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Classiques Garnier

L’optimisme du satiriste Mise en forme et en espace du texte, de l’image et de la musique dans le Roman de Fauvel interpolé (Paris, BnF, français 146)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 2, n° 34
    . varia
  • Auteur : Radomme (Thibaut)
  • Résumé : Le Roman de Fauvel, texte satirique du premier quart du xive siècle, existe en deux rédactions : la version originale (1310-1314) et la version interpolée (1316-1318). À travers l’analyse du rondeau Porchier mieus estre ameroie, d’éléments de l’épisode du charivari et de l’explicit du texte, cette étude montre que le Fauvel remanié s’enrichit d’une tonalité ludique, voire comique, absente du texte original, résultant d’une forme d’optimisme qui se fait jour chez le satiriste.
  • Pages : 239 à 257
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406077411
  • ISBN : 978-2-406-07741-1
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07741-1.p.0239
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 20/01/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Loptimisme du satiriste

Mise en forme et en espace du texte, de limage
et de la musique dans le
Roman de Fauvel interpolé
(Paris, BnF, français 146)

Le Roman de Fauvel est un texte satirique composé dans le milieu parisien de la chancellerie royale au début du xive siècle, racontant la carrière irrésistible et scandaleuse dun cheval roux hissé au sommet du pouvoir par le caprice de Fortune. Le cheval Fauvel, symbole de fausseté et dhypocrisie, synthèse de tous les vices, incarnation du Mal, est lhéritier direct du personnage de Renart – et à travers lui, de celui de Faux-Semblant dans le Roman de la Rose1 – dans les branches tardives et les poèmes épigones du Roman de Renart, en particulier dans Renart le Nouvel, poème dorigine lilloise de la fin du xiiie siècle et source dinspiration probable de notre roman2.

Il existe deux rédactions du Roman de Fauvel : la version originale, écrite en 1310 (livre I) et 1314 (livre II), attribuée à Gervais du Bus et conservée dans treize manuscrits, et une version remaniée et interpolée, composée vers 1316-1318, attribuée à Raoul Chaillou de Pestain et conservée dans un manuscrit unique, le ms. Paris, BnF, fr. 1463. Cette version est enrichie dune série de 78 miniatures et 169 pièces musicales latines et vernaculaires notées qui constituent une sorte de glose iconographique et musicale ininterrompue au texte4.

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Pris dans un jeu doscillations (français/latin, lyrique/narratif, textuel/musical), le Fauvel entre dans une dynamique formelle extrêmement féconde ayant des effets profonds sur le plan herméneutique. Cest ainsi une œuvre nouvelle, riche et complexe que le fr. 146 nous donne à lire, nécessitant une analyse tout particulièrement attentive. Le but de cet article est de poser quelques jalons dans létude des rapports entre le texte narratif du Roman et le texte lyrique des pièces musicales en examinant trois passages qui introduisent dans le Roman de Fauvel remanié un esprit de jeu, voire une touche comique.

Le rondeau
« Porchier mieus estre ameroie »

À la fin du premier livre du Roman de Fauvel, le manuscrit fr. 146 présente le rondeau suivant (fol. 10r) :

Porchier mieus estre ameroie

Que Fauvel torchier.

Escorchier ains me leroie.

Porchier mieus estre ameroie.

Nai cure de sa monnoie

Ne nai son or chier.

Porchier mieus estre ameroie

Que Fauvel torchier. (PM 30).

Ce rondeau, construit autour du mot-clé « porchier », exploite – en jouant sur sa proximité phonétique – la métaphore matricielle du Roman de Fauvel, « torchier Fauvel », cest-à-dire littéralement le brosser, létriller et donc, symboliquement, le caresser dans le sens du poil, le flatter. Cette locution, présentée dès lincipit du texte : « De Fauvel que tant voi torcher » (v. 1), constitue le grief essentiel exprimé par le satiriste au premier livre. Le fait que tous les états de la société, clercs et laïcs, faibles et puissants, soient accusés par le satiriste de torcher Fauvel explique dailleurs la structure, typique de la satire médiévale, qui informe le premier livre : le passage en revue des estats.

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Comme le signale Nancy Regalado5, le refrain (v. 1-2) est bâti sur lopposition entre le fait de torcher Fauvel (comportement commun, attendu et normal) et celui de préférer garder les cochons (comportement surprenant revendiqué par le je lyrique, identifiable au narrateur du Fauvel, le clerc-satiriste). Cette mise en contraste ne manque pas détonner du fait de la charge symbolique extrêmement négative du porc : bien quil soit considéré par les sociétés anciennes comme lanimal le plus proche de lhomme6, le porc est perçu comme une bête crasseuse et vile, symbolisant la luxure et la gourmandise au Moyen Âge. Nancy Regalado rappelle que Jésus envoie dans un troupeau de pourceaux les démons quil a chassés des corps de deux possédés (Mt 8, 30-34 ; Mc 5, 2-14 ; Lc 8, 27-34) et que la garde des cochons marque le degré ultime de la misère dans litinéraire du fils prodigue (Lc 15, 15)7. Jajoute que le caractère dévalorisant de la situation du porcher est passé dans la langue puisque le mot devient au xve siècle un terme dinjure pour désigner un « homme grossier, malpropre8 ».

