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Classiques Garnier

Les secrets d’un recueil médico-astrologique du fonds de la reine Christine de Suède (à l’occasion du catalogage des fonds français médiévaux de la Bibliothèque Vaticane)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
    2017 – 1, n° 33
    . varia
  • Auteur : Métois (Julie)
  • Résumé : Le ms. Città del Vaticano, B.A.V., Reg. lat. 1334 offre un exemple de la répartition des savoirs scientifiques et des pratiques magiques en langue française à la fin du Moyen Âge. La description du recueil et l’identification des textes, au cœur de cette étude, permettent d’envisager la cohérence d’un codex réunissant des traités très divers (médicaux, alchimiques, astrologiques et prophétiques), mais organisé autour d’une thématique centrale, celle du secret.
  • Pages : 127 à 144
  • Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406070290
  • ISBN : 978-2-406-07029-0
  • ISSN : 2273-0893
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07029-0.p.0127
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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les secrets
dun recueil médico-astrologique
du fonds de la reine Christine de Suède

(à loccasion du catalogage des fonds français médiévaux
de la Bibliothèque Vaticane)

La découverte dun manuscrit au contenu scientifique et magique parmi les codices ayant appartenu à Christine de Suède nest, en soi, pas surprenante. Des témoignages, écrits de sa main ou de celle des membres de son « cénacle alchimique », ont été édités ou étudiés depuis quelques années déjà, et apportent la preuve de lintérêt que la reine avait pour les sciences occultes en général, et pour lalchimie en particulier1.

Le manuscrit que nous nous proposons détudier, conservé à la Bibliothèque Apostolique du Vatican dans le fonds des Reginenses latini sous la cote 1334, compte parmi les nombreuses compilations de la fin du Moyen Âge consacrées aux sciences naturelles, médicale et magique. Ce témoin, pour une grande part rédigé en français, mais comportant aussi quelques textes en latin, avait déjà fait lobjet dune notice réalisée par E. Langlois, qui reconnaissait, entre autres, des textes médicaux, des tables de comput, des « recettes et formules aux signes cabalistiques », des traités astrologiques, des pronostics, de la chiromancie, ou encore diverses prophéties2.

Le volume, qui comprend 93 folios et ne porte aucune indication de date ni de provenance, pourrait avoir été confectionné et copié autour 128des années 1430-1480 dans le nord de la France3. Dénué de décoration et rédigé dans une écriture peu soignée, louvrage semble avoir été réalisé à des fins pratiques. Deux copistes des xve-xvie siècles ont ajouté au volume quelques textes, essentiellement latins, qui sinscrivent dans la continuité du projet initial.

Le recueil fut en effet élaboré autour dune thématique principale, dont la clef de lecture est apportée par le prologue du Régime du corps dAldebrandin de Sienne, premier texte du témoin :

Dieux, qui par sa grant puissance le monde establis, car premierement fist le ciel, aprés les quatres elimens – cest la terre, leaue, lair et le feu –, se li pleut que toutes les autres choses de la lune en aval fussent et soient faites par les vertus de ces quatre elimens, si com sont herbes, arbres, oysel et toutes bestes, poisson et homme. Et fist premierement toutes ces choses avant quil fesist lomme. Et lomme fist il au darrains a sa semblance pour le plus noble creature que il puist faire en terre, et lui donna la seignourie en terre de toutes les choses que il avoit premiers faites, et voult quelles fussent toutes a lomme obeissant pour ce quil est aussi comme sires de toutes choses, si com dist Aristotes, car on doit savoir que li fyns est li mieudre chose en toutes euvres, car pour la fin fait on quanques on fet. (fol. 1r)

Lidée développée dans cet extrait (et accréditée par lautorité dAristote) repose sur le principe que macrocosme et microcosme, créés par Dieu selon un ordre précautionneusement établi, appartiennent de fait à un unique système, au centre duquel se trouve lhomme. Constitués à partir des mêmes éléments qui les entourent, les corps interagissent entre eux et avec le cosmos entier, subissent son influence. Bien que Dieu ait fait de lhumain un être capable dintervenir dans le cours naturel des choses, ce dernier demeure ignorant dune grande part des lois qui régissent le monde.

Le manuscrit Reg. lat. 1334 sarticule autour des thématiques soulevées par ce programme. Le traitement des maladies et les préoccupations quotidiennes humaines y occupent une place essentielle et sont par 129ailleurs étroitement liées à linterprétation des astres et des éléments naturels ainsi quaux prophéties envoyées par Dieu à des élus. Louvrage, résolument pratique, repose sur une poétique qui met en scène le secret et exclut certains lecteurs. Cette poétique jongle avec le lisible, via la traduction en vulgaire, et lillisible, via le latin et le langage cryptographique ; elle met en lumière les signes visibles et présents, à partir desquels il est possible de déduire linvisible et le futur.

Le contenu et la visée du recueil peuvent laisser penser que son auteur ou son commanditaire avait lambition de réaliser un « livre de secrets » réunissant recettes, formules et traités pratiques pour révéler les secrets de la nature4. Ce genre, qui rencontra un fort succès de la fin du Moyen Âge au début du xviie siècle, avait pour principale vocation de dévoiler, à travers des textes empiriques dénués de théorie, la façon dexercer un art – alchimique, médical, métallurgique, culinaire, etc. – à des initiés5. Cest dans cette perspective que nous proposons de décrire le contenu du manuscrit Reg. lat. 1334 et didentifier une partie de ses textes dans un mouvement ascendant, des secrets du corps à ceux du cosmos et au-delà, jusquaux secrets divins.

Les secrets du corps

Les textes médicaux, qui ont été copiés par le copiste initial, occupent quantitativement la part la plus importante du codex. Ils peuvent être classés en deux catégories : les traités à base de matières naturelles dune part, les charmes et prières dautre part.

Le témoin souvre sur le fameux Régime du corps dAldebrandin de Sienne (fol. 1r-77r), intitulé « Le livre de medecine conservatives » dans lexplicit (fol. 77r, rappelons que le titre original est Livre de fisique). Ce traité dhygiène et de diététique, pratique avant tout6, fut composé en 130français au milieu du xiiie siècle dans le but de prévenir et de soigner les maladies par une connaissance de lusage des aliments et de la théorie humorale7. La version contenue dans le manuscrit Reg. lat. 1334 dérive de la « rédaction B classique » du Régime du corps8. Très tardive, cette version est connue dans deux autres manuscrits du xve siècle au contenu exclusivement médical et thérapeutique9. Le prologue de cette version a la particularité de présenter lempereur Frédéric II de Hohenstaufen comme le commanditaire de la traduction « en roumans » réalisée par le « maistre Halebrandis de Seenne », à partir du grec puis du latin, en 1234.

