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Classiques Garnier

Introduction [de la première partie]

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Introduction

Lhistoire du peuple et de son rapport au politique a connu ces dernières années un profond renouvellement des perspectives historiographiques qui conduisent à reprendre à nouveaux frais un certain nombre de problèmes, notamment la question du rapport du peuple à la violence et celle de son interprétation en termes politiques. Le temps nest plus guère en effet où les historiens pouvaient se contenter de reprendre, sans trop de discernement, les jugements quelque peu lapidaires des chroniqueurs médiévaux attribuant aux passions irrationnelles et irraisonnées du peuple ces flambées de violence quils condamnaient avec virulence1. Bien au contraire, à la suite des sociologues et des anthropologues, les médiévistes, quil sagisse des littéraires, des historiens ou des historiens de lart, ont appris à manier le concept de violence symbolique et à se détacher du paradigme des affects pour interroger les modalités et les caractéristiques dune violence populaire dans laquelle ils se plaisent aujourdhui à reconnaître un système gradué, sinon ritualisé, qui constitue une réponse à la violence légitime exercée par les forces de domination sociale que constituent aussi bien lordre seigneurial que la puissance monarchique. Passer pourtant dune grille dinterprétation sommaire qui faisait des violences populaires en contexte de révolte le signe dune immaturité politique à une lecture fondée sur une stricte ritualisation des phénomènes de rébellion2 ne suffit toutefois pas à épuiser la question dans la mesure où cela revient à sous-estimer les capacités des populaires à élaborer leurs propres codes de représentation et daction politique. Or, sils peuvent sinspirer des codes de la violence légitime, les populaires ne se contentent généralement pas de les détourner et se 14montrent capables de mettre en œuvre un usage aussi fin que signifiant dune violence qui fait système et se révèle bien plus complexe que ce à quoi lon aurait pu sattendre de prime abord. Au cours de révoltes où la mise à mort savère relativement rare, le stade ultime de la violence semble, plus que le viol ou la mutilation de cadavres, labolition dune distance sociale conçue comme infranchissable, à linstar dun Wat Tyler appelant Richard II « frère » ou de Capeluche partageant un verre de vin avec le duc de Bourgogne, Jean sans Peur3, autant de comportements quà plusieurs siècles de distance, nous nidentifions pas immédiatement comme des actes de violence. Reste donc que sil est légitime didentifier la rébellion comme un langage politique commun que partageraient élites et populaires4, rien ninterdit de voir dans la violence lun des éléments clés de ce langage. Enfin, aux antipodes de la théorie si en vogue actuellement chez certains médiévistes dun consentement des dominés aux formes de domination sociale qui leur sont imposées, ce dossier a aussi pour modeste ambition de remettre en lumière les contestations mises en œuvre par les populaires, quelle que puisse être lacception que lon donne à ce terme5.

Dans le cadre dun dossier aussi restreint, il ne pouvait cependant être question daborder une thématique aussi globale que celle de la violence. Cest pourquoi il nous a paru opportun de restreindre quelque peu notre perspective en choisissant comme thème de réflexion le meurtre en politique et même, plus précisément, le meurtre en contexte de rébellion. Le meurtre en politique donc et non le meurtre politique, ce qui permettait décarter de notre propos le volet par trop volumineux des innombrables assassinats perpétrés au sein des milieux seigneuriaux ou princiers et dont celui qui, le 23 novembre 1407, mit fin à la vie du duc dOrléans et entraîna le royaume de France dans la guerre civile constitue lun 15des exemples les plus éclatants6. Mais, de même que Bernard Guenée a pu montrer à quel point le meurtre de Louis dOrléans était révélateur des structures dune société, de même ambitionnons-nous de montrer que le meurtre en politique, relativement rare au demeurant, est à la fois lacmé et le révélateur dune manière de se rebeller et du sens à donner à une rébellion.

Dans la langue française actuelle, les mots pour dire le meurtre sont variés et, bien souvent, lusage courant brouille les frontières établies par le droit : les mots « assassinat7 », « meurtre8 », « exécution9 » ou encore « homicide » ou « crime » sont loin dêtre synonymes. Ainsi pour la langue du droit, lhomicide peut être involontaire ou volontaire et dans ce second cas il peut sagir dun meurtre ou dun assassinat. Le mot « meurtre », dans la sphère du droit, renvoie à lacte de celui qui tue volontairement mais sans préméditation ni guet-apens alors que dans le langage courant, il sentend comme homicide volontaire avec ou sans préméditation. Cest le mot « assassinat » qui prend en charge les catégories de préméditation et de guet-apens. Mais toutes ces nuances lexicales sont-elles pertinentes pour le Moyen Âge ? Claude Gauvard a bien montré, dans son ouvrage « De Grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge10, que loutillage mental pour dire le crime ou le meurtre en politique a évolué, selon que lon adopte une posture morale, religieuse, juridique… Elle a notamment souligné que le vocabulaire pour dire le crime évolue plus nettement à partir dun contemporain de Froissart, Jean de Venette, dans les années 1340-1345, surtout dans la langue latine, la langue française étant un témoin plus tardif de cette évolution.

