Aller au contenu

Classiques Garnier

Un procès de magie en Gévaudan et ses enjeux politiques (1347)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 1, n° 33
    . varia
  • Auteur : Baron (Solène)
  • Résumé : En 1347 s’ouvre à Mende le procès d’Étienne Pépin, franciscain défroqué. Il est accusé de l’envoûtement sur l’évêque Albert Lordet, exécuté à la demande de Guérin de Châteauneuf. Il s’agit d’un procès en magie, mais aussi d’un procès politique, à resituer dans le conflit opposant les barons locaux aux évêques de Mende, et dans le réseau d’alliance de Guérin, neveu du pape Clément VI.
  • Pages : 385 à 417
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406070290
  • ISBN : 978-2-406-07029-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0385
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
385

Un procès de magie en Gévaudan
et ses enjeux politiques (1347)

Avant de prendre principalement les traits de la sorcière, locculte avait aussi le visage du nigromanticus, linvocateur desprits1. Au xive siècle, les femmes ne représentent pas encore la majorité massive des accusés pour crime de sorcellerie2. En 1347, à Mende, un frère franciscain défroqué est condamné à quinze ans demprisonnement3. Laccusé, Étienne Pépin, est lun de ces praticiens de la magie rituelle qui exclut les femmes. Il a procédé à lenvoûtement de lévêque de Mende, Albert Lordet4. Néanmoins, il nest que lexécutant du sortilège, perpétré au moyen dune figurine de cire (imago) et dincantations. Le commanditaire du sort est le seigneur dApcher, Guérin de Châteauneuf, qui est lun des huit barons du Gévaudan, et pas le moins puissant. Il avait eu, durant les années 1330, plusieurs démêlés judiciaires avec lévêque. Selon laccusé, lopération magique avait pour but de réconcilier lévêque et le seigneur, à la demande de ce dernier. Lofficial accuse en revanche le franciscain davoir attenté à la santé et à la vie de lévêque.

386

Ce procès de 1347 doit être situé dans le contexte trouble dun siècle qui souvre sur une série de procès decclésiastiques, intentés par le pape ou le roi de France contre des prélats de premier ordre. On citera ainsi les affaires suivantes : en 1307, Clément V contre Bernard de Castanet, évêque dAlbi ; en 1308, Philippe IV le Bel contre Guichard, évêque de Troyes5 ; puis, en 1317-1318, Jean XXII contre Hugues Géraud, évêque de Cahors6, et contre Robert de Mauvoisin, archevêque dAix7. En 1319, le procès du franciscain Bernard Délicieux8, lagitateur favorable aux franciscains spirituels du Midi, sinscrit dans cette série daffaires. Les études les plus récentes ne mettent pas uniquement en avant les enjeux politiques ; elles insistent aussi sur la dimension démonologique des accusations, comme larticle de Julien Théry et Jean-Patrice Boudet sur lutilisation des arts prohibés dans le procès contre Robert de Mauvoisin9. Ces affaires sont le produit dun profond changement dans les pratiques judiciaires, mais aussi une manifestation de la souveraineté, que ce soit celle du pape ou celle du roi10. Les articles daccusation développés par la justice pontificale offrent une place considérable à la pratique des arts réprouvés par lÉglise, tels que la nigromancie ou la divination11. Laffaire dÉtienne Pépin est jugée à la fin de lannée 1347, soit plusieurs décennies après cette série de procès. Richard Kieckhefer propose un découpage chronologique de la répartition des affaires de sorcellerie et 387de magie au cours des xive et xve siècles12. Il signale une raréfaction des procès de ce type sur la période allant de 1330 à 1375. Les pontificats de Jean XXII et de Benoît XII sont marqués par un grand zèle en matière de poursuites judiciaires. Mais sous Clément VI, un certain désintérêt semble gagner la papauté. Notre affaire se situe donc en aval des grands procès en magie du début du siècle et, qui plus est, elle éclate lors dune période qui semble moins marquée par la répression de la magie.

Le procès dÉtienne Pépin doit cependant être étudié à travers le prisme du pontificat de Jean XXII, bien quil soit antérieur à laffaire dune quarantaine dannées. Ce règne est marqué par un intérêt et une inquiétude de plus en plus perceptibles face aux pratiques magiques. La papauté fait preuve dune fermeté croissante envers ceux qui sadonnent aux « arts interdits ». En 1320, Jean XXII consulte dix ecclésiastiques de haut rang afin de répondre notamment à la question suivante : ceux qui baptisent des images sont-ils coupables dhérésie ? Oui, ils le sont et doivent être jugés comme tels, tranchent les experts13. Quelques années plus tard, Jean XXII aurait fulminé la bulle Super illius specula, dont la portée et lauthenticité même sont lobjet de débats historiographiques. Elle aurait été écrite vers 1326 et constituerait une condamnation inédite des praticiens de la magie14. Cependant, la proportion de procès ayant été menés par lInquisition, comme le sont toutes les affaires dhérésie, reste faible, et ce jusquà ce que commence la chasse aux sorcières, au début du xve siècle. La politique de Jean XXII concernant la magie naurait-elle pas eu de postérité15 ?

On en vient alors à la procédure en elle-même. Elle est de type inquisitoire : linstruction semble avoir été déclenchée par la juridiction de lévêque, en vertu de son droit dauto-saisine, et en raison de la 388mauvaise fama du frère défroqué. Pépin est interrogé à plusieurs reprises, il est soumis à la torture. Confier laffaire à un tribunal spirituel, certes, mais non inquisitorial, cest apparemment dissocier la nigromancie de lhérésie. Le procès est assez imprécis sur la question : jamais Pépin nest qualifié dhérétique. Cependant, le terme heresis apparaît au moment de lannonce de la sentence. Cette accusation arrive in extremis. Le caractère hérétique du crime est peu mis en avant, sans doute avant tout pour des raisons politiques. Aux yeux de lévêque de Mende, il sagit plus de juger et de condamner celui qui a tenté de lassassiner. Laffaire semble avoir été considérée dès le départ sous un angle politique plus quelle na été envisagée comme un crime envers lÉglise.

La source a été étudiée à la fin du xixe siècle par un érudit du nom dEdmond Falgairolle : son travail a permis une première édition du texte16. En ce qui concerne lanalyse, le très bref article de Dominique Fabrié a lancé des pistes intéressantes, en particulier à propos des antécédents judiciaires du seigneur dApcher dans sa lutte contre lévêque17. En revanche, la matière « occulte », très riche dans ce procès, a été soit négligée, soit insuffisamment étudiée.

Il ne faut cependant pas perdre de vue lidée que la magie nest quun modus operandi, elle ne constitue pas le chef daccusation principal. Le frère défroqué est accusé denvoûtement, et plus précisément de tentative de meurtre ou datteinte à lintégrité physique de lévêque de Mende. Cest le crime contre lévêque que lofficial souhaite juger. Celui-ci a des racines profondes, liées au contexte de renforcement de lÉtat et daffaiblissement de la noblesse au profit de lautorité royale. Le paréage est au cœur de cette politique royale du début du xive siècle, mais la noblesse locale résiste, et lutte plus particulièrement contre lévêque dont elle dénonce les abus de pouvoir. Guérin de Châteauneuf est un des chefs de file de cette noblesse contestataire, outragée dans sa fière indépendance. La contestation passe par la voie légale, mais aussi par la voie criminelle : au moment de lenvoûtement, Guérin nen est pas à son coup dessai en matière dactes violents contre lévêque.

389

Nigromancie, divination, alchimie

Un aperçu de la pratique des « scientiae prohibitae »
à travers le parcours dÉtienne Pépin

Un nigromancien franciscain

La carrière de laccusé et sa formation aux sciences magiques sont largement évoquées au cours des interrogatoires. Pépin admet avoir effectué des recherches sur la pierre philosophale, il se présente même davantage comme un alchimiste que comme un adepte de la magie. Lappartenance à un ordre religieux peut sembler entrer en contradiction avec la pratique de la magie ; pourtant les ouvrages de nigromancie sont imprégnés de rituels propres au culte chrétien. A contrario, la magie repose en grande partie sur linvocation de démons (appelés « anges » par Étienne Pépin), qui sont supposés se plier à la volonté de celui qui les appelle. Le versant démoniaque de la magie constitue le fondement des accusations dont Pépin fait lobjet : dans les chefs dinculpation, il est présenté comme un invocateur de démons, un adepte et un expert des sciences interdites, qui a mis son savoir au profit de lennemi de lévêque de Mende18.

Pépin est un lettré, un esprit cultivé dont lorigine sociale nest sans doute pas à chercher parmi les couches les plus modestes. Selon ses déclarations, laccusé naurait fait quun bref passage au couvent de Silvinhiacum, dans le diocèse de Clermont : une année seulement, au bout de laquelle il reçoit les ordres mineurs et majeurs. Il y devient prêtre, il est donc en droit de célébrer la messe, et de procéder aux sacrements majeurs de lÉglise, tels que leucharistie ou le baptême, ce qui nest pas sans importance dans la pratique de la nigromancie. Le basculement vers létude de la magie semble se faire rapidement, puisquimmédiatement après son départ du couvent, il commence à collaborer avec Théodoric Barbancié, présenté comme un expert en science de la pierre philosophale, dont il devient le disciple. Cest Barbancié qui lui apprend lexistence de ce traité intitulé Liber juratus, quil ne possède pas cependant. Cet ouvrage de magie angélique joue un rôle important dans la formation 390de Pépin comme dans le procès : Pépin parcourt tout le midi de la France afin de se le procurer. Cest aussi en ayant recours à ce livre quil procède à lenvoûtement de lévêque. La quête du Liber juratus laurait mené jusquen Espagne, en des lieux fameux de la culture scientifique et magique. Il dit avoir séjourné à Tolède et à Cordoue, où, faute de trouver louvrage qui lintéressait, il enrichit sa bibliothèque de volumes dAverroès et de Sénèque, ainsi que d« un livre du roi Alphonse où lon apprend comment faire des images ». Puis, installé à Langeac, il y fait la connaissance de Guérin de Châteauneuf, seigneur du lieu, qui linvite à Perpignan, siège de la cour royale de Majorque où il exerce la fonction de chambellan19. Le roi Jacques III de Majorque est lui-même féru dalchimie, doù la facilité avec laquelle Pépin est introduit auprès de lui. Cest en terre majorquine que le franciscain entre en possession du livre, au château de Tresserre, près de Perpignan. À cette même occasion, il rencontre son second maître, Bérenger Ganell, auteur de la Summa sacre magice, ouvrage qui puise son inspiration dans le Liber juratus20. Ganell a probablement été au service de Jacques III de Majorque. La rencontre avec Guérin de Châteauneuf a ainsi été décisive. Les éléments concernant la vie personnelle de Bérenger Ganell sont très maigres ; on sait néanmoins quil est dorigine catalane et que sa Somme de la magie sacrée a été rédigée en 1346. Pierre Ponsich signale un fait significatif : le château de Tresserre, où a eu lieu la rencontre de Pépin avec Bérenger Ganell, appartenait au roi de Majorque21. Par ailleurs, Pépin rencontre Jacques III à Perpignan, en 1343. Cependant, par la suite, le frère 391défroqué raconte quil séjourne systématiquement à Montpellier. Or, cest aussi à Montpellier que sest réfugié Jacques de Majorque car, à partir de 1344, le souverain est privé de la partie insulaire de son royaume, ainsi que de nombreuses terres catalanes. Ganell la probablement suivi à Montpellier. Le maître en magie ayant composé son œuvre majeure en 1346, celle-ci na pu paraître quà Montpellier, et non à Perpignan comme lindique Damaris Gehr22.

