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Classiques Garnier

De Fuenteovejuna à la Guerre des Communautés Sur la violence populaire en Castille à la fin du Moyen Âge

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 2, n° 34
    . varia
  • Auteur : Oliva Herrer (Hipólito Rafael)
  • Résumé : L’article aborde deux types de violence populaire en Castille à la fin du Moyen Âge : le meurtre du seigneur et les meurtres dans quelques villes dans les révoltes urbaines durant la guerre des Communautés de Castille. Le meurtre apparaît comme un phénomène peu fréquent et fait partie d’une gradation dans les usages de violence. Ces épisodes furent à la fois conscients et significatifs. La violence fonctionne comme un langage qui nous permet d’approcher les conceptions de ceux qui la pratiquent.
  • Pages : 87 à 106
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406077411
  • ISBN : 978-2-406-07741-1
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07741-1.p.0087
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 20/01/2018
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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De Fuenteovejuna
à la Guerre des Communautés

Sur la violence populaire en Castille
à la fin du Moyen Âge

Au sein de cet article, je souhaiterais examiner deux différents types de violence populaire : le meurtre du seigneur féodal engendré par ses dépendants et la violence qui accompagne léclatement des révoltes urbaines dans quelques villes durant la Guerre des Communautés de Castille en 1520. La violence est sans aucun doute lun des domaines les plus considérés par lhistoriographie de ces derniers temps et les recherches sintéressent même à la violence populaire1, bien que lon ne trouve encore que de rares études sur lexécution des seigneurs féodaux2. Lun des aspects les plus connus à propos de la violence dans la révolte est la tendance des sources, et notamment des chroniques, à criminaliser les événements en les décrivant en termes dirrationalité et de bestialité. Les travaux de P. Sthrom, S. Justice, C. Gauvard ou, plus récemment, de A. Stella, pour ne citer que les plus importants, sont tout à fait éclairants à ce sujet3. Nonobstant, contrastant avec ces descriptions stéréotypées, des études plus récentes montrent non seulement que la 88violence populaire faisait partie de stratégies beaucoup plus complexes visant à poursuivre des objectifs politiques, mais aussi que les rituels de violence étaient en eux-mêmes signifiants4.

En revanche, un tel sujet na jamais réellement été traité par lhistoriographie hispanique, plus centrée sur létude classique des luttes antiseigneuriales. Nous trouvons malgré tout quelques apports importants, en particulier le travail de Carlos Barros qui élabora un dossier réunissant des cas concernant la région de Galice et les analysa sous une perspective très proche de celle de Norbert Elias en ce qui concerne la conception de la violence5. Selon linterprétation de Barros, les assassinats de seigneurs revêtent une dimension calculée, dans le cadre dun conflit plus large. Cependant, la forte influence du travail classique de Robert Jacob amène Barros à y ajouter une autre dimension, celle de libération imaginaire, en signalant le caractère cathartique, spontané et non conscient dune exécution convertie en un sacrifice primitif et festif, chargé de symbolisme6. Plus proche de linterprétation actuelle de ce phénomène, le travail de A. McKay, qui chercha à interpréter le langage de la violence populaire, tend à montrer que, loin dêtre des manifestations irrationnelles, ces épisodes de violence populaire donnent à voir lappropriation de codes propres à la justice royale. Il sagissait en somme dutiliser un langage mutuellement compréhensible, par le biais duquel le peuple essayait de rendre légitimes ses actions7.

Mon objectif est de faire une révision densemble. Jutiliserai des cas connus, en y ajoutant quelques éléments supplémentaires, et en partant de la prémisse selon laquelle les actes de violence populaire qui 89aboutirent à une exécution furent conscients et significatifs, et ce, dans une double interprétation : la violence fonctionne dans ces cas comme une forme de langage qui transmet un message, mais elle nous permet aussi de nous approcher des conceptions de ceux qui la pratiquent8.

Le meurtre du seigneur :
quelques éléments significatifs

Avant daborder les meurtres des seigneurs, il convient de nuancer nos propos. Ce genre dépisodes ne se rencontre pas dans des révoltes généralisées. Cest le cas, par exemple, de la révolte des Irmandiños, au cours de laquelle on assiste à lassaut et à la chute des châteaux seigneuriaux dune bonne partie de la Galice9. Cependant, les nobles faits prisonniers ne furent pas exécutés. De la même manière, lors de certains soulèvements antiseigneuriaux, qui se déroulèrent pendant la Guerre des Communautés de Castille, le seigneur ne fut pas non plus exécuté, bien quil fût fait prisonnier10.

En réalité, les révoltes antiseigneuriales qui se soldèrent par la mort du seigneur furent plutôt rares. Tout ceci écarte lidée dépisodes de violence irrationnelle ou de pure vengeance et tend à situer ces faits dans un contexte plus complexe. Cela nous informe non seulement dune économie de la violence qui revêt une signification précise, mais aussi dune option stratégique déclenchée dans des conditions déterminées. Il semble alors intéressant danalyser, dans une perspective culturelle, la signification des actes de violence, mais aussi de chercher à comprendre pourquoi ils se produisent. En dautres termes, chercher à savoir quelles sont les circonstances qui font quun conflit violent débouche sur une exécution.

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Quand et de quelle manière meurent les seigneurs féodaux en Castille des mains de leurs subordonnés ? La réponse sélabore autour de différents modèles du meurtre dun seigneur. Quelques-uns de ces meurtres eurent clairement lieu dans des contextes de résistance ouverte à lexercice de lautorité seigneuriale, particulièrement lors dépisodes au cours desquels des villes ayant une certaine tradition dappartenance au patrimoine royal avaient été données par les rois à certains nobles. Dans ce cas, le meurtre du seigneur apparaît comme lultime manière dempêcher que les villes ne soient mises sous la dépendance du nouveau seigneur, ou bien comme une réponse à de nouvelles exigences, considérées comme démesurées. Cest ce qui se passa dans la ville de Paredes de Nava, en 1471. Il sagit dune ville qui appartenait au domaine royal et qui fut donnée au noble aragonais Felipe de Castro par Enrique II pendant la guerre civile castillane. Le nouveau seigneur avait demandé à Paredes le versement dune certaine quantité dargent, que les villageois refusèrent de payer. Alors quil se rendait en ville pour les punir, les habitants sortirent pour le combattre en plein champ et le tuèrent11. La concision de la narration du chroniqueur P. López de Ayala ne permet pas dapporter plus de détails sur ce qui fut présenté comme une mort au combat12. Cela dit, dautres épisodes dassassinat collectif en termes de droits de résistance nous permettent dêtre plus précis. Ainsi, par exemple, en 1474, le village de San Felices de los Gallegos fut donné par Enrique IV au chevalier Gracian de Sese. Quand il arriva en ville, ses voisins se soulevèrent contre lui et le tuèrent à coups de pierres13. Dune manière générale, certaines hypothèses peuvent être émises si lon reconnaît que la mort du seigneur na pas lieu au hasard, mais quelle reproduit un comportement significatif, que nous pouvons entrevoir en 91considérant la façon dont lexécution eut lieu. La lapidation était une forme dexécution expressément interdite par la législation royale, mais elle apparaît dans de nombreuses chartes de franchises, ce qui donne à penser que de telles formes étaient reconnues par la coutume14. Dans la plupart des cas, il sagit dune peine infligée au dépendant qui assassine son seigneur, ce qui tend à montrer que le même modèle dexécution était reproduit, mais inversé15.