Limage du porcher se retrouve, avec la même connotation avilissante, dans la tradition occitane de la porquiera, sous-genre parodique de la pastourelle exploitant à lenvi les motifs érotico-scatologiques et mettant en scène une gardienne de porcs au lieu de la bergère traditionnelle9, ou encore dans le corpus des sottes chansons –  contre-textes parodiques de la lyrique courtoise –, où les amants sont volontiers comparés à des porcs10. Signalons enfin quon retrouve une rime similaire à la rime -chier (mais non identique, le phonème /r/ étant omis) dans le Livre des Quatre Dames dAlain Chartier. Fondée sur les formes conjuguées de torchier et escorchier, elle est également destinée à charger lemploi de porcher dune connotation résolument négative :

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Que de voz peaulx

Vifs escorchiez

Soiez vous, et si bien torchiez

Que jamaiz ne vous renforchiez !

Telz gens deussent estre porchiez,

Ou faisans viles

Œuvres par citez et par villes,

Quant aux armes sont inutiles11.

Dans notre rondeau cependant, par comparaison avec le cheval Fauvel, les porcs se trouvent paradoxalement investis dune connotation positive et le fait de les garder devient, aux yeux du poète, une situation plus enviable que celle de torcher Fauvel avec la foule des flatteurs. Il préférerait encore se laisser escorchier, cest-à-dire se faire dépouiller de sa peau dhomme, renoncer à son humanité, comme le souligne Nancy Regalado, plutôt que de se soumettre à Fauvel : lanimalité infamante du porc lui semble préférable à lempire du cheval roux.

Ainsi, ce rondeau est porteur dune charge satirique et politique violente contre Fauvel : actualisation lyrique du geste dinjure et de mépris adressé au cheval par le satiriste, il est marqué par une outrance irrévérencieuse et potentiellement comique – du fait du rapprochement grotesque des porcs et du cheval – jusque dans la légèreté de ton résultant de lhétérométrie (vers de 5 et 7 syllabes), dans la sélection bien sentie de ladjectif chier à la rime – suggérant lavilissement scatologique charrié par son homonyme verbal – ou dans le choix du substantif or – dont lécho sonore parsème le poème et évoque, de façon paradoxale et donc piquante, ladjectif ord, « sale, répugnant ; vil, méprisable ». Lessentiel de la drôlerie et de linsolence de ce rondeau me semble pourtant résider ailleurs que dans le poème lui-même : il provient de sa mise en contexte – ou, pour mieux dire, sa mise en scène – au sein du manuscrit fr. 146. Le rondeau trône en effet au milieu du fol. 10r, le mot porchier étant mis en valeur au centre exact de la page par son initiale [figure 1 infra].

Au-dessus du rondeau, deux miniatures présentent un clerc devant un livre, « les mains jointes paume contre paume, les doigts tendus, orientés vers le haut, les bras à demi pliés12 », cest-à-dire en prière. Dans 243la miniature de gauche, le clerc agenouillé reçoit la visite du Saint-Esprit descendant sur lui, représenté par une colombe auréolée sortant des nuages, dont trois traits légers vont du bec vers la tête du clerc13 ; dans celle de droite, le clerc est cette fois assis, la jambe gauche croisée sur la cuisse droite, dans une position dautorité face à un attroupement de trois personnages qui se tiennent debout devant lui – probablement des aristocrates, ainsi que le suggèrent leurs cheveux longs et le gant, symbole possible du fief reçu en échange de lhommage féodal, que tient dans la main gauche le personnage à lavant-plan. Ces deux miniatures fonctionnent en lien avec une troisième (fol. 11r), où le même clerc, toujours assis devant un livre, est cette fois représenté lindex tendu obliquement face aux trois mêmes personnages se tenant debout.

Linterprétation de ces trois miniatures est claire : le clerc représente le satiriste narrateur du texte, le livre posé devant lui est son Roman de Fauvel, et la venue du Saint-Esprit signifie linspiration divine dont il nourrit sa réflexion et sur laquelle il fonde son action. Bien quil ne soit quun simple clerc admonestant des aristocrates, lintervention divine garantit et légitime le discours de vérité quil tient et qui doit amener son auditoire à samender et à corriger son comportement. Le satiriste est ainsi mis en scène en position de narrateur-prophète, selon lanalyse proposée par Jean-Claude Mühlethaler, afin de « faire valoir le dire-vrai du discours satirique et [] pallier la position de faiblesse dun locuteur qui, sans disposer dun pouvoir pragmatique de sanction, entreprend de juger ses contemporains14. » La légitimité du satiriste, garantie par son inspiration divine, est symbolisée par sa position assise, tandis que le rôle double de sa parole prophétique – à la fois proclamation du vrai et exhortation au changement – est représenté par le dessin de son doigt, « orienté obliquement et plus ou moins courbé, dans une position intermédiaire entre celle du commandement et celle de lexposé des idées15. »

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Parole dautorité divinement inspirée, enseignement et exhortation, posture prophétique : les deux miniatures placées au-dessus du rondeau Porchier mieus estre ameroie (ainsi que la troisième miniature au folio suivant) semblent trancher assez nettement avec les images grossières voire ordurières développées dans la pièce lyrique. Il en va de même pour le texte du Roman, qui propose – immédiatement avant le rondeau, en haut de la colonne centrale – une prière adressée par le narrateur à l« unicorn espirital » (v. 1211), cest-à-dire au Christ, afin de demander le bannissement de Fauvel hors de France :

He, unicorn espirital

Qui es plus clere que cristal,

Descent, car y met ta grace !

