crise de démence qui laffecte. Le ms. Paris BnF fr. 102 explore quant à lui une troisième voie : Tristan se voit affublé de laccoutrement symbolique (rayures, bonnet à grelot) du bouffon de cour29. Dans le premier ensemble de manuscrits (mss. Ludwig XV-5, Paris BnF fr. 99, Condé 645 et 648) leffort de réalisme est notable. Les peintres insistent sur le statut de victime du héros, ne craignant pas de lui donner une apparence dégradée, conforme à la description du texte et à limagerie populaire : lamant dYseut est représenté barbu, hirsute (plus rarement 233chauve, affecté de la tonsure que les bergers lui avaient infligée), en haillons, tenant à la main une marotte (le sceptre parodique des fous), lair hagard. Asservi par une forsenerie qui sest abattue sur lui telle une malédiction, il se distingue très nettement des autres personnages.

Dans le deuxième ensemble de copies (mss. Paris BnF fr. 334, Paris BnF fr. 335, Vienne ÖNB 2537, Vienne ÖNB 2539, Genève BPU fr. 189) un effort est fait pour préserver le caractère héroïque de Tristan : certes, sa santé mentale est altérée mais il peut encore accomplir de grands exploits, en sorte que les apparences sont sauves – Tristan est dailleurs représenté en armes dans le ms. Paris BnF fr. 100. Enfin, le ms. Paris BnF fr. 102 insiste sur lidentité dissimulée – pour ne pas dire masquée – du héros, qui est assimilé au personnage du fou de cour30.

Lépisode de la folie y semble traité avec moins de gravité : la démence nest quune illusion, Tristan est un sain desprit qui va bientôt retrouver la raison. Enfin, le mélange de plusieurs modes de représentation dans les mss. Paris BnF fr. 335 et BnF fr. 102 laisse supposer que, même atteint dans sa dignité, le neveu du roi Marc nest pas légal des bergers – lhabit emblématique de fou du roi préfigure dailleurs, dune certaine manière, le retour de Tristan parmi ceux de son rang, à Tintagel – et que sa folie nest que passagère. Enfin, alors quil est représenté dans une tenue très simple au moment où il attaque Daguenet et lorsquil est endormi, le héros porte un costume de chevalier quand il est question de combattre puis de tuer Taulas de la Montagne31.

Mais la mise en page et les images ne sont pas les seuls éléments formels à produire du sens. Létude des rubriques fournit également des informations précieuses quant au regard porté sur le contenu narratif. Elle est aussi révélatrice dune manière de lire. Dans le manuscrit Getty Ludwig XV-5 la construction iconographique repose exclusivement sur les indications fournies dans la rubrique. Le peintre Richard de Montbaston semble ne sêtre inspiré ni dun manuscrit antérieur ni dune lecture personnelle de lœuvre. Il fait à chaque fois en sorte de se conformer avec exactitude aux informations données dans la rubrique, tout en tâchant de tirer le meilleur parti des contraintes techniques liées à son art, ce qui le conduit 234parfois à se livrer à certaines contorsions syntaxiques. Il arrive ainsi que des miniatures soient dapparence simple alors quelles sappuient sur une structure complexe, comme au fol. 205r, où lillustration rassemble au cœur du même espace – et sans quaucune forme de séparation matérielle de quelque nature que ce soit ne permette de les isoler – des épisodes qui ne se déroulent en réalité ni au même moment, ni dans le même lieu32. La rencontre entre Lancelot, Palamède et Kahédin près dune source dans la forêt du Morois a été illustrée en même temps que la scène au cours de laquelle Kahédin entrevoit furtivement la reine Yseut à labbaye de Gaunes et où il retombe éperdument amoureux delle33 :

Comment Kahedin se leva de son lit ou il estoit malades pour veoir la royne Yseult, qui moult richement estoit appareillie, et comment il chevaucha depuis tant quil vint a une fontaine, et la estoient Palamedés et Lancelot dou Lac. (ms. Ludwig XV-5, fol. 205r).