De nombreuses recettes médicales visant à soigner les maladies les plus courantes à partir de plantes simples ou composées sont, en outre, disséminées dans le volume Reg. lat. 1334 (fol. 83r, 79r-v), ou réunies en un ensemble organisé (fol. 87r-89v). Ce groupe, présenté dans lordre canonique a capite ad calcem, rassemble des recettes qui ont circulé individuellement, ou qui sont connues dans dautres réceptaires10 :

A la douleur du chief : poulieul cuit en vin aigre, metez es narines et couronnez le chief de ce poulieul.

Item, quant la dolour du chief a tenu longuement : une poignee de rue, lautre poignee de ere terestre, la terce poignee de fuelles de lorier ; broiés tout ensemble et cuisez en vin ou en eaue et mettez sur le chief. (fol. 87r)

Parmi cet ensemble de recettes à la thérapeutique « traditionnelle », on trouve quelques incantations magiques associées à des prières 131adressées au Christ et à ses saints. Elles sont destinées à influencer les relations humaines, exaucer un vœu, soigner une maladie ou prévenir un ensorcellement :

A faire que ses ennemis ou adversaires ou plandans ne puissent avoir povoir, ne nuire ne faire mal a tort, et aussi pour faire bonne amour entre deux personnes (mais on ne le doit mie dire ne faire pour autruy grever ne faire mal a tort) : « Ou nom du Pere et du Fil et du Saint Esperit, ou nom que Dieux porta sa croix humblement, ou nom que Dieux sa croix garda, ou nom que Dieu son benoit sanc espandi, ou nom que Dieu morrut pour noz pechiez, ou nom que Dieux resucita de mort a vie, ou nom que il respandi sa grace sur nous, puisse je commencier ceste oroison si quelle puist tourner a prouffit et a ceulx pour qui je le fay. Je te command et conjure par les .3. noms Jhesu Crist + Agla + Eloy + Tetragramaton +. Par ces .3. grans noms, si te [fol. 89r] conjure, je te commande que tu ton cuer tournes a moy et destournes de toutes autres personnes fors de moy seulement et me puisses tous jours amer et desirer de tout ton cuer et de tout ton sens et de toute ta condicion [] Aprés prie je a Dieu par sa grant humilité, par sa grant science et par son grant raemplissement que celui puist Dieux son cuer raemplir de sa grace, si que nul ne puist avoir povoir a lui fors que je tout seul, ne densorcelement ne denchantement, ne nul ne me puist grever ne arrieres ce doint Dieux, amen. »

Lassociation de prières ou de charmes et de recettes médicales trouve son paroxysme dans le petit groupe de recettes, copié sur le fol. 83r, mélangeant traitements à base de matières végétales ou animales pour lhomme, et charmes pour soigner les chevaux11. Quoique les « prières pour un cheval malade », pour soigner le farcin, la morve ou les enclouures, soient courantes selon Marie-Thérèse Lorcin12, celles qui sont conservées dans le Reg. lat. 1334 sont toutefois dun genre particulier et nont pu être précisément identifiées, même si la première dentre elles sinscrit dans la tradition des recettes dhippiatrie médico-magiques invoquant la Trinité, connue par ailleurs13 :

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Pour oster cloux de piés de chevaux dites : « Beaux sire Dieux qui en crois fustes mis de cloux atachiez, et pour si voirement que ce fu voirs, ceste pointure guerisse + In nomine Patris + et Filii + et Spiritus sancti. Amen ». Et quant vous avez oster le clou, si le boutez ou en fu ou en terre.

Quant un cheval est mesmarchiez, fay tant que tu treuves lamie dun prestre et lui demande : « damoiselle que a ce cheval ? » Et tous ce quelle respondera, quele chose que ce soit, soit bien ou mal, ton cheval sera gueriz []. (fol. 83r)

Les remèdes naturels et magiques, les prières et les charmes font partie du traitement des maladies dans certains réceptaires médicaux et fonctionnent comme un ensemble de moyens complémentaires favorables à la guérison. Lalliance du naturel et du surnaturel, du tangible et de linvisible pour soigner les maux découle dune pensée totalisante selon laquelle le monde, créé par Dieu, fonctionne de manière coordonnée.

Le traité de physiognomonie conservé dans le manuscrit Reg. lat. 1334 (fol. 74v-77r) est fondé sur cette même idée. Quatrième et dernière partie du Régime du corps précédemment mentionné, ce texte permettait de connaître la nature dune personne grâce à ses parties physiques visibles :

Pour ce que donné vous avons enseignemens de deux parties que dictes vous avons devant comment vous povez congnoistre les .IIII. complexion de lhomme, si comme de sanguine, de colerique, de fleumatique et la melancolie, et la complexion de chascun membre du corps, si vous en laisserons cy a dire et vous dirons enseignemens comment vous pouvez connoistre les natures de chascun par les membres que on voit par dehors. (fol. 74v)14

Lextrait cité rend compte de limportance de la théorie humorale dans la pensée médiévale du corps humain. Cette théorie justifie linterprétation spirituelle des traits physiques par la physiognomonie, savoir à mi-chemin « entre divination et philosophie naturelle15 ». Cela nest donc peut-être pas un hasard si ce manuscrit au contenu 133médico-astrologique a conservé le prologue, sujet à caution historiquement16, faisant de Frédéric II le commanditaire du texte. Lempereur portait en effet un intérêt certain aux sciences naturelles, et plus particulièrement à lastrologie, à la médecine ou encore à la physiognomonie17.