Ne sueffre plus que Favel face

Si ses ours tumber en ce monde !

De sa seite trop y habunde.

De France fay Fauvel banir ;

Trop la grevee de son hanir. (v. 1211-1218).

Lambiance de religiosité imprégnant le fol. 11r se trouve encore renforcée par le choix de lautre pièce musicale présente sur la page : un Alleluia de Pentecôte, « Veni Sancte Spiritus » (PM 31), qui présente la particularité dêtre à la fois la première pièce liturgique apparaissant dans le manuscrit et lune des deux seules pièces de plain-chant liturgique, lautre étant la teneur dun motet présenté au fol. 43r, « Firmissime fidem / Adesto Sancta Trinitas / Alleluia. Benedictus es » (PM 124)16. Or, ce motet à teneur liturgique est placé juste en face dun autre motet (fol. 42v, colonnes b et c) ayant quant à lui pour teneur le texte de notre rondeau : « Celi Domina / Maria, virgo virginum / Porchier » (PM 122). Le motet du fol. 42v – le seul des motets latins du manuscrit fr. 146 à présenter une teneur en français – est en fait adapté dun motet connu du xiiie siècle, composé sur la base de la liturgie de la Pentecôte (comme lAlleluia du fol. 10r)17. Au-dessus de ce motet à teneur française, en haut de la colonne centrale, une miniature représente un clerc agenouillé en 245prière devant une Vierge à lEnfant. Juste en-dessous de cette enluminure, le texte du Roman consiste en une prière adressée par le satiriste narrateur à la « dame du ciel esmeree » (v. 5829) :

Hee, dame du ciel esmeree,

De sains et de saintes honoree

Dedens la court celestial,

Car depri en especial

Ton douz filz, saveur du monde,

Que il Fauvel du tout confonde

Et nous toille lui et sestrille

Et sa suite qui tant est vile.

En ce faisant ne soiez feble :

Je le te pri par mi ce treble. (v. 5829-5838).

Implorant la Vierge dintercéder auprès du Christ pour quil précipite la chute de Fauvel, le satiriste accompagne sa demande de loffrande du treble qui suit, le motet à teneur française.

Ainsi, le texte « Porchier mieus estre ameroie » – dont jai souligné le caractère irrévérencieux, voire outrancier – est repris deux fois dans le manuscrit fr. 146, à trente-deux folios dintervalle (à la fin du premier et du second livre), dans une mise en espace strictement parallèle : sous la forme dun rondeau dabord, en guise de teneur dun motet latin ensuite. Dans chacune de ses actualisations, le texte satirique français est à la fois profondément en cohérence avec les éléments lenvironnant (une prière adressée au Christ ou à la Vierge pour demander lécrasement de Fauvel) et, sur un plan strictement formel, placé en contraste brutal avec ceux-ci, imprégnés de sacré et de religiosité. La manifestation de piété exprimée par la musique, liconographie et le texte romanesque se trouve, pour ainsi dire, dévoyée, désacralisée par le ton impertinent du poème.

La mise en scène du rondeau « Porchier mieus estre ameroie » est donc tout à fait remarquable parce quelle joue, de façon répétée, sur la confrontation des registres sacré et profane, sur le contraste entre le haut et le bas, sur la juxtaposition volontaire du savant et du trivial, respectivement véhiculés par les langues latine et française, dans un bouleversement impertinent des échelles de valeur, soustrayant à la norme du discours religieux pur et inaltéré la difformité de sa forme dévoyée, où le religieux se trouve mêlé de profane et de vulgaire. Ce rondeau est 246donc doublement irrévérencieux puisquil ne relève pas seulement du rire critique de la satire contre Fauvel, mais aussi – par la répétition de sa mise en contexte profanatrice – dune forme de parodie du discours religieux, héritière dune longue tradition bien connue (messes et sermons parodiques, hagiographies burlesques, Fête des fous, etc.18), présente aussi dans la littérature satirique animalière du Roman de Renart19.

Les noces de Fauvel et le charivari

Au cours du second livre du Roman de Fauvel, le cheval Fauvel prend pour épouse Vaine Gloire, la dame de compagnie de Fortune (voir v. 1988-1997). Cependant, lors de leur nuit de noces, une foule de vilains – déguisés, habillés de peaux de bête ou nus, les jambes poilues, les visages couverts de masques animaliers – se rassemblent dans un cortège de charivari20 mené par Hellequin21 et font du vacarme sous les fenêtres de la chambre nuptiale des jeunes époux (fol. 34r-fol. 36v). Lépisode interpolé du charivari est bien connu ; je concentrerai donc mon analyse sur le passage en revue succinct des chansons qui y sont insérées, puis 247sur lexamen plus approfondi dun élément de détail représenté dans la miniature en haut de la colonne centrale du fol. 34v : un étonnant chariot à roues manipulé par le géant Hellequin.

