« Obstinés comme Pharaon » Le mouvement des vignerons d’Auxerre de 1393 comme dérèglement passionnel
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2017 – 1, n° 33. varia - Auteur : Lavallée (Pierre)
- Résumé : En 1393, Auxerre connaît un conflit social entre les vignerons pauvres et les grands propriétaires. Dans un mémoire de défense au Parlement, les élites urbaines font du mouvement des vignerons un déchaînement de passions risquant d’engendrer une révolte. Ainsi elles délégitiment l’adversaire et légitiment leur politique de répression du mouvement. Mais ce récit est d’une efficacité judiciaire relative, d’autres stratégies discursives étant choisies dans la suite du procès.
- Pages : 279 à 302
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406070290
- ISBN : 978-2-406-07029-0
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0279
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 11/08/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
« Obstinés comme Pharaon »
Le mouvement des vignerons d’Auxerre de 1393
comme dérèglement passionnel
Composé probablement par un avocat d’Auxerre à la fin du xvie siècle, le poème du Bon Vigneron1 met en scène le monologue d’un travailleur des vignes, attablé chez lui pour le dîner, après une journée harassante de travail. Sa complainte brosse un portrait idéal et paternaliste des travailleurs viticoles. Œuvre d’édification, le poème est un véritable appel à l’obéissance et à la tempérance. En effet, si le vigneron est décrit sous les traits d’un humble travailleur, accablé par la difficulté de l’ouvrage, menacé par les aléas de la production et écrasé par la cupidité des propriétaires et la rapacité du fisc, le bon vigneron se doit d’avoir la force morale d’accepter son sort et surtout de refuser la folie de la rébellion et de la violence, la seule émancipation véritable se faisant au regard de Dieu2. À l’image de l’élite des gens de robe, la volonté du travailleur doit toujours être dirigée par la raison et non par ses affects. Il convient donc de repousser les assauts des passions, tout particulièrement ceux de la gourmandise et de sa redoutable compagne, l’intempérance, les plus pressantes car les plus quotidiennes3.
Ce discours d’un moralisme classique mariant explicitement pauvreté, contrôle des passions et obéissance, s’inscrit à Auxerre dans une tradition locale de luttes sociales entre vignerons pauvres et propriétaires. Le monologue évoque d’ailleurs les luttes anciennes autour du temps de travail, en référence à un conflit secouant la ville et son plat pays dans les années 1440 et 1450 qui, en réalité, est la reprise d’un mouvement de protestation plus ancien s’enracinant dès la seconde partie du xive siècle dans l’Auxerrois et atteignant son paroxysme 280au début des années 13904. Ce conflit séculaire, doté d’une mémoire exceptionnellement longue5, nous a légué des traces documentaires conséquentes, notamment pour les événements de 1393. Il est remarquable que l’obéissance et la résistance se disent à la fin du xive siècle comme à la fin du xvie dans la langue des passions. Cette permanence est significative : elle est l’indice de l’existence d’une forme de sociologie spontanée sur les mouvements populaires médiévaux6, i.e. un savoir pratique et moral partagé par les contemporains, dont les élites médiévales font usage pour appréhender, gérer et tenter de désarmer les contestations sociales. Ce type d’appareil discursif est relativement commun. Il use systématiquement de nombre de stéréotypes et de topoï très présents dans la littérature historique, politique et religieuse de la fin du xive siècle. Le corpus du conflit de 1393 a toutefois ceci de spécifique que la description affective de la résistance populaire en vient à coloniser, entre autres registres discursifs, les débats judiciaires et, surtout, les écritures des avocats, illustrant de ce fait une forme de porosité entre récit judiciaire et récit littéraire7. Cette concomitance entre une pratique de l’écrit spécifique8, la narration judiciaire9, et le registre moral du discours sur les émotions est un objet d’interrogation. 281C’est de cet usage judiciaire des passions des pauvres qu’il convient ici de faire l’étude et de saisir la logique.
Les passions des pauvres au Parlement
Au printemps et à l’été 1393, le vignoble auxerrois est l’enjeu d’un important conflit du travail. Au premier plan du mouvement se trouve une figure spécifique du commun des villes du nord de la France mais dont l’activité est localisée dans l’espace suburbain : les vignerons. Ils constituent dans de nombreuses villes du royaume une masse laborieuse au poids démographique considérable10. Malgré la dispersion géographique et la diversité des régions viticoles, tous ces travailleurs urbains possèdent une caractéristique commune : la modestie de leur condition. Ainsi à Auxerre, s’il existe quelques vignerons cossus11, ils forment une masse de travailleurs pauvres, principalement formée à la fin du xive siècle par des journaliers. Cette population est fragile12 et elle est au cœur de vives tensions sociales l’opposant au monde des grands 282propriétaires constitué par les grands établissements ecclésiastiques et leur personnel, les nobles de l’Auxerrois, ainsi qu’une élite municipale de négociants et de plus en plus d’hommes du Roi13. Le conflit de 1393 constitue un sommet dans la dégradation des relations entre ces deux groupes.
Le mouvement se déclenche au printemps 1393 à la publication d’une ordonnance royale lors des assises d’Auxerre. L’ordonnance est donnée à la requête de l’élite urbaine, mais elle est en réalité une copie d’une lettre royale publiée à Sens une décennie auparavant et ayant déjà suscité de vigoureuses protestations populaires14. Elle permet de fixer la durée du travail de l’aube au soleil couchant de Pâques à mi-septembre, sous peine d’une amende considérable de 60 sous tournois. L’ordonnance plafonne enfin les salaires15. Une partie des vignerons refusent de l’appliquer, la jugeant illégitime16. Dès lors, ils entrent en résistance pour défendre leur droit de partir des champs dès l’heure de nonne et non pas à vêpres. L’enjeu est fondamental : il représente un gain de deux heures pour le repos, le loisir ou pour travailler sur les parcelles possédées en propre par les laboureurs. Cette résistance débouche sur un litige judiciaire entre les propriétaires et les vignerons pendant le printemps et l’été 1393 qui s’achève par un procès au Parlement de Paris. Si la contestation chicanière est au cœur des modalités de lutte des communautés à la fin du Moyen Âge et pendant l’Ancien régime17, il est toutefois parfaitement exceptionnel qu’une 283communauté professionnelle ne disposant par ailleurs d’aucun statut corporatif et regroupant principalement des travailleurs pauvres, les vignerons-journaliers, réussisse à obtenir l’accès jusqu’au Parlement de Paris, cour traitant par excellence des conflits des élites médiévales ou des tensions entre les communautés et leurs seigneurs18. D’ailleurs, les obstacles sont assez ardus pour que les vignerons sénonais, qui ont pourtant fait appel devant la cour de l’ordonnance royale de 1383, abandonnent toute procédure en 1384, avant même d’avoir pu plaider leur cause, faute sans doute de ressources financières conséquentes, d’appuis institutionnels solides ou plus simplement d’une mobilisation collective suffisante19.
De cette opiniâtreté des vignerons auxerrois résulte un corpus documentaire remarquable en grande partie publié à l’exception des plaidoiries et des décisions du Conseil ; ensemble dont la complexité reflète fidèlement les subtilités des procédures judiciaires médiévales. Un premier jugement, non conservé, est émis à Auxerre par le bailli de Sens – et non par le prévôt d’Auxerre20 – au printemps et donne raison sur le fond aux propriétaires. Les vignerons font dès lors appel au Parlement de Paris et les parties sont ajournées début juin. Après la plaidoirie du 17 juin 139321, la cour rend un arrêt interlocutoire acceptant deux appels des vignerons contre le procureur du Roi et le tabellion royal d’Auxerre22. Le fond de l’affaire est décidé définitivement en Conseil, le 26 juillet 1393, la cour rendant un arrêt relativement 284favorable aux propriétaires23. Si la procédure reste dominée par l’oralité24, il s’agit toutefois d’un procès par écrit25. De cette procédure scripturaire ont survécu deux documents transmis par les propriétaires des vignes au Parlement de Paris et archivés par la commune. Le plus tardif des deux, conservé avec les copies des arrêts, est un mémoire envoyé à la cour défendant la position des élites sur le fond à la suite de la plaidoirie et de l’arrêt du 17 juin et avant la délibération en Conseil26. Le document le plus ancien est un brouillon de mémoire, incomplet et partant plus difficile à identifier. Il est généralement considéré comme étant un état préparatoire du mémoire avant Conseil27. Mais, ce premier mémoire pourrait plutôt être la version préparatoire d’un écrit juridique de défense contre l’appel des vignerons, rédigé après l’ajournement des propriétaires, qui doivent se présenter devant la cour le 8 juin28.