Mais sans doute ces compositions étaient-elles attractives pour le lecteur médiéval, en raison de la liberté quelles lui laissaient de découvrir par lui-même, à lintérieur du récit, les éléments nécessaires à lélucidation du contenu de la miniature. Si limage fixe limagination, son sens est toujours à construire a posteriori. La lecture est une aventure en soi. Dans le ms. BnF fr 99 (1400-1410), qui semble avoir été copié sur le ms. Getty Ludwig XV-5 (1320-1330), ou sur un manuscrit intermédiaire, le programme iconographique semble au contraire avoir été conçu indépendamment des rubriques et de lendroit où limage apparaît : à lexception du nombre de colonnes (trois dans le ms. Ludwig XV-5, deux dans le ms. BnF fr. 99), le scribe Michel Gonnot a repris la mise en forme du texte. Les rubriques ont également été reproduites à lidentique, transcrites dans le même état de langue. Ainsi, au § 1 du tome I :

235

Comment li Chevalier a la Cote Maltaillie se combati a un pont a.ii. chevaliers et les mist a outrance, et comment il se combati depuis a un autre pont a Plénorius, qui le mist a outrance, et fu mis en une tour. (ms. Ludwig XV-5, fol. 197r).

Comment le Chevalier a la Cote Maltaillee se combati a un pont a deux chevaliers et les mist a outrance, et comment il se combati depuis a un autre pont a Plenorius, qui le mist a outrance, et fu mis en une tour. (ms. BnF, fr. 99, fol. 192v).

En revanche, le peintre Evrard dEspinques sest affranchi de tout principe de concordance : il a peint ses hystoires sans se préoccuper du point dancrage de limage et de lendroit du récit auquel celle-ci renvoie. Dans ce manuscrit le texte semble navoir été copié que pour servir de support à la mise en image des aventures de Tristan. Dans une autre copie du Tristan également illustrée par Evrard dEspinques – le ms. Condé 645, qui fut commandé par Jacques dArmagnac et achevé pour Jean du Mas – il est flagrant que les rubriques ont été rédigées après la composition des miniatures, comme le prouvent les multiples débordements observés34. Nous remarquons en effet une tendance à lallongement (redondance de ladverbe « comment… et comment… »). Une lecture cursive semble par conséquent émerger. Il ne sagit plus, à limage des chevaliers errants, de « soi mettre a la voie », de trouver son chemin parmi la masse des épisodes relatés, mais dinventer son propre circuit de lecture. Grâce au couple image-rubrique le lecteur obtient une vision panoramique du roman sans passer par le texte. Il peut librement feuilleter le manuscrit, sauter des chapitres, revenir en arrière, sarrêter sur un épisode choisi par lui… Bref, arpenter la matière romanesque et se lapproprier, comme on le fait dun territoire.

Le roman Tristan en prose a circulé au sein de la société médiévale durant plus de deux siècles. Deux siècles au cours desquels il na cessé dêtre transcrit. Or, copier et illustrer un roman pendant plus de deux cents ans est bien la preuve que lon nen a pas épuisé le(s) sens. Dans les miniatures, ladaptation à lépoque est une constante (à lexception du ms. Vienne ÖNB 2539, copié sur le ms. Paris BnF fr. 335 et qui constitue un cas darchaïsme volontaire), ce qui tend à démontrer que le Tristan en prose a encore quelque chose à dire, y compris à la toute fin du Moyen Âge. Plus on avance dans le temps, plus les décors et les costumes prennent de limportance et plus les détails sont nombreux. 236Les visages sont aussi plus travaillés, signe que la lecture se focalise davantage sur lindividu : lexpression des sentiments et des émotions passe désormais par la physionomie et plus uniquement par les gestes (mss. Paris BnF fr. 99, Condé 645 et Genève, BPU 189 notamment).