La rubrique introductive annonce que les participants au charivari chantent une douzaine de pièces musicales qualifiées de « sottes chansons22 » : « Ci sensivent sottes chansons, que ceus qui font le chalivali chantent parmi les rues. » (p. 584). Parmi ces douze chansons, les trois premières se rattachent à la tradition de la poésie du non-sens23, représentée essentiellement par la fatrasie et le fatras24. Cette veine poétique se propose dabolir le règne du sens et de la raison, entraînant, selon la typologie proposée par Paul Zumthor, un effet de non-sens relatif – provoqué par la juxtaposition de propositions non enchaînées logiquement – ou de non-sens absolu – basé sur la rupture du lien logique unissant le sujet au prédicat (des rats composant de la poésie, un muet parlant, etc.)25. La quatrième chanson repose sur lallitération /kēkēkē/, évoquant la cacophonie du charivari mais aussi leffrayant vacarme produit par la chasse infernale dHellequin. Inscrites dans une veine folklorisante, les chansons 5 à 9 cultivent la thématique carnavalesque du « bas matériel et corporel26 », exploitant des motifs obscènes, scatologiques et sexuels faisant écho à certains comportements rituels adoptés par les participants au charivari : montrer son cul au vent (v. 4901), jeter des excréments au visage (v. 4905), etc. Enfin, après un « Lai des Hellequines », pièce dinspiration courtoise longue de 120 vers, suivent encore trois chansons, dinspiration festive ou satirique27.

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Ces « sottes chansons » appartiennent à la troisième catégorie de la typologie du rire proposée par Armand Strubel : le comique pur, ou comique dévasion28, versant tantôt dans le non-sens, tantôt dans lobscénité et la scatologie. Elles représentent, de ce point de vue, une forme particulière de renversement carnavalesque, opposant aux deux critères linguistiques conditionnant la possibilité de toute communication apaisée (le langage se doit dêtre rationnel et sensé dune part, policé et respectueux dautre part) une actualisation irrationnelle et obscène de la langue. Alors que lattendu de tout locuteur est que le langage fasse sens, quil soit porteur dun message cohérent, lauteur du Roman de Fauvel, en faisant appel au répertoire fatrasique, introduit du non-sens et de labsurde au cœur de lépisode du charivari. De même, les motifs obscènes et scatologiques – typiques de la polarisation négative du carnavalesque – contredisent le second attendu normatif : celui de lurbanitas linguistique. Ainsi, les chansons du charivari sont loccasion dun rire dévasion et de défoulement, dans un geste brutal et topique de renversement carnavalesque du langage et, plus largement, de léchelle des valeurs du haut et du bas, du savant et du trivial.

Malgré la rubrique qui les introduit, les pièces musicales insérées dans lépisode du charivari ne semblent pas avoir pour fonction, ainsi quEdward Roesner et al. le suggèrent29, de consigner les chansons chantées par le cortège des charivaristes : contrairement aux paroles et chansons prononcées lors des charivaris historiquement attestés30, elles ne font en effet aucune mention des jeunes époux, de leur mariage ou du tribut de vin, dargent ou de nourriture dont le paiement est exigé des victimes pour que le chahut cesse ; elles ne font pas même référence au charivari en tant que tel. Dès lors, les chansons du charivari ne peuvent être considérées comme un simple témoignage historique de pratiques rituelles authentiques, mais constituent bien plutôt un élément signifiant 249inscrit au sein de lobjet littéraire complexe que représente lépisode du charivari dans le manuscrit fr. 146. Une question simpose donc : quelle est la fonction de ces chansons, et pourquoi le compilateur du Roman de Fauvel interpolé les a-t-il insérées dans son œuvre ?

Un élément du cortège produit sur le narrateur une impression particulièrement forte et mérite donc un examen approfondi. Il sagit dune espèce de chariot surmonté de deux grandes roues, décrit en ces termes :

Puis menoient un chariot ;

Dedens le chariot si ot

Un engin de roes de charetes,

Fors, reddes et moult tres bien faites

Et au tourner queles fesoient

Sis bastons de fer encontroient

Dedens les moieux bien cloez

Et boen atachiez ; or moez :

Si grant son et si variable,

Si let et si espoentable

A lencontrer fesoient donner

Que len noïst pas Dieu tonner. (v. 4887-4898).

Précédant immédiatement ces vers, une miniature (en haut de la colonne centrale du fol. 34v, figure 2 infra) représente un certain nombre de personnages de taille moyenne ou petite, montés à bord du chariot ou sagitant autour de lui, manipulant ses roues ou frappant un tambourin. Un dernier personnage enfin contrôle le mécanisme des roues : de grande taille et coiffé dun couvre-chef constitué de deux ailes doiseaux et habituellement chargé dans liconographie médiévale dune connotation diabolique – ou à tout le moins négative –31, il sagit du géant Hellequin.

Ce chariot à roues – dont Hellequin est le maître – ne peut manquer de rappeler les deux roues évoquées par le narrateur lorsquil brosse le portrait de Fortune aux vers 1906 et suivants : « Deus roes out devant Fortune / Qui touz jours tournient » (v. 1966-1967). Deux éléments textuels viennent consolider ce parallèle. Dabord, le choix de ladjectif « variable » pour qualifier le bruit produit par le chariot est 250très significatif. En effet, la variabilité, linconstance sont le propre de Fortune, ainsi quen témoigne cet extrait du Quadrilogue invectif dAlain Chartier : « Tant est affection humaine vaine chose et muable, quant celle desloyale voye a mise Fortune en ses variables œuvres32 », ou encore la collocation « Fortune variable » employée dans Le Mystère de la Passion de Troyes33, où lauteur joue sur leffet daccumulation phonique propre à la figure étymologique :

Ha, fortune tres varïable34,

Varïant varïablement,

Tu mas fait faire ung jugement

Dessus linnocent et le juste,

Le plus faulx et le plus injuste

Quoncques juge sentencïa !