Le corps dans son ensemble, gouverné par les humeurs et, de fait, étroitement lié aux éléments, pouvait donner lieu à bien des interprétations possibles sous couvert des sciences naturelles cautionnées par les érudits les plus fameux. Cest ainsi le cas pour le traité de chiromancie présent dans le Reg. lat. 1334, fol. 90r-v18. Il consiste en un abrégé pratique, inspiré des traités de chiromancie traditionnels plus théoriques, ayant pour but de reconnaître différents aspects de la personnalité dun individu à partir de lobservation des lignes de la main. Le texte, intégralement rédigé en français, se présente sous la forme dune liste dune quinzaine de préceptes sans fondement théorique explicite19. La main nest nullement décrite, seules les quatre lignes principales sont vaguement présentées en guise dintroduction :

La ligne qui environne le pauce de la main est la ligne de vie, et celle du milieu est la ligne moienne naturele [ligne de tête], et lautre est la mancelle [ligne de cœur], et lautre qui vient de celle de vie en bas vers la main, cest la basse du triangle [ligne de santé]. (fol. 90r)

Ainsi, les particularités anatomiques de la main ne sont pas mentionnées. La démarche est empirique avant tout : la description des lignes à interpréter repose sur des éléments minces, comme la couleur, la largeur, la longueur, la position des lignes les unes par rapport aux autres. Limprécision des 134descriptions ajoutée à labsence de tout appui théorique rend toutefois le texte difficile daccès aux personnes ignorant la chiromancie, alors même quelle avait une fonction indubitablement utilitaire :

Quant la ligne moienne naturele et la ligne de vie ne se joignent vers le pauce et quil y a espasse entre deux, ce segnefie largesse, et quant il se fine tost ou creux de la main, cest signe de lopposite, et quant il y a lignes entre deux, cest signe de la largesse que on se repent. (fol. 90r)

Des signes de mariaige : quant ilz sont bien parans et droit et bien articulés sans autres lignes qui les devise, cest signe de bons mariages et de bonnes compaignie et lopposite est celle : celles qui est fette de plusieurs lignetes autres qui lardent, cest signe davoir femme variable en fait de luxure. (fol. 90r)

Lanalyse des manifestations physiques des maux et des déséquilibres des humeurs, qui constitue les bases de la médecine de tradition galénique et hippocratique, requiert des connaissances théoriques qui ne sont pas accessibles au lecteur non averti. Ce constat ne fait que se renforcer à la lecture du fol. 79r-v, sur lequel sont rédigées des recettes en latin parsemées de langage cryptographique et attribuées à un certain « Magister Johannes Hazardi, fisici regis Francorum20 ». Des mots codés sont en effet substitués aux éléments essentiels à la compréhension du texte, comme le nom de la maladie à soigner ou un ingrédient indispensable à la recette. Le code, fondé sur le système de remplacement dune lettre par un symbole21, doit donc nécessairement être déchiffré.

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Or le déchiffrement de la première recette est quelque peu décevant car, loin de révéler un mystère, cette dernière vise à soigner la gravelle à laide de plantes22. Ce type de recettes nest pourtant pas rare, et lon en trouve même un exemple, sans code, au verso du même feuillet. Cette recette pourrait donc avoir été utilisée comme un leurre pour dissimuler les textes plus problématiques au regard du profane. Une autre recette (fol. 79v), elle aussi en partie cryptographiée, est effectivement plus surprenante que la précédente : « Ad[INEBRIANDUM] : recippe semina jusquiami, lolii et nigelle [] ». Elle a ainsi pour but denivrer le « patient » par lingestion de graines de plantes connues depuis le haut Moyen Âge pour être plus ou moins toxiques lorsquelles sont consommées à haute dose23.

Le même système cryptographique est utilisé dans un autre ensemble de textes intitulé « Secreta occulta » (fol. 86v). Le titre, en apparence très mystérieux, est assez courant dans la littérature des recettes, et signifie que ce sont des remèdes dont on peut éprouver lefficacité sans nécessairement en déceler la cause (ou lagent actif)24. Les secrets révélés sont donc bien plus pratiques que ne le laissait entendre le titre, puisque se cachent des recettes aphrodisiaques :

Ut habeas [ VIRGAM ] rectam per totam nocte qui [ JACES ] cum [ AMICA ] , accipe [ CORAS ] unde [ AURIFABRI ] operavit et muge summitatem virge. (fol. 86v)

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Les secrets du cosmos

Comme nous lavons montré au début de cette étude, le prologue du Régime du corps, qui ouvre le recueil, place lhomme au cœur dun système cohérent organisé autour du corps, des éléments, des astres, des planètes, ou encore des métaux. Le manuscrit Reg. lat. 1334, consacré à ces thématiques, révèle à linitié les secrets pour connaître le monde qui lentoure et pour mieux maîtriser la nature. Ce dernier aspect fait dès lors entrer cette collection de textes de sciences naturelles et médicales dans la sphère de la pratique magique25.

La discipline alchimique tient une place de choix dans la littérature des secrets, puisque sa pratique, auréolée de mystère, avait, parmi ses objectifs, la transmutation des métaux. Dans le recueil Reg. lat. 1334, lalchimie consiste en quatre recettes pratiques visant à blanchir le cuivre (fol. 85r-v), procédure relativement fréquente dans les ouvrages dalchimie26. Seule la dernière recette donne un indice sur la finalité de cette technique, puisquil y est question dun orfèvre27. On peut alors supposer que le blanchiment du cuivre avait pour fonction de donner, à ce métal, lapparence de largent pour fabriquer des parures en orfèvrerie.

Il est dailleurs intéressant de noter que ces recettes – qui pouvaient être utilisées par des faussaires ou des orfèvres peu honnêtes –, comprennent des mots codés selon la même cryptographie décrite précédemment. Lutilisation de mots cryptés était fréquente parmi les alchimistes, qui veillaient particulièrement à tenir leur art à lécart du profane ou des concurrents28. Robert Halleux a aussi montré que les traités alchimiques 137ont conservé de multiples types de codes, plus ou moins complexes et plus ou moins symboliques29. Le fait que le rédacteur des recettes nait pas eu recours aux symboles alchimiques pourrait laisser entendre quil nétait pas expert en cet art (dautant que le système cryptographique utilisé dans le manuscrit nest, somme toute, pas très complexe). Chaque recette reprend apparemment toutes les étapes de la préparation, en précisant les mesures et les proportions, mais de façon peu précise parfois (comme lexpression : « plus il y en a, mieux cest », fol. 85v), selon une syntaxe proche de celle des recettes médicales30 :

Pour blanchir [QUEUVRE], prenez gravelle de vin, dont on blanchist .II. estrelins pesant de bourras, .I. sterlin [DARSENIC], .I. sterlin de salpetre, demi estrelin dencens blanc []. (fol. 85r)

Lastrologie était considérée, par les savants antiques et médiévaux, comme une science de la connaissance des caractères et des destins humains fondée sur lanalyse de linfluence du système cosmique31. Dans le Secret des secrets, quon a parfois attribué à Aristote jusquà la fin du Moyen Âge, cette discipline était associée à létude de la nature, à la médecine, à la politique, mais aussi à la stratégie militaire32. Dans notre recueil, les pronostics astrologiques occupent naturellement une place privilégiée dans la mesure où ils sappuient sur une science accréditée par les plus grands érudits. La visée de ces pronostics est conforme au projet du recueil, car ces prédictions sappliquent uniquement aux préoccupations quotidiennes du lecteur.