Pépin, en tant que religieux, incarne larchétype de linvocateur de démons. Le monde religieux fournit de nombreux adeptes des sciences dites « occultes » au Moyen Âge, des plus modestes clercs jusquau pape, à linstar de Boniface VIII23. Pépin est aussi accusé dêtre un mathematicus, cest-à-dire un devin, voire un astrologue. Le frère défroqué pourrait être un représentant de cette sorte de spécialistes de la prospective. Autant la magie est devenue une pratique populaire, autant lastrologie na pu faire des émules dans le peuple, du fait de sa grande complexité technique. La majorité des mathematici sont des clercs, rarement haut placés dans la hiérarchie ecclésiastique.

Les pouvoirs du nigromancien

Lobjet magique par excellence dans ce procès est limage de cire. Cest elle qui a permis le sortilège. Elle a été fabriquée au moyen de deux livres de cire blanche. Elle a la forme dun homme habillé, avec des bras repliés le long du corps et des jambes. Sur le recto de la figurine sont inscrits le nom du père et de la mère de lévêque, ainsi que les noms des anges qui dominaient au moment où limage a été créée. Ils sont écrits en lettres latines, bien que les noms des anges soient hébraïques (ou semblent lêtre) : laccusé ne se souvient que dun seul dentre eux, Anoelh. Les anges qui dominent au moment dun envoûtement relèvent dune planète ; le sort ayant été réalisé un vendredi, jour de Vénus, il fallait donc que Pépin invoque lesprit correspondant. Cest pourquoi il a inscrit le nom dAnoelh, orthographié soit Hanahel soit Hanael dans les différentes versions du Liber juratus. Dans le second traité de 392cet ouvrage, lauteur dresse une typologie des esprits : ils sont répartis en six catégories, les esprits de Jupiter, de Mars, du Soleil, de Vénus, de Mercure et de la Lune. À chaque groupe correspondent des fonctions spécifiques, des attributs moraux et physiques. Ainsi, les esprits de Vénus sont lascifs, associés au désir, au commerce avec les femmes24. On ne peut faire léconomie dune comparaison avec un manuel de nigromancie, le manuscrit bavarois du xve siècle, étudié par Richard Kieckhefer dans Forbidden Rites25. Dans la section de ce manuel relative à la magie astrale, on associe un ange à chaque jour de la semaine. Anael est, comme dans le Liber juratus, celui du vendredi ; on invoque cet esprit angélique afin de susciter lamitié entre des individus ou dobtenir lamour dune femme, et pour cela, il est nécessaire de fabriquer une image de cire blanche. Or, selon la version de Pépin, lenvoûtement aurait eu pour but de réconcilier Guérin et lévêque. Elle concorde donc bien avec ces éléments, et indiquerait que les accusations portées par lofficial sont fausses. Qui plus est, Anael est associé à la deuxième heure de la journée et fabriquer une image en linvoquant à ce moment est censé avoir pour effet de sattirer la bienveillance de quelquun26.

Le Liber juratus

Cet ouvrage de magie, tant convoité par le franciscain défroqué, fait lobjet dune description étonnamment détaillée. Les réponses de Pépin fournissent des informations précieuses sur les conditions délaboration, la transmission et la diffusion du livre. Laccusé précise que louvrage quil a eu entre ses mains est en papier et fait la taille dun psautier. Il ne reste que trois exemplaires principaux du Liber juratus, tous conservés à la British Library, dans la collection Sloane. Le premier, identifié 393comme le Sloane 3854 par Gösta Hedegård, contient, entre autres, la transcription complète du Liber. Le Sloane 313 constitue en revanche un manuscrit incomplet, auquel il manque trois folios. Les caractères employés, à savoir des cursives anglaises, ont permis au philologue suédois daffirmer quil sagit dune version anglaise, et de dater le manuscrit de la seconde moitié du xive siècle. Il sagit de lexemplaire le plus ancien, après le ms. 3854. Enfin, le Sloane 3885 semble être une version « corrigée », écrite dans un latin plus classique, et bien postérieure aux deux autres, puisque Gösta Hedegård la date du xvie siècle. Les éléments de description fournis par laccusé au cours du procès concordent avec les différents manuscrits dont on dispose : Pépin énumère avec exactitude les chapitres du livre et donne le contenu de son prologue. Bien que toutes les versions du Liber juratus soient conservées en Angleterre, rien ne permet den déduire quil a été rédigé outre-manche. Par ailleurs, la Summa sacre magice de Bérenger Ganell, le maître de Pépin, comporte des passages qui sont la reprise pure et simple du Liber juratus27. Les deux textes se réfèrent à Honorius, présenté comme lauteur du livre.

Comme Pépin lexplique dans linterrogatoire, lauteur de louvrage serait en effet un certain Honorius de Thèbes, fils dEuclide28. Les historiens saccordent sur le caractère fictif de cet Honorius. Il est probable que le véritable auteur de louvrage nait pas voulu révéler son identité, comme cest très souvent le cas. Il se cache derrière des autorités pseudépigraphiques telles que Salomon, Hermès Trismégiste, Toz le Grec ou Germath le Babylonien. Ces autorités fictives et antiques sont présentées comme des références en matière de magie. Cependant, le procès de 1347 nous offre un indice considérable et inespéré sur lidentité de lauteur et sur son origine géographique. Pépin déclare : « un certain maître Pradel rapporte dans son prologue que, autrefois, on le lisait dans quatre studia, cest-à-dire à Athènes, Thèbes, Naples et Tolède29 ». Rien ne permet de dire que lauteur du prologue est aussi celui du livre dans son ensemble. Mais cette mention aiguille vers lhypothèse dune origine française du 394Liber juratus. Pradellus, cest-à-dire Pradel, est un nom dorigine occitane ; on dénombre, vers 1500, 223 individus porteurs de ce patronyme dans lactuel département de lAveyron, soit plus de la moitié des Pradel du royaume à cette époque. De plus, comme le note Jean-Patrice Boudet, Pradels savère être le toponyme dune localité aux marges du Gévaudan et de lAuvergne, non loin de Langeac, lépicentre de laffaire30. Encore une fois, le Midi apparaît comme le lieu où prospère la culture magique. Après Théodoric Barbancié, après Ganell, le Catalan installé à Langeac, un nouvel expert méridional des arts magiques fait irruption. Mais doù Pépin tient-il lidentité de lauteur du prologue ? Les manuscrits anglais nen font pas état et aucun Pradellus ou Pradel na laissé de trace dans le domaine de la nigromancie. Aucune source externe, autre que le procès lui-même, ne permet de confirmer ou dinfirmer les déclarations du frère défroqué.

Le Liber juratus constitue un ouvrage de magie rituelle. Le modus operandi repose avant tout sur des invocations et des prières. Le traité promet ainsi lobtention de richesses matérielles mais aussi de bénéfices spirituels, à savoir la vision béatifique (cest-à-dire la vision de Dieu) avant la mort. La procédure à suivre repose quasi exclusivement sur la prière et ladoption dun comportement ascétique. Cette dimension dévotionnelle est plus marquée dans les ouvrages de nigromancie de la fin du Moyen Âge, qui mettent laccent sur les rituels dinvocation ou de purification assurant la réussite de lopération magique31. Kieckhefer distingue la magie démoniaque (demonic magic) de la magie naturelle en ce que la première est imprégnée de religion (bien quelle soit « irreligieuse »), tandis que la seconde est compatible avec le dogme. Cest bel et bien de la première catégorie que relève le Liber juratus : les rituels de mortification quil préconise, la prière incessante lui confèrent une dimension religieuse et ont de quoi séduire les ecclésiastiques curieux, mais les nombreux éléments subversifs quil contient ne le rendent pas pour autant tolérable par lÉglise. Hedegård le décrit comme un traité « relativement pieux, autant que peut lêtre un livre de magie ». En effet, le rituel de purification auquel doit procéder le « magicien » repose sur 395des fondements chrétiens. La pénitence et la confession sont les étapes préliminaires pour toute opération. Les pratiques préconisées par le Liber, au même titre que celles que lon trouve dans de nombreux ouvrages de magie, renvoient bien à celles dun prêtre. Les articles daccusation du procès évoquent plusieurs fois la réalisation dun exorcisme32. La porosité entre pratiques dexorcisme et pratiques magiques est plus perceptible dans dautres ouvrages (par exemple, le Liber consecrationum) ; cette perméabilité pose problème, car il est quasi impossible de faire la distinction entre ce qui relève de la tradition canonique et ce qui fait partie de la tradition nigromantique33. Pépin admet avoir exorcisé limage, bien quil ne reconnaisse pas lavoir baptisée (set non babtisavit eam, tamen ipsam exorsisavit et etiam conjuravit, fol. 18r). Lexorcisme est une opération au cours de laquelle un clerc sadresse aux démons et leur donne des ordres. Elle se fait donc à leurs dépens, contrairement à la conjuratio, qui consiste à invoquer les démons afin de les liguer contre une personne. La conjuration est en tout cas synonyme de commandement, selon Kieckhefer : lagent contraint un esprit à lui obéir, à réaliser ses volontés. Lambivalence des ouvrages de magie est perceptible dans le vocabulaire quils emploient : par exemple, le verbe ligare (lier) implique de contraindre un esprit afin que son pouvoir néfaste soit maîtrisé par le magicien et lui permette daccomplir sa volonté. Le nigromancien conclut donc une sorte de pacte avec le démon quil soumet34. Cependant, la réussite dun sortilège repose sur « une dévotion sans faille », car le pouvoir que détient lopérateur du sort provient de Dieu35. Linvocation des noms de Dieu, qui est au cœur du rituel préconisé par le Liber juratus, est lun des éléments qui permettent de rapprocher le magicien de lexorciste : le nigromancien sen remet ainsi à la puissance divine, absolument nécessaire à la ligation des esprits36.