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Pour envisager la question de lhomicide, la mentalité médiévale privilégie une approche circonstancielle des faits. Dans cette vaste littérature coutumière qui élabore « une casuistique circonstancielle », on retiendra notamment les Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir (c. 1283). Lauteur se propose de faire le départ entre meurtre et homicide en prenant en compte non lintentionnalité de lacte mais le mode opératoire. « Lhomicide est commis en “chaude mellee”, cest-à-dire sous linspiration de la colère ou de la provocation. À linverse, le meurtre suppose certaines circonstances de moyen, comme le guet-apens, ou de temps comme laccomplissement du forfait de nuit ou en période de trêve [] », souligne Pascal Texier11. Toutefois, Beaumanoir préfigure en quelque sorte la problématique de la préméditation dans son approche du meurtre en lien avec la trahison. On connaît son célèbre axiome : « Nus meurdres nest sans traïson, mes traïson est bien sans meurdre en moult de cas. »

Pour autant, le meurtre commis en contexte de rébellion est-il toujours un « geste réglé [] collectif et prémédité » comme laffirmait, dans un article devenu classique, Robert Jacob à propos de lhomicide seigneurial en sappuyant, entre autres, sur le spectaculaire assassinat du comte de Flandre Charles le Bon en 1127 et sur, celui, moins connu, dArnoul III dArdres, égorgé par ses propres paysans aux alentours de 114012 ? Notre dossier ne pouvait faire léconomie dune telle interrogation sur la ritualisation des mises à mort perpétrées par les populaires mais la réponse quy apportent les articles qui suivent est plus nuancée quil ny paraît, Rafael Oliva Herrer montrant en particulier que des meurtres aussi bien réglés que celui du commandeur de lordre de Calatrava à Fuenteovejuna coexistent avec des exécutions bien plus discrètes, à linstar de celle dont fut victime lévêque dOurense en 1429. Certes, de tels meurtres paraissent généralement emprunter à la fois au registre du détournement du rituel judiciaire dexécution pour le retourner contre les détenteurs du pouvoir et à celui du meurtre par conjuration qui se traduit par leffusion du sang et la multiplicité des coups portés afin de mieux affirmer une responsabilité collective dans la mise à mort. La mort du bailli de Gand, Roger dAuterive, retracée 17par Christiane Raynaud, semble ainsi obéir au ballet bien ordonné de loccupation du marché du Vendredi par les Chaperons blancs en armes et intervenir dans le cadre dun rassemblement ritualisé proche de ce que les sources flamandes qualifient de wapening13, de même que le meurtre des maréchaux qui entouraient le dauphin Charles en 1358 ou celui des conseillers du roi dAngleterre, Richard II – évoqué ici par Christopher Fletcher – répond à la logique politique et collective de lexécution des mauvais conseillers qui entourent le souverain. Encore semblerait-il, si lon en croit certaines sources, que le dauphin Charles qui, après tout, nétait pas roi et ne bénéficiait donc pas à plein du caractère sacré qui protégeait la personne royale, manqua de peu dêtre tué à cette occasion de la main dun certain Pèire Gili, épicier méridional installé à Paris et dont les annales montpelliéraines permettent de suivre la trace. Mais la possibilité du meurtre du dauphin de même que, à la suite du meurtre des maréchaux, lassassinat de Regnault dAcy, avocat au Parlement, incitent à rester prudent et à se demander si le meurtre nest pas aussi, parfois, question de circonstance.

Enfin, ce dossier offrait aussi loccasion de sinterroger sur lécho et la postérité de tels meurtres et sur la manière dont chroniqueurs médiévaux et historiens du xixe siècle en rendirent compte. Si le meurtre de Roger dAuterive relaté par Jean Froissart eut les honneurs de plusieurs miniatures dans des manuscrits parisiens du début du xve siècle, si celui de Jacques dArtevelde ne cessa dêtre commenté tant par les historiens français que belges, lépisode de Fuenteovejuna ne se contenta pas dinspirer les chroniqueurs Alfonso de Palencia et Francisco Rades y Andrada, mais passa à la postérité sous la plume de Lope de Vega à travers cette double interrogation :

-¿Quién mató al Comendador?