Trois traités dastrologie pratique ont été copiés par le premier scribe33. Le premier dentre eux, conservé sur les fol. 80r-82v, est une 138table astrologique que T. Hunt classe dans le genre de la « Tabula Lune34 » qui constitue en fait un « zodiologion35 ». Ce traité, qui présente les actions à accomplir ou non lorsque la Lune se trouve dans tel ou tel signe du zodiaque, se divise en trois parties.

Dans un premier temps, une introduction indique les signes favorables ou défavorables au commerce :

Ci sensuit les signes qui sont bons a marchander : Capricorne, Aquarie, Poissons, Mouton, Torel, Jumaus. Se aucun y achette marchandise, il y gaignera.

Et vecy le contraire en ces autres : cest assavoir Cancer, Leo, Virgo, Libra, Scorpius, Sagittarius. (fol. 80r)

Cette introduction identifie également les signes « muables », « stables » ou « communs », et définit chacun de ces termes dun point de vue pratique36. Voici lextrait concernant les signes « muables » :

Ci sensuit les signes muables : Aries, Cancer, Libra, Capricornus. Quant la Lune est en signe muable, ce qui sera alors commencié sera tost fait et la chose ne durra point longuement. Il fait bon saignier, vendre et acheter, et fiancer et non espouser, et se aucun promet aucune chose, il le tient voulentiers. Ne commence alors chose que tu vuelles faire durer, si comme maisons, chastiaux, pons, molins. Commence ce que tu veulx haster. (fol. 80r)

La table zodiacale, qui est le cœur du traité, est une énumération dactes recommandés ou déconseillés lors du passage de la Lune en un signe, selon lordre canonique des signes astrologiques. Dans chaque paragraphe est soulignée la concordance entre le signe zodiacal et ses éléments, métaux, organes et couleurs. La cohérence du système cosmique à lœuvre dans le codex se trouve donc encore une fois renforcée.

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Leo : quant la Lune y est, garde toy de prendre puison ne medecine, car il le couvenroit vomir ou estre en peril. Mal tailler nuefz draps, et mal vestir par espal robe vert, car, selon la nature du signe, tu seroies navréz en ces draps ou tu aroies maladie en cel an, ou autre empeschement, ou tu seroies ociz. Mal fait aler en lonc voiage, mal medeciner le cuer et lestomac et le foie et toutes les entrailles, et qui y seroit navréz, a peine pourroit guarir. A peines seront ja accordéz ceux qui se courreceront, alors ne ja puis naront a chier lun a lautre. Mal commencier ce que on vuet haster, bon commencier ce que on vuet fere longuement durer estable, comme murs, maison []. Bon fait espouser et prendre asseurances et entrer en seignourie et possessions et toutes choses qui ne doivent mie souvent recommencier. Bon parler aux rois et aux princes et aus poissans hommes. Bon fondre metaux et toutes choses qui se font par feu. Bon acheter metaux et draps de jaune couleur, et acheter et marchander or. (fol. 81r)

La conclusion du traité souvre sur la formule « Dicunt sapientes », gage de qualité et de véracité du contenu à venir. Elle est tout dabord consacrée aux contraintes médicales inhérentes aux signes « muables », « stables » et « communs ». Elle est ensuite complétée dune table des « maisons » (cest-à-dire des domiciles planétaires), permettant de connaître les associations entre les signes, les planètes et les astres37. On constate que le français et le latin sentremêlent, et il semble même que le copiste trouve plus rapide ou plus aisé décrire la fin de la table en latin38 :

Nota que Capricorne et Aquarius sont maison de Saturne ; Sagittaire et Poissons sont maison de Jovis ; Aries et Scorpius domus Martis ; Leo domus Solis ; Taurus et Libra domus Veneris ; Gemini et Virgo domus Mercurii ; Cancer domus Lune. Explicit liber totus. (fol. 82v)

Le zodiologion sachève de façon abrupte, mais est aussitôt suivi dun traité théorique enseignant le calcul de la conjonction lunaire et dun court aide-mémoire astronomico-astrologique. Ce texte présente deux intérêts, outre le calcul en soi. Tout dabord, il fixe la lunaison à 29 jours, 12 heures, 44 minutes39, et, évoque, au passé, la date de la lunaison du mois de septembre 1395, donnant ainsi la datation post quem sinon du manuscrit, du moins de son modèle :

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A savoir la vraie conjunction de la Lune. Premier, il est necessité de savoir une vraie conjunction, comme ou mois de septembre fu la conjunction a XIIII jours, XI[I] heures, XLIIII minutes, lan mil CCCIIIIXX et XV, et commença la Lune dudit mois de septembre le dit XIIIIo de septembre. Aprés, a faire le compte de lautre Lune suivant, prenez pour chacun cours de Lune XXIX jours, XI[I] heures, XLIIII minutes, et tant a chascune lunoison. Et pour savoir la vraie conjunction du mois doctobre aprés, getez sus XXIX jours, XI[I] heures, XLIIII minutes, que le cours de la Lune, a qui font en somme XLIIII jours et XXVIII minutes. De ce faut rabatre autant de jours que le mois de septembre a, cest assavoir XXX. Ainsi demeure de toute somme XIIII jours et XXVIII minutes. Ainsi apert que au XIIIIe doctobre et XXVIII minutes commence la lunoison doctobre, et ainsi feras de mois en mois. (fol. 82v)40

Cet ensemble théorique semble a priori indispensable au traité dastrologie précédent : la partie théorique était peut-être, dans la version originale du texte, placée dans un préambule à la partie pratique.

Un autre traité dastrologie lunaire apparaît dans le ms. Reg. lat. 1334, fol. 84r-v. Intitulé « Abreviatum lunarium » dans lexplicit, ce texte consiste « en prescriptions et pronostics, appliqués aux trente jours dun mois lunaire imaginaire et constant », daprès la définition dE. Svenberg41. Notre « lunaire abrégé » ressemble, par sa forme et son contenu, à dautres traités latins42, textes qui abordent en effet des questions purement pratiques et sans référence directe à la Bible ; notre copie est toutefois très abrégée et remaniée par rapport aux lunaires que nous venons dévoquer. À titre dexemple, voici une comparaison des prescriptions relatives à la première lune dans notre témoin et dans une copie conservée à Paris :

Luna prima. Bon commencier voiage. Bon vendre et acheter, et tout faire sois embler. [Reg. lat. 1334, fol. 84r]

Luna prima. Bona est in omnibus : dare et accipere et nubere et navigere in mare et vendere et emere. Et omnis quicumque fugerit in ipsa, aut servus aut liber, non poterit, sed capietur. Aut qui incendit in tedio, sanabitur. Et qui natus fuerit, vitalis erit. (BnF, NAL, 1616, fol. 10v)43

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La dernière table astrologique du manuscrit a été écrite par le deuxième copiste, en latin. Contrairement aux tables déjà mentionnées, elle ne vise pas à faire des pronostics, mais à expliquer le nom de chaque signe du zodiaque à partir dépisodes bibliques44 :

Mayus signum habet Gemini quia Eva et Adam in uno corpore fabricati sunt in hoc mense ut dicunt aliqui. (fol. 79v)

Le deuxième copiste voulait peut-être, par ce biais, légitimer lastrologie et ainsi justifier son utilisation au regard de la religion. Cette hypothèse pourrait se voir confirmée par le fait que ce même scribe a copié une table de comput ecclésiastique (fol. 78v) pour calculer la date de Pâques en fonction du calendrier lunaire45.