396

Un lectorat de clercs

Le clerc est lindividu le mieux à même de pratiquer correctement la nigromancie, car sa formation religieuse est en accord avec lascèse quexigent les arts magiques. Confession, jeûne, prières intenses sont autant de comportements de dévotion. Cette particularité nest pas propre au Liber juratus. Nombreux sont les livres de magie qui présentent de telles exigences. La pureté est une condition nécessaire à la réussite des opérations mentionnées par les ouvrages de nigromancie. Il nest guère étonnant quÉtienne Pépin, ancien frère mineur, soit féru de ce genre de littérature. À lévidence, un ouvrage entièrement rédigé en latin ne peut sadresser quà un public lettré. Sur lensemble des manuscrits conservés à ce jour, Jean-Patrice Boudet en recense cinq seulement en langue vernaculaire, dont lun est une traduction partielle, en anglais, dun traité originellement rédigé en latin37. Le Liber juratus, malgré lexistence dune version anglaise plus tardive, ne peut donc être associé à une pratique populaire de la magie. On peut sinterroger à propos du Liber juratus comme le feraient les théoriciens de la littérature pour un roman : ce titre sadresse à un type de lecteurs particulier, quil sagit de déterminer. Or, Pépin est représentatif du lecteur douvrages de nigromancie. La richesse des références à la tradition et à la morale chrétiennes permet de dresser le portrait des praticiens de la nigromancie. Le Liber juratus, comme la plupart des œuvres du genre, sadresse à un lectorat de clercs, cest-à-dire à des hommes ayant reçu les ordres, et plus particulièrement les ordres mineurs38. Pépin, quant à lui, a reçu les ordres majeurs.

Le Liber juratus na pas la moindre des prétentions : lauteur le présente comme un livre sacré, Liber sacer est dailleurs lautre titre mentionné39. Dieu lui-même aurait affirmé la sacralité de louvrage. Il sagit là dune revendication courante des livres de nigromancie, qui affirment renfermer des savoirs mystérieux devant faire lobjet dune révélation40. Il ne sagit pas de pure rhétorique : cest par Dieu que les nigromanciens peuvent 397accéder à des connaissances inaccessibles au commun des mortels. En cela, les procédés magiques développés par le Liber juratus sont lobjet dune transmission exclusive, ils sont réservés à une élite41. Ceux qui sont en mesure dêtre initiés à ces connaissances tiennent ce privilège de Dieu. Selon les dires de Pépin, il ne peut être remis entre toutes les mains : « [] le Liber juratus ne doit être transmis à aucun homme dont les mœurs nont pas été éprouvées pendant un an », de même quil « ne doit pas être confié aux femmes42 ». Lexclusion de ces dernières sexplique par le fait que cette pratique de la magie est quasi érudite et sacerdotale, et non pas populaire, comme on la vu. De plus, la magie rituelle considère les femmes comme impures. Une sélection est ainsi opérée quant aux possesseurs du livre et à la transmission de la science quil est censé délivrer. Pépin parle de « secreta » à propos des informations quil renferme. Tout dabord, avoir accès au Liber juratus suppose que lon ait le statut informel de « magister », donc une expérience et une connaissance solides en la matière. Ensuite, on ne peut le copier plus de trois fois. Le maître en sa possession doit être enterré avec louvrage si personne nest digne den hériter, le lieu de sépulture devant rester inconnu. De plus, ses disciples, dans le cas où ils auraient connaissance dun certain nombre de secrets, doivent être prêts à mourir plutôt que de les révéler. Celui qui entre en possession du livre ne doit pas interroger son maître ; il sengage à respecter le « pacte de fidélité », selon les mots de Graziella Federici-Vescovini, pacte qui découle des précédents serments43. Dès lors, le titre lui-même de Livre juré prend tout son sens, dans la mesure où ce serment fictif est décrit comme fondateur. La pratique de la magie apparaît donc particulièrement exclusive.

Le Liber juratus a continué à circuler entre les mains des clercs, après laffaire de 1347. Les recherches de Pierre Ponsich sur la bibliothèque de Ramon de Perellos pourraient le confirmer, bien quelles concernent une période postérieure à la nôtre : parmi les ouvrages mentionnés, il en identifie un comme étant le Liber juratus, hypothèse qui doit 398cependant être considérée avec prudence44. Ce manuscrit a fait lobjet dune transaction en 1385 : il figurait dans la collection personnelle du frère carmélite Guillem Sedasser ou Sedacer, auteur dun important traité dalchimie45. Celle-ci contenait dix livres dalchimie et cinq dastrologie et astronomie sur 37 titres. Pierre Ponsich précise que le nombre de titres relatifs à lalchimie a été sous-estimé. Ils sont en tout cas surreprésentés dans la bibliothèque du frère. Lhistorien note ainsi lorientation « hermétique » de la bibliothèque de Sedasser.

LÉglise et le sortilegus

Le procès de la magie par la justice ecclésiastique

Le statut que lÉglise attribue à lexercice de la magie ne peut être évoqué sans faire référence aux débats du pontificat de Jean XXII. Son règne marque un tournant dans la façon dont lÉglise conçoit la magie et entend réprimer sa pratique. Lassociation de la magie à lhérésie nétait pas sans précédent : en 1258, une bulle dAlexandre IV, reprise dans le Liber Sextus de Boniface VIII en 1298, autorisait les inquisiteurs à poursuivre les magiciens et devins à condition que les affaires les concernant aient « une saveur dhérésie ». Dans le cas contraire, cela leur était catégoriquement refusé46. La difficulté réside dans la définition toute relative que chacun peut donner à cette « saveur dhérésie » : en quoi le droit canon est-il en mesure de délimiter ce qui relève de lautorité dun juge inquisiteur ou dun juge ecclésiastique ordinaire ? À la lumière du procès de 1347, il sagira dévaluer la portée effective de la politique pontificale à cet égard.

399

La menace du démon :
la fièvre démonologique du début du
xive siècle

En 1320, Jean XXII sadresse à dix prélats afin de les consulter sur le bien-fondé de la qualification en hérésie de la magie. Deux dentre eux sont des dominicains, deux autres des franciscains, et appartiennent ainsi aux ordres directement concernés par la question, puisque les inquisiteurs sont traditionnellement choisis parmi les mendiants. Pour la première fois dans lhistoire de la chrétienté, un pape manifeste la volonté de faire reconnaître la magie comme une forme dhérésie. Cette caractérisation nouvelle des pratiques magiques peut avoir des répercussions concrètes : les adeptes de cette « science » devraient dès lors faire lobjet de sanctions sévères, à linstar des Vaudois ou des Spirituels. Les poursuites judiciaires à leur encontre relèveraient dès lors de lInquisition. LÉglise sortirait de son indifférence envers la magie : de pratique superstitieuse sans gravité, elle devient un art honni et diabolique, contraire à la foi. Alain Boureau signale une autre rupture qui résulte de lentreprise papale : la définition même dhérésie sen trouve bouleversée. Étymologiquement, lhérésie est un choix, elle existe donc intellectuellement. Est hérétique tout individu qui professe une opinion contraire à la foi. Autrement dit, on est moins hérétique en acte quen pensée ; lerror réside dans lintention47. Or, Jean XXII qualifie dhérésie une pratique ; quand bien même celle-ci était jugée négativement auparavant, elle nétait pas considérée comme une « erreur doctrinale ». Les questions soulevées par le pape dans sa consultation se focalisent sur un aspect particulier de la magie, à savoir le détournement des sacrements, que ce soit à des fins de guérison ou de maléfice, ou encore de manipulation dun tiers. Laccusation dhérésie réside donc dans le fait de détourner des pratiques chrétiennes de leur fonction première.

La réponse de ces religieux na rien dunanime, mais la qualification dhérésie est tout de même approuvée48. Largumentation de tous insiste 400sur le fait que les auteurs de sortilèges sont des sacrilèges, dans la mesure où ils détournent les sacrements ou les objets sacrés, tels que les hosties. Linvocation des démons suscite des discours divergents entre lÉglise et les magiciens. Alors que la première voit dans la nigromancie une pratique démonolâtre, il sagit plutôt, si lon en croit les nigromanciens eux-mêmes, de demander laide divine afin quelle contraigne les démons à lobéissance. LÉglise voit dans certains actes, tels que le jeûne ou le fait de porter une tenue spécifique, autant de manières de sacrifier aux esprits, et donc de leur être liés, dêtre soumis à eux. Mais les ouvrages de magie ne disent jamais explicitement que lopérateur doive se soumettre aux démons et se faire leur serviteur.

La bulle Super illius specula, fulminée en 1326 ou 1327, sinscrirait dans le prolongement de la consultation de 1320, et serait sa concrétisation juridique. Cependant, certains historiens ont soulevé la question de lauthenticité de ce document, cest le cas dAlain Boureau. Il note néanmoins que cette bulle est larbre qui cache une « forêt des documents49 ». Remettre en question lauthenticité de ce document ne signifie pas pour autant que lon puisse écarter lidée dune inquiétude du pape vis-à-vis de la démonolâtrie. Nombreuses sont en effet les autres sources qui permettent dattester de la volonté du pape de poursuivre les nigromanciens comme hérétiques.

L évolution des préoccupations démonologiques
de Benoît XII à Clément VI

Les pontificats de Jean XXII et de Benoît XII regorgent daffaires de magie. Au contraire, sous Clément VI, on ne dénombre quun seul procès inquisitorial de la sorte, celui de 1347 nétant pas instruit par lInquisition. Cela traduit-il pour autant un recul de la magie ? Rien nest moins sûr. Le nombre daffaires sest résorbé de façon si spectaculaire quil est fortement permis den douter. On peut plutôt y voir la variabilité des préoccupations des papes successifs. Jean XXII apparaît comme linstigateur de la chasse aux nigromanciens. Benoît XII, bien quil ait 401fait moins de bruit autour de la répression de la magie, nen est pas moins un continuateur de lœuvre de son prédécesseur. Quant à Clément VI, la question ne semble pas autant le préoccuper ; il dépense bien moins dénergie à la poursuite des adeptes de la magie que les précédents papes.