285Ce brouillon mérite une attention particulière car, appel des vignerons oblige, les faits et le déroulé de la procédure y sont présentés dans leur version la plus précise, plus encore que dans le mémoire final portant sur le fond de l’affaire. Comme l’ensemble des documents de la procédure, il a été étudié par les chercheurs comme un document d’histoire sociale, permettant d’élucider et d’illustrer les conditions de travail et de vie des vignerons pauvres de la cité et du pays d’Auxerre à la fin du xive et au xve siècle29. Mais sa logique discursive mérite une étude en soi. En effet si les propriétaires cherchent à prouver que les vignerons défendent une pratique qui est en réalité un abus, ils recourent aussi à un discours spécifique, typique des plaidoiries, dressant de l’adversaire le portrait d’un mauvais sujet et de sa partie la figure même du bon sujet voire d’un sujet idéal30. Pour ce faire, le brouillon du mémoire trace un récit du soulèvement associant pauvreté, rébellion et passions, dont le but est de délégitimer la mobilisation des vignerons. Celle-ci est irrecevable car les laboureurs sont agis par leurs affects et non par leur raison31. La construction d’un récit polarisé au-delà de l’argumentation strictement juridique par les figures du bon et du mauvais sujet réduit le mouvement à un affrontement entre deux communautés émotives, pour reprendre le concept de B. H. Rosenwein32. La communauté des 286vignerons est dysfonctionnelle car gouvernée par ses passions alors qu’en miroir, les défendeurs constituent une communauté émotionnelle apaisée, maîtrisant ses émotions.
Deux communautés émotives face à face
Le brouillon du mémoire dessine le portrait idéalisé d’une élite dont la sagesse induit la légitimité. Le contrôle de soi et le triomphe de la raison sur la passion fondent une communauté d’hommes sages que la vertu appelle à être le corps dirigeant d’Auxerre33. Les questions les plus graves que soulève le conflit sont en effet tranchées « par le conseil et déliberacion des gens du roy et autres », ou encore plus précisément par le « conseil (d)es gens du roy et autres saiges ensemble34 ». Ce milieu des gens d’autorité35 recrute, semble-t-il, parmi les anciennes élites nobles, les membres des ordres religieux, mais peut-être plus encore, à lire le récit où ils occupent une place de choix, au sein de ces gens d’État identifiés par B. Chevalier36, officiers royaux locaux et « autres gens de praticque37 ». La sagesse de cette société politique restreinte correspond au portrait que fait Nicole Oresme du citoyen raisonnable dans son commentaire de La Politique38. Mais elle fait aussi écho à l’èthos idéal du Prince, dont les multiples miroirs font un modèle théorique du contrôle de soi39. Ainsi jamais les défendeurs ne cèdent à la colère et à leur impulsion première, leur raison ne cessant de contrôler leurs passions : ne voit-on pas le prévôt d’Auxerre, proche des propriétaires, 287agir « raisonnablement », alors que le procureur du roi a « raison d’en appeler » à la décision de porter l’affaire devant les assises de Sens et non celles d’Auxerre40 ? Ainsi les défendeurs opposent aux humeurs des vignerons leur calme. Mais cette maîtrise de soi n’est pas absence de passion : l’action des propriétaires ne cesse d’être guidée par la miséricorde. Le mémoire souligne à plusieurs reprises la mansuétude des élites de la ville, reflet idéal de la tempérance royale culminant dans l’exercice de la grâce. Ainsi dans un premier temps, bien que les vignerons commettent clairement un abus en finissant leur travail à nonne plutôt qu’à vêpres, « ces choses leur ont esté tollerees et souffertes tant par pitié et compassion41 », deux émotions au cœur de l’octroi de la grâce royale et fondatrices de l’image du bon roi42. Par ailleurs à la suite de la publication de l’ordonnance, après avoir emprisonné les récalcitrants, les autorités transigent et remettent les peines, en échange d’un serment engageant les vignerons à désormais garder l’ordonnance43. Ainsi, les élites de la ville œuvrent avec prudence44, pour le « bien commun » de la « chose publique45 » menacée46. En effet, les propriétaires recherchent avant tout la préservation de la « paiz47 », valeur cardinale de l’utilité commune, mais ils se présentent aussi dans la plaidoirie comme dans la requête comme les gardiens de la prospérité dans l’Auxerrois48. La mobilisation de ce lieu commun49 du langage politique médiéval 288répond à une double nécessité discursive. Elle infirme tout d’abord les accusations des vignerons qui ne cessent de reprocher aux défendeurs de servir leur intérêt propre. Elle reprend enfin les mots mêmes du langage monarchique50, parachevant ainsi un jeu de miroir idéal entre sagesse des élites auxerroises et sagesse royale51.
Si cette rhétorique valide la figure idéale du bon sujet, elle justifie aussi pleinement un pouvoir social paternaliste. En effet, au-delà du contrôle de soi, les défendeurs mettent en avant leur capacité de contrôle des émotions du peuple en général et des vignerons en particulier. Ainsi, présentant Guillaumin Mariotte, sergent du roi et surtout commissaire royal chargé d’établir une procuration en faveur des plaignants, les rédacteurs du mémoire considèrent que « n’estoit pas tel homme ne de telle auctorité que il le eust peu ne sceu refredir ne tenir en subgection » les vignerons52. Cette prérogative fondamentale a de nouveau à voir avec la sagesse et l’usage de la raison, puisqu’elle a pour fondement la connaissance du peuple et de ses excès. L’un des plus fervents soutiens des propriétaires, le tabellion royal d’Auxerre, Thomas Geneste, accusé par les vignerons d’interférer dans la procédure, est ainsi décrit comme connaissant « assez le coraige, propox et volenté des diz vignerons et laboureux53 ». Ce paternalisme est toutefois puissamment ébranlé par des vignerons « ingraz54 ». Cette ingratitude, incompréhensible pour les propriétaires auxerrois, suscite à une occasion, comme l’admettent les rédacteurs du mémoire, une « juste coleur55 » du procureur du roi. Ce courroux est juste, toutefois, car fondé sur la raison et nécessaire 289pour ramener à l’obéissance les laboureurs rebelles. Il tendrait donc indéniablement au bien, au contraire de la colère des vignerons56.
En effet, la communauté émotionnelle des vignerons ne bénéficie pas de l’harmonieux équilibre caractérisant celle des propriétaires. À plusieurs reprises, le récit des défendeurs souligne que les vignerons disposent d’une « maulvaise volenté et coraige ». De manière encore plus nette, les errements des vignerons sont mis en relation avec leur « coraige desordoné57 » : les vignerons sont des mauvais sujets car ils sont dominés par leurs passions. Soumis à la tyrannie de leurs corps, les laboureurs agissent par « excessive desraison » et « contre raison58 ». Comme l’évocation des sages dirigeant avec mesure les humeurs populaires, cette description de vignerons irrationnels recoupe en grande partie les stéréotypes de la littérature politique du temps qui ne cesse, à l’image d’Oresme, de justifier la marginalisation politique du commun en invoquant son ignorance et sa soumission à la chair59. Ainsi rien n’est plus naturel que cette bestialité populaire. C’est même, on l’a vu, l’une des fonctions de l’élite que de la canaliser, voire de l’amender.