Évidemment, lon rencontre aussi des cas de morts seigneuriales dans des villages rattachés depuis longtemps à un seigneur. Par exemple, en lan 1470, la comtesse de Santa Marta fut tuée à coups de lance au cours dune révolte à Ribadavia16. Cependant, la chronique décrivant ces événements nous raconte que les habitants du village se soumirent pacifiquement à son fils, héritier de la seigneurie, car celui-ci les avait pardonnés17. Cette absence de rejet du nouveau seigneur, sûrement calculée, suggère que lassassinat de la comtesse fut lié à son comportement, mais nous fait aussi considérer le meurtre du seigneur comme une sorte de stratégie, une façon de montrer les limites de lexercice de lautorité seigneuriale.

Les cas dans lesquels le seigneur fut assassiné de façon silencieuse et clandestine vont dans le même sens. Cela nous éloigne du paradigme de la mort collective perpétrée par la communauté dans son ensemble, ce qui nexclut pas que la communauté soit à lorigine des faits. Cest ce qui arriva à Ourense, en 1419, lors dune révolte de la noblesse et des voisins de la ville contre lévêque, qui possédait la seigneurie18. Lévêque fut retrouvé mort près du fleuve, et cependant, personne dans la ville, ni même les membres du chapitre de la cathédrale, ne proclama quil avait été assassiné, ce qui était pourtant de notoriété publique, comme le mentionnent certains documents postérieurs. Ils préférèrent tout simplement ignorer les faits, qui ne sont pas même mentionnés dans les documents de pardon délivrés aux protagonistes de la révolte, en 1425. 92Ainsi cet épisode se referma-t-il sur le silence impuni des conspirateurs, tout autant que sur celui des ecclésiastiques19. Il se produisit un incident similaire en 1492, toujours en Galice, lorsque labbé du monastère de Monfero fut assassiné par une flèche, soi-disant tirée par un de ses vassaux, lors dun retour de voyage, sans que lon ne puisse jamais retrouver le coupable20. Dans chacun de ces cas, le meurtre du seigneur apparaît comme un recours extrême, bien que conscient, qui sinscrit dans des processus conflictuels et dont le but est dobtenir, sans aucun doute, une quelconque amélioration des conditions de dépendance seigneuriale.

En troisième lieu, il serait intéressant de parler des morts dans le cadre dexécutions publiques, ce qui nous renvoie à une notion de justice populaire. La mort du chevalier Suero de Marzoa, perpétrée par les habitants de la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle, en est une bonne illustration. Suero de Marzoa était un petit noble ayant des liens avec le comte dAltamira et il avait organisé une expédition de saccage de la ville lors de laffrontement qui eut lieu entre larchevêque de Saint-Jacques, seigneur de la ville, et le comte dAltamira lui-même21. Quelque temps après, il fit pendre un prêtre de Saint-Jacques, à la suite de quoi les Rois Catholiques ordonnèrent sa capture, sans succès, puisquil se réfugia chez de proches parents. Plus tard, quand il voulut de nouveau entrer dans la ville, accompagné dun cortège armé, les gens sortirent pour le combattre :

Ils sopposèrent à son entrée à cause de la grande haine quils lui portaient… Il arriva quils déchiquetèrent Suero de Marzoa et six de ceux qui laccompagnaient, en face de la maison du prêtre quil avait ordonné de pendre22.

Dans ce cas, les habitants de la ville jouèrent le rôle dexécuteurs, se substituant ainsi à lautorité de la justice royale. Il est ici évident que la procédure suivie est plus complexe, puisque la détention du noble et de ses complices est suivie dun acheminement public jusquà la maison du prêtre, signe manifeste dun acte de justice en réponse à lassassinat commis. En outre, le fait que le corps soit ensuite démembré est assez marquant. Il sagit dun genre de mesure qui nest quexceptionnellement 93appliquée par la justice royale, par exemple dans certains cas de trahison présumée, ce qui ne semble pas avoir été le cas ici23. Cependant, le démembrement du cadavre apparaît comme un procédé adopté dans de nombreuses chartes de franchises, en tant que peine qui sapplique aussi lors de lassassinat dun seigneur24. Autrement dit, lors de la mort dun noble perpétrée par une personne de condition inférieure. Il serait alors judicieux de se demander, comme dans le cas cité ci-dessus, si lon nassiste pas ici à un mécanisme dinversion des rituels de justice habituels, dans le cadre dun acte de réparation qui, dune manière ou dune autre, se prétend légitime. Lassassinat du commandeur de lOrdre de Calatrava à Fuenteovejuna est du même ordre. Cest un épisode qui fut plus largement étudié, de par son impact dans limaginaire collectif.

Fuenteovejuna

Quelques travaux récents, tels que celui de E. Cabrera et A. Moros, illustrent assez bien les événements et permettent dobserver que la révolte de Fuenteovejuna fut un épisode complexe, au cours duquel les intérêts des villageois se mêlèrent à ceux de la ville de Cordoue, et peut-être aussi à ceux de certains nobles opposés au commandeur25. Nonobstant, E. Cabrera et A. Moros nont pas analysé les implications du processus selon lequel eut lieu la mort du seigneur. Il faut cependant prendre en considération le fait que la révolte de Fuenteovejuna ne fut pas lunique révolte antiseigneuriale de ces années-là. Par exemple, les villes de Moya ou de Ágreda se soulevèrent contre leur seigneur, réclamant leur incorporation au domaine royal26.