-Fuenteovejuna, Señor.

-¿Quién es Fuenteovejuna?

-Todo el pueblo, a una.

Mais pour le lecteur français, aucune de ces figures natteint la popularité dun Étienne Marcel dont Christian Amalvi retrace ici les 18mutations successives dans la mémoire historique et historiographique du royaume puis de la République Française qui, au terme dun long processus, fit dun traître un héros et dun complot avec le roi de Navarre une véritable « révolution » parisienne. À cet égard, les Chroniques14 de Froissart offrent un champ dexploration privilégié pour examiner la question du meurtre en politique, lui qui narre après dautres les meurtres de Jacques dArtevelde, celui des Maréchaux ou celui, célébrissime, dÉtienne Marcel. Le chroniqueur privilégie des mots relativement neutres pour décrire ces meurtres, le verbe occire domine très largement. Si le verbe « occire » est neutre en langue médiévale, il conserve néanmoins la trace de son étymon latin qui renvoie à la violence dans la mesure où occidere signifie « couper, mettre en morceaux, massacrer ». Ce verbe peut être redoublé par « meurdrir15 » qui donne une nouvelle coloration, oscillant entre le meurtre et lassassinat politique. Le meurtre de Jacques dArtevelde fait lobjet dune véritable mise en scène théâtrale orchestrée par un jeu entre le clos et louvert : le tribun, à la fenêtre, entame le dialogue avec la foule assemblée16. Le chroniqueur souligne la 19solitude dArtevelde face à la vindicte populaire en une représentation sacrificielle dont témoigne encore la gestuelle du personnage : les mains jointes, les pleurs, sa voix douce face à la foule qui gronde dune seule voix… Si le personnage tente vainement dobtenir merci, la mise en scène de Froissart vise surtout à attirer la compassion du lecteur sur son personnage. Le dialogue qui sengage entre laccusé et ses détracteurs rejoue la procédure inquisitoire en raccourci voire dans un précipité : le but est de faire avouer sa culpabilité à laccusé. Il serait intéressant de comparer la narration du meurtre de Jacques dArtevelde avec la mort dÉtienne Marcel dans les Chroniques de Froissart. Les circonstances de la mort de Marcel sont très détaillées et le chroniqueur met en scène Marcel et son meurtrier, Maillard, dialoguant avant le coup fatal. Chez Froissart, la trahison du prévôt est avérée. Quant à la dimension pathétique, elle est fort différente de celle du meurtre de Jacques dArtevelde. Les événements senchaînent rapidement à limage du coup de hache de Jean Maillard qui coupe court à tout atermoiement17. On relève que le récit froissartien est suffisamment elliptique et ambigu pour avoir permis de détrôner Marcel de son statut héroïque et de le remplacer par Maillard dans certaines réinterprétations qui ont été faites de lévénement au xixe siècle. Si le meurtre de Jacques dArtevelde ne fonctionne pas comme récit matriciel de la narration du meurtre de Marcel, létude 20des travaux historiographiques du xixe siècle témoigne de ce que les parallèles entre ces deux meurtres politiques proviennent bien dune reconstruction ultérieure des historiens comme Guizot18 ou Henri Martin, pour qui « Marcel reste la plus grande figure du xive siècle19 », et non des sources médiévales.

Christian Amalvi a souligné le rôle majeur joué par lérudition française dans la fabrique du personnage dÉtienne Marcel. Les éditeurs, plus ou moins heureux, des Chroniques de Froissart ont chacun joué leur partition dans le concert discordant ayant pour thème Étienne Marcel. Dans son mémoire sur Étienne Marcel, Lacabane croise toutes les principales sources contemporaines ou presque de lévénement, Villani, les Chroniques de Saint-Denis, le continuateur de Nangis, et surtout Froissart, et donne une image très positive, non dÉtienne Marcel mais de son meurtrier, Jean Maillart, dont il évoque « le dévouement et les services de ce courageux citoyen ». Pour Lacabane, Jean Maillart a purement et simplement détrôné Marcel de son statut héroïque. Cest surtout du côté de Siméon Luce, éditeur des Chroniques, quil faut rechercher un vrai travail scientifique sur lhistoire de la Jacquerie et, partant, sur Étienne Marcel. Pour ce dernier, « la figure dÉtienne Marcel reste une des plus brillantes de notre histoire20 ». Ainsi, le meurtrier et la victime ont tour à tour endossé le statut de héros et de victime sacrificielle avant quÉtienne Marcel ne soit totalement réhabilité, sans nul doute aussi en raison de la relecture de sa geste passée au prisme de celle de Jacques dArtevelde.