Mais cette œuvre d’apaisement se heurte aux bouleversements du monde du travail consécutifs à la décrue démographique suivant la Peste Noire et ses récurrences dans le second xive siècle. À Auxerre, la remise en ordre du terroir au début du règne de Charles VI après des décennies de troubles renforce sans doute encore le besoin de main d’œuvre et inverse davantage le rapport de forces entre propriétaires et journaliers60. Mécaniquement, le temps de travail diminue et les salaires augmentent considérablement. Mais ce problème économique est aussi vécu comme une épreuve morale par les élites médiévales. Ainsi, n’est-ce pas l’envie qui pousse les vignerons auxerrois à demander des salaires exorbitants, ruinant, selon la plaidoirie « la chevance de ceulx du pais » et œuvrant au « desheritement des autres povres gens d’eglise, bourgois, marchans et autres61 » ? Cette accusation outrancière fantasme les tensions sociales comme un renversement de l’ordre où, par la faute des abus des vignerons, 290les riches s’enfonceraient dans l’indigence alors que les pauvres feraient dorénavant preuve d’une insolente prospérité. Et si l’ordonnance de 1393 est une tentative pour réglementer la durée du travail du soleil levant au soleil couchant et pour limiter le salaire à 5 sous par jour, l’objectif est aussi de rendre au travail ses vertus d’ordre et de discipline et de lutter contre le danger de l’oisiveté. En effet les vignerons désœuvrés cèdent à l’appel de la taverne et aux plaisirs de la boisson et du jeu62. La lettre royale de 1393 fait ainsi écho aux préoccupations morales de la grande ordonnance sur le travail dans la vicomté de Paris de Jean II le Bon de 1350, dont elle applique par ailleurs certaines prescriptions63. Le texte de 1350 interdit l’oisiveté aux vignerons-journaliers sous peine de quatre jours de prison, de peur sans doute de les voir adopter les mauvaises passions de la taverne, dénoncées dès le premier article de l’ordonnance64. Il reprend en fait des prescriptions législatives très anciennes et réactivées par les grandes ordonnances de réformes de Louis IX, condamnant la fréquentation des lieux d’intempérance65. Dès lors, dans le récit des défendeurs, le dérèglement passionnel est une des conséquences mêmes des abus des vignerons, rajoutant du désordre au désordre. De la sorte la figure du mauvais sujet se confond beaucoup avec celle d’un mauvais pauvre intempérant que l’ordonnance de 1393 doit ramener à la raison en le remettant au travail66. Pourtant, cette décision précipite les vignerons dans un excès passionnel encore plus grave : en effet dans le récit du brouillon du mémoire, la colère occupe le premier rang des passions67. Pis encore, elle en déchaîne d’autres, et partant les passions des pauvres menacent de subvertir entièrement l’ordre social.
291Les passions du désordre
En effet, dès l’ordonnance publiée, les vignerons deviennent « merveilleusement indinez, impaciens et courreciez68 », le texte reprenant une association traditionnelle entre indignation et colère69. L’ire se soulève lorsqu’interviennent les premières incarcérations, les vignerons, « très courreciez70 », poursuivant leur refus de l’ordonnance. La passion s’élève à nouveau « par grant despit et courroz » lorsque les « laboreux » sont « courreciez […] contre les autres » vignerons du plat pays se retirant subitement de la procuration71. De toutes les passions mobilisées par le récit des propriétaires, le courroux intervient aux moments les plus stratégiques : refus de l’ordonnance, pourtant publiée régulièrement devant la major et sanior pars des vignerons lors des assises du bailli72 ; résistance ouverte à la répression malgré la supposée mansuétude des autorités ; remobilisation énergique des hommes face au risque d’essoufflement du mouvement. La colère serait donc le premier moteur de la résistance vigneronne et elle constitue l’aboutissement du dérèglement passionnel dont souffrent les mauvais sujets vignerons. Pis, l’ire contamine les soutiens des laboureurs. Un commissaire « favorable a partie adverse », sans doute Guillaumin Mariotte, accusé par ailleurs d’être incapable de maîtriser les vignerons, « se courreç(e) » contre les laboureurs dénonçant la procuration73. À la figure du mauvais sujet répond en écho celle du mauvais sergent, ternissant d’autant la réputation de la partie adverse. En effet, dans le microcosme judiciaire où les gestes et la dramaturgie, notamment ceux des plaidoiries, sont dotés d’autant de force que les mots74, la colère est toujours à prescrire : l’avocat doit contrôler ses émotions et en se laissant aller au courroux il affaiblit nécessairement sa 292cause75. Mais la colère n’est pas seulement disqualifiante judiciairement, elle est aussi une souillure morale ; elle occupe une place de choix dans la hiérarchie du septénaire76. Partant, de l’ire découlent d’autres péchés.
Péchés de langues tout d’abord, puisque réunis à la suite d’un de leurs mouvements d’humeur, les vignerons se mettent à « maulgreer et despitier Dieu, sa benoiste mere et les sains de paradix77 ». Le sergent Mariotte, sous le coup de l’énervement, accuse les vignerons sortant de la procuration d’être des « villain sanglans », exprimant violemment son mépris et sa répugnance face à la duplicité supposée des laboureurs78. Pis, il les menace, regrettant vivement de ne pouvoir les conduire dans les prisons du Châtelet de Paris79. Les vignerons dans un emportement identique « mauldissent orriblement ceux qui veulent tenir ladicte ordenence et les menacent de leur faire et pourter domaige en corps et en biens80 ». Mais la colère n’engendre pas seulement des mots, elle contamine en profondeur les comportements. Les vignerons « très courreciez » ne sont-ils pas dans le même mouvement « obstinez comme pharaon81 » ? La référence biblique est transparente : Pharaon est l’archétype de l’arrogant païen que l’entêtement rend sourd aux avertissements divins. Arrogance à nouveau lorsque les vignerons ont refusé l’ordonnance et que se sont « ventez aucuns d’eux en plusieurs lieux, en plusieurs places, et a plusieurs personnes, que, comment qu’il soit, ils la soustiendroient en Parlement82 ». La colère des laboureurs, l’ingratitude et l’obstination qu’ils ne cessent de manifester sont autant de signes de leur absence d’humilité et de leur volonté de subvertir les relations normales de domination. En définitive, ils cèdent à la passion la plus dangereuse de toutes, au premier des péchés capitaux : l’orgueil83. Par extension, la rébellion des vignerons contre les propriétaires de vignes auxerroises se dirige donc aussi contre Dieu.
293Cette subversion trouve son expression la plus achevée dans la joie collective des vignerons. La joie est d’autant plus menaçante qu’elle est partout. Elle se nourrit de l’oisiveté des vignerons, accusés dans la plaidoirie de se précipiter à heure de nonne soit pour travailler « leur propre besoigne ou jouer à la paulme84 » ou au bindeaul, un jeu de lancer85, deux jeux éreintants pour les propriétaires, soit « en la taverne86 » pour assouvir leur intempérance dans un lieu où la parole moqueuse se libère par « desrisions, moqueries et abusions87 » des élites locales. Mais elle envahit aussi les territoires du travail et elle devient l’un des instruments les plus puissants de lutte. En effet, les vignerons s’engagent dans une véritable grève du zèle et ne cessent d’avancer leur heure de fin de travail. Pour « covrir leur malice », ils inventent des excuses, souvent « estranges et non recevables ». Pis, pour mettre fin de manière concordante au travail, les laboureurs mettent en place une « conspiracion maulveise faicte entr’eux » pour « huoient et crioient a haulte voiz tellement que on les povoit oïr de tout le finaige ». L’« huy et cry » correspondent en réalité à une ancienne coutume, appliquée dans le Blésois où elle est interdite dès la fin du xiiie siècle88. Comme le font les cris de haro en 294droit normand ou de « huy and cry » en Angleterre pour le flagrant délit criminel89, il transforme la foule des vignerons en « corps politique90 », la clameur populaire se faisant dorénavant autorité et interprète des heures de travail. Dotés d’une telle signification, ces cris sont interdits par le prévôt d’Auxerre. Mais « en desrision de ladicte deffense crioient les aucuns au loup a haulte voiz », les hommes ne quittant dorénavant plus les champs, mais cessant tout de même le travail91, certains décidant de « jouer et abatre » directement sur leur lieu de travail pour rentrer à heure de vêpres dans la cité et respecter formellement l’ordonnance92. Mais la résistance peut se faire de manière encore plus ouverte : une partie des vignerons rentre dans la ville à « heure de nonne cloichant », et se mettent à « trompés et a naquerez93 par maniere d’eux desnier et moquer des autres habitans d’Aucerre leurs parties adverses94 ». Conduite de bruit tapageuse et festive, ironie mordante et moqueuse, subversion des relations normales de sujétion : cette joie terrible est une figure bien connue de la révolte.