Le troisième copiste du recueil a lui aussi ajouté une table de comput ecclésiastique pour connaître la date de Pâques (fol. 91r). Cette table met en évidence la méthode de calcul utilisée, puisque le tableau à double entrée présente, sur chaque ligne, le nombre dor astronomique dune année et, sur chaque colonne, la lettre dominicale. La table est dailleurs suivie dun court poème explicatif en douze octosyllabes :

Se tu te veulx ycy esbatre / Pour savoir, sans toy debattre / Quant Pasques sont, ou hault, ou bas, / Le nombre dor savoir te fault / Et du Saint Dymanche la lettre, / Sans riens oster ne sans riens metre, / Puis au long de la lingne va / Du dymanche qui lors sera / Tout a landroit de nombre dor ; / La trouveras tu le tresor / De tout ce que tu demandes, / Cest quant seront Pasques les Grandes46.

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Les secrets de Dieu

Nous concluons en abordant la question du rapport du manuscrit Reg. lat. 1334 au divin et au religieux. Parmi les textes tournés vers Dieu rédigés par le premier copiste47, les prophéties occupent une place non négligeable, puisquelles sétendent sur les fol. 85v-86v. Lune de leurs préoccupations principales est dasseoir le règne de Dieu sur terre par la conquête de Jérusalem. Deux dentre elles ont pu être identifiées comme des traductions françaises de textes prophétiques latins bien connus par ailleurs.

La première, qui apparaît au fol. 85v, provient dune version tardive de la « prophétie du Cèdre du Liban » (fin du xiiie siècle) et est, sur certains points, fort éloignée des copies latines et françaises déjà éditées48 :

En lan de grace mil CC IIIIXX et VII, avint une diverse avision ou cloistre de Cistiaux, ou I moisne disoit messe devant son abbé. La sapparu une main, et escripst sur le corporal que le hault cedre du mont de Libame Triple destruite, Acre destruite. Mars montera dessus Saturnus, li cauve soris reschara le dieu des ez. Dedens XV ans aprés, sera une foy et une creance et toutes ydoles seront demises a nient. Les enffans dYsrael seront franc, unes gens venront dittes sans chief, adont dolours en clergies et en crestientez pluseurs batailles, occisions de gens, sera grant famine, grant mortrires avenra, revanches de royaumes seront, la terre des Grigois retournera en la foy. Tout ordene preant seront demis a nient, la beste dOccident et les lyons dOrient metteront tout le monde au dessoubz. Aprés, ce sera pais par tout le monde. Bon temps sera XII ans, et sera un commun voyages de toutes gens pour aler oultre mer, et le sepucre sera gaigniez et aourez de gens en court terme. Aprés ce, oraon nouvelles de Antecrist.

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Une autre prophétie est une traduction dune version latine provenant de France, dont lincipit est « Lilium regnans in meliori parte mundi ». « Très diffusée à partir du xive siècle » et influencée par le conflit franco-anglais au xve siècle selon Catherine Daniel49, elle fut attribuée à Merlin dans certaines versions latines dorigine française, que notre traduction semble suivre50.

Le troisième copiste, probablement inspiré par les textes prophétiques initialement écrits dans le recueil, a ajouté une prophétie latine qui a connu une diffusion importante au xve siècle et qui était, à lorigine, faussement attribuée à Joachim de Flore51. Associée à la fameuse prophétie intitulée Karolus filius Karoli, très favorable aux rois Valois sous Charles VI et 144Charles VII, cette prophétie fut réécrite pour porter atteinte à Louis XI et légitimer lavènement au trône de son frère cadet Charles de France après la guerre du Bien Public (1465)52. Cette dernière version a un incipit très proche du nôtre : « Annis millenis quadragentis quinque decies (ou denis)53 ».

Lensemble de ces textes prophétiques est emblématique de lambition centrale du recueil, qui nest autre que révéler les secrets divins pour que le lecteur initié puisse contrôler la nature et prédire son avenir dans une perspective eschatologique. La problématique du visible et de linvisible et celle du secret, au cœur du recueil, sont également cristallisées dans les prophéties, dont le système symbolique est volontairement en partie hermétique, pour exclure le profane et promouvoir le prophète-interprète, celui qui est capable de pénétrer le secret des signes54.

Le Reg. lat. 1334 constitue un recueil de secrets surtout pratiques, divulgués au lecteur initié. Le mélange de textes scientifiques, magiques et prophétiques parfois écrits en latin ou en langue cryptographique confère à cette anthologie une certaine sacralité. Compte tenu des textes qui y sont préservés, on peut se risquer à penser que louvrage était destiné à lusage personnel dun clerc de Flandre, amateur de sciences et peut-être hostile à la couronne de France. Le codex, qui na révélé quune partie de ses mystères, mériterait une étude plus approfondie, tout comme chacun des textes que nous venons dévoquer. Nous pourrions ainsi peut-être mieux comprendre lusage qui a pu en être fait par ses possesseurs successifs, dont la reine Christine de Suède.

Julie Métois

Chercheuse associée au CESCM (Poitiers, UMR 7302)

1 Voir notamment, J. Bignami Odier et A. M. Partini, « Cristina di Svezia e le scienze occulte », Physis. Rivista internazionale di Storia della Scienza Firenze, 25, 2, 1983, p. 251-278 ; A. M. Partini, Cristina di Svezia e il suo Cenacolo Alchemico, Rome, Edizioni Mediterranee, 2010. Sur les manuscrits de la Reine, voir J. Bignami Odier, « Le fonds de la Reine à la Bibliothèque Vaticane », Studi e testi, 219, 1962, p. 159-189.