On note une certaine continuité entre les règnes de Jean XXII et de Benoît XII. Le premier pontificat pris en compte dans ces statistiques est celui de Jean XXII, pour les raisons déjà évoquées. En effet, le choix de lan 1300 comme point de départ aurait été arbitraire dans la mesure où les prédécesseurs de Jean XXII navaient pas mené de politique de répression dirigée spécifiquement contre les sortilegi et autres nigromanciens. Par ailleurs, les procès en hérésie ont été exclus : si quelques-unes des personnes accusées de sorcellerie ont été qualifiées dhérétiques, cela reste très minoritaire. Les accusations dhérésie durant cette période concernent surtout les Spirituels et leurs sympathisants.

Le midi de la France apparaît comme lépicentre des affaires en magie. La nigromancie serait un art plus répandu que dans toute autre contrée ; mais cela peut tout aussi bien être un lieu où lInquisition exerce un contrôle plus étroit et une pression plus constante, un lieu qui concentre lattention des papes et de leurs subordonnés. Cela sexplique notamment par lorigine méridionale des souverains pontifes du xive siècle : Jean XXII est natif de Cahors et la famille de Benoît XII est originaire des Pyrénées. La seconde hypothèse nexclut pas lautre, elle peut même en être la conséquence.

Pontificat

Date

Condition des inculpés

Diocèse

Ecclésiastiques

Laïcs

Femmes

Nombre

Ordre, statut

Jean XXII

1319

2

Carme, prêtre

1

Pamiers

1320

1

Paris

1323

1

Moine bénédictin

Cahors

1326

1

Chanoine

Agen

1326

3

Un prieur et deux clercs

Xi

Cahors, Toulouse

1327

1

Moine cistercien

Béziers

1331

2

Dominicain et bénédictin

Autun, Paris

402

Benoît XII

1335

1

Clerc

Paris

1336

1

Prêtre

1

Tarbes

1336

2

Moine, recteur déglise, clerc

4

2

Cahors

1338

2

Viviers

1339

3

Maguelonne

1339

5

4 moines cisterciens, un clerc

1

Rieux

Clément VI

1343

1

Clerc

Narbonne

Total

20

>7

8

Fig. 1 – Tableau de répartition des procès en magie et en sorcellerie
menés par l
Inquisition, de Jean XXII à Clément VI50.

i. X = chiffre inconnu

Il est certain que la poursuite des magiciens et des sorciers ne figure pas dans les priorités de Clément VI : un seul procès en magie donne lieu à lémission dune bulle, au tout début de son pontificat, en 1343. Les lettres quil adresse aux inquisiteurs ou aux prélats concernent avant tout la poursuite des hérétiques, tels que les béguins. Celles de Jean XXII où celui-ci exhortait évêques et inquisiteurs à mener une répression sans faille contre les nigromanciens font donc figure dexception en ce premier xive siècle. Le procès de Pépin souvre dans un contexte que lon ne pourrait qualifier dapaisé, cependant moins centré sur la traque du démon et de ses disciples, les nigromanciens, que ne létait la période du pontificat de Jean XXII. Ce dernier laisse néanmoins derrière lui lidée que la magie ne peut être que le produit de laccointance et de la complicité de certains individus avec le diable.

403

La place effective de la qualification en hérésie

Derrière la question de la compétence des tribunaux se pose celle de lapplication de la bulle Super illius specula et de la volonté pontificale de manière générale. En 1318, une longue lettre adressée à lévêque de Fréjus demande à celui-ci de faire preuve de la plus grande fermeté envers les nigromanciens. Il énumère avec force précisions les actes que lÉglise ne peut tolérer ; ces individus sont littéralement présentés comme des ennemis du genre humain se livrant à des crimes hérétiques (presertim cum labem sapiant heretice pravitatis)51. La nigromancie, de même que la géomancie et dautres arts non précisés, se voient décerner le titre d« artes demonum » : aucun doute sur la nature démoniaque que Jean XXII prête à ces pratiques. Deux ans plus tard, dans la bulle du 22 août 1320 où le pape insère une lettre du cardinal Guillaume de Peyre Godin, celui-ci (et Jean XXII à travers lui) recommande aux inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne de poursuivre et de châtier les idolâtres du démon. Il énumère avec précision les actes répréhensibles : la ligation dun démon (ad demonem alligandum), linvocation de démons (demonum invocatione) dans le but de commettre un maléfice, la fabrication et le baptême dune image de cire (qui sacramento babtismatis abutendo ymaginem de cera seu de re alia factam babtizant), les sortilèges qui requièrent lutilisation dune hostie consacrée, et qui constituent un détournement de leucharistie ou de tout autre sacrement de lÉglise. Doivent également être châtiés les commanditaires de tels maléfices, sils ont conscience du sacrilège quils commettent. Tous ces individus sont dès lors passibles de poursuites pour fait dhérésie (in facto heresis). Ainsi, avant même la bulle Super illius specula, Jean XXII œuvre à la diffusion de ses principes théologiques et juridiques. Il use de son autorité pour leur mise en application, et rappelle par la même occasion aux inquisiteurs quils servent le Saint Siège et sont donc soumis à ses directives. De façon moins franche, il associe déjà nigromancie et hérésie dans la lettre quil adresse le 28 juillet 1319 à lévêque de Pamiers, au sujet dun carme, dun prêtre et dune femme accusés de fabriquer des images, de réaliser des enchantements, de consulter les démons, et de se livrer à dautres activités superstitieuses. Dans cette bulle, nulle mention nest faite de lhérésie, mais une allusion explicite rapporte les « erreurs » dont les accusés se sont rendus 404coupables. Le choix lexical est particulièrement problématique : quels termes permettent didentifier un cas dhérésie ? Le simple emploi du terme « error », ou de dérivés, est-il suffisant pour y renvoyer ? Équivaut-il à une mention littérale de lhérésie ? Les considérations dogmatiques ne doivent pourtant pas cacher la forte dimension politique du procès intenté au frère franciscain.

L usage politique de l accusation de magie

La nigromancie est présentée comme lun des principaux chefs daccusation contre Pépin. Elle est lobjet dune condamnation, car elle est perçue comme dangereuse. Ce nest donc pas une accusation d« appoint », qui permettrait simplement de justifier la mauvaise fama du prévenu. Mais dans le cas de Pépin, le politique et le magique sont indissociables : cest la tentative de meurtre sur lévêque qui est jugée, bien plus que la pratique de la nigromancie. Les articles daccusation ne font pas état du rôle de Guérin de Châteauneuf dans lenvoûtement, comme si Pépin avait agi seul. Lofficial fait donc preuve dune grande prudence à son égard. Selon Peters, on saperçoit à travers les sources judiciaires que la nigromancie était étudiée et pratiquée par des sortilegi sans renommée spécifique, dont les maîtres, puissants, sont bien souvent épargnés par la justice52.

Quant à la qualification en hérésie, elle a aussi été utilisée par les puissants comme une arme politique. Les articles daccusation portent sur une tentative dassassinat (ou de mutilation) sur lévêque, au moyen de procédés magiques réprouvés par lÉglise. Mais le fait que le commanditaire de lenvoûtement nait pas été incriminé semble évacuer laspect politique de laffaire : on sait juste, daprès les aveux de Pépin, que le seigneur dApcher nentretenait pas de bons rapports avec Albert Lordet53. Le xie article daccusation affirme que Pépin a réalisé la figurine de cire « à linstigation des ennemis de lévêque ». Mais ces ennemis ne sont pas poursuivis par la justice. Contrairement à ce quécrit D. Fabrié, le seigneur dApcher na jamais fait lobjet de la moindre poursuite concernant lenvoûtement. Guérin na donc 405pu être condamné à quinze ans de prison54. Linventaire des archives de Lozère ne relève pas de procédure judiciaire à son encontre. Cest tout le paradoxe de laffaire : sa teneur éminemment politique a été pratiquement passée sous silence, Albert Lordet préférant mettre laccent sur le mode opératoire de laccusé. On pourrait alors rapprocher laffaire Pépin de la série de procès politiques du début du siècle. Néanmoins, ils avaient pour objectif évident de faire tomber les puissants qui gênaient le roi ou encore la papauté. Le procès de Pépin a cela de déroutant quil met en cause lagent de lenvoûtement et non son commanditaire, bien que la fama de celui-ci en soit logiquement affectée. En témoigne la lettre de rémission de Jean II (que nous étudierons plus loin), dont lobjectif est dabsoudre le seigneur dApcher et de le rétablir dans sa bonne fama. Bien que le frère mineur ait déclaré explicitement avoir agi « à linstigation et à la demande du seigneur dApcher », ce dernier nest ni convoqué comme témoin ni poursuivi par le tribunal épiscopal.

Lévêque, le roi, le pape :
vassalité, clientèle et luttes de pouvoir

Les protagonistes de laffaire sinscrivent dans un réseau complexe de parenté et dalliances politiques. Par sa femme, Marie de Belfort, le seigneur dApcher est lié à un clan puissant : loncle de son épouse nest autre que le pape Clément VI. Le mariage entre les familles de Roger de Belfort et de Châteauneuf date de 1347, soit lannée même où laffaire éclate. Guérin apparaît à travers les bulles pontificales émises par Clément VI comme un familier et un homme de confiance de celui-ci. Par ailleurs, les tensions entre les évêques gévaudanais et la royauté se sont bien apaisées au cours du siècle. Lhistoire spécifique du Gévaudan est marquée par des conflits profonds qui ont caractérisé les rapports entre les évêques et les barons locaux, dune part, et les rois de France dautre part. Ils ont eu des répercussions certaines dans la querelle opposant Guérin de Châteauneuf et Albert Lordet.

406

Le comté se situe aux confins de lAuvergne, au nord, du Rouergue, à louest, et du Languedoc, au sud55. Aux xiie et xiiie siècles, il fait lobjet de rivalités entre lAragon, les comtes de Toulouse et les évêques de Mende. En 1226, le roi de France simmisce dans ces affaires, avec la ferme intention de rattacher la région à son royaume : par le traité de 1229, elle passe sous son autorité. Ce qui semble dautant plus indispensable que la guerre reprend entre seigneurs locaux. Ce traité a causé le rattachement des anciens territoires aragonais au royaume de France. Cependant, lévêque de Mende conserve le statut de suzerain qui lui avait été conféré jusque-là. Le roi de France est donc vassal dun évêque. Des tractations sont menées entre les deux parties, qui aboutissent, en 1266, à un accord par lequel lévêque de Mende renonce à sa suzeraineté. Mais cet accord est régulièrement violé par la sénéchaussée de Beaucaire à laquelle est rattachée la vicomté, si bien que les évêques sont en procès continuel avec le pouvoir royal, jusquau début du xive siècle. Lacte de paréage, conclu en 1307, semble mettre un terme au conflit : lévêque conserve sa seigneurie et les privilèges dont il bénéficie, le roi reste le maître de la vicomté, mais les deux parties se partagent lexercice de la justice56. Cependant, la noblesse locale ne manifeste aucun enthousiasme pour ce nouvel ordre des choses qui la prive de son autonomie.