Le contexte dans lequel sinscrivent ces événements est celui de la guerre civile castillane du xve siècle, à savoir laffrontement dune 94coalition nobiliaire et du roi légitime Enrique IV, au cours duquel la princesse Isabelle, future Isabelle la Catholique, va finalement mener le groupe des adversaires du roi. Le conflit se prolongea jusquà la mort du roi en 1475, et même au-delà. Il continue en effet entre le règne dIsabelle Ire, autoproclamée reine, et celui de Juana, la fille du roi Enrique IV. Le mariage de Juana avec le roi Alfonso V du Portugal provoqua linternationalisation du conflit par le biais de linvasion du royaume de Castille par les Portugais. Tel est le cadre dans lequel se déroula la révolte de Fuenteovejuna27. Il me semble intéressant de souligner que, durant tous ces affrontements, Isabelle mena une campagne de propagande qui visait à obtenir le ralliement du peuple à sa cause. Un des moyens utilisés fut de dénoncer les donations de villes du patrimoine royal à des membres de laristocratie, donations réalisées en grand nombre par le roi Enrique IV28. Vers 1475, Isabelle finira par inciter quelques-unes de ces villes à la révolte, en proclamant que celles qui se soulèveraient en sa faveur seraient réincorporées au patrimoine royal29.

Fuenteovejuna était une de ces villes qui avait traditionnellement appartenu au patrimoine royal, bien quelle fasse partie de la juridiction territoriale de la ville de Cordoue. Au moment du soulèvement, elle était une seigneurie de lordre militaire de Calatrava. Il convient de revenir rapidement sur quelques-uns des épisodes précédant la révolte, afin de mieux pouvoir la contextualiser. Le premier dentre eux eut lieu en 1444. Les circonstances sont à nouveau celles daffrontements entre ligues nobiliaires dans le royaume. Un parti nobiliaire mené par linfant Enrique 95de Aragón soppose au roi Juan II. Cest dans ces conditions que la ville de Cordoue prend position pour Enrique de Aragón et met en place une nouvelle contribution afin de recruter un groupe armé qui puisse la soutenir30. Fuenteovejuna, quant à elle, soppose à la ville de Cordoue et revendique sa fidélité au roi Juan II. Cette prise de position revêt un caractère important puisquelle démontre la volonté de Fuenteovejuna de promouvoir son autonomie politique face à la ville de Cordoue, mais aussi parce quelle donne à voir une certaine identification de la ville à la figure du roi, ce que nous retrouverons dans lépisode de la révolte de 1476. En 1450, la seigneurie de Fuenteovejuna fut concédée au Maître dAlcántara mais, seulement trois ans plus tard, la ville se souleva, sans succès, contre lui, soulèvement auquel la ville de Cordoue apporta sa collaboration. Finalement, suite à une brève procédure de restitution au domaine royal, la ville fut remise à lOrdre de Calatrava en 146431. Le commandeur de lOrdre de Calatrava, Fernán Gómez de Guzmán, vivait à Fuenteovejuna ; il y exerça son autorité en tant que seigneur jusquà son assassinat en 1476.

La révolte eut lieu durant la nuit du 22 avril. Selon une description contenue dans un document de 1477, se référant à un procès postérieur, qui vise à déterminer le statut juridique de Fuenteovejuna après la révolte, le soulèvement eut lieu de la manière suivante : les autorités locales

[] ameutèrent tout le village et encerclèrent la maison principale de lOrdre. Pendant lassaut de la forteresse, [] ils mirent la main sur le commandeur et tels des bêtes féroces [] ils le frappèrent, le blessèrent grandement et le tuèrent subitement et le chassèrent et le jetèrent par les fenêtres de la maison et le mirent en morceaux sur la place publique, le rasant et ricanant de son corps et de sa personne. Sans consentir à son inhumation32.

Une seconde version des faits, relatée dans les archives de Simancas, est pratiquement similaire33. Une troisième version de lassassinat, relatée par le chroniqueur Alonso de Palencia, un auteur contemporain des faits, est sensiblement identique, sauf que Palencia brosse un tableau dans lequel lhéroïsme du commandeur est opposé à une foule enragée et sanguinaire qui de plus pille sa maison après le meurtre34. Le 96quatrième récit des événements est plus complet, il nous est livré par Francisco Rades y Andrada dans la Crónica de las tres Ordenes de Santiago, Calatrava y Alcántara35. Bien quil soit postérieur de presque cent ans aux événements, on sait que lauteur eut accès à des documents disparus de lordre de Calatrava. Cette narration complète les versions antérieures à différents niveaux. La description du meurtre du commandeur est en outre plus complexe et apporte des détails supplémentaires. En premier lieu, le chroniqueur rapporte que tant lassaut de la forteresse que la mort même du commandeur eurent lieu sous les cris de Fuenteovejuna et de Vivent les rois Don Fernando et Doña Isabelle et mort aux traîtres et aux mauvais chrétiens36. Selon le récit, les voisins, guidés pas les officiers du village, se dirigèrent jusquà la maison du commandeur, ils combattirent et tuèrent la suite du commandeur, réservant à ce dernier un autre type de mort :

Avec une fureur maudite et enragée, ils savancèrent vers le commandeur et le frappèrent et le blessèrent tellement quils le firent tomber par terre sans connaissance [] ils prirent son corps en disant : vivent les rois et mort aux traîtres et ils le jetèrent par la fenêtre dans la rue où dautres attendaient avec des lances et des épées pointes en haut, afin de les planter dans le corps encore vivant37.

Ensuite,

ils lui arrachèrent la barbe et les cheveux et dautres, avec les poignées des épées lui fracturèrent les dents. À cela sajoutèrent des insultes, des insanités et de grandes injures contre le Grand commandeur, et contre ses père et mère38.

Sur ces entrefaites,

arrivèrent les femmes de la ville, tambourins et grelots à la main, pour se réjouir de la mort de leur seigneur []. Hommes, femmes et enfants tous ensemble transportèrent le corps sur la place et là, tous, hommes et femmes le réduisirent en mille morceaux en le traînant par terre et ils refusèrent de livrer le corps à ses serviteurs pour lenterrer39.