Au xve siècle, les peintres disposent dune connaissance plus fine de lœuvre. Ils nhésitent pas à puiser leur inspiration dans le domaine de la grande peinture et à intégrer à leurs illustrations les dernières techniques picturales. Lintroduction de la perspective dans le ms. Condé 645 instaure ainsi un nouveau rapport au temps qui, affranchi de lopposition binaire gauche-avant/droite-après propre à signifier le flux continu dune temporalité que lon cherchait jusqualors à saisir horizontalement et de façon fragmentaire, devient un espace aménageable, dans lequel se projeter (bas-avant-près/haut-après-loin). Au folio 236r (I, § 49) le peintre Evrard dEspinques a su donner à limage la profondeur nécessaire pour mettre en scène lintégralité de la rubrique35. Tirant parti de sa maîtrise technique de la perspective, il a structuré sa composition sur la base des trois temps forts de lépisode :

Comment le Chevalier a la Cotte Maltaillee entra es Destrois de Sorelois et se combati aux deulx chevaliers qui gardoyent le premier pont et les oultra, et empres se combati a Plenorius qui gardoyt le second pont, lequel le vainqui, et empres ce Lancelot du Lac se combati au premier pont et puis a Plenorius, et a.iii. chevaliers qui gardoyent le tiers pont et les vainqui et osta la coustume du chastel. (ms. Condé 645, fol. 236r).

Émerge ainsi une nouvelle perception du roman et de la lecture : dorénavant, les héros ne sont plus soumis aux caprices du hasard mais responsables de leurs choix, maîtres de leur destin. Le récit nest plus un fil que lon déroule, amenant avec lui les protagonistes et leurs aventures, mais un espace/temps dont il convient – à limage du manuscrit – de prendre pleinement possession.

237

Conclusion

Loin dêtre anodine, parce que souvent considérée comme superficielle, la matérialité du texte contribue à produire une signification, à orienter linterprétation de lœuvre littéraire. Le manuscrit relève dun processus énonciatif qui vise à configurer un monde – celui de la fiction – à travers un acte de discours. Texte, rubriques et miniatures racontent ensemble lœuvre littéraire, dont ils proposent une version, cest-à-dire un cadrage. Dans les manuscrits du Tristan en prose, ces éléments péri-textuels contribuent à faire de la masse des épisodes qui tissent le récit un ensemble organisé et accessible. Plus le folio est construit, plus le lecteur peut habiter lobjet-livre et, de ce fait, sapproprier le contenu narratif, simmerger dans lunivers de la fiction. Car cet univers, a priori hors de portée, est transmis par lintermédiaire du manuscrit, véritable lieu de rencontre entre lœuvre et son public. Au-delà de sa vocation de médiation, le manuscrit enluminé délivre un discours authentique qui exerce une influence sur le narrataire. Chaque copie apparaît comme une configuration singulière de lhistoire racontée, une façon parmi dautres de lui donner vie, de la faire exister. Le codex porte en lui les traces de ses conditions de production : mains, illustrations, rubriques, mise en page, notes, ratures, corrections… Toutes ces sources énonciatives stratifient la mise en discours de la matière littéraire, faisant des différentes copies enluminées conservées les témoins de lévolution des pratiques de lecture et de la réception du Tristan en prose à la fin du Moyen Âge.

Sylvie Fabre

Université dArtois,
laboratoire Textes et Cultures

1 M. Riffaterre, La production du texte, Paris, Seuil, 1979. Voir aussi J.-M. Goulemot, « De la lecture comme production de sens », Pratiques de la lecture, Payot-Rivages, 1985, Paris, p. 116-123.

2 W. Iser, LActe de lecture : théorie de leffet esthétique, Sprimont, éd. Mardaga, 1985.

3 A. J. Greimas, Sémantique structurale, Paris, Presses Universitaires de France, 1986, p. 27.

4 Le présent article sinscrit dans le prolongement dune thèse de doctorat soutenue il y a une douzaine dannées : S. Fabre, Les relations entre le texte et lillustration dans les manuscrits enluminés du Roman de Tristan en prose, depuis le retour de Tristan à Tintagel jusquà la fin de la folie de Tristan, Université Paris IV-Sorbonne, sous la direction de M. Philippe Ménard, 2004. Létude portait sur la première partie du roman (tome III de lédition R. L. Curtis, 1985 et tome I de lédition Ph. Ménard, 1987) à partir dun corpus de quinze manuscrits (xiiie-xve).