Les barons frondeurs

Mende ne constitue pas une exception en matière de paréage. Celui de Mende comporte une spécificité particulièrement révélatrice de la situation du diocèse et du pouvoir épiscopal à la fin du xiiie et au début du xive siècle. Les autres traités prévoient un partage de souveraineté en matière de juridiction sur les fiefs de la partie contractante : le roi nexerce son pouvoir judiciaire que sur les terres relevant du domaine temporel de lévêque. Cependant, le paréage de Mende prévoit le partage de la haute et basse justice sur un territoire bien plus étendu, incluant les fiefs des seigneurs gévaudanais, qui, précisément, se sont tant opposés 407à lautorité des évêques. De plus, contrairement aux autres paréages, les terres royales et épiscopales nentrent pas dans le contrat, si bien quun officier royal ne peut rendre la justice sur le domaine de lévêque, par exemple. Chacun conserve ses prérogatives sur son propre territoire. Le traité présente donc un avantage indéniable aux yeux du pouvoir épiscopal ; le roi se fait le garant du respect de lacte de paréage, et donc de lautorité de lévêque, celui-ci tenant la noblesse sous sa coupe. Au début du xive siècle, lévêque de Mende Guillaume Durand prend ainsi en tenaille les seigneurs rebelles.

Les années 1340 sont marquées par léchec des barons dans leur tentative de remise en question du paréage, comme le montre létude de Romain Telliez57. En 1341, le roi Philippe renouvelle son soutien à lévêque, Albert Lordet, en imposant à la sénéchaussée de réparer les torts éventuellement causés à lévêque58. Les seigneurs gévaudanais ne renoncent pas pour autant à leur désir dindépendance : ils entament un nouveau procès, par lequel ils réclament lannulation pure et simple des actes de paréage, et cette fois, en sadjoignant le soutien dun procureur royal59. Les plaignants principaux sont les seigneurs du Tournel, de Canilhac et dApcher. La stratégie des nobles est la suivante : le paréage est dénoncé comme néfaste pour le royaume, dont il menacerait lintégrité. Leur souci pour les intérêts de la couronne est purement factice, cest un argument stratégique destiné à leur faire obtenir gain de cause. Contrairement au précédent procès des années 1300, qui dénonçait les abus de pouvoir commis par les officiers royaux aux dépens de la noblesse, celui-ci prend directement pour cible Albert Lordet lui-même, accusé entre autres dentraver laction des représentants du pouvoir royal et de sarroger certains droits sur des juridictions qui ne sont pas de son ressort60. Les plaignants ont adressé plusieurs lettres à la cour mais se sont vus déboutés61. Le pouvoir royal a peu à peu pris ses distances avec le camp noble : après la lettre de Philippe VI, en 1341, demandant au sénéchal de réparer les torts faits à lévêque, une ordonnance de 1343 annonce la 408suppression des concessions faites aux nobles gévaudanais ; un arrêt de la même année demande au procureur du roi, qui sétait joint aux barons dans leur procès, de se retirer de laffaire. On peut voir dans ce procès, intenté quelques années seulement avant laffaire Étienne Pépin, un indice majeur sur les origines de lhostilité profonde entre le seigneur dApcher et lévêque. Le paréage est donc lune des clés de lecture de laffaire de 1347. Les seigneurs gévaudanais, et en particulier les plus puissants dentre eux, comme Guérin, refusent les accords conclus au xiiie siècle entre le roi et lévêque, qui mettent en péril leur indépendance.

Albert Lordet :
des abus incessants envers l
autorité royale

Dans le mémoire quils remettent au Parlement dans les années 1340, les barons gévaudanais avancent un argument qui, espèrent-ils, devrait faire pencher la balance en leur faveur : ils mettent en exergue les multiples abus dont lévêque de Mende se rend coupable envers le pouvoir royal. La partialité de ce mémoire est évidente. Albert Lordet lèse la couronne sur le plan financier : il entrave la levée des impôts royaux, et cela en usant de la violence. Ainsi, les chanoines, traditionnellement désignés pour percevoir les taxes, ont été molestés et emprisonnés sans motif par des hommes de lévêque62. Les subsides pour la défense du royaume ne sont pas levés. Il empêche les nobles de son diocèse de se rendre à lost royal, et nhésite pas à les menacer de se voir confisquer leurs terres. À cela sajoutent des actes iniques et violents, tels que le prélèvement de fortes sommes dargent sur ses sujets, quil utilise à son profit, et bien sûr, en toute violation du paréage ; les sergents de lévêque ont également brutalisé le prévôt à plusieurs reprises. Les attaques de lévêque ciblent également les représentants du pouvoir royal : Romain Telliez mentionne qu« un sergent royal, envoyé à Mende pour faire certaines citations et commissions, fut capturé et emprisonné plus de trois jours », et cela à la connaissance de lévêque63. Il se livre ainsi à une violation continuelle des intérêts royaux.

Bien quil soit impossible de laffirmer, il nest pas à exclure que labsolution de Guérin de Châteauneuf par Philippe VI puis par Jean II le Bon soit une manière de montrer à Albert Lordet que la royauté 409ne cède pas devant ses provocations, et que les ennemis de lévêque peuvent aussi être les alliés du pouvoir royal. La procédure des années 1340 entamée par la noblesse a échoué, mais il nest pas dit que les accusations portées par elle contre lévêque aient été oubliées. La remise en question du paréage aurait été un retour en arrière dans lentreprise de renforcement de lautorité royale et dunification territoriale ; cest pourquoi le Parlement a donné tort aux barons. Les débordements dAlbert Lordet sont, en quelque sorte, un moindre mal. Labsolution du seigneur dApcher peut être un avertissement envers lévêque ; cest aussi et surtout le résultat de la mise en marche dun réseau de grands personnages.

Répliquer par la loi

Le combat juridique des barons gévaudanais a été une lutte de longue haleine, commencée en 1308 mais qui na toujours pas abouti en 1344, date à laquelle on peut situer lenvoûtement dAlbert Lordet par Étienne Pépin. Les seigneurs du Tournel, de Peyre, de Canilhac, dApcher et de Cénaret sont à la pointe de la contestation du paréage et de la dénonciation des torts que leur causent lévêque et son administration. En avril 1308, vingt-et-un barons et vingt-six damoiseaux sont réunis à Alès, devant le sénéchal, auquel ils affirment vouloir persévérer dans leur lutte. Les représentants du pouvoir royal sont, quant à eux, déterminés à faire obstacle aux poursuites judiciaires de la noblesse. Ainsi, en février de la même année, le roi demandait dans une lettre adressée au sénéchal la convocation des nobles gévaudanais afin quils sexpliquent au sujet des articles hostiles au paréage dont ils sont à lorigine. La lettre stipulait que les seigneurs souhaitant continuer la procédure judiciaire devaient se présenter en personne devant le procureur du roi, lévêque de Mende et le roi lui-même, cette dernière condition étant difficile à remplir pour la noblesse pauvre de la région. La démarche na cependant pas abouti, et le fait que les barons ne se soient pas déplacés à Paris en est probablement la cause, selon Romain Telliez. En 1344, ils adressent un mémoire à la cour royale, faisant état des divers préjudices occasionnés par lacte de paréage, ou que celui-ci pourrait causer à lavenir.

Les plaintes concernent tout dabord des questions judiciaires : les seigneurs gévaudanais ont, depuis 1307, deux suzerains. Cependant, lévêque, partie prenante du contrat quil a signé avec la royauté, na, à ce 410titre, de comptes à rendre quà la cour royale. Celle-ci étant très éloignée du Gévaudan, les barons ne peuvent espérer un recours en justice éventuel contre les officiers de lévêque ou le prélat lui-même, étant donné les frais quoccasionneraient les déplacements. Ils dénoncent par ailleurs la partialité de la justice telle quelle doit être exercée selon lacte de paréage : les délits éventuellement commis par des officiers de la cour commune sur les terres dun baron ne peuvent être portés devant la justice seigneuriale du lieu, étant donné que la cour commune fait obstacle à cette démarche. Celle-ci se retrouve alors juge et partie. Les barons dénoncent par ailleurs larbitraire des jugements de la cour commune : ils donnent lexemple dun homme qui sest vu privé de sa terre, condamnation disproportionnée par rapport au délit commis, et dautant plus injuste que la cour la confisquée à son profit. Les condamnations au versement damendes sont une pratique courante, permettant bien sûr à la cour den retirer des bénéfices. Sans compter que son personnel est particulièrement nombreux et quil vit aux frais de la population gévaudanaise.

Ils sestiment également lésés dans lexercice de leur suzeraineté, car la cour commune leur impose son sceau, au lieu du sceau personnel de chaque baron, empêchant la noblesse dexercer son ressort sur ses vassaux. Les barons dénoncent limpunité dans laquelle agissent certains sergents de la cour, coupables de crimes, qui ne sont ni poursuivis par la cour commune, ni par la sénéchaussée, du fait de la distance de celle-ci. De manière générale, les barons pointent les multiples abus dont les officiers de la cour commune se trouvent coupables envers eux, sans pour autant être jugés. Ils convoquent pour des motifs non valables des habitants des terres baronnales, puis les incarcèrent avant de leur réclamer une somme dargent pour leur libération, ce qui nest ni plus ni moins que du rançonnement64. Ce système de terreur imposé par les hommes de la cour commune est précisément dirigé contre la justice seigneuriale, et vise à provoquer des dysfonctionnements profonds au sein de ces cours locales.

Répliquer par la force

Les coups de force des nobles locaux contre le pouvoir épiscopal ne sont pas rares au cours du xive siècle. Une lettre pontificale de 1348 présente le seigneur dApcher et lévêque de Mende comme des ennemis mortels (inimici 411capitales)65. La cause de lhostilité dAlbert Lordet et de son acharnement contre Guérin est à trouver dans un procès de 1335 : la cour commune de Mende poursuit le seigneur dApcher et un complice du nom de Berthon de Chaumeyrac, pour avoir usurpé le droit de juridiction épiscopal. Il avait fait dresser des fourches patibulaires au Chambon, fief de lévêque. Il était aussi lauteur dune expédition punitive pour le moins musclée : il aurait incendié le château du Chambon et le bois en dépendant avec une troupe dhommes armés et masqués, puis aurait rançonné la population. Guérin refuse cependant de comparaître devant le tribunal, sopposant ainsi obstinément au pouvoir épiscopal. Le seigneur dApcher échappe à la justice de lévêque grâce à ses puissants appuis : un acte royal rédigé à Vincennes en décembre 1339 et octroyé par Philippe VI accorde son pardon et sa grâce au seigneur dApcher. Le document renvoie à des lettres de rémission antérieures, celle émise par Jean de Bohême, datée du 19 janvier 1338, et celle du comte dEu : la première remonte au 22 septembre 1337, et la seconde a été donnée à Poissy, près de Paris, le 15 juillet 1338. Elles précisent que Guérin et ses hommes nont causé la mort de personne et que nul na été blessé. Elles mettent aussi en exergue les services militaires rendus au roi au cours de la campagne de Guyenne. Par son acte de 1339, le roi défend à lévêque de Mende et au procureur de la cour commune de sopposer à cette grâce, leur empêchant ainsi tout recours.