Le prévôt des marchands de Paris a ainsi pu être tour à tour identifié à un Jacques dArtevelde français, un Danton médiéval, un Mirabeau médiéval par les modérés, à Robespierre par lextrême-gauche, ou à une figure diabolique par les contre-révolutionnaires… Étienne Marcel poursuit son chemin entre réappropriation, petits aménagements avec lhistoire jusquà lhommage à mots couverts que lui rend Mitterrand en 1981, lors de sa réception à lHôtel de Ville de Paris. On pourrait encore signaler ce dernier avatar de la fortune dÉtienne Marcel, son 21nom ayant été choisi en 2009 comme prix récompensant les PME et PMI franciliennes qui mettent la personne humaine au centre de leur développement et valorisent la citoyenneté. Dernier hommage en date rendu à cette figure de citoyen qui incarne désormais le sacrifice consenti de sa vie pour le bien de la communauté.

Vincent Challet

Université Paul-Valéry Montpellier 3

Patricia Victorin

Université de Bretagne-Sud Lorient

1 Voir, pour une première réflexion densemble sur le sujet, le volume collectif Violence et contestation au Moyen Âge, Paris, Éditions du C.T.H.S, 1990.

2 On reconnaîtra ici la lecture proposée par Cl. Gauvard, « Les révoltes du règne de Charles VI : tentative pour expliquer un échec », Révolte et société. Acte du IVe Colloque dHistoire au Présent, Paris, 1989, t. 1, p. 53-61.

3 Sur ces aspects, voir V. Challet, « Violence as a Political Language : The Uses and Misuses of Violence in Late Medieval French and English Popular Rebellions », The Routledge History Handbook of Medieval Revolt, éd. J. Firnhaber-Baker et D. Schoenaers, Londres, Routledge, 2017, p. 279-291.

4 V. Challet et I. Forrest, « The Masses », Government and Political Life in England and France c. 1300-c. 1500, éd. Chr. Fletcher, J.-Ph. Genet et J. Watts, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 279-315.

5 V. Challet, « Des populaires de Montpellier et dailleurs : réflexions sur une dénomination politique », Los grupos populares en la ciudad medieval, éd. J. Solorzano Telechea, B. Arizaga Bolumburu et J. Haemers, Logrono, Instituto de Estudios Riojanos, 2014, p. 395-412.

6 B. Guenée, Un meurtre, une société. Lassassinat du duc dOrléans 23 novembre 1407, Paris, Gallimard, 1992.

7 Pour le Moyen Âge, le mot « assassinat » fait référence à la secte dassassins (secte Shiite de Syrie capable de tuer pour son maître) et donc signifie le fait de faire tuer un individu par des mercenaires. Relevons aussi lemploi figuré dans la lyrique troubadouresque pour désigner la « fidélité aveugle ».

8 Le verbe meurdrir/meurtrir (1135) vient du francique murthrjan, assassiner (le th francique pouvant donner lieu soit au t soit au d) au sens de commettre un meurtre. Ce sens va saffaiblir au cours du xve siècle pour signifier « contusionner » (que lon a conservé dans meurtrir un fruit). Enfin, le verbe occire a une acception à la fois plus neutre et générale.

9 Le mot « exécution », emprunté au latin classique exsecutio, signifie dabord achèvement, accomplissement ; lidée de poursuite judiciaire apparaît au xiiie siècle. Le sens de « faire mourir, anéantir » (1330) et le sens de mise à mort dun condamné est attesté en 1540.

10 Cl. Gauvard, « De Grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991.

11 P. Texier, « Les fonctions juridiques de la préméditation. Archéologie dune hybridation normative », 2016, <hal-01367694>.

12 R. Jacob, « Le meurtre du seigneur dans la société féodale. La mémoire, le rite, la fonction », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1990, vol. 45, no 2, p. 247-263, ici p. 253.

13 J. Haemers, « A Moody Community ? Emotion and Ritual in Late Medieval Urban Revolts », Emotions in the Heart of the City (14th-16th century), éd. É. Lecuppre-Desjardins et A.-L. Van Bruaene, Turnhout, Brepols, 2005, p. 63-81.

14 Jean Froissart, Chroniques : Livre I (première partie, 1325–1350) et Livre II, éd. P. F. Ainsworth et G. T. Diller, Paris, Le Livre de Poche, 2001 ; Jean Froissart, Chroniques, Livre III (du Voyage en Béarn à la campagne de Gascogne) et Livre IV (années 1389-1400), éd. P. F. Ainsworth et A. Varvaro, Paris, Le Livre de Poche, 2004 ; Jean Froissart, Chroniques, éd. S. Luce, 8 vol., Paris, Société de lHistoire de France, 1869-1888.