Elle ne s’inscrit pas dans la joie normée et régulière des foules pacifiées saluant dans de grandes effusions collectives les naissances royales, les Joyeuses Entrées ou les Paix95. Accompagnée de rituels d’inversion, elle est carnavalesque comme l’illustre, par exemple, le célèbre récit de la Harelle de Rouen en 1382 par le chroniqueur de Saint-Denis, Michel Pintoin96. Cet assaut des vignerons contre l’honneur97 des dominants se nourrit plus spécifiquement d’un répertoire de conduites inspiré du 295charivari98, mobilisé couramment dans les soulèvements populaires, dont l’un des exemples les plus célèbres est la moerlemaaie à Bruges en 128099. Cette joie bruyante est une demande d’ordre, incarnée par les coutumes de Blois que les vignerons affirment légitimement tenir, et qui heurte avec fureur le nouvel ordre voulu par les propriétaires soutenus par les autorités100. Elle n’est donc pas un élément folklorique du mouvement, mais elle signe sa gravité et partant, l’intensité de la peur sociale parmi l’oligarchie auxerroise. Dès lors, la configuration passionnelle du conflit ne répond pas toujours à la hiérarchie binaire et limpide entre maîtrise de soi des propriétaires et dérèglement passionnel des vignerons. La peur vient en effet perturber la division rhétorique entre bons et mauvais sujets101. Plastique, elle prend des formes diverses entre passions naturelles tendant à la conservation de l’ordre social face à l’ire des laboureurs et outil politique permettant de gérer et de réprimer les affects des vignerons.
Une peur sociale ?
La crainte des propriétaires est avant tout une réaction à la colère et à l’indignation des vignerons. Les élites sont anxieuses et le mémoire les dit « doubtans » de la tenue d’une assemblée des vignerons alors que Nicolas de Fontenoy, commissaire du roi aux Cordeliers, a peur d’effectuer 296sa mission « pour doubte de mort102 ». Le verbe doubter ne dénote pas la même intensité que les vocables de peur ou d’effroi puisqu’il est de l’ordre de l’appréhension, de la crainte et de la prudence, permettant la désignation d’un affect naturel et rationnel face à la menace que représente le mouvement des vignerons, partant il est pleinement légitime. Toutefois le mouvement affectif n’en reste pas moins très clair : les propriétaires subissent la passion fondamentale de la peur. Elle est suffisamment puissante pour que le « doubte » précipite finalement la fuite du commissaire Nicolas de Fontenoy103. Cette crainte se justifie par l’association récurrente entre la colère et l’émotion. Ainsi, « très courreciez » par la répression frappant le mouvement, les vignerons se réunissent à plusieurs reprises et « sont esmeuz et annimez104 ». Plus tard, en apprenant la défection de certains vignerons de la procuration, les plaignants apparaissent « courreciez et esmeus105 ». L’émotion décrit en effet le premier mouvement de l’agitation populaire106. Les défendeurs juxtaposent une fois la crainte de l’« esmeuvement de peupple » au risque de « commocion107 ». Par ailleurs, si les deux termes ne sont associés qu’une seule fois, leur usage est récurrent tout au long du récit, chacun étant mobilisé une petite dizaine de fois, ce qui dénote la position des propriétaires : les vignerons ne mènent pas une résistance légitime devant les cours de justice, mais une révolte contre l’ordre. Le risque serait dès lors qu’adviennent « une grant occision, esclandre inreparable et rebellion contre le roy et ses officiers et les plus notables de la ville108 ».
297La crainte de la violence serait d’autant plus vive qu’Auxerre est une ville marquée par une véritable tradition109 de soulèvements populaires. N’observe-t-on pas une révolte contre les chanoines en 1351, une rébellion contre la noblesse locale en 1358 et, surtout, sans doute une participation active aux mouvements anti-fiscaux de 1380-1382 – qui prennent pour cible les hommes du Roi110 ? La peur est si vive que les propriétaires redoutent même que les laboureurs finissent par « esmovoir une maniere de jaquerie et mailleterie111 » ou une « manière de jaquerie112 ». Celle-ci déboucherait immanquablement sur la « ruine » et sur le « desheritement des autres povres gens d’eglise, bourgois, marchans et autres », voire sur « toute la destruction du païs113 », situation contraire à l’abondance et à la richesse, effets induits de l’obéissance des sujets et d’un bon gouvernement. Les auteurs du mémoire mobilisent ainsi deux modèles de fureur populaire, l’un urbain et récent114, l’autre rural115 et dont la mémoire, toujours vive, constitue l’archétype d’une barbarie populaire incontrôlable et dangereuse, comme l’entend encore Philippe de Mézières dans son Songe rédigé au cœur des années 1380116. Ainsi au-delà du traumatisme des violences urbaines du début des années 1380, la Jacquerie conserve donc entier son pouvoir d’effroi pour les classes sociales dominantes des années 1390.
298Pourtant, si la peur sociale des propriétaires des vignes est grande, le mouvement est d’une assez faible intensité. Les vignerons usent d’un vaste répertoire d’actions collectives incluant à la fois la réunion publique, la grève, les dégradations des vignes, les menaces sur les propriétaires et les laboureurs récalcitrants, mais jamais semble-t-il de violences physiques sur les personnes. Ainsi le cœur du mouvement reste avant tout judiciaire, la porosité entre le judiciaire et l’extra-judiciaire n’ayant rien d’exceptionnel et constituant même l’une des modalités privilégiées par lesquelles la société résout ses conflits dans les derniers siècles du Moyen Âge117. L’accusation est donc particulièrement outrancière et d’ailleurs de nombreux passages du récit s’avèrent bien plus mesurés. En effet, le vocabulaire dénonçant les « maulx, exés et deliz118 » des vignerons disparaît, le texte dénonçant alors de façon plus neutre les « convenances, union et conspiracion », ou « union et conspiracion » ou bien les « assemblees, commocions, unions et conspiracions119 ». Ce lexique dénote toujours l’idée de révolte, mais place dorénavant l’accent sur la conduite d’une action collective illégitime se traduisant par des réunions et des assemblées illicites120. À deux reprises, le récit des propriétaires dénonce ainsi des « conspiracions et unions maulvaises » se déroulant, l’une dans l’hôtel de l’évêque d’Auxerre, l’autre directement dans les vignes d’un dénommé Jesoins, qui en réponse se place immédiatement sous la sauvegarde royale121. Insistant davantage sur l’organisation illégitime du mouvement, ce vocabulaire d’origine plus strictement judiciaire122 met à distance l’idée d’un dérèglement 299passionnel et irrationnel des vignerons dégénérant en furie. L’accusation reste pourtant très forte. Il est notable qu’elle ne soit pas reprise dans le second mémoire faisant suite à la plaidoirie du 17 juin 1393, qui ignore d’ailleurs de même l’idée d’une éventuelle commotion123.
Coercition et passions
En réalité, cette outrance révèle que la peur des propriétaires est aussi un outil politique. La crainte de la violence populaire permet de justifier une politique de répression très violente caractérisée par des emprisonnements arbitraires et abusifs dépassant de beaucoup les quatre jours maximum prévus par l’ordonnance ou encore des descentes menaçantes « à cheval » dans les champs, « espees nues124 », officiellement pour faire appliquer l’ordonnance et saisir les récalcitrants, mais en réalité davantage encore pour impressionner les vignerons. Ainsi, les laboureurs seraient « contraint[s] par force et doubte de prison125 » de jurer l’ordonnance et de révoquer leurs procureurs, et plus généralement subiraient les « grefs et oppressions » des propriétaires126. La peur ne tourmente donc pas seulement le camp des élites auxerroises, mais tout indique qu’il en est fait consciemment usage pour briser la résistance des laboureurs. Les rédacteurs s’en défendent vigoureusement et accusent au contraire le sergent Mariotte, suspect de sympathie pour les vignerons, de « terrer et apovonter » les vignerons se retirant du mouvement127. Mais l’usage de la peur pour réprimer les résistances populaires appartient au répertoire d’élites médiévales pouvant aussi bien présenter le visage irénique du contrôle de soi que le terrible visage de la violence légitime128. Face à 300la révolte, le recours à des moyens exceptionnels et partant illégaux est souvent justifiable, au pis pardonnable129. Quoiqu’il en soit, la peur des élites auxerroises est présentée par les défendeurs comme étant rationnelle et normale.
Au contraire, l’accusation des laboureurs pointe la disproportion de la réaction violente des propriétaires et remet en question sa légitimité. En creux, les laboureurs reprochent même aux gens du Roi de faire usage de la peur non pour défendre le bien commun mais pour faire valoir leurs intérêts privés, nombreux étant les gens d’État parmi les propriétaires. Les attaques contre les vignes de Jehan Maulduit, lieutenant du bailli de Sens et celles de « Gouderoncin, Lebeuf, Serpier, Colinet de Soissons, sergent du roy qui ladicte ordenence avoit aidié » révèlent clairement la réalité de la collusion partielle entre propriétaires et gens d’État130. Celle-ci est confirmée et nettement amplifiée par les gens du Roi eux-mêmes qui précisent dans le mémoire avant Conseil que les « messeigneurs de Parlement et autres demourans par deça » connaissent « notoirement » la situation car ils « ont des vignes oudit pays131 ». Cette situation incite les vignerons à demander le déplacement du procès devant les assises de Sens132, puis à faire appel de la décision du bailli de Sens et d’Auxerre. Les laboureurs y dénoncent les tentatives du procureur du roi, Geuffroy Trone, d’interdire une réunion des vignerons, pourtant dûment autorisée par une lettre royale adressée au procureur. Geuffroy justifie sa décision en mettant en avant sa crainte d’une « commocion et esmeuvement de peupple sur les officiers du roi133 ».