Laffaire se poursuit : en juin 1346, les deux parties consentent à faire renouveler la commission denquête66. Guérin effectue son devoir militaire envers le roi de France en participant à la campagne de Guyenne et de Gascogne, sous les ordres du connétable Raoul de Brienne, dont il obtient, le 22 septembre 1347, une lettre de rémission pour que cesse la procédure ; cette lettre tendait bien sûr à disculper le seigneur dApcher, qui naurait fait que « traverser avec une troupe dhommes armés des lieux possédés en paréage par le roi et par lévêque de Mende67 ». Le roi de Bohême, gouverneur du Languedoc, dut à son tour renouveler les lettres de rémission car la cour commune refusait absolument dabandonner les poursuites.

412

Le réseau de Guérin de Châteauneuf

Le pape Clément VI se trouve mêlé à laffaire pour deux raisons : tout dabord, parce que Guérin de Châteauneuf lui adresse une supplique, par laquelle celui-ci conteste les conclusions du tribunal épiscopal et la condamnation dont Pépin a fait lobjet. Ensuite, parce quil savère être loncle par alliance du seigneur dApcher : ce lien familial, qui est aussi un lien de solidarité, pèse de tout son poids dans le sort de Guérin. On ignore ce quil est advenu de Pépin, linstrument du complot, mais, quoi quil en soit, il est certain quil a fait les frais de son association au seigneur dApcher qui, quant à lui, a superbement rebondi grâce aux puissants appuis dont il disposait.

Guérin est un client de la papauté : les lettres curiales de Clément VI ont constitué une source précieuse dans létablissement dun lien de parenté entre le pape et Guérin de Châteauneuf. Celui-ci est mentionné dans 29 dentre elles68. La lettre de réponse adressée au roi le 14 décembre 1351 fait état du lien de parenté qui les unit : Guérin de Châteauneuf est présenté comme « nepotem nostrem69 ». Deux autres lettres permettent déclaircir cette parenté : le seigneur dApcher est lépoux de Marie de Belfort70. Or, celle-ci est la fille de Guillaume II Roger, le frère de Clément VI71. LHistoire généalogique et chronologique dAnselme de Sainte-Marie date leur mariage en lan 1347. La bienveillance du pape précède cependant cette alliance. En 1344, il le recommande deux fois au roi Philippe VI au sujet dun procès porté devant le Parlement, mais dont nous ignorons la teneur72. Ces lettres le concernent personnellement, si bien quil ny a guère de raison pour quil sagisse de la même affaire quen 1344, où son nom figurait aux côtés de ceux de Marquis de Canilhac, Odilon du Tournel et Astorge de Peyre.

413

Le seigneur d Apcher dans la diplomatie pontificale

Plusieurs lettres témoignent de la confiance de Clément VI à légard de son neveu. Il fait de Guérin de Châteauneuf son émissaire : il lui donne plusieurs sauf-conduits, dont lun pour se rendre en Prusse auprès de lempereur afin de lui faire part de son inquiétude au sujet de linvasion dont a été victime la principauté de Galicie-Volhynie. La lettre du 26 octobre 1352 est adressée au futur empereur Charles IV, fils de Jean de Luxembourg, roi de Bohême depuis 134673. Il est alors candidat à lempire et porte en conséquence le titre de roi des Romains.

Guérin fait lobjet de multiples lettres de recommandation auprès des plus puissants : Philippe VI, en avril 134574 ; son épouse, la reine Jeanne de Bourgogne, en avril 134875 ; à Jean de Normandie puis à son épouse, Bonne de Luxembourg, le même mois76. Confiance politique, mais aussi personnelle. En décembre 1351 (n.s.), quelques jours avant sa mort, alors quil souffre dune « tumeur maligne » à lestomac, le pape annonce à Jean II que Guérin le tiendra informé de lévolution de son mal. Il rend hommage au service dévoué et assidu du seigneur dApcher durant sa maladie et le recommande, une nouvelle fois, à la magnanimité du roi77. Le népotisme de Clément VI est un fait bien connu. Le nombre de cardinaux na jamais été aussi important que sous son pontificat, et cela nest pas sans lien avec sa propension à nommer ses proches aux plus hautes fonctions : on dénombre vingt-six cardinaux, dont dix sont des parents plus ou moins éloignés78.

L intervention de Clément VI dans le procès de Pépin

Quant à lintervention de Clément VI dans les affaires de Guérin de Châteauneuf et de Pépin, elle concerne uniquement les intérêts du seigneur, non ceux de laccusé lui-même. Il est logique que le pape ne se soit pas préoccupé du cas de Pépin, car celui-ci est le dénonciateur du seigneur dApcher, même sil sest rétracté par la suite. Il a compromis la 414réputation de Guérin, et la priorité du pape est de rétablir celui-ci dans sa bonne fama, quitte, sans doute, à laisser lalchimiste et nigromancien aux mains de la justice épiscopale. De plus, dans une lettre du 17 décembre 1347, le pape manifeste une grande défiance envers Étienne Pépin : il recommande à lévêque de Mende quil soit détenu fermement79. La réponse de lévêque Bernard dAlbi à la supplique émise par le procureur de Pépin est la suivante : Laurent Savion, représentant de lofficial de lévêque de Mende qui a condamné le frère, est cité publiquement. Guillaume Lordet et Raymond de Nogaret, qui lassistent, reçoivent quant à eux lordre de ne pas quitter le diocèse avant davoir fait leur déposition, sous peine dexcommunication, ce qui nest pas une médiocre menace80. Clément VI fait donc pression sur lévêque de Mende.

Sa première intervention a lieu dès le début du procès, en 1347 : le 17 décembre, le pape adresse une première lettre à lévêque de Mende81. Il souhaite obtenir plus de renseignements au sujet du clerc incarcéré dans les geôles de lofficial. Il sait alors que le nigromancien a avoué avoir envoûté Albert Lordet à la demande de Guérin de Châteauneuf. Dans la lettre du 9 janvier 1348 quil adresse à Albert Lordet, le pape explique que Guérin lui a adressé une supplique dans laquelle il proteste de son innocence, en dépit des accusations de Pépin82.

Guérin de Châteauneuf aurait plaidé sa cause devant le pape, dénonçant la partialité de lofficial, qui voudrait poursuivre en lui lennemi mortel de lévêque. Clément VI souhaite même prendre en main laffaire et demande à ce que laccusé soit remis à un de ses sergents, puis déféré 415devant sa cour. Il semblerait donc que Pépin ait poursuivi son séjour carcéral dans les geôles pontificales, mais pour une durée inconnue, puisque lon ignore le verdict finalement prononcé contre lui.

La lettre de rémission de Jean II le Bon :
l
immunité de Guérin de Châteauneuf

Datée de septembre 1350, la lettre a été émise par la chancellerie de Jean II, en faveur du seigneur dApcher et non dÉtienne Pépin83. Il sagit de lever toutes les suspicions qui entachent la fama du seigneur dApcher. Lacte a été fait à la demande dAlbert Lordet lui-même, ce qui est révélateur de limportance des appuis du seigneur dApcher. Il sagit plus précisément dune confirmation de lettre de rémission : Jean II ne fait quentériner ce qui avait déjà été décidé par son père Philippe VI. Les motivations de lévêque de Mende réclament des éclaircissements : sa demande de confirmation dabsolution est une façon de mettre un terme aux règlements de compte entre Guérin de Châteauneuf et lui-même. Cest aussi la preuve dune capitulation face à son ennemi, puisque, malgré sa culpabilité, non seulement il demeure impuni mais il est aussi blanchi. Le crime de Pépin est reconnu, mais la complicité de Guérin est niée. Lévêque signe donc sa capitulation face à un réseau quasi tout-puissant : le soutien du pape a joué, à nen pas douter, un rôle majeur dans cette défaite épiscopale.

Alors que les premiers affrontements avec les Anglais ont commencé quelques années plus tôt, Jean II a certainement besoin de mobiliser toute sa noblesse. Or, les seigneurs infidèles ont reçu, dans les années 1340, les châtiments les plus cruels : la noblesse normande et bretonne a fait les frais de sa trahison envers la couronne de France, comme le montre lexemple de Godefroi dHarcourt, seigneur normand passé dans le camp anglais. En août 1350, Jean II fait condamner à mort Raoul de Brienne, comte dEu et connétable, qui a reconnu Edouard II dAngleterre comme roi de France84. Au contraire, la lettre de rémission dont Guérin de Châteauneuf a bénéficié serait la preuve que le roi récompense ou pardonne les hommes fidèles. Guérin de Châteauneuf est un de ces barons qui ont participé aux campagnes militaires du début de 416la guerre de Cent Ans. Depuis les années 1290, les Apcher font partie de ces grandes familles gévaudanaises qui respectent les convocations à lost. Alors que la trahison de certains nobles a embarrassé et inquiété la monarchie, il est plus que nécessaire de sentourer dhommes dont la valeur et la fidélité ont été éprouvées. Cela est dautant plus crucial que le conflit franco-anglais peut reprendre à tout moment, et que Philippe VI et son fils se sont montrés sous un jour guère reluisant au cours des précédents grands affrontements.