15 Sur le sens de ce verbe, voir supra, n. 8. Voir le récit que Froissart prête à Pieter van den Bossche, échevin de Gand, du meurtre de Jacques dArtevelde : « Navéz vous pas oÿ dire comment ceulx de Gand occirent et murdrirent jadis ce vaillant et saige homme Jaques dArtevelle, qui leur avoit fait tant de biens et donné de bons conseilz et esté en toutes leurs necessitéz si propice ; et pour les paroles dun pauvre tellier le preudomme fu occis, ne oncques les souffisans hommes de la ville nalerent au devant, mais sen dissimulerent et furent par samblant tous liéz de sa mort » (ms. fr. 2650, fol. 116r, daprès The Online Froissart).

16 « Quant Jaquemart dArtevelle vit le fort et comme il estoit appressé, il vint a une fenestre sur les rues et se commença a humilier et a dire, par trop beau langaige, et a nu chief : “Bonnes gens, que vous fault ?” [] Donc respondirent ilz tous a une voix ceulx qui entendu lavoient : “Nous voulons avoir compte du grant tresor de Flandres que vous avéz desvoié sans nul tiltre de raison.” Dont respondi Artevelle moult doulcement : “Certes seigneurs, ou tresor de Flandres ne pris je oncques denier.” [] Dont respondirent ilz dune voix : “Nennil, nennil. Nous le voulons tantost avoir. Vous ne nous eschapperéz mie ainsi. Nous savons bien de verité que vous lavéz vuidié des pieça et envoié en Angleterre sans nostre sceu, pour la quele cause il fault mourir.” Quant Artevelle oÿ ce mot, il joingny ses mains et commença a plourer moult tendrement, et dist : “Seigneurs, tel comme je suis vous mavéz fait, et me jurastes jadis que contre tous hommes vous me deffendriés et garderiet. Maintenant vous me vouléz occire et sans raisons. Faire le pouéz, se vous vouléz, car je ne suy que un seul homme contre vous tous, a point de deffense. Aviséz vous par Dieu et retournéz au temps passé : si consideréz le graces et les grans courtoisies du temps passé que je vous ay faittes.” [] Quant Artevelle vit que point ne se refrenoient, il recloy la fenestre et savisa quil sen iroit par derriere en une eglise qui joingnoit pres de son hostel. Mais son hostel estoit ja rompu et faudré par derriere, et y avoit plus de IIIIC personnes, qui tous tiroient a lui avoir. Finablement il fut pris entre eulx, et la occis sans mercy, et lui donna le coup de la mort un telier qui sappelloit Thomas Denis. Ainsi fina Artevelle, le quel en son temps fut si grant maistre en Flandres. Pouvres gens le monterent et meschans gens le tuerent en la fin. » (Ms. Besançon 864, fol. 121r, daprès The Online Froissart ; à comparer avec la version Chroniques : Livre I, p. 512).

17 « Le premier parler que Jehans Maillars li dist, ce fu que il li demanda par son nom : “Estievene, Estievene, que faites vous ci à ceste heure ?” Li prevos respondi : “Jehan, à vous quen monte dou savoir ? Je suis chi pour prendre garde à le porte et à chiaus de le ville dont jay le gouvrenement.” “ – Par Dieu, respondi, Jehans Maillars, mès vous trahites, vous mentés.” Et tantost feri à lui et dist à ses gens : “À le mort, à le mort, tout homme de son costé, car il sont trahitte !” Là y eust entre yaus grant hustin, et sen fust volentiers li prevos des marchans fuis, se il peuist ; mais il fu si hastés que il ne peut, car Jehans Maillars le feri dune hace en le tieste et labati à terre, quoique ce fust ses compères, et ne se parti de lui jusques a tant quil fu occis et six de chiaus qui là estoient, et li demorans pris et envoiiés en prison ; et puis commencièrent à estourmir et à resvillier les gens parmi les rues de Paris. » (Chroniques, éd. S. Luce, t. 5, p. 116).

18 F. Guizot, Histoire de France, t. 2, Paris, Didier, 1840, p. 131. Sur la geste dArtevelde par Guizot, voir p. 65 sq. et p. 88 sq. pour le récit de sa mort directement inspiré de Froissart.

19 H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusquen 1789, Paris, Furne, 1855-1860, voir le tome 5 pour le xive siècle, p. 192 sq.

20 S. Luce, Histoire de la Jacquerie, Paris, Durand, 1859, p. 142.