La peur de la violence populaire d’un motif politique du maintien de l’ordre, devient ainsi un outil discursif de légitimation. Les accusations fonctionnent comme des dénégations des faits allégués par les procureurs des vignerons, qui se doivent d’être non pas véritables mais vraisemblables, exigence que l’on retrouve dans la plupart des récits judiciaires, comme ceux des plaidoiries ou plus encore ceux des suppliants 301demandant une rémission ou une absolution134. Il en résulte des hésitations qui ressurgissent au gré des retouches faites au mémoire135. Ainsi tout le passage alléguant la fuite de Nicolas de Fontenoy, commissaire royal craignant pour sa vie, est rayé après relecture car trop outrancier et éloigné de la réalité pour constituer un fait présentable devant le Parlement de Paris136. L’économie discursive des passions se heurte ainsi à l’économie du vraisemblable, dans une situation judiciaire difficile pour les propriétaires, confirmée par l’arrêt interlocutoire du 17 juin 1393, dans lequel la cour décide de recevoir les appels des vignerons et de juger à nouveau l’affaire sur le fond137.
Si les élites auxerroises font un usage massif du discours sur les passions des vignerons, celui-ci ne peut toutefois à lui seul épuiser la complexité du traitement judiciaire des mouvements populaires médiévaux. Les passions des vignerons tracent une séparation infrangible entre des propriétaires et des gens du Roi, archétypes du bon sujet au comportement profondément rationnel, et des laboureurs travaillés par des passions insatiables, figures du mauvais sujet. Au-delà, c’est le mouvement lui-même qui cède à l’emprise des passions et qui, dès lors, devient irrecevable et illégitime. La résistance des vignerons se réduit de fait à une explosion de colère éminemment condamnable, matrice d’autres excès tout aussi répréhensibles : péchés de langue, orgueil démesuré et joie subversive donnent au mouvement un aspect charivaresque et carnavalesque. Ce dérèglement passionnel est lourd de menaces et il fait naître chez les propriétaires la crainte d’un soulèvement général à Auxerre, sur le modèle des Maillotins et plus encore des Jacques. Si cette peur justifie la dure répression s’abattant sur les vignerons, elle permet aussi de tenter de légitimer des abus commis par les gens du roi et de préserver, parfois au-delà du vraisemblable, la figure du bon sujet. Toutefois l’efficacité de ce discours est relative. Le mémoire en fait un usage massif pour tenter de disqualifier l’appel des vignerons 302et éviter ainsi que l’affaire soit à nouveau jugée sur le fond. En ce sens, cette stratégie est un relatif échec, et le second mémoire, à bailler pour le conseil, abandonne en grande partie ce discours aux accents moraux, et se concentre sur une argumentation juridique plus austère. L’objectif devient alors de démontrer le bien-fondé de l’ordonnance royale et non plus de dénoncer les excès de l’adversaire : le discours sur les passions n’est plus à l’ordre du jour. Toutefois si les propriétaires l’emportent alors sur le fond, l’arrêt du 26 juillet n’en réduit pas moins considérablement le poids des amendes, conformément aux souhaits des vignerons138 et laisse ouverte la question de l’heure du départ des champs139. Ce changement de stratégie révèle combien l’écriture de la révolte balance au xive siècle entre des régimes discursifs différents et concurrents, que les acteurs mobilisent au gré de leurs besoins.
Pierre Lavallée
Université Lille 3 –
Institut de Recherches Historiques du Septentrion
1 C. Moiset, « Le monologue du bon vigneron », Annuaire de l’Yonne, 4, 1857, p. 73-83.
2 Moiset, « Le monologue », p. 73, 76, 82.
3 Moiset, « Le monologue », p. 73.
4 Pour un récit synthétique des événements, voir A. Stella, « Un conflit du travail dans les vignes d’Auxerre aux xive et xve siècles », Histoire et Sociétés rurales, 5, 1, 1996, p. 221-251, ici p. 221-225.
5 Pour la reconstruction de cette mémoire à la fin du xixe siècle, voir C. Demay, La sonnerie pour les vignerons et les laboureurs à Auxerre,Auxerre, Rouillé, 1888.
6 Pour cette notion de sociologie spontanée, voir P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France (1989-1992),Paris, Seuil, 2012, p. 32.
7 Pour la porosité entre récit judiciaire et récit littéraire dans le cadre d’une révolte populaire voir la démonstration convaincante de A. J. Prescott, « Writing about Rebellion : Using the Record of the Peasants’ Revolt of 1381 », History Workshop Journal, 45, 1998, p. 1-27, à propos des récits relatant le soulèvement anglais de 1381. Ce travail critique prolonge l’ouvrage fondamental étudiant les relations entre la littérature et la révolte de 1381 : S. Justice, Writing and Rebellion. England in 1381, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1994. Pour une approche connexe de cette question dans le domaine français, voir F. Autrand, « Culture et mentalité. Les librairies des gens du Parlement au temps de Charles VI », Annales. Économies, Sociétés, Civilisation, 139, 5, 1973, p. 1219-1244, qui documente la culture littéraire dont sont imprégnés les conseillers au Parlement de Paris.
8 E. Anheim et P. Chastang, « Les pratiques de l’écrit dans les sociétés médiévales (vie-xiiie siècles) », Médiévales,56, 2009, p. 5-10.
9 L. Verdon, « Les usages du récit dans l’archive judiciaire médiévale », Récit et Justice (France, Italie, Espagne, xive-xixe siècles), éd. L. Faggion et Chr. Reggina, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2014, p. 17-24. Pour le Moyen Âge central et l’espace ligérien, voir B. Lemesle,Conflits et justice au Moyen Âge. Normes, loi et résolution des conflits en Anjou aux xie et xiie siècles, Paris, Presses universitaires de France, 2008.
10 Ainsi, ils constituent la catégorie professionnelle la plus représentée à Auxerre au xve siècle, mais ils sont aussi très nombreux à Dijon, à Lyon sur les coteaux du Rhône, ou à Provins et à Paris dans le vignoble francilien, ou encore à Blois et à Orléans au cœur des vignobles de la Loire. Voir pour ces développements le dossier Les vignerons du Centre Pierre Léon, notamment A. Stella, « Le profil social des vignerons de la Bourgogne du Nord du xive au xviiie siècle », Bulletin du Centre Pierre Léon d’Histoire économique et sociale,102-103,3-4, 1996, p. 71-82, et F. Michaud-Fréjaville, « Vignerons des villes, vignerons des champs, en Berry et Orléanais à la fin du Moyen Âge », p. 63-70, ainsi que la reprise de ces questions dans le dossier Vignes et vins au Moyen Âge. Pratiques sociales, économie et culture matérielle de L’Atelier du CRH,notamment D. Alexandre-Bidon, P. Mane et M. Wilmart, « Vignes et vins au Moyen Âge. Pratiques sociales, économie et culture matérielle. Introduction » ; F. Michaud-Fréjaville, « Les vignes et vignerons d’Orléans à la fin du Moyen Âge » et M. Wilmart, « Vignes et vignerons à Provins aux xiiie et xive siècles », L’Atelier du Centre de recherches historiques, 12, 2014 [en ligne].
11 L’étude des patrimoines des vignerons dijonnais, bien qu’elle reste parcellaire, est riche d’enseignements sur la diversité de richesse au sein des populations vigneronnes. Voir F. Piponnier, « Fortune et genre de vie des vignerons dijonnais (fin xive-xve siècle) », Bulletin du Centre Pierre Léon d’Histoire économique et sociale, 102-103, 3-4, 1996, p. 41-48.
12 Voir M. Delafosse, « Note d’histoire sociale, les vignerons d’Auxerrois, xive-xve siècles », Annales de Bourgogne, 20, 1948, p. 7-41 ; Stella, « Un conflit du travail », p. 221-225, et Stella, « Le profil social », p. 71-82 pour les études les plus précises sur les vignerons pauvres à Auxerre à la fin du Moyen Âge.