Dès lors quelle affaiblit le rapprochement opéré entre Fortune et Hellequin, la traduction proposée par Armand Strubel (« inhabituel ») ne me paraît guère convaincante.

Le second élément justifiant ce rapprochement est amené par le vers 4886 : « Lun boute avant et lautre tire », dernier vers du fol. 34r, séparé de la description du chariot par la rubrique dintroduction déjà évoquée et les six premières « sottes chansons » (colonne a du fol. 34v) ainsi que par la miniature décrite ci-dessus (colonne b du fol. 34v), vers dont la cohésion avec ceux quil suit est garantie par la rime, et que pourtant la logique syntaxique et sémantique invite à joindre aux vers 4887 et suivants :

Li uns avoit tantins a vaches []

Li autres tabours et cimbales, []

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Dont si haus brais et hautes notes

Fesoient que nul ne puet dire.

Lun boute avant et lautre tire, [Ici sintercalent la rubrique, les chansons et la miniature.]

Puis menoient un chariot (v. 4877-4887).

Cette étonnante rupture ne peut manquer de mettre en valeur le vers 4886, anodin en apparence (il ne sagit à première vue que de décrire la façon dont le chariot est conduit) mais qui, à y regarder de plus près, fait écho à un autre lieu du texte :

Tout le monde, si com me semble,

A charue de chens resemble :

Lun trait avant, et lautre arriere.

Li seigneur vuelent trop grant estre

Et li souzgiez refont le mestre :

Cest le mestier de la civiere. (v. 1131-1136).

Quel est donc ce « métier de la civière », auquel le motet « Je voi douleur avenir » consacre le texte de son double ?

Fauvel nous a fait present

Du mestier de la civiere ;

Nest pas hons qui ce ne sent.

Je voi tout quant a present

Aler ce devant derriere.

Fauvel nous a fait present

Du mestier de la civiere. (PM 29, v. 7-13).

Le métier de la civière est une formule proverbiale faisant allusion à la place des porteurs de brancards, qui se trouvent tantôt à lavant, tantôt à larrière et symbolisent les revirements de la fortune35. Lexpression est également attestée sous la forme « jeu de la civière » – variante que rappelle le terme employé par lauteur du Fauvel pour décrire la récréation que trouve Fortune dans la distribution de ses bienfaits et de ses rigueurs : « A ce gieu Fortune sesbat » (v. 1976). De fil en aiguille, un lien déchos puissants unit donc en réseau les motifs des vicissitudes de Fortune, du jeu de la civière et du chariot de Hellequin.

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Ainsi, les roues de Hellequin constituent limage-miroir des roues de Fortune : à la rotation régulière, ordonnée, harmonieuse de celles-ci, répond le tintamarre provoqué par la manipulation de celles-là ; à lordre divin du monde quactualise laction de Fortune, fille de Dieu, soppose le désordre carnavalesque du chariot de Hellequin, dont le mécanisme provoque un vacarme si assourdissant « que len noïst pas Dieu tonner ». Au-delà du caractère stéréotypé dune expression figée36, la subordonnée consécutive prend ici un sens particulièrement fort : cest précisément le bruit provoqué par la rotation des roues de Hellequin – bruit impie signifiant métaphoriquement le bestournement de lordre divin du monde – qui rend inaudible la voix de Dieu, cette voix qui, ainsi que le narre la Genèse, a créé et ordonné lunivers par la parole.

Je posais plus haut la question de la fonction des « sottes chansons » du charivari. Le lecteur sera sans doute sensible au fait que les pièces musicales insérées là par le compilateur ont pour but dincarner le pendant musical au vacarme du chariot de Hellequin, cest-à-dire de constituer le son-miroir des autres chansons réunies dans le manuscrit fr. 146. Ces « sottes chansons » sont lactualisation, au sein de la glose musicale, de la « chanson au deable » évoquée par le narrateur dans le cours de sa description du charivari :

Avec eus portoient deus bieres

Ou il avoit gent trop avable

Pour chanter la chanson au deable ! (v. 4908-4910).

La chanson du diable, musique infernale et grotesque, musique discordante, est une anti-musique, cest-à-dire quelle représente – conformément à la théorie musicale médiévale, héritée de la pensée antique, dans laquelle la musique est perçue comme lexpression mathématique de lharmonie du monde – leffondrement de la consonance complexe et subtilement élaborée dans les autres pièces musicales du Roman (en particulier les motets, forme soumise aux lois de lharmonie sil en est) et, par conséquent, le dévoiement du discours philosophique porté par la prosopopée de Fortune (v. 2149-2918 et 3883-3995), discours qui avait précisément pour objet de révéler à Fauvel les mystères de lordre divin et de lharmonie subtile du monde.