5 Trois éditions se sont succédé : celle du ms. 404 de la Bibliothèque municipale de Carpentras, menée par Renee Lilian Curtis et celles du ms. 2542 de la Bibliothèque nationale de Vienne et du ms. fr. 757 de la Bibliothèque nationale de France, dirigées par Philippe Ménard.

6 R. L. Curtis, Le roman de Tristan en prose, t. I, Munich, D.S. Brewer, Arthurian Studies, XII, 1963, p. 9.

7 E. Baumgartner, La harpe et lépée, Tradition et renouvellement dans le Tristan en prose, Paris, Sedes, 1990.

8 Ph. Ménard, « Chapitres et entrelacement dans le Tristan en prose », Et cest la fin pour quoy sommes ensemble. Littérature, Histoire et langue du Moyen-Âge. Hommage à Jean Dufournet, éd. J.-Cl. Aubailly, Paris, Honoré Champion, 1993, tome II, p. 955-962.

9 U. Eco, Lector in fabula, Paris, Le livre de poche, 2010 (1re éd. Paris, Grasset, 1985), p. 70-71.

10 E. Souchier, « Limage du texte, pour une théorie de lénonciation éditoriale », Les Cahiers de Médiologie, no 6, 1998, p. 137-145.

11 La sémiotique discursive distingue la situation dénonciation proprement dite (ici, tous les acteurs de la fabrication du codex, qui sont amenés à laisser des traces de leur intervention dans lénoncé-manuscrit) de lénonciation « énoncée » (ou simulacre énonciatif, cest-à-dire le récit), via laquelle un sujet (ici, le prosateur) simule la prise de parole pour raconter une histoire (lénoncé « énoncé »). Voir J. Courtès, Analyse sémiotique du discours, de lénoncé à lénonciation, Paris, Hachette, 1991, p. 245-286, et aussi J. Courtès et A. J. Greimas, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1994 ; ou encore D. Bertrand, Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, 2000.

12 E. Souchier, « Limage du texte, pour une théorie de lénonciation éditoriale », p. 137-145.

13 V. Lelièvre, « La page, entre texte et livre », Le livre et ses espaces, éd. A. Milon et M. Perelman, Nanterre, Presses Universitaires de Paris Nanterre, 2007, p. 155-172.

14 L. Hjelmslev, Essais de linguistique, Paris, éd. de Minuit, 1971.

15 Voir les concepts de ponctuation noire, blanche et grise développés par Nina Catach dans son ouvrage La ponctuation, Paris, PUF, 1994.

16 Voir plus haut, note 11.

17 M. Perret, « Lespace du texte : localisation et auto-référence dans la prose des xive et xve siècles », Littérales, 4, 1988, p. 191-198.

18 Sur les critères du découpage en chapitres et de la répartition des illustrations nous avons déterminé cinq familles, elles-mêmes organisées en sous-familles : famille A (Vienne ÖNB 2542, 2537 et 2539, Paris BnF fr. 776, BnF fr. 334, BnF fr. 335), famille B (Paris BnF, fr. 100, BnF fr. 97, BnF fr. 102, Genève BPU, fr. 189), famille C (Condé 648), famille D (Ludwig XV-5, Paris BnF fr. 99, Condé 645), famille E (Paris BnF, fr. 750).

19 S. Fabre, « Relations texte-image du Roman de Tristan en prose, ms. BnF fr. 334 », Pecia, 18, 2016, p. 177-199.

20 La reine Yseut chante son lai mortel dans le jardin du château de Tintagel, Paris BnF fr. 334, fol. 150v : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10509662s/f304.image consulté le 29 novembre 2017.

21 Voir D. Demartini, Miroir damour, miroir du roman. Le discours amoureux dans le « Tristan en prose », Paris, Champion, « Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge », 75, 2006.

22 Dans les miniatures, la harpe fait également lobjet dun traitement spécifique. Compte tenu de ces éléments et du contexte de production, nous émettons lhypothèse que cette copie du Tristan (qui date du premier tiers du xive siècle) a pu être réalisée pour une personnalité féminine de la cour de France (Fabre, « Relations texte-image »).

23 E. Véron, « Lanalyse du contrat de lecture : une nouvelle méthode pour les études de positionnement des supports presse », Les Médias, Expériences, recherches actuelles, applications, IREP, 1985.