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Selon la version proposée par ces récits, la révolte impliqua lensemble de la communauté, menée par les autorités locales et donna lieu, suite à laffrontement dans la forteresse, à une exécution de caractère collectif, à laquelle participèrent hommes, femmes et enfants. Les moyens utilisés furent des coups de couteau et la défenestration du commandeur, pour ensuite défigurer son corps, le traîner dans la ville et le démembrer. Un point particulièrement marquant est le fait dempêcher lenterrement du corps. Mais il est aussi important de noter lexistence dun aspect festif au moment culminant de la mort, qui contient en outre un élément parodique. Les femmes arrivant avec des instruments accompagnèrent le corps du commandeur, à la manière dune compagnie militaire, jusquà la place où le corps fut démembré40. Malgré une apparence de lynchage, lattaque de la maison du commandeur était organisée à lavance et, comme nous le verrons, la mise en scène ne fut pas non plus aléatoire. Un aspect quil ne faut pas laisser de côté est le fait que le soulèvement ne se termina pas avec la mort du seigneur. Immédiatement après lexécution, les révoltés détrônèrent les représentants de la justice royale et soctroyèrent les bâtons de la justice, symbole de la juridiction seigneuriale de Fuenteovejuna. Ceci met en relief le fait quil ne sagissait pas seulement de punir le seigneur, mais aussi de réclamer lappartenance à la juridiction royale, même si plusieurs jours après, les voisins se recommandèrent à la protection de la ville de Cordoue, en acceptant de sintégrer à sa juridiction41.

De nombreuses hypothèses ont été formulées en ce qui concerne les motifs qui déclenchèrent la révolte. Il est fort probable que le nouveau rattachement à lOrdre de Calatrava entraîna pour les villageois une hausse du prélèvement quils payaient42. À ceci sajoute la prétention de la ville à faire partie du domaine royal, prétention qui sétait déjà manifestée en dautres occasions, y compris lors de la révolte antérieure, en 1453. Lon sait que la version traditionnelle des événements, immortalisée par Lope de Vega, établit comme cause du conflit les actions arbitraires commises par le commandeur, concrètement la hausse démesurée du prélèvement et tout particulièrement les abus sexuels à lencontre des femmes du lieu, de sorte que la justice populaire serait venue réparer 98lhonneur bafoué. En réalité, linterprétation de Lope de Vega est fortement influencée par la Crónica de las tres Ordenes de Santiago, Calatrava y Alcántara, préalablement citée, chronique qui reprend la version des abus sexuels du commandeur. La chronique évoque bien évidemment dautres motifs que le mécontentement populaire : des exactions, des abus commis contre le patrimoine de ses dépendants et la volonté du commandeur dintégrer le parti du roi du Portugal, en sopposant à la cause des Rois Catholiques. Comme je lai déjà mentionné, Francisco Rades y Andrada, lauteur de la chronique, affirmait avoir eu recours, pour lélaboration de son récit, à un procès tenu dans la juridiction ecclésiastique qui visait la réincorporation de Fuenteovejuna au patrimoine de lOrdre de Calatrava et qui avait été conservé dans les archives de lOrdre, document aujourdhui disparu43. Il est probable quil ait consulté les dépositions des témoins incorporées au procès.

De toute évidence, laccusation de violence sexuelle avait déjà été mentionnée chez les contemporains. Ainsi, le chroniqueur Alonso de Palencia, qui était aussi ami avec le commandeur, rapporte que les voisins de Fuenteovejuna « accusèrent le défunt de maladresses et de mœurs corrompues44 ». De la même manière, on trouve dans un procès, qui se déroula quelques années plus tard pour décider du futur statut juridique de la ville, une autre allusion directe, dans laquelle le procureur qui représenta Fuenteovejuna lors du procès justifie la mort du commandeur en soulignant ses tyrannies et les abominables péchés commis45. Le terme de tyrannie est fréquemment employé dans les procédures judiciaires pour dénoncer des abus seigneuriaux de tous types46. Les références aux mœurs corrompues et aux abominables péchés renvoient clairement à des conduites déviantes et pourraient même faire référence de manière cachée à la sodomie, bien que le terme abominable soit couramment employé en castillan, autant pour ce type de conduite que pour de nombreuses autres considérées comme inappropriées. Il est difficile de savoir si la conduite sexuelle du commandeur fut un élément déclencheur ou 99si elle fait partie de lensemble des arguments utilisés pour légitimer le soulèvement. Une façon de répondre à cette question serait de prendre les agissements des rebelles au sérieux et dobserver quel genre de message ils essayaient de faire passer par le biais de lexécution du commandeur, assumant de fait que le soulèvement reproduit les patrons dune certaine manière dexercer la justice.

La législation royale, concrètement les Partidas, établit la peine de mort pour lauteur dun viol, sans pour autant déterminer le procédé dexécution47. Il en est de même pour la législation locale. Ainsi, la charte de Cordoue, qui fut en vigueur à Fuenteovejuna et qui peut être prise comme référence en matière de pratiques judiciaires établies par la tradition, accorde la possibilité de tuer lauteur du viol sur la place même où il a été trouvé, même si elle ne prescrit pas de procédé dexécution à proprement parler48. En son temps, A. McKay précisa que le rituel selon lequel se déroula la mort du commandeur maintient un fort parallélisme avec les dispositions des Partidas, qui décrètent la peine de mort pour les traîtres49. Ce que A. McKay ne précisa cependant pas est le fait quen réalité le procédé relève dun cas particulier : la trahison en temps de guerre. Dans les Partidas, il est établi que le traître doit être soumis à une mort cruelle, pour pouvoir ensuite être traîné publiquement au sol puis démembré. Autrement dit, un type de mort cruelle et exemplaire qui coïncide parfaitement avec le modèle rencontré à Fuenteovejuna50. Le chroniqueur contemporain des faits, Alonso de Palencia, apporte un détail supplémentaire qui, inventé ou pas, vient compléter le tableau. Selon Palencia en effet, les acteurs de la mutinerie empêchèrent une vieille femme de ramasser les restes du commandeur pour lenterrer et la fouettèrent ensuite pour cela51. Ainsi, les insurgés agissaient en accord avec la législation à laquelle se réfèrent les Partidas dans ce type de situation jusque dans le fait de refuser lenterrement du commandeur. Cette législation établit que la trahison envers le roi en temps de guerre entraîne directement lexcommunication et que les 100restes du défunt ne doivent pas être enterrés, mais dispersés. De plus, il est important de rappeler que le commandeur avait été préalablement excommunié par le chapitre de la cathédrale de Cordoue, suite à une affaire dusurpation de dîmes, ce qui rendait impossible son enterrement selon les rites sacrés52.