2 E. Langlois, Notices des manuscrits français et provençaux de Rome antérieurs au xvie siècle, Paris, Imprimerie Nationale, 1889, p. 129-130.

3 Le manuscrit a été rédigé sur papier (filigranes proches des no 347 et 353 du répertoire de Ch. M. Briquet, Les filigranes, dictionnaire historique des marques du papier, Paris, 1907, rééd. en 1968). Lécriture est comparable à celle de manuscrits provenant de Cambrai. Voir D. Muzerelle, G. Lanoë et G. Grand, Manuscrits datés des bibliothèques de France, t. 1, Cambrai, Paris, CNRS Éditions, 2000 : Cambrai, Bibliothèque Municipale, 1041 (daté de 1427-1433), 837 (daté de 1470), 1342 (daté de 1470-1473), 142 (daté de 1475), 1288 (daté de 1476-1479) et 1042 (daté de 1467-1469).

4 Voir M. Nicoud, Les régimes de santé au Moyen Âge, Rome, École Française de Rome, 2007, t. 1, p. 453.

5 Voir la définition du livre de secrets par W. Eamon, Science and the Secrets of Nature, Books of Secrets in Medieval and Early Modern Culture, Princeton, University Press, 1994, p. 4-5.

6 La fin du prologue est éloquente à cet égard : « Or commençons donques comment on doit savoir garder la santé par pratique, et laisons ester le teorique pour ce que li theorique nest pas de nostre ententions » (Reg lat. 1334, fol. 2v)

7 La bibliographie est riche sur ce régime de santé, sa tradition manuscrite et son auteur. Voir, entre autres, F. Féry-Hue, « Le Régime du corps dAldebrandin de Sienne : tradition manuscrite et diffusion », Santé, médecine et assistance au Moyen Âge. Actes du 110e congrès national des sociétés savantes, Paris, 1987, p. 113-134 ; S. Bisson, L. Hordynsky-Caillat et O. Redon, « Le témoin gênant. Une version latine du Régime du corps dAldebrandin de Sienne », Médiévales, 42, 2002, Le latin dans le texte, p. 117-130 ; et lédition de L. Landouzy et R. Pépin, Le Régime du corps de Maître Aldebrandin de Sienne, texte français du xiiie siècle, Paris, Champion, 1911, réimpr., Genève, Slatkine, 1978.

8 Landouzy et Pépin, Le Régime du corps, p. xliv ; Féry-Hue, « Le Régime du corps dAldebrandin de Sienne », p. 117.

9 Paris, BnF, fr. 1288, fol. 142r-189v (milieu du xve siècle), et Oxford, Bodleian Library, Bodley 179, fol. 1r-110v (xve siècle). Selon Landouzy et Pépin, la copie du Reg. lat. 1334 découlerait du manuscrit conservé à Paris (Le Régime du corps, p. liv).

10 Comme la Lettre dHippocrate à César. Voir J. Métois et E. Bozoky dans Translations médiévales. Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge (xie-xve siècles). Étude et répertoire, éd. C. Galderisi, Turnhout, Brepols, 2011, t. 2, vol. 2, fiche no 462, p. 770-772.

11 Ces recettes nont rien en commun avec un traité dhippiatrie « traditionnel » tel que celui de Jordanus Rufus. B. Prevot, La science du cheval au Moyen Âge, le Traité dhippiatrie de Jordanus Rufus, Paris, Klincksieck, 1991.

12 M.-T. Lorcin, « Prières pour un cheval malade », Sénéfiance, 32, 1992, Le cheval dans le monde médiéval, p. 323-336. Le mélange de recettes médicales dédiées aux humains et aux animaux est courant dans les réceptaires de cette période. Voir dautres exemples en occitan dans C. Brunel, Recettes médicales, alchimiques et astrologiques du xve siècle en langue vulgaire des Pyrénées,Toulouse, Édouard Privat, 1956, p. 57-80 (recettes no 430, 500, 505).

13 Voir notamment B. Ribémont, « Science et magie : la thérapie magique dans lhippiatrie médiévale », Magiciens, sorciers et sorcières dans la culture du Moyen Âge (colloque de Saint-Malo, 5-9 juin 1992), Zauberer und Hexen in der Kultur des Mittelalters, dir. D. Buschinger, Greifswald, 1994, p. 175-190 (p. 181 et 184).

14 Cette partie est absente des deux autres témoins de la « rédaction B classique ». Le copiste sest donc appuyé sur un autre témoin que le ms. Paris, BnF, fr. 1288, pour cette partie au moins.

15 Voir notamment J.-P. Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans lOccident médiéval (xiie-xve siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 114-116. Lauteur rappelle dailleurs que le plus célèbre traité de physiognomonie était conservé dans le Secretum secretorum de Philippe de Tripoli et que cette science jouissait de lautorité dHippocrate et dAristote. Voir également D. Jacquart, « La physiognomonie à lépoque de Frédéric II : le traité de Michel Scot », Le scienze alla corte di Federico II, Micrologus, 2, Turnhout-Paris, Brepols, 1994, p. 19-37.

16 Voir lhypothèse de P. Meyer, « De lexpansion de la langue française en Italie pendant le Moyen Âge », Atti del congresso internazionale di scienze storiche, Roma 1-3 aprile 1903, vol. 4, Rome, 1904, p. 79-80.

17 Voir le volume consacré au rapport de Frédéric II aux sciences : Le scienze alla corte di Federico II. Sciences at the Court of Frederick II, Micrologus, 2.

18 D. Chaffardon, Le Livre de Cyromance, traité de chiromancie du xve siècle, Thèse de 3e cycle dirigée par J.-C. Payen, Université de Caen, 1973, p. 11. Lauteur propose des schémas inscrivant la main dans le système associant éléments, humeurs, métaux, planètes, p. 42.

19 Aucune recommandation nest formulée quant à la technique dobservation de la main. Voir Ch. Burnett, Magic and Divination in the Middle Ages. Texts and Techniques in the Islamic and Christian Worlds, Aldershot, Variorum, 1996, X, « Chiromancy : supplement », p. 20-29 ; et dans S. Rapisarda, Manuali medievali di chiromanzia, Roma, Carocci Editore, 2005, p. 83-102.