13 Delafosse, « Note d’histoire sociale », p. 7-8. Il étudie notamment les comptes de grandes propriétés ecclésiastiques faisant œuvrer de nombreux journaliers sur leurs réserves. Par ailleurs, nos sources sont très claires sur la présence d’agents royaux parmi les propriétaires des vignes. Voir infra.
14 E. Maugis, « La journée de huit heures et les vignerons de Sens et d’Auxerre devant le Parlement en 1383-1393 », Revue historique,145, 1, 1924, p. 203-218, ici p. 210-211.
15 Maugis, « La journée de huit heures », p. 212-213.
16 L’ordonnance est jugée subreptice par les vignerons. Pour les particularités juridiques de la contestation d’une ordonnance royale et du rôle spécifique joué dans ce cadre par le Parlement de Paris, voir S. Petit-Renaud, « Le roi, les légistes et le Parlement de Paris aux xive et xve siècles : contradictions dans la perception du pouvoir de “faire loy” ? », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes,7, 2000 [en ligne].
17 Sur la contestation chicanière et son rôle dans l’escalade du conflit dans les révoltes médiévales et modernes, voir H. Neveux, Les révolutions paysannes en Europe (xive-xve siècle), Paris, Pluriel, 1999, ainsi que P. Blickle, Kommunalismus. Skizzen einer gesellschaftlichen Organisationsform, Munich, Oldenbourg, 2000.
18 C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, vol. I, p. 29-31.
19 Maugis, « La journée de huit heures », p. 211-212.
20 Les vignerons ont entamé des procédures pour être jugés à Sens en mettant en cause l’impartialité des juges auxerrois. Ils doivent se résoudre à être jugés aux assises d’Auxerre, mais devant le bailli de Sens. Voir Stella, « Un conflit du travail », p. 235. Il est à noter par ailleurs qu’Auxerre appartient officiellement au baillage de Sens et d’Auxerre depuis le rattachement au domaine royal de la ville en 1371. Toutefois, le siège effectif du baillage reste en réalité à Sens, le bailli étant représenté à Auxerre par un prévôt. Voir Histoire d’Auxerre des origines à nos jours, éd. J.-P. Rocher, Roanne, Horvath, 1997, p. 114-116.
21 A.N., X1A1447, fol. 130v et 131r.
22 Pour l’arrêt du 17 juin 1393 voir Maugis, « La journée de huit heures », p. 214.Les vignerons font appel au Parlement en accusant le procureur du roi d’avoir tenté d’empêcher la tenue d’une réunion de vignerons autorisée par lettres royales pour la désignation de procureurs, et en reprochant au tabellion royal d’avoir tardé à copier des pièces de la procédure avant d’appliquer des tarifs prohibitifs pour ses écritures. Pour ces développements, voir Stella, « Un conflit du travail », p. 234-236.
23 A. N., X1A1447, fol. 211r.
24 P. Guilhiermoz, « De la persistance du caractère oral dans la procédure civile française », Nouvelle revue historique du droit français et étranger, 13, 1889, p. 21-65.
25 F. Aubert, Histoire du Parlement de Paris de l’origine à François ier, 1250-1515, t. II,Genève, Mégariotis, 1894, p. 5-26.
26 P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès. Étude sur la procédure et le fonctionnement du Parlement au xive siècle, Paris, A. Picard, 1892, p. 1-27, et Aubert, Histoire du Parlement, t. II, p. 26-80. Le mémoire évoque clairement la plaidoirie du 17 juin et l’arrêt subséquent. Voir Stella, « Un conflit du travail », p. 243. Par ailleurs, le registre des plaidoiries évoque explicitement le fait qu’après réception de l’appel, « les laboureurs baudront leurs débas et leurs griefs en une cedule et le procureur au contraire », voir A.N., X1A1447, fol. 130v et 131r. Il est à noter que le mémoire prend la forme typique des articuli, même si aucune enquête n’est décidée par la cour.
27 L’hypothèse du brouillon pour le second mémoire est défendue dans Stella, « Un conflit du travail », p. 221-222 et auparavant, mais de façon moins affirmative, dans Delafosse, « Note d’histoire sociale », p. 29. Cette hypothèse découle de l’analyse diplomatique des deux pièces qui sont rédigées comme des articuli composés par les parties lors des enquêtes. Toutefois le brouillon ne comprend pas encore de numérotation explicite de chaque article. Mais les deux documents présentent une morphologie commune, la version des faits selon les propriétaires précédant systématiquement la réfutation des faits présentés par les vignerons. Elle est renforcée par la conservation isolée du brouillon, seul le second mémoire étant conservé dans une liasse contenant l’ordonnance et les arrêts de juin et juillet 1393. Toutefois, la critique interne du brouillon montre que la plaidoirie n’est pas évoquée dans le document, alors que sa tenue est spécifiquement mentionnée dans le second mémoire. Par ailleurs, la date de la présentation au Parlement, le 8 juin 1393, est explicitement mentionnée, ce qui pourrait démontrer que l’enjeu est ici la réception de l’appel au Parlement, et non, comme dans le second mémoire, la décision sur le fond du litige. Pour les sources de cette critique interne, voir Stella, « Un conflit du travail », p. 232.
28 Voir pour la procédure d’appel Aubert, Histoire du Parlement, t. II, p. 5-26.
29 Delafosse, « Note d’histoire sociale », p. 7-41, et Stella, « Un conflit du travail », p. 221-225.
30 Voir pour cet usage dans les plaids au criminel et au civil, les observations respectives dans Gauvard, « De grace especial »,vol. I, p. 31-32, et dans V. Julerot, « Y a un grand desordre ». Élections épiscopales et schismes diocésains en France sous Charles VIII, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 271-316. Cette volonté est explicite dans le mémoire étudié, puisque les auteurs saluent par exemple le refus des vignerons du pays d’Auxerrois de se joindre au mouvement de protestation de leurs confrères auxerrois, malgré les sollicitations et les menaces, en notant qu’il s’agit de « vraiz subgez et obeissants au roy notre sire ». Voir Stella, « Un conflit du travail », p. 230.
31 Ainsi, la philosophie médiévale, notamment Thomas d’Aquin, met en avant la nécessité de domestiquer les passions par l’usage de la raison. Voir R. Imbach, « Physique ou métaphysique des passions ? », Critique,716-717, 1-2, 2007, p. 24-25 ; C. Casagrande et S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, Aubier, 2003 ; B. H. Rosenwein, Generations of Feeling : A History of Emotions, 600-1700, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p. 144-168, et B. H. Rosenwein, « Who Cared about Thomas Aquinas’s Theory of the Passions ? », L’atelier du centre de recherches historiques,16, 2016 [en ligne].
32 B. H. Rosenwein, Emotional Communities in the Early Middle Ages, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 2006 ; B. H. Rosenwein, « Les communautés émotionnelles et le corps », Médiévales,61, 2011, p. 55-75. Pour l’usage de la notion de communauté émotionnelle comme outil d’analyse sociale, voir P. Nagy, « Les émotions et l’historien : de nouveaux paradigmes », Critique, 716-717, 1-2, 2007, p. 17-22.
33 B. Guenée, L’opinion publique à la fin du Moyen Âge d’après la Chronique du religieux de Saint-Denis,Paris, Perrin, 2002, p. 112-130.
34 Stella, « Un conflit du travail », p. 234.
35 Guenée, L’opinion publique,p. 112-130.
36 B. Chevalier, Les bonnes villes de France du xive au xvie siècle, Paris, Aubier, 1982.
37 Stella, « Un conflit du travail », p. 235.
38 Nicole Oresme, Le livre de politiques d’Aristote(1371), éd. A. D. Menut, Philadelphia, American Philosophical Society, 1970, p. 137, 360, 364 et 370. Pour une analyse plus poussée, voir J. Krynen, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France, xiiie-xve siècles, Paris, Gallimard, 1993, p. 429.
39 Voir à propos des miroirs aux Princes et du contrôle des passions, G. Althoff, « Ira Regis. An History of Royal Anger », dans Anger’s Past, p. 58-74, ici p. 58-61, et Krynen, L’empire du roi,p. 167-239.
40 Stella, « Un conflit du travail », p. 230, p. 235 et 238.
41 Stella, « Un conflit du travail », p. 226, p. 228 et 230.
42 C. Gauvard, « L’image du roi justicier dans les lettres de rémission », dans La faute, la répression et le pardon. Actes du 107e congrès national des sociétés savantes, (Brest, 1982), Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1984, p. 165-192.