Le processus selon lequel le commandeur trouve la mort ne fut pas aléatoire, il reproduit au contraire un rituel de justice au cours duquel la trahison envers le roi en temps de guerre est publiquement proclamée, et qui transparaît clairement dans les cris Vivent les rois don Fernando et doña Isabelle et mort aux traîtres et aux mauvais chrétiens, lancés publiquement au moment de la révolte53. Par le biais de ce meurtre, les villageois accusaient le seigneur de prendre parti pour le roi du Portugal dans laffrontement qui lopposait aux Rois Catholiques et proclamaient leur adhésion à la cause de ces derniers, dans un contexte où les Rois Catholiques eux-mêmes avaient préalablement encouragé lincorporation au domaine royal des seigneuries qui se soulèveraient en leur faveur. Ce que nous savons de lalignement politique de Fernán Pérez de Guzmán vient contredire en partie cette interprétation, dans le sens où cela démontre que le commandeur est resté un solide allié dIsabelle et de Fernando54. Le chroniqueur, Palencia, qui était personnellement lié damitié avec le commandeur, attribue cependant à quelques nobles opposés au commandeur lui-même le fait davoir encouragé le soulèvement55.

Quelques interprétations récentes, comme celle de E. Cabrera et A. Moros, tendent à mettre en avant lidée quil sagit dune révolte encouragée par Cordoue qui souhaitait intégrer la ville dans son espace juridictionnel. Cabrera et Moros sappuient sur des preuves indirectes qui suggèrent lenvoi de messages de la part de la ville de Cordoue à Fuenteovejuna dans les jours précédant la révolte56. Lexistence et surtout le contenu de tels contacts restent très spéculatifs, mais on pourrait penser par exemple, à lextension de rumeurs visant à exciter la révolte. En tout cas, indépendamment de ces interprétations qui, à mon avis, sous-estiment lautonomie des villageois de Fuenteovejuna, il semble 101évident que le fait dexécuter le commandeur pour trahison était la seule et unique manière de rendre sa mort légitime. La législation royale elle-même dispensait de peine lauteur dun homicide qui aurait tué le traître sans passer par un jugement dans le cas où ce dernier aurait résisté. Cest exactement ce qui se produisit à Fuenteovejuna. Ce qui importait nétait pas tant sa mort que la manière dont elle devait se produire, afin détablir sa condition de traître. Ainsi assuraient-ils leur impunité et, en proclamant leur adhésion à la cause isabelline, pouvaient-ils espérer obtenir leur incorporation au domaine royal. La propagation des rumeurs dénonçant la trahison supposée du commandeur créerait une scène qui rendait tout cela possible. À ce sujet, il y a un élément assez révélateur qui montre que le chroniqueur Palencia, bien quil nen fasse pas état dans son récit, savait que les rebelles de Fuenteovejuna proclamaient la trahison du commandeur par son mode dexécution. Palencia fait une comparaison entre ce qui est arrivé à Fuenteovejuna et la mort de Gracian de Sese à San Felices de los Gallegos, précédemment évoquée. Daprès Palencia, et contrairement à ce qui était arrivé à Fuenteovejuna, lépisode de San Felices se résumerait à une révolte contre un traître, passé du côté portugais lors de laffrontement entre la Castille et le Portugal. Il souligne aussi que les villageois sattendaient à la magnanimité du roi Ferdinand57. Mais la chronologie montre que Palencia déforma les événements. Le soulèvement de San Felices se produisit en 1474, du vivant dEnrique IV, alors que Ferdinand navait pas encore été proclamé roi et que la guerre avec le Portugal navait pas commencé. Cette déformation en contrepoint des événements à Fuenteovejuna montre à quel point Palencia était conscient des implications du meurtre du commandeur, dont les modalités correspondent à la mise à mort dun traître en temps de guerre.

Tous les cas auxquels jai fait référence ont certains points communs. Tout dabord le fait que, même si les rituels mis en scène sont des répliques de ceux de la justice, la mort du seigneur est extrêmement violente et les règles établies pour le meurtre dun noble ne sont pas toujours respectées. En effet, la législation prescrit une mort moins sanglante, par décapitation ou dans un puits58. Sans aucun doute, on se trouve ici face à un élément de négation de la condition nobiliaire ainsi que de sa supériorité 102implicite. Dautre part, dans de nombreux cas, la mort doit être violente et publique car, à limage de la justice royale, elle entend sancrer dans les mémoires. Ceci est particulièrement visible dans le cas de Fuenteovejuna. Cest ainsi que la chronique tardive de Rades y Andrada relative à ces faits mentionne le lien entre le commandeur et le parti opposé aux Rois Catholiques59. Cest bien ce que les rebelles entendaient affirmer, par le biais de cette exécution, mais nous savons quil nen était rien.

Les exécutions au début de la Guerre
des Communautés de Castille

Le second point que je souhaiterais aborder est la violence à lœuvre dans certaines villes, suite à lapprobation aux Cortes dun impôt extraordinaire en 1520, événement à lorigine de la Guerre des Communautés de Castille. Lors du retour des procureurs des Cortes qui avaient approuvé limpôt dans leurs villes, des révoltes populaires éclatèrent, au cours desquelles certains procureurs perdirent la vie. Cest ce qui se passa par exemple dans la ville de Ségovie, où le procureur était venu donner des explications devant lassemblée du commun de la ville et où il fut finalement tué :

Ils lemportèrent jusquà la prison sans que ses pieds ne touchent le sol… le peuple cria haut et fort donnez-nous une corde et quil naille pas en prison, quil aille directement à la potence. Un brouhaha séleva, À mort ! À mort ! On apporta ensuite une corde et on la lui passa autour du cou. Puis ils le jetèrent par terre []. Les frères leur ont gentiment demandé si, vu quils ne voulaient pas lui laisser la vie, ils le laisseraient au moins confesser ses péchés. Ce qui fut aussi refusé []. Ils lont traîné jusquà la potence [] et ils lui ont attaché les pieds avec une corde, lont pendu les pieds en haut la tête en bas à une potence de trois piliers en pleine campagne où ils lont laissé, avant de retourner en ville60.