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En résumé, Hellequin en maître du charivari est limage inversée de Fortune en maîtresse du monde ; le chariot à roues du funeste géant représente l« engin » contraire des roues de la déesse ; les chansons intégrées à lépisode du charivari actualisent le caractère dissonant de lanti-musique du diable, à lopposé de lharmonie des autres pièces du Roman de Fauvel. Au monde divinement ordonné de Fortune répond point par point le monde carnavalesque, bestourné du charivari, dont linversion brutale des pôles du haut et du bas, lisible dans les comportements déréglés des participants au cortège, se trouve ultimement exprimée dans lobscénité ou labsurdité des « sottes chansons » qui laccompagnent. Une nouvelle parodie se fait donc jour dans ce deuxième passage : celle du discours philosophique de Fortune, où les notions dordre et dharmonie quil présentait se trouvent dévoyées par la mise en scène dun cortège grotesque nourri de licence et de débauche.

Lexplicit du Roman de Fauvel

Le caractère comique – ou à tout le moins ludique – de ces épisodes parodiques me paraît affirmé par la fin du Fauvel, en un passage que janalyserai pour conclure. En effet, lexplicit du texte, citation dun colophon latin bien attesté par ailleurs, est le suivant : « Explicit, expliceat / Ludere scriptor eat. » (fol. 45r) Exprimant la satisfaction du copiste à lachèvement de sa tâche et son désir de délassement, ce type de colophon trouve parfois un prolongement dans lexpression hédoniste dune faim de nourritures terrestres (vin, bière, mets variés)37.

Bien quil soit parfaitement formulaire, il convient de noter que ce colophon nest pas placé après la fin du Roman (cest-à-dire à lissue de lacte de copie) comme attendu, mais quil est intégré au cœur du dernier folio, intercalé entre le dernier vers du texte narratif (sur la colonne centrale) et deux pièces musicales (disposées en forme de U sur les colonnes de gauche et de droite et le bas de la colonne centrale), à savoir une chanson à boire : « Quant je le voi ou voirre cler / Volentiers 254mi vueil acorder [] » (PM 130) et un refrain à boire : « Ci me faut un tour de vin. / Deus ! quar le me donnez ! » Ces deux pièces musicales, qui viennent, en encadrant visuellement la dernière colonne de texte, littéralement envelopper le colophon, lui font écho de manière transparente : elles prolongent en effet, dans la langue vernaculaire, sa tonalité ludique et développent le thème dinspiration bacchique quil contient en germe et qui, par effet de résonance avec dautres colophons où il est déployé, est probablement attendu par le lecteur.

Ainsi, en insérant à cet endroit stratégique du Roman des airs à boire, en proclamant sa soif damusement et de distraction, le clerc-satiriste place sans équivoque la réception de son texte dans une perspective joyeuse et ludique : cet explicit guilleret résonne dès lors comme le réinvestissement signifiant dun lieu commun codicologique, comme la remotivation sémiotique – en forme de caveat lector – dun colophon devenu topique et donc a priori vidé de son sens ; il constitue une clé de lecture, offerte au lecteur à la fin du texte et linvitant, à la manière dont Ovide le fait à la fin des Métamorphoses, à le relire sous un éclairage nouveau. Ce balisage, rendu dautant plus flagrant quil est démultiplié, est manifestement destiné à guider la lecture en soulignant a posteriori lintention ludique du Roman de Fauvel remanié.

Ainsi que le suggère lanalyse de la mise en forme et en espace du dialogue entre les trois moyens dexpression quelle convie (texte, image et musique), la réécriture du Roman de Fauvel par Chaillou de Pestain semble donc marquée par un esprit de jeu, une humeur ludique qui nétaient pas présents chez Gervais du Bus et qui la placent sous le signe dun optimisme et dun espoir inédits, résumables par la formule suivante : si Fauvel est monté au sommet de la roue de Fortune, il faudra bien quil en redescende tôt ou tard.

Lanalyse des causes de lémergence dun tel optimisme dans la version remaniée du Roman de Fauvel mérite une enquête approfondie ; je souhaiterais me contenter ici de suggérer que la mort le 29 novembre 1314 de Philippe IV le Bel (dont le règne fut controversé, particulièrement à la fin), lexécution le 30 avril 2015 de son ministre et chambellan Enguerrand de Marigny (personnage que la critique a cru reconnaître derrière le masque allégorique de Fauvel38) et le couronnement de 255Philippe V le Long le 9 janvier 1317 (qui met fin à la plus grave crise de succession quait connue la dynastie capétienne) – tous événements survenus entre la rédaction du Fauvel original et celle de son remaniement – permettent déclairer loptimisme du compilateur – un état desprit nouveau déjà signalé par Susan Rankin39.

Parce quil constituerait, daprès certains critiques, une admonitio – entremêlant conseils, mises en garde et reproches – adressée au roi nouvellement couronné40, le Roman de Fauvel remanié se trouverait ainsi nourri par lespoir, matérialisé dans le ton ludique du texte, que le règne de Philippe tranche avec les années troublées layant précédé et dessine enfin les contours dun futur meilleur – un temps où lautorité royale et la dignité papale seraient restaurées, et où tous les Fauvel du monde, imposteurs, arrivistes, hypocrites, se trouveraient impitoyablement précipités au bas de la roue de Fortune.

Thibaut Radomme

Aspirant FNRS
Université Catholique de Louvain
– Université de Lausanne

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Fig. 1 – Rondeau satirique, Paris, Bibliothèque nationale de France,
français 146, fol. 10 r., col. b-c.