20 Daprès S. Röhl, qui reprend linformation de Ch.-V. Langlois, on retrouve ce nom dans dautres témoins : daprès un acrostiche, un certain « Jehan Hazart » serait le copiste du ms. Reg. lat. 750 (datant du 3e quart du xive siècle), mais il semble peu probable quil soit également le « physicien » du roi dont il est question dans le Reg. lat. 1334 (voir S. Röhl, Der Livre de Mandeville im 14. und 15. Jahrhundert : Untersuchungen zur handschriftlichen Überlieferung der kontinentalfranzösischen Version, Munich, 2004, p. 128 ; voir aussi E. Wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen Âge, Paris, 1936, réimpr. Genève, 1979, p. 417). Et il nest pas plus vraisemblable de le rapprocher du « Jehan Hasart » mentionné dans la notice suivante : « Loys, fils du roy de France, duc dOrliens, à nos amez et féaulx les gens de nos comtes, salut. Nous voulons que vous paiez la somme de cinquante frans à Jehan Hasart, orfèvre demourant à Paris, pour VI hanaps dargent verrez, à chascun un esmail au fons. – Donné à Paris le XXe jour de février, lan mil CCC IIIIxx et XVII. », texte transcrit par le Comte de Laborde, Les ducs de Bourgogne. Études sur les lettres, les arts et lindustrie pendant le xve siècle, t. 3, Paris, 1852, p. 150, no 5804.

21 Nous navons pas trouvé cet alphabet cryptographique ailleurs, mais il est semblable à ceux que B. Bischoff, dans son article « Übersicht über die nichtdiplomatischen Geheimschriften des Mittelalters », Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 62, 1954, p. 1-27, a pu décrire (voir notamment les exemples 42-108 du tableau p. 24-25). Les symboles utilisés dans ce langage sont parfois très proches de la représentation graphique de la lettre à laquelle ils se rapportent (la lettre « E » est représentée par un « ϶ », le « O » est proche du signe « Ø », etc.). Je remercie I. Ventura et M.-L. Savoye, qui mont aidée à élucider ce langage.

22 Lincipit de la recette est : « Nota contra[GRAVELLAM]recippe optimum [] » (fol. 79r-v ; le mot décrypté est entre crochets).

23 Voir J.-P. Peter, « Médicaments, drogues et poisons : ambivalences », Ethnologie française, 34, 3, 2004, p. 407-410, ici p. 407.

24 Voir notamment Eamon, Science and the Secrets of Nature, p. 79. Le pouvoir de la recette est ainsi transféré au détenteur du message cryptographié.

25 Si lon comprend la « magie » comme une technique pour contrôler et manipuler la nature (alors que la « science » sert à expliquer les phénomènes naturels). Voir Eamon, Science and the Secrets of Nature, p. 43 ; voir aussi la définition de N. Weill-Parot, « Science et magie au Moyen Âge », Bilan et perspectives des études médiévales (1993-1998) : Euroconférence (Barcelone, 8-12 juin 1999), éd. J. Hamesse, Turnhout, Brepols, 2004, p. 527-559, ici p. 529-531.

26 Par exemple dans C. Brunel, Recettes médicales, alchimiques, p. 54 : « per emblanquir coyre, pren de aurpimen .i.a o. polverissat, apres an de salpetra e mesca de tartar encaussinat, [] ».

27 « Item pour ladoucir, le bailler a un orfevre [] » (fol. 85v). La présence dun orfèvre dans ce témoin pourrait constituer un argument susceptible de rapprocher Jehan Hazart, orfèvre à Paris, de celui qui est mentionné dans une recette médicale. Voir supra, n. 20.

28 Voir Eamon, Science and the Secrets of Nature, p. 164.

29 R. Halleux, Les textes alchimiques, Turnhout, Brepols, 1979, p. 114-119.

30 Halleux, Les textes alchimiques, p. 74 : lauteur y compare la recette alchimique à la recette médicale.

31 Par exemple, les astres exerçaient une influence sur la santé humaine. Voir D. Jacquart, « Le Soleil, la Lune et les états du corps humain », Le Soleil et la Lune, Micrologus, 12, 2004, p. 239-256.

32 S. J. Williams, The Secret of Secrets. The Scholarly Career of a Pseudo-Aristotelian Text in the Latin Middle Ages, University of Michigan Press, 2003, p. 11-16.

33 Nous névoquerons pas ici le troisième dentre eux, qui est une version française en prose, inconnue jusque-là, des pronostics dits dEsdras ou dÉzéchiel (à partir des kalendes de janvier et du jour de Noël). Voir notamment F. Féry-Hue, « Revelatio Esdrae ou Prophéties dEzechiel. Éléments nouveaux pour le corpus latin et français des prophéties daprès le jour de Noël », Pour acquerir honneur et pris. Mélanges de moyen français offerts à Giuseppe di Stefano, éd. M. Colombo Timelli et C. Galderisi, Montréal, CERES, 2004, p. 237-251. Nous navons pu établir de liens entre la copie du Reg. lat. 1334 et les versions présentées par F. Féry-Hue.

34 T. Hunt, « Deliciae clericorum : Intellectual and Scientific Pursuits in Two Dorset Monasteries », Medium Ævum, 56/2, 1987, p. 159-182, ici p. 173. Voir lappendix B, dans lequel il édite cette « tabula Lune », p. 173-174. Il reprend cette édition dans louvrage Writing the Future, Prognostic Texts of Medieval England, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 149-151. Lauteur indique aussi que le lunaire est la forme de divination la plus commune au Moyen Âge, p. 31. I. Taavitsainen range ces textes parmi les « zodiacal lunaries » dans Middle English Lunaries, A Study of the Genre, Mémoires de la société néophilologique de Helsinki, t. 47, Helsinki, Société Néophilologique, 1988, p. 46.

35 Voir E. Svenberg, Lunaria et zodiologia latina, Stockholm, Acta Universitatis Gothoburgensis, 1963.

36 Boudet, Entre science et nigromance, p. 57-58.

37 Boudet, Entre science et nigromance, p. 59.

38 Cest probablement un indice supplémentaire quil transcrit le texte à partir dune copie latine.

39 LAlmageste de Ptolémée fixait déjà, comme aujourdhui, la durée moyenne de la lunaison à 29 jours, 12 heures, 44 minutes environ. Voir J. Meeus, « La durée de la lunaison », Ciel et Terre, 76, 1960, p. 21-25.

40 LInstitut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides indique que la nouvelle lune a lieu le 14 septembre 1395, à 23h39m UTC. Selon les tables alphonsines, elle eut lieu ce jour-là, au méridien de Paris, vers minuit.

41 Svenberg, Lunaria et zodiologia latina, p. 3.

42 Contenus dans les mss Paris, BnF, NAL, 1616, fol. 10v-12r (ixe siècle) et Città del Vaticano, Vat. lat. 642, fol. 91v-94r (xiie siècle).