Dans cette ville tout autant que dans dautres, les révoltes se déroulèrent aux cris de mort aux traîtres61. Il est dailleurs significatif que 103lexécution reproduise scrupuleusement le châtiment que la justice royale réserve aux traîtres : les traîner et les pendre par les pieds. La pendaison par les pieds était aussi le sort réservé aux homosexuels, ce qui implique une lourde charge de bannissement, dexclusion de la communauté. Cet aspect est dautant plus visible dans les agissements des rebelles de Ségovie. Il est observable dans limpossibilité de recevoir la confession de laccusé, reniant ainsi sa condition de membre de la communauté chrétienne, et aussi dans la destruction de sa maison, marque reconnue dexclusion de la communauté qui se retrouve dans toutes les normes judiciaires locales. Cependant, même si lexécution reproduit les mécanismes de la justice royale, il y a un grand absent : le procès. Les faits qui eurent lieu à Burgos nous en donnent une illustration. Le rituel dexécution sy déroula quasiment de la même manière. Mais avant son exécution, laccusé fut condamné, et ce suite à lintervention de quelques notables qui insistèrent pour que la procédure soit scrupuleusement respectée, sopposant ainsi aux revendications populaires qui souhaitaient directement la pendaison et avançaient largument selon lequel « le procès nétait pas nécessaire parce quils savaient tous quil était coupable62 ». Cest donc bien le rituel qui différencie un pur acte de lynchage dun acte judiciaire, bien que celui-ci ne semble pas exiger une condamnation formelle de la part dun tribunal qui peut être considéré comme étranger aux faits, mais plutôt la conviction collective de culpabilité de la part de la communauté. Nous trouvons un exemple similaire à Zamora, une autre ville dans laquelle une révolte eut lieu, et où les procureurs des Cortes ne purent pas être capturés : des statues à leur effigie furent érigées, puis traînées et pendues. Cet acte tient lieu de proclamation publique de la culpabilité et de réparation symbolique. Leurs maisons furent aussi marquées, pour graver dans les mémoires linfamie quils avaient commise63.

Loin dapparaître comme des actes de violence commis à laveugle, ces agissements semblent cadrer avec ce que Michel Foucault nomme le concept de justice populaire, ou peut-être plus exactement, de justice 104communautaire64. En effet, face à linhibition ou à la complicité des autorités locales, les protagonistes de ces tumultes se considéraient comme des dépositaires légitimes de la capacité à exercer la justice contre ceux qui avaient trahi la communauté. Dautres villes, dans lesquelles le sang ne coula pas, donnent à voir des modèles de comportements similaires qui contribuent à éclairer la logique à lœuvre. À Saint-Jacques de Compostelle, la révolte eut lieu suite à une tentative du conseil de mettre en place limpôt approuvé par les Cortes. Le premier destinataire de la colère populaire fut le représentant institutionnel du commun urbain, accusé davoir consenti le recouvrement de cet impôt65. À Valladolid, le soulèvement du commun eut lieu suite à lincendie de Medina del Campo. Les procureurs des Cortes étaient bien lobjectif visé, mais aussi le représentant institutionnel du commun urbain et Pero Niño, membre dune famille appartenant à lélite, qui avait traditionnellement maintenu détroites relations avec le commun66. Les actes sinscrivent dans un modèle similaire, les maisons furent attaquées, les terres dévastées et, dans une église de la ville, la sépulture des ancêtres de Pero Niño fut aussi détruite67. La dimension performative de tous ces agissements semble évidente. Ceux qui avaient sacrifié les intérêts de la communauté urbaine, ou ne les défendaient pas légitimement, ne pouvaient en aucun cas faire partie de cette communauté.

Dans les références aux rituels dexécution, que celle-ci soit réelle ou symbolique, comme dans le cas de Zamora, des règles de conduite similaires peuvent être observées. Cependant, le conflit des comuneros nous donne à voir un exemple différent : celui de lexécution du conseiller municipal Gil Nieto, dans la ville de Medina del Campo. Et cest précisément dans la façon dont il trouva la mort que lon peut établir des parallélismes évidents avec lassassinat du commandeur de Fuenteovejuna. En effet, dune manière similaire, sa maison fut attaquée et le conseiller municipal poignardé et défenestré. Il fut ensuite décapité et traîné à travers la ville, avant dêtre démembré68. Bien évidemment, la mort de 105Gil Nieto eut lieu suite à lincendie de la ville de Medina del Campo provoqué par larmée royale et peut donc être considérée comme un acte de guerre. De là, le fait que le rituel de lexécution semble coïncider avec les châtiments prescrits en cas de trahison en temps de guerre.

Il est intéressant de signaler que, malgré ces exécutions, la révolte comunera ne se caractérise pas par un déploiement de violence extrême. Lexpulsion et la destruction des maisons de ceux qui étaient considérés comme traîtres continuaient davoir cours, ordonnées cette fois par les nouvelles institutions ayant surgi des feux de la révolte69. La violence était évidemment aussi à lœuvre en marge des institutions, mais, plus que de violence physique, il sagissait dinsultes, de pressions, de menaces de destruction des biens, ou même de menaces de mort. Avant dagir contre un individu, des rumeurs couraient, donnant ainsi à voir lantipathie populaire, afin que lintéressé quitte de lui-même la ville70. Tout ceci indique une gradation des usages de la violence, gradation dont les rebelles étaient conscients, ainsi que le recours à lexécution comme un acte extrême dans des circonstances bien précises.

En guise de conclusion

Observés dans leur ensemble, les épisodes de mort du seigneur, tout autant que les exécutions au seuil du conflit comunero, présentent de nombreux points communs et quelques différences. Dune manière ou dune autre, le meurtre apparaît comme un phénomène peu fréquent, qui na lieu que dans des circonstances bien précises. Certains cas de luttes antiseigneuriales, et Fuenteovejuna est peut-être le plus clair dentre eux, montrent lusage stratégique de cette forme de violence extrême. En outre, les cas où la mort est publique et ritualisée séloignent du paradigme du lynchage et montrent lutilisation de codes connus.