Conclusion

Le procès de Pépin est un témoignage précieux sur les modalités de la pratique savante de la magie. Le frère défroqué auvergnat peut apparaître comme un archétype : son parcours religieux, son appartenance à lordre franciscain sont des éléments que lon retrouve chez certains adeptes des sciences occultes. On ne peut réduire la pratique des scientiae prohibitae à un antagonisme profond entre ses praticiens et lÉglise : Pépin en est la preuve. Laccusé est un clerc, comme nombre des adeptes des arts interdits. Le grand intérêt de ce procès tient au fait que lobscur alchimiste auvergnat semble avoir suivi une formation étonnamment riche : il aurait voyagé jusquen Espagne pour se procurer des écrits sur la magie, aurait étudié auprès dun maître, Bérenger Ganell, dont on sait quil est lauteur dun (ou peut-être deux) ouvrage(s) de magie. Ce témoignage est dailleurs lun des rares que lon puisse trouver sur ce personnage dont la vie reste peu connue. La mention du Liber juratus est également inattendue dans un procès au retentissement modeste : il sagit pourtant dun ouvrage important dans la littérature magique, et dont on connaît mal lorigine85. Les déclarations de Pépin sont cependant cruciales et permettent de supposer que la version de louvrage conservée dans les manuscrits de Londres a été écrite, au moins en partie, dans le sud de la France.

Étienne Pépin na pas été victime dune « chasse aux sorcières » : Albert Lordet na pas pour principale préoccupation la poursuite et la punition des nigromanciens, ne serait-ce que pour la simple raison que le 417Gévaudan nest pas un foyer de la pratique des sciences occultes. Le zèle dont lofficial fait preuve dans cette affaire est dû au fait que lévêque dont dépend ce même tribunal est la victime de lenvoûtement. Le caractère potentiellement hérétique de laffaire est simplement mentionné, mais il ne semble guère avoir eu dimportance dans le jugement rendu et la conduite du procès.

En effet, il sagit dun procès politique, sans nul doute, mais dont la teneur politique est désamorcée : on ne condamne que lintermédiaire, linstrument du complot, sans incriminer le responsable, lennemi de lévêque, évoqué dans les articles daccusation. Lévêque de Mende se retrouvait bien démuni face aux appuis de Guérin : Philippe VI, qui lavait déjà absous des divers délits commis dans les années 1330, et Clément VI, qui vole au secours de son parent lorsque celui-ci proteste devant lui de son innocence dans laffaire. La culpabilité du seigneur dApcher semble crédible mais la justice est sous linfluence du puissant réseau de Guérin. Si lon considère que Pépin a effectivement envoûté lévêque dans le but de lui nuire, le procès de 1347 a dès lors un goût dinachevé. Au contraire, sil se trouve que Pépin dit vrai, et quil souhaitait rétablir la concorde entre lévêque et le seigneur, ce procès prend une toute autre tournure. Albert Lordet aurait saisi loccasion de se « venger » de son ennemi : ayant eu vent de lenvoûtement, il se serait empressé daccuser son auteur davoir tenté de lui faire du mal. Lintention sous-jacente aurait été, bien sûr, de compromettre la fama du commanditaire, Guérin, lennemi contre lequel il navait pas de prise jusqualors.

Solène Baron

E.N.S. de Lyon

1 On entend par occulte ce qui échappe à la raison, ce quelle ne peut connaître en aucun cas. Chez Roger Bacon, il est davantage question de secret : ce que les hommes ne connaissent pas encore, mais quils peuvent découvrir. Néanmoins, les ouvrages de magie ne font guère de distinction entre secret et occulte. Cette dernière notion nest pas théorisée par les traités de magie, qui valorisent cependant constamment le secret, que tout nigromancien se doit de détenir pour contraindre les esprits. Voir J.-P. Boudet, « Des savoirs occultes et illicites ? Les textes et manuscrits de magie en Italie (xive-début du xvie siècle) », Frontières des savoirs en Italie à lépoque des premières universités (xiiie-xve siècle), J. Chandelier et A. Robert (dir.), Rome, EFR, 2015, p. 509-539, ici p. 528-530.

2 Au xive siècle, les procès en magie comptent 107 femmes accusées pour 127 hommes, sans compter les Templiers : voir J.-P. Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans lOccident médiéval (xiiie-xve siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 485.

3 Le procès se présente sous la forme de deux petits registres, cotés G 936 et G 937 aux Archives départementales de la Lozère, rédigés en latin. G 936 comprend 24 folios en papier.

4 Albert Lordet a pour neveu Guillaume Lordet, qui lui succède comme évêque de Mende en 1362.

5 A. Provost, Domus diaboli. Un évêque en procès au temps de Philippe le Bel, Paris, Belin, 2010. Il sagit de létude la plus récente, complétant et approfondissant celle dAbel Rigault (Le procès de Guichard, évêque de Troyes, Paris, Picard, 1896).

6 E. Albe, Autour de Jean XXII. Hugues Géraud évêque de Cahors ; laffaire des poisons et des envoûtements en 1317, Toulouse, Privat, 1904. Il sagit de la seule monographie dédiée à ce procès.

7 J. Schatzmiller, Justice et injustice au début du xive siècle. Lenquête sur larchevêque dAix et sa renonciation en 1318, Rome, EFR, 1999.

8 Étudié par J.-L. Biget, « Autour de Bernard Délicieux. Franciscanisme et société en Languedoc entre 1295 et 1330 », Mouvements franciscains et société française xiie-xxe siècles, Paris, Beauchesne, 1984, p. 75-94. Il existe également une traduction du procès faite par J. Duvernoy, Le procès de Bernard Délicieux (1319), Toulouse, Le Pérégrinateur, 2001.

9 J.-P. Boudet et J. Théry, « Le procès de Jean XXII contre larchevêque dAix Robert de Mauvoisin (1317-1318) : astrologie, arts prohibés et politique », Jean XXII et le Midi, Cahiers de Fanjeaux, no 45, Toulouse, Privat, 2012, p. 159-235.

10 J. Chiffoleau, « Le procès comme mode de gouvernement », Le procès comme mode de gouvernement, 2007, Ascoli, Italie, Rome, Istituto storico italiano per il medioevo, 2007, p. 317-348.

11 Dans le cas spécifique de lastrologie « judiciaire », où lastrologue se fait le juge des destinées humaines, remettant ainsi en question la toute-puissance divine.

12 R. Kieckhefer, European Witch Trials. Their Foundations in Popular and Learned Culture, 1300-1500, Londres, Routledge, 1976.

13 A. Boureau, Le pape et les sorciers. Une consultation de Jean XXII sur la magie en 1320, Rome, EFR, 2004.

14 Bullarum privilegiorum ac diplomaticum Romanorum Pontificum, amplissima collectio, éd. C. Cocquelines, vol. III-2, Rome, 1741, p. 194-195 ; J. Hansen, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns und der Hexenverfolgung im Mittelalter, Bonn, 1901, p. 2-6.

15 Les différents manuels à lusage des inquisiteurs, comme le Manuel de linquisiteur de Bernard Gui, rédigé dans les années 1320, ou le Directorium inquisitorum (1376) du catalan Nicolas Eymerich, indiquent cependant une tendance à considérer peu à peu la nigromancie comme hérétique. Du point de vue de la papauté néanmoins, linquiétude démonologique des successeurs de Jean XXII est sans commune mesure avec celle de ce dernier.

16 E. Falgairolle, Un envoûtement en Gévaudan, en lannée 1347, Nîmes, Catélan, 1892.

17 D. Fabrié, « Un procès de sorcellerie à Mende au xive siècle », Espaces religieux et communautés méridionales, Actes du 64e Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon (Villeneuve-Les-Avignon, 15-17 mai 1992), Montpellier, 1994, p. 95-118, ici p. 112.

18 « Scientiae prohibitae » est lexpression récurrente employée dans le procès dÉtienne Pépin.

19 P. Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos, vicomte de Roda et de Perellos (v. 1350-apr. 1408), auteur du Viatge al Purgatori (1398) », Les pays de la Méditerranée occidentale au Moyen Âge. 106e Congrès national des sociétés savantes de Perpignan (1981), Paris, CTHS, 1983-1984, p. 213-223.

20 J. R. Veenstra, « Honorius and the Sigil of God : The Liber iuratus in Berengario Ganells Summa sacre magice », Invoking Angels. Theurgic Ideas and Practices from the Thirteenth to the Sixteenth Century, éd. C. Fanger, University Park, Penn State Press, 2012, p. 151-191. Voir également la transcription et la traduction du prologue de cet étonnant ouvrage par J.-P. Boudetet J. Véronèse, « La Somme de la magie sacrée de Bérenger Ganell », Le pouvoir des mots au Moyen Âge, éd. N. Bériou, J.-P. Boudet et I. Rosier-Catach, Turnhout, Brepols, 2014, p. 17-19.

21 Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos », p. 220. En outre, les archives départementales des Pyrénées Orientales conservent le testament, daté de 1352, dun certain Barthélemy Ganell, curé de Tresserre et fondateur dun bénéfice dans léglise du même lieu (Arch. dép. Pyrénées Orientales, G 901, cité dans le vol. III de lInventaire-sommaire des archives de ce département, Archives ecclésiastiques, Perpignan, 1904, p. 407b). Ce curé de Tresserre a de fortes chances dêtre un parent de Béranger Ganell.

22 D. Gehr, « “Spiritus et angeli sunt a Deo submissi sapienti et puro” : il frammento del Magisterium eumantice artis sive scientiae magicalis. Edizione e attribuzione a Berengario Ganello », Aries, 11/2, 2011, p. 189-217.

23 A. Paravicini Bagliani, Boniface VIII. Un pape hérétique ?, Paris, Payot et Rivage, 2003, p. 291-295.

24 G. Hedegård, Liber iuratus Honorii. A Critical Edition of the Latin Version of the Sworn Book of Honorius, Stockholm, 2002,p. 118 ; J.-P. Boudet, « Magie théurgique, angélologie et vision béatifique dans le Liber iuratus sive sacratus Honorii attribué à Honorius de Thèbes », Les anges et la magie au Moyen Âge, éd. J.-P. Boudet, H. Bresc et B. Grévin, Actes de la Table ronde organisée en décembre 2000 à lUniversité de Paris X-Nanterre, Mélanges de lÉcole française de Rome. Moyen-Âge, 114-2, 2002, Rome, p. 851-898, ici p. 883.

25 R. Kieckhefer, Forbidden Rites. A Necromancers Manual of the Fifteenth Century, Stroud, Sutton Publishing, 1997, p. 181-182.

26 Kieckhefer, Forbidden Rites, p. 181-182 et 309. Sur cet usage de la magie, voir J. Véronèse, « Les recettes magiques pour sattirer les faveurs des grands », La cour du Prince, Cour de France, cours dEurope, xiie-xve siècle, éd. M. Gaude-Ferrragu, B. Laurioux et J. Paviot, Paris, Champion, 2011, p. 321-338.

27 Veenstra, « Honorius and the Sigil of God », p. 151-191.

28 Hedegård, Liber iuratus Honorii, p. 60. Pour une traduction française du prologue, voir Boudet, « Magie théurgique », p. 856.