43 Stella, « Un conflit du travail », p. 230-231.
44 La prudence est à comprendre comme la condition de possibilité d’exercice des vertus. Voir Thomas d’Aquin, Summa Theologiae,IIa, IIae,q. 47-56.
45 Stella, « Un conflit du travail », p. 227-228.
46 Sur cette notion fondamentale et son usage par les monarchies, voir le dossier collectif sous la direction de F. Collard : Pouvoir d’un seul et bien commun (vie-xvie siècle), Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, 32, 2010. Pour les gouvernements urbains, voir De Bono Communi. Discours et pratique du Bien Commun dans les villes d’Europe (xiiie-xvie siècle), éd. E. Lecuppre-Desjardin et A. L. Van Bruaene, Turnhout, Brepols, 2010.
47 Stella, « Un conflit du travail », p. 227-228.
48 Pour le texte de la plaidoirie, voir infra n. 61. Dans leur requête les propriétaires sénonais s’inquiètent des « mendres revenues » des vignes pour les propriétaires, voir Maugis, « La journée de huit heures », p. 213.
49 P. Boucheron, « Politisation et dépolitisation d’un lieu commun. Remarques sur la notion de Bien Commun dans les villes d’Italie centro-septentrionales entre commune et seigneurie », De Bono Communi, p. 237-251.
50 Le texte du mémoire induit l’identité entre le bien commun de la monarchie et le bien commun de l’oligarchie. Parfois, les deux conceptions sont divergentes et l’écart, souvent considérable, nourrit d’importants conflits. Voir à ce propos V. Challet, « Le Bien Commun à l’épreuve de la pratique. Discours monarchique et réinterprétation consulaire en Languedoc à la fin du Moyen Âge », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, 32, 2010, p. 311-324.
51 Ainsi les requêtes des propriétaires de Sens en 1383 et d’Auxerre en 1393, dont le texte est repris dans les ordonnances royales, évoquent le « bien et utilité publique ». Voir Maugis, « La journée de huit heures », p. 210 et 212.
52 Stella, « Un conflit du travail », p. 234.
53 Stella, « Un conflit du travail », p. 237. « Coraige » est ici à entendre comme le « cœur en tant que siège de la conscience de soi, des sentiments, des pensées ; conscience de soi ; ensemble des sentiments, des pensées, des dispositions, des intentions ». Pour cette définition voir l’entrée « coraige » du Dictionnaire du Moyen Français consultable sur le site de l’ATILF. Dans l’ensemble du mémoire, le courage des vignerons est toujours compris comme étant mauvais.
54 Stella, « Un conflit du travail », p. 231.
55 Stella, « Un conflit du travail », p. 235.
56 Casagrande et Vecchio, Histoire des péchés capitaux, p. 93-125.
57 Stella, « Un conflit du travail », p. 239, 237.
58 Stella, « Un conflit du travail », p. 229, 227, 228, 235.
59 Le livre de politiques, p. 137, et Guenée, L’opinion publique,p. 125-130 pour une analyse approfondie.
60 Delafosse, « Note d’histoire sociale », p. 16-18.
61 A.N., X1A1447, fol. 130v et 131r.
62 Stella, « Un conflit du travail », p. 229.
63 Ordonnances des roys de France de la troisième race recueillies par ordre chronologique, éd. E. de Laurière etal., Paris, Imprimerie Royale, 1729-1843, vol. II, p. 357-358.
64 Ordonnances des roys de France, vol. II, p. 350.
65 Ordonnances des roys de France,vol. I, p. 79.
66 Pour une analyse classique de cette catégorie, voir B. Geremek, Les marginaux parisiens aux xive et xve siècles, Paris, Flammarion, 1976.
67 Sur la colère, voir en particulier le collectif Anger’s Past déjà cité. Pour l’étude des excès criminels associés à la colère, voir Gauvard, « De grace especial »,vol. I, p. 453-456.
68 Stella, « Un conflit du travail », p. 237.
69 On notera par exemple cette association constante dans le récit du Religieux de Saint-Denis. Voir notamment Guenée, L’opinion publique,p. 52-78.
70 Stella, « Un conflit du travail », p. 231
71 Stella, « Un conflit du travail », p. 240.
72 Stella, « Un conflit du travail », p. 230, ainsi que dans les plaidoiries A.N., X1A1447, fol. 130v et 131r.
73 Stella, « Un conflit du travail », p. 240.
74 Gauvard, « De grace especial »,vol. I, p. 31.
75 Jacques d’Ableiges, Le Grand Coutumier de France,éd. E. Laboulaye et R. Dareste, Paris, Durand, 1868,p. 399.
76 Casagrande et Vecchio, Histoire des péchés capitaux, p. 93-125.
77 Stella, « Un conflit du travail », p. 231.
78 Pour la signification de l’injure, voir N. Gonthier, Les injures au Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 156-157, p. 179-181.
79 Stella, « Un conflit du travail », p. 240.
80 Stella, « Un conflit du travail », p. 240.
81 Stella, « Un conflit du travail », p. 231.
82 Stella, « Un conflit du travail », p. 229.
83 Casagrande et Vecchio, Histoire des péchés capitaux, p. 19-65.
84 J.-M. Mehl, Les jeux au royaume de France du xiie au début du xvie siècle, Paris, Fayard, 1990,p. 31-48, p. 191-195 et p. 237-242. Le jeu de paume est un jeu très populaire à la fin du xive, notamment chez les laboureurs, car il est possible d’y jouer facilement à l’extérieur – même si l’aristocratie se fait parfois aménager des terrains dédiés. Par ailleurs, c’est une activité que l’on pratique l’après-midi, après le travail, toujours avant que le soleil ne se couche pour bénéficier d’une luminosité suffisante. Par nature, le jeu de paume contrevient donc à l’ordonnance de 1393.
85 Cette précision nous est donnée par le texte du mémoire où il est précisé que certains s’occupent à « geter le bindeaul ». Voir Stella, « Un conflit du travail », p. 229. Toutefois ce jeu reste obscur et est absent de la bibliographie consultée, notamment du répertoire dans Mehl, Les jeux au royaume de France,p. 473-490. Par ailleurs, le Dictionnaire Godefroy consultable sur le site du DICFRO ne donne pas d’entrée bindeaul, mais deux entrées proches de binde et de bindette, au sens peu clair, mais qui renvoient toutes les deux à un instrument en bois. Il existerait ainsi des charrettes à bindes. Ainsi, il semble que le jeu de bindeaul consiste principalement dans le lancer d’un bâton. Comme le jeu de paume, le bindeaul apparaît avant tout comme un jeu d’extérieur, facilement accessible aux laboureurs. Sur les jeux de lancer, très populaires à la fin du Moyen-Âge, voir Mehl, Les jeux au royaume de France,p. 49-57.
86 Les citations précédentes sont tirées des plaidoiries : A.N. X1A1447, fol. 130v et 131r.
87 Stella, « Un conflit du travail », p. 229. Pour l’importance criminogène de la taverne, voir Gauvard, « De grace especial », vol. I,p. 448-452, mais aussi H. Skoda, Medieval Violence. Physical Brutality in Northern France 1270-1330,Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 88-118.
88 Pour son interdiction, voir T. Cochard, « Le Livre des métiers d’Orléans d’après les statuts des vignerons blésois du xiiie siècle », Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Orléanais,141, 1, 1890, p. 484-488.
89 P. Prétou, « Introduction. Éléments pour une histoire de la clameur publique », Clameur publique et émotions judiciaires. De l’Antiquité à nos jours, éd. F. Chauvaud et P. Prétou, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 13-18. Sur le « huy and cry » on peut aussi consulter B. A. Hanawalt, Crime and Conflict in English Communities, Cambridge, Harvard University Press, p. 32-35.
90 Prétou, « Introduction », p. 14.
91 Stella, « Un conflit du travail », p. 239.
92 Stella, « Un conflit du travail », p. 237 et 239.
93 La foule fait donc usage de trompettes et de nacaires, instruments de musique militaire s’apparentant à des tambourins. Voir l’entrée « nacaire » dans Dictionnaire Godefroy consultable sur le site du DICFRO.
94 Stella, « Un conflit du travail », p. 240.
95 Guenée, L’opinion publique,p. 19-34.
96 Michel Pintoin, Chronique du religieux de St Denis, éd. M. L. Bellaguet, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1994, vol. I, p. 130-138.