En ce qui concerne la façon dont ces exécutions furent pratiquées, ainsi que les codes à lœuvre, quelques différences sont observables. 106Dans la majeure partie des révoltes urbaines de 1520, par exemple, on nobserve pas dacharnement contre le cadavre, ce qui par contre existe lorsque les personnes sont étrangères à la communauté, quil sagisse du seigneur lui-même ou de personnes considérées comme des ennemis : que ceux-ci soient Suero de Marzoa, le commandeur de Fuenteovejuna ou encore, en 1520, le conseiller municipal Gil Nieto à Medina del Campo. Il est fort probable que les acteurs ont recours à différents registres, face à des situations quils considèrent comme différentes.

Mais toutes ces exécutions avaient une fonction communicative claire : elles cherchaient à transmettre un message dans un langage compréhensible qui, dans la plupart des cas, passait par des agissements conformes à la justice. Malgré tout, les réduire à une simple reproduction de modèles de la justice officielle ou soutenir quils nont quune fonction communicative pourrait occulter un aspect essentiel du sujet. En effet, les protagonistes ont la prétention dagir de manière légitime mais aussi daffirmer leur propre capacité à exercer la justice, en accord avec une série de valeurs de référence qui ne coïncident quen partie avec celles de la justice royale.

Hipólito Rafael Oliva Herrer

Université de Séville

1 V. Challet, « Violence as a Political Language. The Uses and Misuses of Violence in Late Medieval French and English Popular Rebellions », The Routledge History Handbook of Medieval Revolt, éd. J. Firnhaber-Baker et D. Schoenaers, Abingdon et New York, Routledge, 2017, p. 279-291 ; H. Skoda, Medieval Violence. Physical Brutality in Northern France, 1270-1300, New York, Oxford University Press, 2013. Pour une révision récente de lhistoriographie de la violence, L. Verdon, « Violence, norme et régulation sociale au Moyen Âge. Essai de bilan historiographique », Rives méditerranéennes, 40, 2011, p. 11-25.

2 Voir létude classique de R. Jacob, « Le meurtre du seigneur dans la société féodale. La mémoire, le rite, la fonction », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 45, 2, 1990, p. 247-263.

3 P. Strohm, Hochons Arrow : The Social Imagination of Fourteenth Century Texts, Princeton, Princeton University Press, 1992 ; S. Justice, Writing and Rebellion. England in 1381, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1994 ; C. Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2006 ; A. Stella, « “Racconciare la terra” : à lécoute des voix des “Ciompi” de Florence en 1378 », The Voices of the People in Late Medieval Europe, éd. J. Dumolyn, J. Haemers, H. R. Oliva Herrer et V. Challet, Turnhout, Brepols, 2014.

4 Voir notamment les travaux réunis au sein de deux volumes collectifs déjà cités : The Voices of the People in Late Medieval Europe et The Routledge History Handbook of Medieval Revolt. Il faut y ajouter un certain nombre de travaux portant sur lépoque moderne : F. Benigno, Parole nel tempo. Un lessico per pensare la storia, Rome, Viella, 2013 ; A. Wood, The 1549 Rebellions and the Making of Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 2007 ; K. Kesselring, The Northern Rebellion of 1569. Faith, Politics, and Protest in Elizabethan England, Basingstoke, Palgrave, 2007 ; A. Randall, Riotous Assemblies : Popular Protest in Hanoverian England, Oxford, Oxford University Press, 2006.

5 C. Barros Guimarans, « Violencia y muerte del señor en Galicia a finales de la Edad Media », Studia Historica. Historia Medieval, 9, 1991, p. 111-148.

6 Ibid., 127.

7 A. Mckay, « La semiología y los ritos de violencia : sociedad y poder en la Corona de Castilla », En la España Medieval, 11, 1988, p. 154-165.

8 Sur la violence comme langage politique, voir Challet, « Violence as a Political Language ».

9 C. Barros Guimarans, Mentalidad justiciera de los Irmandiños. Siglo XV, Madrid, Siglo XXI, 1990.

10 H. R Oliva Herrer, « Popular Voices and Revolt. Exploring Anti-Noble Uprisings on the Eve of the War of the Communities of Castile », The Voices of the People, p. 49-62. Voir aussi J. I. Gutiérrez Nieto, Las comunidades como movimiento antiseñorial. La formación del bando realista en la guerra civil castellana de 1520-1521, Barcelona, Planeta, 1973.

11 J. Valdeón, Los conflictos sociales en el reino de Castilla en los siglos XIV-XV, Madrid, 1972, p. 105-106. Récemment, sur les luttes anti-seigneuriales à Paredes de Nava, J. C. Martín Cea, « El legado de los vencidos : repercusiones de la conflictividad social bajomedieval en el régimen señorial castellano. (Paredes de Nava, siglos XIV y XV) », Castilla y el mundo feudal. Homenaje al profesor J. Valdeón, éd. M. I. del Val Valdivieso et P. Martínez Sopena, Valladolid, 2009, vol. III, p. 145-163.

12 Pedro López de Ayala, Crónica del rey don Enrique segundo de Castilla. Crónicas de los reyes de Castilla desde don Alfonso el Sabio hasta los católicos don Fernando y doña Isabel, Madrid, Rivadeneyra, 1876-1878, vol. 2, p. 9.

13 F. de Pulgar, Crónica de los Reyes Católicos, éd. J. de M. Carriazo, Madrid, Espasa-Calpe, 1943, p. 247 ; Alfonso de Palencia, Crónica de Enrique IV, éd. A. Paz y Melá, Madrid, Atlas, 1975, vol II, p. 286 ; Valdeón, Los conflictos sociales, p. 173-174.

14 Sur la prohibition de la lapidation dans les Partidas, I. Bazán, « La pena de muerte en la Corona de Castilla en la Edad Media », Clio & Crimen, 4, 2007, p. 318.

15 Fuero de Plasencia, ley 414. M. J. Postigo Aldeamil, « El fuero de Plasencia », Revista de Filología Románica, 3, 1985, p. 181.

16 C. Barros Guimarans, « A morte a lanzadas da condesa de Santa Marta (1470) : unha análise », A guerra en Galicia, Santiago, Asociación Galega de Historiadores, Santiago, 1996, p. 89-120.

17 Diego Enriquez del Castillo, Crónica de Enrique IV, éd. A. Sánchez Martín, Valladolid, Université de Valladolid, 1994, p. 363.

18 Étudié par Barros Guimarans, « Violencia y muerte del señor », p. 142-145.