43 Svenberg, Lunaria et zodiologia latina, p. 24.

44 T. Hunt propose une version semblable quoique divinatoire et anglo-normande de ce texte quil nomme « Ratio nominum duodecim signorum », dans Hunt, Writing the Future, p. 66-67 (il sagit du ms. Cambridge, Trin. Coll., 0.2.5, fol. 205va-b, du milieu du xive siècle).

45 Quando Luna currit per .I. prima die dominica post nonas aprilis erit Pasqua (fol. 78v). On trouve des exemples similaires dans des manuscrits latins, comme le Paris, BnF, lat. 2771, fol. 72v (ajout dun copiste du xiiie siècle selon la notice). Voir les travaux de A. Cordoliani, qui a répertorié les manuscrits de comput ecclésiastique en Espagne.

46 Nous ne connaissons quune autre copie de ce poème (également associé à une table de comput), dans un manuscrit de Chartres, Bibliothèque municipale, 425 (431), fol. 298, du xve siècle (détruit en 1944). Voir le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, 11, Chartres, éd. H. Omont, A. Molinier, C. Couderc et E. Coyecque, Paris, Plon, 1890, p. 194, ainsi que la notice du manuscrit de la base Jonas de lIRHT en ligne signée par Cécile Bruneau.

47 Nous passons sous silence un court texte constitué de prières récitées par lofficiant lors de sa préparation à la célébration eucharistique. Ces « Vesting prayers » sont attestées depuis le ixe siècle dans les missels et ordinaires de la messe. Lincipit de notre version : « Quant len se lieve : In manus tuas commendo spiritum meum redimisti me domine deus veritatis » (fol. 79r). Voir R. Netherton et G. R. Owen-Crocker, Medieval Clothing and Textiles, 10, Woodbridge, Boydell Press, 2014 ; J. M. Pierce, « Early Medieval Vesting Prayers in the Ordo Missae of Sigebert of Minden (1022-1036) », Rule of Prayer, Rule of Faith : Essays in Honor of Aidan Kavanagh, O.S.B., éd. N. Mitchell et J. F. Baldovin, Collegeville, Liturgical Press, 1996, p. 80-105 ; V. Leroquais, « Lordo missae du sacramentaire dAmiens », Ephemerides liturgicae, 41, 1927, p. 435-445, ici p. 439. La présence de ce texte pourrait signifier que le livre était destiné à lusage personnel dun prêtre.

48 R. E. Lerner, The Powers of Prophecy, The Cedar of Lebanon Vision from the Mongol Onslaught to the Dawn of the Enlightment, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1983.

49 C. Daniel, Les prophéties de Merlin et la culture politique (xiie-xvie siècle), Turnhout, Brepols, 2006, p. 274-275. Voir aussi L. A. Coote, Prophecy and Public Affairs in Later Medieval England, Woodbridge, York Medieval Press / Boydell Press, 2000, p. 96-98.

50 Voici le début de la prophétie : « Merlin dist : “je dirai des sages du temps que le siecle fu fais et on escripst VIm IIIIc XXVII (sic), la fleur de le lis regnera en la plus noble partie du monde et sera estrute et tourmentee contre le vieulz lyon et venra en sa terre et sera aux champs desoubz les hayes de son pays et mettra desoubz le fieux au lion, cel an le fieux a lomme qui porte les bestes sur son bras, laquelle terre siet devers la Lune songneux par tout le monde a plenté de gent et a grande ost et passera leaue et bevra en la terre au vieulx lion qui mestier ara dayde, car les bestes de son pays ont [fol. 86v] sa pel deschiree de leurs dens. Une autre annee venra un aigle dOriant, elles ouvertes devant le Soleil, atout grant peuple de ses poucins, en aide du lion []” ». Cette prophétie serait francophobe selon Colette Beaune, « Perceforest et Merlin : prophéties, littérature et rumeurs au début de la guerre de Cent Ans », Fin du monde et signes des temps, Cahiers de Fanjeaux, 27, 1992, p. 237-255, ici p. 243-244. Mais on ignore quelle interprétation le copiste choisissait. Entre les deux précédentes prophéties, un court récit rédigé en français, également prophétique mais dont lincipit est certainement lacunaire, semble utiliser un système symbolique similaire, fondé sur lhéraldique (fol. 85v-86r). Nous ne sommes pas parvenue à lidentifier.

51 Sur cette prophétie dont lincipit dorigine était Cum fuerit expleti anni ducenti mais qui, adaptée au règne de Louis XI, commençait par Annis millenis quadragentis quinque decies, voir M. Reeves, The Influence of Prophecy in the Later Middle Ages. A Study in Joachimism, Notre Dame-Londres, 1969, p. 49-50 et 527 ; C. Beaune et N. Lemaître, « Prophétie et politique dans la France du Midi au xve siècle », Mélanges de lÉcole Française de Rome. Moyen Âge, t. 102-2, 1990, p. 597-616 (ici p. 600). Le même copiste a aussi transcrit, aux fol. 91v-93r, les chapitres 26-28 du livre VIII des Révélations de sainte Brigitte de Suède. Ces chapitres concernent les questions politiques et plus particulièrement celles des royaumes de France et dAngleterre. Ce livre VIII est celui qui a le plus circulé dans « les milieux de la cour de France entre la fin du xive et le début du xve siècle », parce quil « constituait une sorte de traité de morale politique et sociale à lintention des princes et des dirigeants chrétiens ». Cependant, la sainte ne jouissait pas de la faveur de la couronne française parce quelle était jugée pro-anglaise. Voir A. Vauchez, « Le prophétisme médiéval dHildegarde de Bingen à Savonarole (xiie-xve siècle) », Politica Hermetica, 8, 1994, Prophétisme et politique, 1994, p. 21 ; et le chapitre « La faible diffusion des Révélations de sainte Brigitte de Suède dans lespace français : les causes dun rejet », dans A. Vauchez, Saints, prophètes et visionnaires. Le pouvoir surnaturel au Moyen Âge, Paris, Albin Michel, 1999, p. 162-173, ici p. 166-171.

52 Voir Le procès de Jacques dArmagnac (manuscrit Sainte-Geneviève 2000), édition critique avec notes, glossaire et index, dirigée par J. Blanchard, Genève, Droz, 2012, p. lxxi-lxxiv, 81-82 et 310-311.

53 Incipit dans le Reg. lat. 1334 (fol. 89v) : Annis millenis quadringentis quinque que denys [sic]

54 Voir S. Piron, « La parole prophétique », dans Le pouvoir des mots au Moyen Âge, éd. N. Bériou, J.-P. Boudet et I. Rosier-Catach, Turnhout, Brepols, 2014, p. 255-286, ici p. 275-277.