97 Voir à propos de l’importance de l’honneur Gauvard, « De grace especial », vol. II, p. 705-753.
98 C. Gauvard et A. Gokalp, « Les conduites de bruit et leur signification : le charivari », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 29, 3, 1974, p. 693-704.
99 Pour la moerlemaaie, voir M. Boone, « Le comté de Flandre dans le long xive siècle : une société urbanisée face aux crises du bas Moyen Âge », Rivolte urbane e rivolte contadine nell’Europa del Trecento : un confronto, éd. M. Bourin, G. Cherubini, G. Pinto, Florence, Presses Universitaires de Florence, 2008, p. 17-47, ici p. 28.
100 Stella, « Un conflit du travail », p. 244.
101 La peur est un domaine historiographique en cours de renouveau, comme en témoigne le collectif Por politica, terror social, éd. F. Sabaté et M. Pedrol, Lleida, Pagès, 2013. Pour les références classiques, voir J. Delumeau, La peur en Occident (xive-xviiie siècles). Une cité assiégée,Paris, Fayard, 1979, valable surtout pour la période moderne. Pour les craintes fondatrices de la société médiévale et leur expression dans les rumeurs populaires, voir en particulier C. Gauvard, « Rumeurs et stéréotypes à la fin du Moyen Âge », dans La circulation des nouvelles au Moyen Âge, Actes du xxive congrès de la SHMESP (Avignon, 1993), Paris-Rome, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 157-175.
102 Stella, « Un conflit du travail », p. 234, 239.
103 Stella, « Un conflit du travail », p. 239.
104 Stella, « Un conflit du travail », p. 231.
105 Stella, « Un conflit du travail », p. 240.
106 Ce lien est attesté dans P. Nagy, « Présentation. Le Moyen Âge en émoi », Critique,716-717, 1-2, 2007, p. 3-9, ici p. 7. Cette relation a été analysée dans le cadre du renouveau des études médiévales sur les révoltes. Voir en particulier V. Challet, « Émouvoir le prince. Révoltes populaires et recours au roi en Languedoc vers 1380 », Hypothèses, 2001, p. 325-333 ; J. Haemers, « A Moody Community ? Emotion and Ritual in Late Medieval Urban Revoltes », dans Les émotions au cœur de la ville (xive-xvie siècle), éd. E. Lecuppre-Desjardin et A. L. Van Bruaene, Turnhout, Brepols, 2005, p. 63-81 ; E. Lecuppre-Desjardin et J. Dumolyn, « Propagande et sensibilité : la fibre émotionnelle au cœur des luttes politiques et sociales dans les villes des anciens Pays-Bas bourguignons. L’exemple de la révolte brugeoise de 1436-1438 », dans Les émotions au cœur de la ville,p. 41-62, et E. Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies : recherche sur l’espace public dans les villes des anciens Pays-Bas bourguignons (xive-xve siècle.), Turnhout, Brepols, 2004.
107 Stella, « Un conflit du travail », p. 234.
108 Stella, « Un conflit du travail », p. 239.
109 Pour la notion de tradition de la révolte, voir M. Boone et M. Praak, « Rulers, Patricians and Burghers : The Great and the Little Traditions of Urban Revolt in the Low Countries », A Miracle Mirrored : The Dutch Republic in European Perspective, éd. K. Davids et J. Lucassen, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 99-173.
110 Histoire d ’ Auxerre,p. 111-115 et p. 117.
111 Stella, « Un conflit du travail », p. 231.
112 Stella, « Un conflit du travail », p. 234.
113 Stella, « Un conflit du travail », p. 239, 234 et 229.
114 Sur les Maillotins, l’ouvrage de référence reste L. Mirot, Les insurrections urbaines au début du règne de Charles VI (1380-1386). Leurs causes, leurs conséquences,Paris, Albert Fontemoing, 1905.
115 Sur la Jacquerie, voir pour les travaux les plus récents J.-L. Roch, « La guerre du peuple : autodéfense, révoltes et pillage dans la guerre de Cent Ans », dans Images de la guerre de Cent Ans, éd. D. Couty, J. Maurice et M. Guéret-Laferté, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p. 47-61, mais surtout J. Firnhaber-Baker, « A son de cloche : The Interpretation of Public Order and Legitimate Authority in Northern France, 1355-1358 », La comunidad medieval como esfera pública, éd. H. R. Oliva Herrer, V. Challet, J. Dumolyn et M. A. Carmona Ruiz, Séville, Universidad de Sevilla, p. 357-376, et J. Firnhaber-Baker, « Soldiers, Villagers, and Politics : The Role of Mercenaries in the Jacquerie of 1358 », Routiers et mercenaires pendant la guerre de Cent ans, éd. G. Pépin, F. Laine et F. Boutoulle, Bordeaux, Ausonius, 2016, p. 101-114.
116 Philippe de Mézières, Le songe du viel pelerin, éd. G. W. Coopland, Cambridge, Cambridge University Press, vol. I, p. 455.
117 M. Sbriccoli, « Justice négociée, justice hégémonique : l’émergence du pénal public dans les villes italiennes des xiiie et xive siècles », Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes d’Occident à la fin du Moyen Âge, éd. J. Chiffoleau, C. Gauvard et A. Zorzi, Rome, Publications de l’École française de Rome, 2007, p. 389-421 ; B. Guenée, Tribunaux et gens de justice dans la baillage de Senlis à la fin du Moyen Âge (vers 1380-vers 1550),Strasbourg, Publications de la faculté des lettres de l’université de Strasbourg, 1963, p. 277-308.
118 Stella, « Un conflit du travail », p. 232.
119 Stella, « Un conflit du travail », p. 232, 239 et 234.
120 Sur cet usage du droit d’association et son lien avec la rébellion, voir J. Dumolyn, « The Legal Repression of Revolts in Late Medieval Flanders », The Legal History Review,68, 2000, p. 479-521, ou C. Liddy, « Urban Enclosure Riots : Risings of the Commons in English Towns, 1480-1525 », Past and Present,226, 1, 2015, p. 41-77. Ce dernier travail souligne que de nombreux mouvements urbains médiévaux se limitent en réalité à des réunions illicites, dont il ne faut toutefois pas négliger la portée subversive.
121 Stella, « Un conflit du travail », p. 231.
122 Dumolyn, « The Legal Repression », p. 489.
123 Stella, « Un conflit du travail », p. 241-251.
124 Stella, « Un conflit du travail », p. 238.
125 Stella, « Un conflit du travail », p. 238.
126 Stella, « Un conflit du travail », p. 238.
127 Stella, « Un conflit du travail », p. 240.
128 Voir Althoff, « Ira Regis », p. 61, mais aussi C. Gauvard, « Grâce et exécution capitale : les deux visages de la justice royale française à la fin du Moyen Âge », Bibliothèque de l’École des Chartes,153, 2, 1995, p. 275-290. Les deux travaux montrent comment la colère et la miséricorde sont deux faces certes contradictoires mais profondément indissociables du pouvoir royal.
129 L’exemple de la Jacquerie est parlant, puisque que la lettre de rémission générale émise par le dauphin Charles en juillet 1358 a surtout pour fonction de pardonner les crimes commis par les nobles dans la répression sanglante du mouvement. Voir A.N., JJ. 86, fol. 80.
130 Stella, « Un conflit du travail », p. 231-232.
131 Stella, « Un conflit du travail », p. 242.
132 Stella, « Un conflit du travail », p. 235.
133 Stella, « Un conflit du travail », p. 234.
134 Pour cette question, voir Gauvard, « De grace especial », vol. I, p. 61-75, ainsi que N. Z. Davis, Fiction in the Archives : Pardon Tales and Tellers in Sixteenth Century France, Standford, Standford University Press, 1987, p. 7-35.
135 Pour une analyse des difficultés que rencontrent parfois les parties à construire un récit judiciaire efficient, voir V. Challet, « La lèse-majesté ou l’impossible récit. Le cas d’Aymeric de Roquefort, seigneur de la Pomarède », Récit et Justice, p. 53-66, ici p. 63-66.
136 Stella, « Un conflit du travail », p. 239.
137 Maugis, « La journée de huit heures », p. 214.
138 Stella, « Un conflit du travail », p. 249.
139 Cette relative indécision explique aussi pourquoi la contestation renaît de ses cendres au milieu du xve siècle. À ce propos, voir Stella, « Un conflit du travail », p. 221-225 et Delafosse, « Note d’histoire sociale », p. 19-41.