19 Ibid., p. 145.

20 Ibid., p. 149.

21 Ibid., p. 151.

22 Ibid.

23 Bazán, « La pena de muerte », p. 318.

24 Par exemple dans le Fuero de Alarcón, Ley 225, consultable sur le site de CORDE.

25 E. Cabrera et A. Moros, Fuenteovejuna. La violencia antiseñorial en el siglo XV, Barcelona, Crítica, 1991.

26 M. I. del Val Valdivieso, « Resistencia al dominio señorial durante los últimos años del reinado de Enrique IV », Hispania, Revista Española de Historia, 34, 1974, p. 53-104. Pour Agreda, Valdeón, Los conflictos sociales, p. 171.

27 Sur la situation politique, M. I. del Val Valdivieso, Isabel la Católica princesa, 1468-1474, Valladolid, Instituto Isabel la Católica de Historia eclesiástica, 1974, et « La herencia del trono », Isabel la Católica y la política, éd J. Valdeón Baruque, Valladolid, Ambito, 2000, p. 15-50 ; T. de Azcona, Isabel la católica : estudio crítico de su vida y su reinado (1474-1504), Madrid, BAC, 1964, et « Isabel la Catolica bajo el signo de la revolución y de la guerra (1464-1479) », Isabel la Católica y la política, p. 51-82 ; L. Suárez Fernández, Los Reyes Católicos La conquista del trono, Madrid, Rialp, 1989, et A. I. Carrasco Manchado, Isabel I de Castilla y la sombra de la ilegitimidad, Propaganda y representación en el conflicto sucesorio (1472-1482), Madrid, Silex, 2006.

28 Valdivieso, « Resistencia al dominio señorial ». Sur limpact de la propagande isabelline dans les milieux populaires, H. R. Oliva Herrer, « Monde rural et politique à la fin du xve siècle en Castille », La société politique à la fin du xve siècle dans les royaumes ibériques et en Europe. Élites, peuple, sujets, éd. V. Challet, J.-Ph. Genet, H. R. Oliva Herrer, J. Valdeón Baruque, Paris-Valladolid, Publications de la Sorbonne/Université de Valladolid, 2007, p. 165-195.

29 J. Pérez, « Los Reyes católicos ante los movimientos antiseñoriales », Violencia y conflictividad en la sociedad de la España bajomedieval, Saragosse, Universidad de Zaragoza, 1995, p. 91-99.

30 Cabrera et Moros, Fuenteovejuna, p. 66-72.

31 Ibid., p. 107-114.

32 Ibid., p. 147.

33 Ibid., p. 148.

34 Crónica de Enrique IV, p. 286.

35 Francisco de Rades y Andrada, Chrónica de las tres Órdenes y Cavallerías de Santiago, Calatrava y Alcántara, Valencia, Paris-Valencia, 1994, vol. I, p. 79-80.

36 Ibid., p. 79.

37 Ibid.

38 Ibid.

39 Ibid.

40 Ibid.

41 Ibid., p. 80.

42 Crónica de Enrique IV, p. 286 ; Chrónica de las tres Órdenes, p. 80.

43 Chrónica de las tres Órdenes, p. 80.

44 Crónica de Enrique IV, p. 286.

45 Cabrera et Moros, Fuenteovejuna, p. 126.

46 À ce sujet, H. R. Oliva Herrer, « Viva el rey y la Comunidad ! Arqueología del discurso político de las Comunidades », La comunidad medieval como esfera pública, éd. H. R. Oliva Herrer, V. Challet, J. Dumolyn et M. A. Carmona Ruiz, Séville, Université de Séville, 2014, p. 323-327.

47 Partida VII. Titulo XX, ley 3. Las Siete Partidas de Alfonso el Sabio cotejadas por varios códices antiguos por la Real Academia de la Historia, Madrid, Imprenta Real, 1807.

48 J. Mellado Rodríguez, « El fuero de Córdoba : edición crítica y traducción », Arbor, 654, 2000, p. 209.

49 Mckay, « La semiología y los ritos », p. 162.

50 Partida I. Titulo 28, ley 2.

51 Crónica de Enrique IV, p. 286.

52 Cabrera et Moros, Fuenteovejuna, p. 117-121.

53 Chrónica de las tres Órdenes, p. 79.

54 Cabrera et Moros, Fuenteovejuna, p. 117-121. Voir aussi Crónica de Enrique IV, p. 287.

55 Crónica de Enrique IV, p. 286.

56 Cabrera et Moros, Fuenteovejuna, p. 167.

57 Crónica de Enrique IV, p. 287.

58 Bazán, « La pena de muerte », p. 317.

59 Chrónica de las tres Órdenes, p. 80.

60 Biblioteca Nacional de España. Ms. 1779, fol. 28v-29v.

61 Ibid.

62 Juan Maldonado, La revolución comunera : El movimiento de España, o sea historia de la revolución conocida con el nombre de las Comunidades de Castilla, trad. J. Quevedo, éd. V. Fernández de Vargas, Madrid, Ediciones del Centro, 1975, p. 159.

63 F. Martinez Gil, « Furia popular. La participación de las multitudes urbanas en las Comunidades de Castilla », En torno a las Comunidades de Castilla, dir. F. Martinez Gil, Cuenca, Université de Castilla La Mancha, 2002, p. 309-320.

64 M. Foucault, « Sur la justice populaire : débat avec les Maos », Dits et écrits, Paris, Gallimard, 2001, vol. I, p. 1208-1225.

65 M. Dánvila y Collado, Historia crítica y documentada las Comunidades de Castilla, Madrid, Real Academia de la Historia, 1987-1989, vol. V, p. 625.

66 Archivo General de Simancas, Patronato Real. Leg. 3, fol. 191v, et Biblioteca Nacional de España, ms. 1779, fol. 85r.

67 Dánvila y Collado, Historia crítica y documentada, vol. V, p. 437.

68 C. Álvarez García, « La revolución de las Comunidades en Medina del Campo », Historia de Medina del Campo y su tierra, Valladolid, Ayuntamiento de Medina del Campo / Junta de Castilla y León, 1986, vol. I, p. 471-576.

69 Archivo de la Real Chancillería de Valladolid, Registro de ejecutorias, C387, 30.

70 Archivo de la Real Chancillería de Valladolid, Pl. Civiles, Fernando Alonso (F), C1473, 1.