257

Fig. 2 – Le chariot à roues du Roman de Fauvel, Paris,
Bibliothèque nationale de France, français 146, fol. 34 v.

1 Voir G. W. Fenley, « Faus-Semblant, Fauvel, and Renart le Contrefait : A Study in Kinship », Romanic Review, 23, 1932, p. 323-331 et A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel : la limite de la personnification », La Personnification du Moyen Âge au xviiie siècle, éd. M. Demaules, Paris, Garnier, 2014, p. 109-128.

2 J. Haines, Satire in the Songs of Renart le Nouvel, Genève, Droz, 2010, p. 200-219.

3 É. Lalou, « La Chancellerie royale à la fin du règne de Philippe IV le Bel », Fauvel Studies : Allegory, Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS Français, 146, éd. M. Bent et A. Wathey, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1998, p. 307-319.

4 Le Roman de Fauvel, éd. A. Strubel, Paris, Librairie Générale Française, 2012.

5 N. F. Regalado, « Le porcher au palais : Kalila et Dimna, Le Roman de Fauvel, Machaut et Boccace », Études littéraires, 31, 2, 1999, p. 119-132.

6 M. Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, 2004, p. 43-44.

7 Regalado, « Le porcher au palais », p. 123.

8 Entrée « porcher » du Dictionnaire du Moyen Français consultable sur le site de lATILF.

9 P. Bec, Burlesque et obscénité chez les troubadours. Le contre-texte au Moyen Âge, Paris, Stock, 1984, p. 184-190.

10 Voir en particulier la confusion entre pucelle et porcel exploitée par la sotte chanson no 22 : « Sottes chansons contre Amours » : parodie et burlesque au Moyen Âge, éd. E. Doss-Quinby, M.-G. Grossel et S. N. Rosenberg, Paris, Champion, 2010, p. 66-67.

11 The Poetical Works of Alain Chartier, éd. J. C. Laidlaw, Cambridge, Cambridge University Press, 1974, p. 225, v. 900-907.

12 F. Garnier, Le langage de limage au Moyen Âge, vol. 1, Signification et symbolique, Paris, Le Léopard dOr, 1982, p. 212.

13 « Lillustration fait écho aux représentations de linspiration par lEsprit chez certains saints, notamment saint Grégoire. » (J.-Cl. Mühlethaler, Fauvel au pouvoir : Lire la satire médiévale, Paris, Champion, 1994, p. 418).

14 J.-Cl. Mühlethaler, « Les masques du clerc pour parler aux puissants. Fonctions du narrateur dans la satire et la littérature ‘‘engagée’’ aux xiiie et xive siècles », Le Moyen Âge, 96, 1990-1992, p. 266-286, ici p. 286. Voir aussi à ce sujet : J.-Cl. Mühlethaler, « Le poète et le prophète. Littérature et politique au xve siècle », Le Moyen Français, 13, 1983, p. 37-57.

15 Garnier, Le Langage de limage au Moyen Âge, vol. 1, p. 170.

16 A. W. Robertson, « Local Chant Readings and the Roman de Fauvel », Fauvel Studies : Allegory, Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS Français, 146, éd. M. Bent et A. Wathey, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1998, p. 495-524, ici p. 500.

17 E. Dahnk, Lhérésie de Fauvel, Leipzig, Romanisches Seminar, 1935, p. 207-208.

18 G. Minois, Histoire du rire et de la dérision, Paris, Fayard, 2000, p. 119-124.

19 Haines, Satire in the Songs of Renart le Nouvel, p. 193-195.

20 Le charivari, rituel folklorique, consiste en un cortège bruyant, un chahut réalisé au moyen dustensiles de cuisine et dinstruments de musique rudimentaires (crécelles, claquoirs, etc.), destiné à dénoncer les comportements déviants repérés dans le corps social – en particulier les mariages mal assortis. Sur le rite du charivari, en général et dans le Roman de Fauvel, la bibliographie est très abondante. Je renvoie en priorité vers les études suivantes : H. Rey-Flaud, Le charivari : Les rituels fondamentaux de la sexualité, Paris, Payot, 1985 ; J.-Cl. Schmitt, « Les masques, le diable, les morts dans lOccident médiéval », Razo, 6, 1986, p. 87-119 ; N. F. Regalado, « Masques réels dans le monde de limaginaire. Le rite et lécrit dans le charivari du Roman de Fauvel », Masques et déguisements dans la littérature médiévale, éd. M.-L. Ollier, Montréal/Paris, Presses de lUniversité de Montréal/Vrin, 1988, p. 111-126 ; E. H. Roesner, F. Avril et N. F. Regalado, « Introduction », Le Roman de Fauvel in the Edition of Mesire Chaillou de Pesstain. A Reproduction in Facsimile of the Complete Manuscript Paris, Bibliothèque Nationale, Fonds Français 146, New York, Broude, 1990, p. 10-15 ; J.-Cl. Mühlethaler, Fauvel au pouvoir, p. 130-138.

21 Hellequin, roi infernal, est le chef de la Mesnie Hellequin, chevauchée des âmes damnées attestée dès la première moitié du xiie siècle dans lHistoria Ecclesiastica dOrderic Vital. Voir M. Lecco, Il motivo della Mesnie Hellequin nella letteratura medievale, Alessandria, Ed. dellOrso, 2001 ; K. Ueltschi, La Mesnie Hellequin en conte et en rime, Paris, Champion, 2008.