24 Limage : fonctions et usages des images dans lOccident médiéval, actes du 6e « International Workshop on Medieval Societies », Centre Ettore Majorana, Erice, Sicile, 17-23 octobre 1992, éd. J. Baschet et J.-Cl. Schmitt, Cahiers du Léopard dOr, 5, Paris, Le Léopard dOr, 1996.

25 Sur la réception et linterprétation des images, voir notamment les travaux dE. Panofsky, LŒuvre dart et ses significations (Meaning in the Visual Arts, 1955), trad. M. et B. Teyssèdre, Paris, Gallimard, 1969 ; de M. Baxandall, Lœil du Quattrocento, Paris, Gallimard, 1985 ; ou de J. Wirth, LImage médiévale : naissance et développement, vie-xve siècle, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989 et LImage à la fin du Moyen Âge, Paris, Cerf, 2011.

26 Dans le manuscrit Paris BnF fr. 100 les scènes de rencontre entre Tristan et la demoiselle messagère envoyée par Palamède (fol. 150v et 156r) se transforment en scènes courtoises dun grand raffinement (auquel sajoute la somptuosité des décors et lélégance des costumes), en sorte que le lecteur peut légitimement se demander si limage nest pas en train de lui raconter une autre histoire : celle de la projection dune élite aristocratique, de sa culture et de ses valeurs sur la matière romanesque. Il en est de même à propos du ms. Vienne ÖNB 2537.

27 Voir G. Duchet-Duchaux, Liconographie : étude sur les rapports entre textes et images dans lOccident médiéval, Cahiers du Léopard dor, 10, Paris, Le Léopard dOr, 2001.

28 Le roi Marc empêche Yseut de mettre fin à ses jours, Genève BPU fr. 189, fol. 108v : http://www.e-codices.unifr.ch/fr/bge/fr0189/108v/0/Sequence-113 consulté le 29 novembre 2017.

29 Sagit-il dune confusion avec Daguenet, le fou du roi Arthur, qui ségare dans la forêt du Morois (I, § 169) et auquel Tristan (le fol de la fontaine) sen prend violemment ? Cette piste nest pas à exclure car Daguenet vient à plusieurs reprises au point deau fréquenté par les bergers, où il croise Tristan. Néanmoins, le fait que ces deux manuscrits datent du xve siècle – période à laquelle le Tristan en prose jouissait dune notoriété épanouie – plaide aussi en faveur dun choix délibéré de la part des peintres qui, en jouant sur lambiguïté liée au statut des deux fols, ont pu chercher à porter un autre regard sur lépisode.

30 Rencontre entre le roi Marc et Tristan atteint de folie, Paris BnF fr. 102, f. 164v : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9059120k/f167.image.r=tristan%20102 consulté le 29 novembre 2017.

31 Lien vers la miniature du ms. Paris BnF fr. 102, f. 164v, illustrant Tristan fou et le roi Marc : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9059120k/f167.image.r=tristan%20102

32 Cette illustration a déjà fait lobjet dune analyse. Voir S. Fabre, « Mise en texte, mise en page et construction iconographique dans les manuscrits enluminés conservant la version IV du Roman de Tristan en prose (mss. Getty Ludwig XV-5, Paris BNF fr. 99 et Chantilly, Musée Condé 645), Pecia, 13, 2010, 2011, p. 350-351.

33 Leffet produit est à ce point trompeur que A. Von Euw et J. M. Plotzeky avaient cru voir dans cette image Kahédin, couronné, arrivant à la source près de laquelle sont assis Lancelot et Palamède : « Kahédin, getrönt, trifft auf die einer Quelle sitzenden Palamedés und Lancelot », Die Handschriften der Sammlung Ludwig, Band 4, Köln, Schnütgen-Museum, 1985, p. 212.

34 Voir les fol. 212r, 236r, 261v notamment.

35 Lien vers la miniature du ms. Condé 645, f.236r, illustrant les combats du Chevalier à la Cote Maltaillée puis de Lancelot aux Destrois de Sorelois : https://www.photo.rmn.fr/archive/04-505042-2C6NU003UXYA.html.