29 Interrogatus unde processit iste liber et quis eum condidit ; dixit quod quidam nominatus magister Pradellus reffert in quodam prologuo suo quod dudum in IIII or studiis generalibus, videlicet Athenis, a Thebis, Neapolim et in Tholeto, publice legebatur heumancia [ ] , Arch. dép. Lozère, G 936, fol. 4v.

30 Boudet, « Magie théurgique », p. 861.

31 J.-P. Boudet et J. Véronèse, « Lier et délier : de Dieu à la sorcière », La légitimité implicite. Actes des conférences organisées à Rome en 2010 et en 2011 par SAS en collaboration avec lÉcole française de Rome, dir. J.-Ph. Genet, Paris-Rome, Publications de la Sorbonne-École française de Rome, 2015 (« Le pouvoir symbolique en Occident, (1300-1640) », I), vol. I, p. 87-119, ici p. 110-111.

32 Art. X : []dictam ymaginam babtisando et exorcisando ; art. XIV : Item, pervenit quod dictus Stephanus predictam ymaginem, sic ut permittitur, per eum fabricatam et conjuratam et exorcisatam in certo loco reposuit[], Arch. dép. Lozère, G 936, fol. 2v.

33 Voir le problème soulevé par le manuscrit Clm 10085 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, dans F. Chave-Mahir et J. Véronèse, Rituel dexorcisme ou manuel de magie ? Le manuscrit Clm 10085 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich (début du xve siècle), Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2015, p. 115-116.

34 Boudet et Véronèse, « Lier et délier », p. 109.

35 Boudet et Véronèse, « Lier et délier », p. 111.

36 Dans le premier traité du Liber Iuratus, le chapitre intitulé « De compositione sigilli Dei vivi et veri »décrit la procédure à suivre pour réaliser le sigillum Dei, cest-à-dire le talisman qui comporte les 72 noms de Dieu.

37 Boudet, Entre science et nigromance, p. 384.

38 Boudet, Entre science et nigromance, p. 383-388.

39 Explicit liber de vita anime rationalis, qui Liber sacer vel Liber angelorum vel Liber juratus nuncupatur, quem fecit Honorius, magister Thebarum, éd. Hedegård, Liber iuratus Honorii, p. 150.

40 J.-P. Boudet et J. Véronèse,« Le secret dans la magie rituelle médiévale », Il Segreto, Micrologus. Natura, Scienze e Società Medievali, XIV, 2006, p. 101-150, ici p. 119.

41 Boudet et Véronèse, « Le secret », p. 119. Les auteurs notent (p. 123) que « lenseignement » prodigué dans les textes magiques est considéré comme « une œuvre divine qui est le signe dune élection ».

42 Et vocatur juratus quia nemini est tradendus, nisi fuerit probatus moribus per annum, nec etiam est tradendus mulieri, Arch. dép. Lozère, G 936, fol. 5r.

43 G. Federici Vescovini, Le Moyen Âge magique. La magie entre religion et science aux xiiie et xive siècles, Paris, Vrin, 2011, p. 161.

44 Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos », p. 222.

45 Voir P. Barthélémy, La Sedacina ou lŒuvre au crible. Lalchimie de Guillaume Sedacer, carme catalan de la fin du xive siècle, Paris-Milan, SÉHA-Archè, 2002.

46 Corpus juris canonici, t. II, Decretalium collectiones, Liber sextus, vol. V, 2, 8, éd. A. L. Richter, Leipzig, 1881, réimpr. Graz, 1955, col. 1071-1072.

47 Cest volontairement que lon devient hérétique : de nombreux décrétistes font de la volonté largument qui justifie de châtier lhérétique. Si, dans bien des cas, les juristes considèrent quune mauvaise intention sans passage à lacte ne constitue quun péché, et pas un crime, lhérésie fait exception. Elle a quitté le ressort du for interne pour celui du for externe, en particulier dès le début du xiiie siècle. Voir à ce sujet J. Chiffoleau, « “Ecclesia de occultis non iudicat” ? LÉglise, le secret, locculte du xiie au xve siècle », Il Segreto,p. 359-481.

48 A. Boureau, Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans lOccident médiéval, 1280-1330, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 69.

49 Boureau, Satan hérétique, p. 20. Cette bulle nest connue que par le manuel de linquisiteur de Nicolas Eymerich : voir Directorium inquisitorum Nicolai Eymerici, cum scholiis Francisci Pegnae, Venezia, 1607, secunda pars, quaestio XLIII (De invocantibus daemones), p. 341a-341b. Lhypothèse selon laquelle elle constituerait un faux fabriqué par Eymerich pour justifier son activité à légard des invocateurs de démons est envisageable, mais il se peut aussi quelle soit restée sous Jean XXII à létat de projet sans être publiée.

50 Ce tableau statistique a été établi à partir du Bullaire de lInquisition française de Jean-Marie Vidal. La lettre pontificale de lun des procès comptabilisé est absente du Bullaire, mais on la trouve dans les Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns, de Jospeh Hansen.

51 Reg. Vat. 109, fol. 133v, c. 550.

52 E. Peters, The Magician, the Witch, and the Law, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 112.

53 [ ] dictus dominus Apcherii dixit eidem loquenti quod magna discentio erat ad invicem inter dictum dominum episcopum et ipsum dominum de Apcherio », Arch. dép. Lozère, G 936, fol. 18r.

54 Fabrié, « Un procès de sorcellerie à Mende au xive siècle », p. 112.

55 Les études historiques sur cette région sont assez peu nombreuses : néanmoins, le peu de travaux que lon recense contient une information très riche, comme cest le cas des ouvrages de Charles Porée, au début du xxe siècle. Plus récemment, Philippe Maurice a consacré une thèse et plusieurs ouvrages à la société gévaudanaise.

56 I. Darnas, « Les châteaux de lévêque de Mende dans la vallée du Lot en Gévaudan (xiie-xive siècles) », Archéologie du Midi médiéval, 11/1, 1993, p. 41-51.

57 R. Telliez, « Croz e sonnaills ». La souveraineté en Gévaudan 1161-1343, Mémoire de maîtrise de lUniversité Paris IV, Paris, 1992, p. 132.

58 F. André, Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790, Lozère,tome I, Mende, Privat, 1882, p. 188.

59 Telliez, « Croz e sonnaills »,p. 132.

60 Telliez, « Croz e sonnaills »,p. 132.

61 Telliez, « Croz e sonnaills »,p. 131.

62 Telliez, « Croz e sonnaills »,p. 133.

63 Telliez, « Croz e sonnaills »,p. 134.

64 Telliez, « Croz e sonnaills »,p. 119.

65 Reg. Vat. 141, fol. 176v, n. 997 ; Reg. Vat. 244 k, fol. 10, n. 13. Voir lédition suivante : E. Déprez, J. Glénisson et G. Mollat (éd.), Clément VI : 1342-1352. Lettres closes, patentes et curiales se rapportant à la France, Paris, De Boccard, 1958.

66 Actes du Parlement de Paris : Parlement criminel règne de Philippe VI de Valois, Paris, Archives nationales, 1987, p. 271 : acte 4124 E, 5068 voA.

67 D. C. Devic, D. J. Vaissète et alii, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, Privat, 1872, t. IX. Voir aussi la lettre de rémission de Philippe VI (1339).

68 Voici la liste des plus intéressantes pour notre étude : Reg. Vat. 141, fol. 176r ; Reg. Vat. 141, fol. 176v ; Reg. Vat. 141, fol. 176r ; Reg. Vat. 141, fol. 176v ; Reg. Vat. 141, fol. 246r ; Reg. Vat. 142, fol. 77r ; Reg. Vat. 146, fol. 74v ; Reg. Vat. 146, fol. 75r ; Reg. Vat. 244, fol. 62r.

69 Reg. Vat. 145, fol. 142v ; littere responsionum.

70 Dilecte in Christo filie nobili mulieri Marie de Belloforti, uxori dilecti filii nobilis viri Garini de Apcherio, domicelli Mimatensis diocesis [ ] , Reg. Vat. 144, fol. 142r ; littere de Camera.

71 Anselme de Sainte-Marie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des pairs, grands officiers de la Couronne, de la Maison du Roy et des anciens barons du royaume, Paris, La Compagnie des Libraires, 1726, t. 6, p. 317.

72 Reg. Vat. 138, no DCCCLXXXXVI, fol. 233v et Reg. Vat. 138, no DCCCCLXXVIII, fol. 255v.

73 Reg. Vat. 146, fol. 74v-75r ; littere missive.

74 Reg. Vat. 138, no DCCCCLXXVIII, fol. 255v.

75 Reg. Vat. 141, fol. 255v-256r, nn. 1349-1352 et fol. 288v, nn. 1430-1433.

76 Reg. Vat. 141, fol. 246v, n. 1279.

77 Reg. Vat. 145, fol. 142v ; littere responsionum.

78 D. Wood, Clement VI. The Pontificate and Ideas of an Avignon Pope, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 111.

79 Ideoque fraternitati tue per apostolica scripta mandamus quatenus processum habitum per te, seu de mandico tuo, contra clericum memoratum nobis sine aliqua dilacione transmittas ab omni interim contra eundem clerico habendo processum et qualis alia contra eum novitate noxia facienda, penitus abstinendo, ipsum custodiendo et custodiri faciendo, diligenter atque fideliter donec a nobis aliud super hoc receperis in mandatis, Reg. Vat. 141, fol. 176, n. 996.

80 Item citentur publice dominus Guillelmus Lordeti, canonicus Mimatensis, et Ramundus de Nogareto, clericus Mimatensis, ad prohibendum testimonium veritatis et mandetur eis quod non recedant de curia donec deposuerint, sub pena excommunicationis, Arch. dép. Lozère, G 936 (supplique), fol. 2r.

81 Reg. Vat. 141, fol. 176, n. 996. Édition E. Déprez, J. Glénisson et G. Mollat.

82 [ ] prefatus miles asserens se penitus de hoc innocentem ac te dictumque officialem tuum, pro eo quod, sicut dicit, inimici estis capitales ipsius, super hoc habere suspectos nobis humiliter supplicavit ut cum ipse coram nobis de innocencia sua super hoc fidem facere sit paratus, ne fama sua ex hujusmodi confessione indebite laceretur, providere super hoc ei de oportuno remedio dignaremur, Reg. Vat. 141, fol. 176v, n. 997 ; Reg. Vat. 244 k, fol. 10, n. 13. Édition E. Déprez, J. Glénisson et G. Mollat.

83 Arch. nat., JJ 80, fol. 131r-131v, no 180.

84 R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, Droz, 1982, p. 131.

85 Boudet, « Magie théurgique », p. 857-859.