22 Sur cette appellation problématique signalée par P. Zumthor, Langue et techniques poétiques à lépoque romane (xie-xiiie siècles), Paris, Klincksieck, 1963, p. 162, voir largumentation éclairante de P. Uhl, « Les ‘‘sotes chançons’’ du Roman de Fauvel (Ms E) : la symptomatique indécision du rubricateur », French Studies, 45, 4, 1991, p. 385-402, ici p. 393.

23 L. C. Porter, La Fatrasie et le fatras. Essai sur la poésie irrationnelle en France au Moyen Âge, Genève, Droz, 1960 ; P. Uhl, La Constellation poétique du non-sens au Moyen Âge (onze études sur la poésie fatrasique et ses environs), Paris, Université de La Réunion / LHarmattan, 1999. Une édition récente de ces textes est disponible : Poésies du non-sens, xiiie-xive-xve siècles, 2 vol., éd. M. Rus, Orléans, Paradigme, 2005-2010.

24 P. Uhl, « ‘‘Fatras’’ et ‘‘Fatrasie’’ : un imbroglio étymologique et typologique », Expressions, 17, 2001, p. 57-80.

25 Zumthor, Langue et techniques poétiques à lépoque romane, p. 161-171.

26 M. Bakhtine, LŒuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970, p. 9-67 et 366-432.

27 Pour une analyse détaillée des « sottes chansons » du charivari, voir Uhl, La Constellation poétique du non-sens au Moyen Âge, p. 129-144.

28 A. Strubel, « Le rire au Moyen Âge », Précis de littérature française du Moyen Âge, éd. Daniel Poirion, Paris, Presses universitaires de France, 1983, p. 186-213, ici p. 194-196.

29 Roesner, Avril et Regalado, « Introduction », p. 13.

30 Le souvenir de ces charivaris nous a été transmis par une douzaine de documents – datant des années 1320 à la fin du xvie siècle – consistant essentiellement en des condamnations ecclésiastiques de cette pratique. Ces documents historiques évoquent entre autres des « injurias, carmina, libellos diffamatorios contra eosdem sponsos » (Meaux, 1365) (cité daprès F. Lebrun, « Le Charivari à travers les condamnations des autorités ecclésiastiques en France du xive au xviiie siècle », Le Charivari, éd. J. Le Goff et J.-C. Schmitt, Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1981, p. 221-228, ici p. 224-225).

31 R. Mellinkoff, « Demonic Winged Headgear », Viator, 16, 1985, p. 367-381 + 28 ill. ; F. Garnier, Le Langage de limage au Moyen Âge, vol. 2, Grammaire des gestes, Paris, Le Léopard dOr, 1989, p. 81-83.

32 Alain Chartier, Le Quadrilogue invectif, éd. Florence Bouchet, Paris, Champion, 2011, p. 48, l. 11-13.

33 Le « Mystère de la Passion » de Troyes, éd. J.-Cl. Bibolet, Genève, Droz, 1987, t. 2, p. 906, v. 3354-3359.

34 Le choix de léditeur de ne pas mettre de majuscule au mot fortune est peu compréhensible, étant donné que le personnage de Pilate qui prononce ces mots interpelle – en la tutoyant – la fortune personnifiée (le v. 3375, qui fait de Fortune lagent de laction exprimée par le verbe de la subordonnée conditionnelle, ne laisse dailleurs planer aucun doute : « Se fortune me vouloit nuyre [] »). Ce choix est dautant plus surprenant quen un autre endroit, léditeur met cette fois la majuscule dans une tournure pourtant strictement parallèle : « Ha, Fortune, forte ennemye, / Fortune, beste desguisee / et tout mal faire advisee » (t. 1, p. 366, v. 7604-7606).

35 G. Raynaud, « Le Dit des outils de lhôtel (ms. du Musée Condé) », Romania, 28, 109, 1899, p. 49-60, ici p. 59 ; G. Di Stefano, Nouveau dictionnaire historique des locutions : ancien français, moyen français, Renaissance, Turnhout, Brepols, 2015, vol. 1, p. 336 et p. 889.

36 Elle est en effet abondamment attestée dans la littérature, voir lentrée « tonner » du Dictionnaire du Moyen Français consultable sur le site de lATILF.

37 C. H. Haskins, The Renaissance of the Twelfth-Century, Londres, Harvard University Press, 1957, p. 74-75.

38 M. Bent, « Fauvel and Marigny : Which Came First ? », Fauvel Studies : Allegory, Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS Français, 146, éd. M. Bent et A. Wathey, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1998, p. 35-52.

39 S. Rankin, « The Divine Truth of Scripture : Chant in the Roman de Fauvel », Journal of the American Musicological Society, 47, 2, 1994, p. 203-243, ici p. 238.

40 Voir entre autres E. Dillon, « The Profile of Philip V in the Music of Fauvel », Fauvel Studies : Allegory, Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS Français, 146, éd. M. Bent et A. Wathey, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1998, p. 215-231, ici p. 227 ; A. Wathey, « Gervès du Bus, the Roman de Fauvel, and the Politics of the Later Capetian Court », Fauvel Studies : Allegory, Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS Français, 146, éd. M. Bent et A. Wathey, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1998, p. 599-613.